République et canton de Genève

Grand Conseil

Chargement en cours ...

PL 12309-A
Rapport de la commission législative chargée d'étudier le projet de loi constitutionnelle de Mmes et MM. Isabelle Brunier, Roger Deneys, Jean-Charles Rielle, Alberto Velasco, Marion Sobanek, Jean-Louis Fazio, Nicole Valiquer Grecuccio, Salima Moyard, Irène Buche, Bertrand Buchs, Gabriel Barrillier, Magali Orsini, Marko Bandler, Caroline Marti, François Lance, Olivier Baud, Thomas Wenger, Delphine Klopfenstein Broggini modifiant la constitution de la République et canton de Genève (Cst-GE) (A 2 00) (Armoiries genevoises)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 28 février et 1er mars 2019.
Rapport de majorité de M. Guy Mettan (PDC)
Rapport de minorité de M. Cyril Mizrahi (S)

Premier débat

Le président. Nous poursuivons avec le PL 12309-A qui est classé en catégorie II, trente minutes. La parole va au rapporteur de majorité, M. Guy Mettan, pour trois minutes.

M. Guy Mettan (HP), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, il s'agit d'un projet de la plus haute importance, puisqu'il concerne les armoiries de notre cher canton ! Malheureusement, aussi fondé soit-il, ce texte n'a pas suscité chez la majorité l'attention que ses initiants auraient souhaitée. La problématique nous a semblé certes très symbolique, mais surtout mineure dans son enjeu.

De quoi est-il question ? Il se trouve que lors des différents remaniements de la constitution genevoise, puis de son adoption, les armoiries n'ont pas été présentées comme le prescrit l'orthodoxie héraldique. On a d'une part parlé d'«un aigle», alors qu'en héraldique, on ne dit pas «un aigle», mais «une aigle» - je vous prie de prendre note de cette distinction sémantique et de genre. D'autre part, il ne fallait pas dire «une aigle avec deux ailes déployées», mais «une demi-aigle», enfin voilà. Les puristes de l'héraldique ont fait remarquer que le blason genevois ne correspondait pas tout à fait à la description préconisée par les experts de cette science.

Cependant, la majorité de la commission a estimé, surtout d'après le rapport de la chancellerie qui confirme tout de même la validité de notre écusson et de sa description dans la constitution, qu'il n'y avait pas lieu de revenir sur ce sujet et de procéder à un vote populaire - en effet, si on amende la constitution, il faut faire valider la décision par la population. C'est la raison pour laquelle la majorité de la commission vous invite à refuser ce projet de loi.

Une voix. Très bien.

M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs, dans son argumentation, la majorité de la commission se limite à dire que ce projet de révision constitutionnelle n'est pas indispensable. En réalité, on vote sur toute sorte de sujets, donc ce ne serait pas vraiment un problème que de se prononcer sur celui-ci.

Qu'apporterait cette réforme ? Une définition claire de notre blason, cela nous semble important. En fait, actuellement, cet écusson est figé dans une représentation datant des années 80. Ce que propose ce projet de loi, c'est d'en garder uniquement la définition héraldique, de sortir de cette représentation figée des années 80 afin que nos armoiries puissent vivre et évoluer avec le temps, mais sur la base d'une définition héraldique précise.

Si vous consultez le rapport, vous constaterez à quoi correspondrait notre blason si nous respections ce qui est inscrit dans cette définition tout à fait approximative retenue par la Constituante. Notre constitution est un texte vivant qui doit évoluer, nous proposons donc de rectifier ce qui y a été inscrit de manière, je le répète, parfaitement approximative. Je m'en tiens là pour l'instant, Monsieur le président, et je reprendrai la parole si nécessaire. Merci beaucoup.

M. Pierre Vanek (EAG). Dans son rapport, Cyril Mizrahi indique que cette révision constitutionnelle est indispensable. Indispensable ! Ah, Mesdames et Messieurs, mais s'il fallait vraiment entreprendre de modifier notre constitution, on pourrait déjà s'attaquer, deux dispositions plus loin, à l'article 9 sur les principes de l'activité publique qui prévoit: «L'Etat agit au service de la collectivité, en complément de l'initiative privée [...]» Il y a donc l'initiative privée, et l'Etat est une béquille qui agit en complément... Là, il y a un vrai débat politique à mener, cela mérite une réforme, c'est une imperfection grave de la constitution !

