République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 25 mars 2021 à 20h30
2e législature - 3e année - 10e session - 60e séance
M 2706-A
Débat
Le président. A présent, nous passons au traitement des urgences avec la M 2706-A. Le débat est classé en catégorie II, trente minutes. Madame Léna Strasser, vous avez la parole.
Mme Léna Strasser (S), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. On va changer un peu de registre. Mesdames les députées, Messieurs les députés, la proposition de motion 2706 «Pour lutter efficacement contre la Covid-19: zéro sans-abri !» a été étudiée à la commission des affaires sociales durant cinq séances. Après la présentation du texte par son auteur, les associations oeuvrant pour l'accueil des personnes sans abri au sein du collectif CausE ont dressé un état des lieux de la situation, état des lieux qui a ensuite été complété par la Ville de Genève en la présence de Mme Kitsos, conseillère administrative.
A ce jour, il y a 500 places d'hébergement pour les sans-abri à Genève, dont 155 financées par le projet de loi - adopté par notre parlement - pour un accueil d'urgence dans des hôtels cofinancé par le canton et des fondations privées. Le reste des places est pris en charge par la Ville de Genève ou par des associations. Le dispositif actuel, en plus de répondre à l'urgence sociale que connaît Genève aujourd'hui, permet un accueil 24 heures sur 24 à différents seuils, ce qui est nécessaire pour que toutes les personnes sans abri trouvent une solution adaptée à leurs besoins. Certains lits sont réservés aux femmes, d'autres aux hommes, d'autres encore à des familles, ces dernières occupant actuellement 31 lits.
La pandémie a malheureusement renforcé la précarité à Genève et poussé de nouvelles personnes à la rue. Les associations relèvent que les profils touchés par cette extrême pauvreté sont plus variés qu'auparavant et que la perte de revenus a engendré une perte de logement qui a eu un impact notamment sur la situation de certaines familles. La prise en charge s'est également complexifiée et le nombre de lieux d'accueil a dû être augmenté, car les mesures sanitaires ont limité le nombre de places utilisables dans chacun des endroits. La situation deviendra encore plus difficile au mois d'avril, car les abris PC de Richemont et Châtelaine vont devoir fermer, le financement courant jusqu'à ce jour. Cela abaissera le nombre de places disponibles à 360. Avec ces fermetures, plus de cent personnes se retrouveront dans la rue.
Après avoir amendé la proposition de motion à l'unanimité, la commission des affaires sociales l'a approuvée à l'unanimité également. Il semblait important à l'ensemble des commissaires de garder ouvertes les structures nécessaires à l'accueil d'urgence en temps de pandémie, et en tant que rapporteure de majorité, j'espère que notre parlement saura en faire autant et renvoyer au Conseil d'Etat le texte tel que sorti de commission. (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC). Cette proposition de motion invite le Conseil d'Etat à maintenir les structures d'accueil d'urgence durant toute la période de la pandémie. Il s'agit de conserver le dispositif qui existe aujourd'hui. Je rappelle que précisément à cause de la pandémie et des mesures de protection individuelle, la capacité d'accueil est aujourd'hui deux fois plus importante qu'en temps normal. Dès la fin de la crise, il faudra réduire, probablement de 50%, le nombre de logements disponibles. L'UDC a toujours défendu l'aide d'urgence, mais il n'est pas sain ni souhaitable de pérenniser un dispositif temporaire. L'UDC soutiendra ce texte pour la durée de la pandémie. Merci de votre attention.
Mme Alessandra Oriolo (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, il est de rares moments où l'entier de la commission des affaires sociales parvient à se mettre d'accord et à voter unanimement un texte; cela a été le cas pour cette proposition de motion. Le message est fort et clair: c'est le signal que la problématique du sans-abrisme, mise en exergue par la pandémie, a su toucher tous les partis politiques.
Le texte demande qu'au vu de la situation sanitaire difficile que nous vivons, le dispositif d'accueil d'urgence mis en place par la Ville de Genève durant l'hiver 2020-2021 ne soit pas suspendu, comme c'est généralement le cas au printemps; cela permettra d'assurer une continuité d'avril à novembre 2021, puisque nous sommes en temps de pandémie. Il s'agit d'un premier pas et nous nous en félicitons, car personne ne devrait dormir dehors dans une ville aussi riche et prospère que Genève, personne ne devrait être laissé au bord du chemin. L'Etat a un rôle à jouer dans ce domaine, puisque la constitution énonce en son article 38 que le droit au logement est garanti.
