République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2730
Proposition de motion de Mmes et MM. Bertrand Buchs, Jean-Luc Forni, Jean-Marc Guinchard, Souheil Sayegh, Jacques Blondin, Claude Bocquet, Jean-Charles Lathion, Jean-Charles Rielle, Jocelyne Haller, Pierre Eckert, Yves de Matteis, Dilara Bayrak, Didier Bonny, Ruth Bänziger, Marjorie de Chastonay, Alessandra Oriolo, Boris Calame pour l'accueil à titre humanitaire de familles de réfugiés vivant dans le camp de Kara Tepe sur l'île de Lesbos
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 4 et 5 mars 2021.

Débat

Le président. Nous reprenons le traitement des urgences avec la M 2730, classée en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole au premier auteur du texte, M. le député Buchs.

M. Bertrand Buchs (PDC). Merci beaucoup, Monsieur le président. Nous nous trouvons, c'est vrai, dans une situation difficile dans le canton de Genève, mais il faut aussi comprendre que des personnes vivent des situations encore plus difficiles dans d'autres régions du monde. C'est particulièrement grave quand il s'agit d'une région européenne; en l'occurrence, des gens se trouvent dans un camp sur l'île grecque de Lesbos. Vous vous souvenez qu'il y avait un premier camp du nom de Mória, qui a brûlé, eh bien les gens ont été déplacés dans un deuxième camp. On appelle vraiment ça un camp, parce qu'il est entouré de fils de fer barbelés, que des contrôles sont effectués à l'entrée et à la sortie, et surtout, surtout, que les conditions de vie sont absolument inacceptables. Ces personnes qui viennent de Syrie, du Yémen, d'Afghanistan, de Somalie ou du Soudan du Sud sont là depuis des mois, voire des années. Elles ont un seul repas par jour, il y a un seul robinet pour 1300 personnes, une seule toilette et une seule douche pour 200 personnes, et on note une absence totale d'hygiène et de soins médicaux. Les tentes sont prévues pour l'été et sont donc dépourvues d'équipements pour l'hiver, or il peut faire extrêmement froid dans ces régions, même en Grèce - il y a eu de la neige ! Les enfants sont livrés à eux-mêmes, sans prise en charge éducative, et il existe des risques d'infections, de malnutrition et surtout d'abus, d'abus sexuels.

Ces gens sont là en attendant que des pays européens acceptent de les accueillir comme réfugiés ou alors qu'on les renvoie en Turquie, dans d'autres camps. Ils n'ont strictement aucun espoir, et j'estime qu'il faut faire un effort, même si nous nous trouvons dans une situation difficile: c'est dans ces moments qu'il faut aussi penser à ceux qui vivent des situations encore plus dures que la nôtre. Les villes suisses ont lancé un appel pour prendre en charge une partie de ces réfugiés. Mme Keller-Sutter a également accepté d'en accueillir quelques-uns. Il y a de moins en moins de réfugiés à cause de la pandémie. Il est peut-être temps que l'on se pose la question et que Genève montre l'exemple en accueillant des personnes.

Le parti démocrate-chrétien propose d'accueillir entre cinq et dix familles, pour montrer notre solidarité vis-à-vis de ces gens qui actuellement sont vraiment les damnés de la terre. Le parti socialiste a déposé un amendement demandant que l'on prenne en charge vingt familles; je vous laisse choisir ! Je pense qu'il est préférable d'accueillir au début peu de familles, afin de voir ce que ça donne si on fait l'effort de bien les recevoir et de bien les intégrer dans notre pays, puis de discuter et d'en faire venir davantage. Mais ce n'est pas une question de nombre ! Vous ferez comme vous voudrez: je vous laisse librement choisir si vous préférez accueillir cinq à dix familles ou plutôt vingt. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Emmanuel Deonna (S). Mesdames et Messieurs les députés, le Parlement suisse a été saisi de plusieurs demandes concernant les réfugiés. Ces réfugiés sont coincés aux portes de l'Europe; ils sont parqués dans des camps, dans des conditions misérables et indignes, comme l'a souligné mon collègue Buchs. Aujourd'hui, le monde observe le déploiement de divers vaccins contre la covid-19, mais les réfugiés vulnérables sont exclus de la vaccination. Le nombre de cas de covid-19 parmi les réfugiés est sous-estimé et l'accès limité aux services de santé aggrave leur situation. Or leur sort, comme l'a bien expliqué Bertrand Buchs, était déjà dramatique avant la pandémie.

La commission des institutions politiques a demandé au Conseil fédéral de se pencher sur la situation dans les îles égéennes. La Suisse doit se montrer solidaire. Elle doit s'engager non seulement pour une réforme des accords de Dublin, mais aussi pour la vaccination et un accès aux soins pour les réfugiés. La Suisse doit exiger un traitement humain et digne pour toutes et tous les réfugiés. Notre pays doit montrer l'exemple. La Confédération a promis d'accueillir plusieurs dizaines de mineurs non accompagnés possédant des liens familiaux en Suisse. Elle aurait également décidé de prendre en charge une vingtaine d'enfants et de jeunes, indépendamment de l'existence de liens familiaux en Suisse.