Sérieusement, l'imprécision de la description de notre écusson n'est pas problématique, il s'agit d'une petite imperfection. Vous savez qu'en philatélie, Mesdames et Messieurs, lorsqu'un timbre est imprimé avec une petite imperfection, eh bien celui-ci prend de la valeur; vous savez que quand on est amoureux de quelqu'un, on apprécie telle ou telle imperfection de ses traits ou de son faciès. Pour ma part, je suis pour que l'on conserve cette imperfection de la constitution qui lui confère un cachet sympathique dont elle a bien besoin, parce que je rappelle quand même qu'elle a été approuvée par seulement 54% de nos concitoyens, nous étions 46% à dire non ! Alors pour une fois qu'elle a un petit côté sympathique avec cette imperfection, conservons-la.

Par ailleurs, Cyril Mizrahi a affirmé que nous n'avions pas d'autres arguments pour refuser ce projet de loi que de soutenir que ça coûtait cher ou que ce n'était pas indispensable. Non, c'est faux, nous pouvons avancer toute sorte d'arguments. D'abord, l'article 5 de la constitution, sur la langue, stipule: «La langue officielle est le français.» Or on voudrait ici traduire l'article 7 sur les armoiries en langue héraldique, on nous propose de voter quelque chose d'incompréhensible alors que la langue officielle est le français ! Ça, c'est un problème, c'est un argument.

Et puis il y a encore deux autres idiomes présents dans la constitution; s'il convient de régler toutes les imperfections, eh bien parlons de notre devise «Post tenebras lux» qui est en latin, donc non conforme à l'article 5 qui veut que notre langue, celle qu'on doit défendre, soit le français ! Sans parler du trigramme composé de lettres grecques. D'ailleurs, on ne sait pas très bien ce qu'il signifie, si c'est le début du nom de Jésus ou autre chose, si c'est le sceau des jésuites ou l'écusson de l'Eglise protestante genevoise. Ça aussi, c'est un problème, ça contrevient à l'article sur la laïcité, puisqu'il y a évidemment là une référence religieuse. Non, Mesdames et Messieurs, on pourrait avancer cent cinquante arguments contre l'article 7 en son état actuel, mais nous avons mieux à faire dans cette république et dans ce parlement que de débattre de futilités.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. J'avoue que cette déclaration d'amour que vous venez de faire à notre constitution imparfaite me surprend, mais vous honore ! A présent, je donne la parole à M. Jean-Marc Guinchard.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues, en 1815 - je ne remonterai pas plus loin, rassurez-vous -, le Conseil représentatif et souverain, c'est-à-dire le Conseil des Deux-Cents, décrétait ce qui suit à l'article 2 de la loi sur les armoiries:

«Art. 2 Armoiries

1 La République et canton de Genève porte:

a) écu: parti, au 1 d'or, à la demi-aigle éployée de sable, mouvant du trait du parti, couronnée, becquée, languée, membrée et armée de gueules; au deuxième de gueules, à la clef d'or en pal, contournée;

b) cimier: soleil d'or, figuré naissant, portant en coeur le trigramme de sable IHS;

c) devise: Post tenebras lux.»

J'ai beaucoup de respect pour le travail minutieux des héraldistes, mais pour le commun des mortels, ce texte est particulièrement abscons. Une lecture très attentive permet tout juste de comprendre qu'il s'agit d'un soleil levant, de couleur or, et qu'on cite une clé et une aigle. Vous connaissez l'adage: nul n'est censé ignorer la loi, en particulier notre loi fondamentale qu'est la constitution. Toutefois, un texte législatif, aussi difficile qu'il puisse être selon le sujet qu'il régit, se devrait d'être compréhensible pour tout citoyen.

C'est cette motivation qui avait guidé les constituants et qui rejoint d'ailleurs les préoccupations de certains députés qui déposent des textes demandant un langage facile à lire et à comprendre, le fameux FALC. A l'époque, la Constituante s'était fait durement morigéner par quelques historiens et autres héraldistes, dont notre ancien collègue Bernard Lescaze qui rappelait - je cite - que «les discussions sur l'article constitutionnel relatif aux armoiries furent un exemple concret d'incompétence vexillologique et d'héraldique en la matière». Comme chacun sait, la vexillologie est la branche de l'histoire qui s'occupe des drapeaux, bannières, étendards, etc.

Cela dit, je comprends, je partage et j'assume le souci des constituants de l'époque qui ont eu à coeur de rendre notre charte fondamentale accessible à toutes et à tous. Je vous recommande dès lors de refuser ce texte en suivant la majorité de la commission. Je vous remercie.