Les Vertes espèrent que la crise que nous traversons aura permis de nous rendre plus conscientes de la précarité existante dans notre ville et plus sensibles au rôle social que l'Etat doit assumer pour que personne ne dorme dehors, et cela même au-delà de la pandémie. Déjà avant le covid, à Genève, ville humanitaire, les structures d'accueil étaient presque saturées, un certain nombre de besoins n'étaient pas couverts.
Cette proposition de motion permet de maintenir les 451 places d'hébergement d'urgence déjà existantes dans le canton. Cela signifie toutefois que si les besoins devaient augmenter, nous ne pourrions pas y répondre. Il s'agit ce soir d'un petit pas, mais d'un petit pas essentiel, et je remercie l'ensemble des commissaires, chères collègues, de s'être montrés unanimes et solidaires sur cette question. J'espère que ce n'est que le début d'une belle collaboration. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion est intitulée «Pour lutter efficacement contre la Covid-19: zéro sans-abri !». En effet, il s'agit d'une condition sine qua non pour endiguer les contaminations au sein de certaines catégories de la population. Cela étant, avec ou sans covid, le sans-abrisme représente une injustice; il démontre l'échec des politiques publiques qui devraient assurer à chacun des membres de notre société leur reconnaissance dans l'espace social, un abri, les moyens suffisants de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs proches. Or un nombre croissant de gens n'en disposent pas. A ce déficit majeur, qui constitue déjà en soi une grave forme d'atteinte à l'intégrité des personnes concernées, s'est ajouté le risque sanitaire, de même que celui de désaffiliation sociale qu'il va sans nul doute démultiplier.
Depuis des décennies, l'accueil d'urgence constituait une sorte de triangle des Bermudes: les projets y entraient, mais n'en sortaient jamais, la question de la répartition des charges entre les communes et le canton était une zone interdite. La crise sanitaire a bousculé les lignes de front et le canton s'est engagé dans des domaines qu'il avait traditionnellement désertés pour les laisser à la charge de la Ville de Genève. Aujourd'hui, on relève un certain nombre de secteurs où canton et Ville de Genève, voire ACG, s'allient pour pallier les besoins des personnes en grande précarité. C'est incontestablement une avancée; il faut la saluer, mais il faut maintenant transformer l'essai et fixer des règles pérennes en matière de répartition des compétences.
Non content de signer ce texte, notre groupe l'a aussi soutenu. Malgré les efforts consentis, il reste d'actualité, à plus forte raison si l'on considère qu'à fin mars 2021, la Ville de Genève fermera ses structures. En outre, le financement du collectif CausE arrive à terme fin avril 2021, et en ce qui concerne l'avant-projet de loi validé par l'ACG, le temps qu'il soit accepté par le Conseil d'Etat, puis traité par notre parlement, de l'eau risque encore de couler sous les ponts.
Cela étant, la proposition de motion 2706 a été amendée à l'issue des travaux: le terme «ouvrir» les structures d'accueil nécessaires a été remplacé par «maintenir», ce qui revient à affirmer la volonté de ne pas ouvrir de lieux d'accueil supplémentaires, mais uniquement de maintenir ceux qui existent, quand bien même nous savons le dispositif insuffisant. Le groupe Ensemble à Gauche le regrette. Si nous avons accepté le texte amendé pour ne pas affaiblir le poids que lui confère un vote unanime, il n'en demeure pas moins que l'invite a été considérablement diminuée avec cette modification.
C'est pourquoi notre groupe reviendra dans un proche avenir avec une autre proposition d'augmentation des places d'accueil pour répondre aux besoins croissants de la population en la matière. Dans cette perspective, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à soutenir le présent texte. (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). Le parti démocrate-chrétien votera cette proposition de motion. Comme l'a très bien expliqué Mme Haller, l'épidémie de covid-19 a permis à la commission des affaires sociales de prendre conscience de beaucoup de choses. Celle-ci a eu à coeur de travailler en visant une entente entre tous les partis politiques, et pas en menant des débats comme sur le sujet précédent, elle a cherché à apporter des solutions pratiques aux gens qui en ont besoin durant cette crise.
En ce qui concerne les sans-abri, nous sommes nombreux à nous être rendu compte du problème et nous avons enfin décidé que l'Etat de Genève devait aussi faire sa part pour le régler, et non se contenter de tout déléguer à la Ville de Genève. En effet, on a constaté que laisser la Ville de Genève gérer seule la situation n'était pas suffisant, ne constituait pas une réponse satisfaisante: les structures ouvraient, fermaient, on ne disposait pas d'une visibilité claire de ce qui se passait.
Nous avons fait un premier pas, à savoir nous occuper des gens pendant la crise, et je pense qu'un pas supplémentaire sera fait par la suite afin de déterminer comment procéder pour aider les personnes qui vivent dans la rue, qui n'ont aucun endroit où se réfugier, surtout quand il fait froid. Lors d'une pandémie, ce sont les premières qu'il faut protéger, parce que ce sont les plus à risque: elles n'ont pas les moyens de se faire soigner et sont donc particulièrement exposées au virus. Nous devons adopter ce texte, c'est vraiment important. Ensuite, la commission des affaires sociales devra continuer à discuter du sans-abrisme et trouver une solution. Je vous remercie.
Mme Véronique Kämpfen (PLR). Cette proposition de motion est née du besoin d'assurer un lieu d'hébergement aux personnes sans abri pendant toute la période de la pandémie de covid-19. Comment ? Eh bien en maintenant les structures mises en place ces derniers mois, qui ont fait et font leurs preuves pendant la crise. Ce soutien doit s'effectuer en collaboration avec les acteurs communaux et associatifs concernés, ce qu'il est essentiel de préciser, le canton ne gérant pas lui-même ce type d'accueil.
Le texte a aussi pour objectif de jeter une passerelle entre les besoins exprimés pendant la pandémie et une situation que nous espérons tous voir normalisée à l'issue de la crise. A ce moment-là devrait entrer en vigueur un projet de loi sur lequel travaille actuellement le département de la cohésion sociale, d'entente avec l'Association des communes genevoises. Un accord sur l'avant-projet d'aide aux sans-abri a été conclu le 24 février. Ce projet de loi devrait représenter une solution pérenne qui démêlera enfin l'écheveau du «qui fait quoi et qui paie quoi» dans la question du sans-abrisme, qui est le noeud gordien du système actuel. Si celui-ci a plus ou moins bien fonctionné ces dernières années, on se rend compte, à l'épreuve de la crise, qu'il doit être réformé en profondeur.
C'est ce que le groupe PLR attend, et nous nous réjouissons du dépôt prochain de ce projet. En attendant, il nous semble juste de voter la proposition de motion 2706, frappée au coin du bon sens, pour continuer à venir concrètement en aide aux personnes sans abri et permettre une continuité dans les actions de soutien. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion, déposée le 9 novembre 2020, partait d'une forme d'indignation et se faisait l'écho d'une remontée du terrain selon laquelle un grand nombre de personnes dormaient dans la rue, notamment - et c'est choquant - des femmes enceintes, des familles entières. Il est choquant pour tout être humain d'être contraint de passer la nuit sous les ponts, dans des caves, dans les bois à Genève, l'une des villes les plus riches du monde.
Suite à ce dépôt, de nombreuses démarches ont été entreprises. En décembre, ce parlement a voté un projet de loi allouant un montant de 1,4 million au Collectif d'associations pour l'urgence sociale. Ce crédit a permis à 155 personnes d'être accueillies dans des hôtels avec un accompagnement social de qualité. De plus, cet hiver, des initiatives citoyennes ont vu le jour, comme un sleep-in piloté par l'association Caravane sans frontières au temple de la Servette: 25 places supplémentaires. Il est à relever que cet hébergement qui perdure aujourd'hui se fait sans financement, sans soutien institutionnel, dans l'urgence. Le système actuel permet de recevoir les gens 24 heures sur 24, mais continue à devoir refuser du monde, parce qu'il est surchargé, parce que des personnes arrivent au bout des durées de séjour, parce que certaines en sont exclues du fait de comportements inappropriés. Il faut rappeler que le dispositif hôtelier ne correspond pas à toutes les personnes concernées et qu'il manque encore une vraie structure pérenne bas seuil.