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, je ne ferai pas preuve de la même passion que Pierre Vanek, qui s'oppose à ce projet de loi, pour le soutenir au nom du groupe socialiste. Très franchement, il est clair qu'il ne s'agit pas là d'un enjeu prioritaire. Maintenant, ce texte avait été déposé à l'époque par notre collègue Isabelle Brunier, historienne, et il met en lumière une imperfection de notre constitution. Alors certes, celle-ci est truffée d'autres imperfections, en tout cas d'un point de vue politique, mais il s'agit ici d'une imperfection dans la définition à proprement parler historique de notre écusson. Pour une poignée d'experts, cela apparaît comme choquant, donc sachant cela, pourquoi ne pas effectuer cette modification afin que la description de notre blason soit conforme à notre passé culturel et historique ? C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste soutiendra jusqu'au bout ce projet de loi.

M. François Baertschi (MCG). Ce projet de loi permet de préciser les armoiries de notre canton. Il s'agit de notre identité profonde, de ce qui nous a été légué par les générations passées depuis des siècles. Grâce à ce texte, nous pouvons formuler une description correcte en termes héraldiques. Ainsi, on parle de «demi-aigle», et non d'«aigle». Ces précisions sont-elles inutiles ? C'est une question d'appréciation. C'est notamment dans ces subtilités que repose la personnalité genevoise. Faut-il véritablement tout banaliser ? Adopter un langage insipide ? C'est un choix. Genève vaut bien que l'on définisse avec précision ses armoiries.

M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, on a bien compris que tant lors de la précédente que de la présente législature, le but de certains ici n'est autre que de défaire ce que la Constituante a mis en place. Les constituants ont fait le choix de mentionner dans le texte de notre charte fondamentale une description des armoiries officielles de la République et canton de Genève. L'objectif de cette description était de les rendre compréhensibles, même si elles sont de toute manière accompagnées d'une illustration, ce qui est assez rare pour un texte constitutionnel - sauf erreur de ma part, on trouve la même chose dans la constitution vaudoise.

Aujourd'hui, ce projet de loi nous propose de modifier cette disposition constitutionnelle de manière à ce qu'elle soit écrite non plus en langue française, plus précisément en langage juridique, mais en héraldique. C'est assurément intéressant, cela relève sans doute du perfectionnisme propre à celles et ceux qui attachaient déjà beaucoup d'importance à l'héraldique lors des travaux de la Constituante.

Néanmoins, je me permets de m'étonner. Le parti socialiste, qui cherche à nous imposer de manière insidieuse le recours au langage inclusif, n'a sans doute pas compris qu'on ne rédige pas les textes légaux de la même manière qu'on rédige des tracts politiques. Ce même groupe socialiste, qui veut nous faire voter une motion sur le FALC afin que les citoyens apprennent à lire et à écrire de manière compréhensible, soutient parallèlement l'utilisation de l'héraldique dans un texte constitutionnel ! Ça me paraît assez curieux.

Alors voici ce que j'ai envie de dire à nos collègues socialistes: il y a un moment où il va falloir que vous fassiez un choix entre la clarté et l'intelligibilité de la langue française, et les spécialités auxquelles vous cherchez à habituer ce parlement. Je vous invite dès lors, Mesdames et Messieurs, à refuser ce projet de loi. Merci de votre attention. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie. Monsieur Patrick Dimier, vous avez la parole pour deux minutes seize.

M. Patrick Dimier (MCG). Merci, Monsieur le président. Je n'ai jamais besoin d'autant de temps. Pour une fois, lors de la Constituante, on s'est montré plutôt ouvert d'esprit, puisqu'on a ajouté l'image au texte. Maintenant, il y a une petite imperfection à l'image, mais quiconque connaît un peu le langage héraldique sait qu'un aigle avec une patte rouge est «une aigle», donc il ne faut pas non plus pousser trop loin. Par ailleurs, certains au sein de cet hémicycle feraient bien de s'occuper du sort qu'ils réservent à notre république; parfois, on se demande si on ne devrait pas remplacer l'aigle et la clé par un poulet et une serrure ! (Rires. Applaudissements.) Merci.

Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, vous êtes priés de vous prononcer sur cet objet.

Mis aux voix, le projet de loi 12309 est rejeté en premier débat par 74 non contre 18 oui et 2 abstentions.