Au moment précis où nous siégeons, Mesdames et Messieurs, il y a à Genève 487 places d'hébergement d'urgence pour les sans-abri. Lors des travaux sur cette proposition de motion, la question de sa caducité a été soulevée; tout semblait aller le moins mal possible dans le pire des mondes, celui du sans-abrisme. A une différence près: le 1er avril, la Ville de Genève fermera comme chaque printemps ses abris de protection civile ouverts pour la période hivernale, ce qui abaissera le nombre de places disponibles de 487 à 360. Des gens se retrouveront dans la rue. A la fin du mois de mai, Mesdames et Messieurs, si ce Grand Conseil n'accepte pas un nouveau financement rapide pour le CausE, les 155 places dans les hôtels disparaîtront également, ce qui, en deux mois, ramènera le dispositif à 210 places seulement. Mauvaise nouvelle supplémentaire, la Ville de Genève a annoncé ne pas avoir les moyens de rouvrir ses abris cet hiver, comme la magistrate, Mme Kitsos, l'a affirmé lors du vote du budget municipal.
Mesdames et Messieurs, il y a exactement une année, en avril 2020, le dispositif d'hébergement d'urgence proposait 579 places. Prenons une minute pour réfléchir ensemble: nous évoluons au coeur d'une crise sociale sans précédent, des gens continuent à être mis à la porte ou à dormir dehors, nous sommes au seuil d'une troisième vague qui conduira peut-être à un semi-confinement. A cet égard, nous ne pouvons que nous réjouir que la commission des affaires sociales, dans son entier, ait voté le texte et nous espérons que ce plénum le renverra au Conseil d'Etat. Il relève de la responsabilité du gouvernement de mettre en oeuvre cette proposition de motion et de faire en sorte qu'aucune place ne soit perdue sur les 487 disponibles. Le parti socialiste veillera à ce que cela soit le cas et vous en remercie. (Applaudissements.)
M. Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le Conseil d'Etat accueillera favorablement cette proposition de motion qui représente un signe important, cela a été souligné, dans le cadre de la pandémie et eu égard à l'effort que doivent consentir les collectivités publiques pour apporter une aide aux personnes sans abri. Le texte a bénéficié d'un accueil favorable de la commission unanime, et j'espère que cela sera le cas également ce soir devant votre parlement, cela enverrait un signal bienvenu aux collectivités publiques.
Dans ce domaine, des objets sont en cours de traitement à la Ville de Genève et il y a les projets du Conseil d'Etat conduits par le département de la cohésion sociale. Comme cela a été indiqué, l'Association des communes genevoises a préavisé favorablement un avant-projet que le département lui avait soumis en janvier 2020; il a été retravaillé avec le concours des communes, nous permettant d'obtenir un accord qui viendra appuyer le projet de loi. Celui-ci sera traité par le Conseil d'Etat le 31 mars, c'est-à-dire la semaine prochaine, et j'espère qu'il fera aussi l'objet d'un soutien unanime et positif de votre part pour que nous puissions rapidement régler un certain nombre de questions qui restent en suspens depuis quelques années.
Le premier élément traité par ce projet de loi, c'est le partage des compétences entre le canton et les communes. Nous nous sommes mis d'accord sur la répartition suivante: l'hébergement constitue une tâche des communes, respectivement de la Ville de Genève, tandis que les aspects sociosanitaires relèvent du canton. La deuxième composante forte de ce projet de loi, c'est la création d'une plateforme dévolue à la coordination de l'ensemble du dispositif; grâce à la participation des communes, du canton, de l'IMAD, des HUG et des associations partenaires, nous pourrons régulièrement faire le point sur les besoins et calibrer les installations prévues pour l'accueil des personnes sans abri, autrement dit tout mettre en oeuvre pour que Genève ait la dignité d'offrir un toit à celles et ceux qui n'en ont pas, même temporairement.
Par ailleurs, dans la troisième ou quatrième semaine du mois d'avril, je soumettrai au Conseil d'Etat l'idée de reconduire l'action du collectif CausE. Votre vote d'un crédit de 1,4 million en décembre dernier a permis la création de 155 places. Il était absolument nécessaire de les obtenir pour compléter le dispositif dans le cadre de la pandémie que nous connaissons aujourd'hui. Celui-ci a été cofinancé par une fondation privée, et il se trouve que son budget sera échu à la fin du mois de mai. Dans l'intervalle, je compte saisir le Conseil d'Etat d'une proposition pour une seconde opération, la fondation privée étant toujours disposée à être approchée. Mon objectif est de garantir qu'il n'y ait pas de rupture dans la prise en charge des personnes concernées. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, je me réjouis de votre soutien unanime à cette proposition de motion.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je mets le texte aux voix.
Mise aux voix, la motion 2706 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 90 oui (unanimité des votants).