Siège du Haut-Commissariat aux réfugiés, dépositaire de la convention sur l'asile de 1951, capitale internationale des droits humains, Genève doit ancrer dans ses budgets un soutien pérenne pour les migrants et, parmi eux, les migrants mineurs non accompagnés. S'agissant de l'accueil des familles dont il est question dans cette motion, le parti socialiste approuve cette proposition. Cependant, il estime qu'au moins le double de familles devrait être pris en charge. Je vous remercie.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, notre groupe soutiendra cette motion, tout en déplorant, vous le devinez aisément, que l'on se borne à entrouvrir nos portes - même si dix familles, c'est déjà ça. Imaginez la détresse des autres, les conditions déplorables, innommables, dans lesquelles ils et elles doivent continuer à vivre. Nous ne pouvons nous satisfaire d'exceptions en matière d'asile. Nous devons empoigner cette problématique de manière globale et intégrée. Cela signifie développer une politique d'asile fondée sur le respect du devoir d'hospitalité envers quiconque est menacé dans son intégrité pour des motifs politiques et/ou économiques en découlant. Cela implique de refuser les murs inhumains érigés autour de l'Europe, en collaboration avec des dictatures, des gouvernements menant des politiques douteuses, et de revoir les accords qui abandonnent notamment à l'Italie et à la Grèce la gestion des camps de requérants d'asile, afin de favoriser une transition vers le pays de la demande d'asile digne et respectueuse des droits des personnes. Enfin, parallèlement, cela signifie ne pas soutenir les gouvernements qui oppriment leur population et qui ne respectent pas les droits humains, ce qui requiert également un contrôle plus rigoureux de l'action des multinationales qui, souvent, ne rechignent pas à se salir les mains au contact de ces gouvernements.

Alors, oui, le groupe Ensemble à Gauche soutiendra cette motion, de même qu'il appuiera l'amendement de M. Deonna, sachant que vingt familles, c'est déjà mieux que dix. C'est malheureusement encore trop peu, mais mieux vaut cela que rien du tout ! C'est pourquoi le groupe Ensemble à Gauche vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à adopter l'amendement de M. Deonna et à voter cette motion; toutefois, il vous engage aussi à ne pas vous limiter à cette mesure, mais à défendre le droit d'asile tel qu'il se doit d'être et non pas tel qu'il est pratiqué, tel qu'il est déshumanisé. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

M. Stéphane Florey (UDC). Bien au-delà de la situation dramatique de ces camps de réfugiés en général - pas seulement à Lesbos -, moi j'aimerais quand même rappeler, et c'est là le plus dramatique, que s'ils se trouvent dans une situation encore pire qu'elle ne l'était au début, c'est parce qu'eux-mêmes ont mis le feu au camp de réfugiés ! (Commentaires.) Ça a été prouvé ! Ils ont mis le feu pour dénoncer ce type de situation, justement dans l'espoir de susciter un intérêt des pays européens et qu'on les accueille chez nous. (Commentaires.) Il faut quand même le dire et être clair avec ça !

Personnellement, je suis assez halluciné par ce type de motion, parce que nous ne sommes pas le Parlement fédéral ! Il faut arrêter de rêver, messieurs-dames ! (Commentaires.) On est le Grand Conseil du canton de Genève ! Ce que vous faites là, en ce moment, c'est de la politique fédérale ! Transmettez vos textes à vos conseillers nationaux et arrêtez de nous casser les pieds avec ce genre de motion, qui ne sert strictement à rien ! La politique fédérale est en place, certaines mesures sont déjà prises aujourd'hui, et votre objet est totalement obsolète, il ne sert à rien du tout ! Le groupe UDC ne pourra donc pas entrer en matière sur ce type de motion. Je vous remercie. (Commentaires.)

M. Yves de Matteis (Ve). Je vais commencer en disant que, bien sûr, le groupe des Verts soutient cette motion. La demande qu'elle formule se situe dans le droit fil des questions urgentes qui ont été déposées ces dernières semaines, et ce texte s'inscrit tout à fait dans la tradition humanitaire du canton de Genève. J'ai bien entendu M. Florey, qui a déclaré qu'il ne fallait pas traiter de sujets fédéraux dans notre canton, mais il s'agit bien ici d'accueillir ces personnes dans notre canton.

Nous soutiendrons par ailleurs l'amendement présenté par M. Deonna; il nous semble important de faire le maximum en notre pouvoir sur le plan local pour accueillir ces personnes, car elles vivent des situations qui, humainement, sont absolument intolérables. En résumé, nous adopterons donc ce texte avec l'amendement de M. Deonna - ou sans, si jamais celui-ci ne devait pas être accepté. Merci, Monsieur le président.

M. Bertrand Buchs (PDC). Je ne pense pas que, parce qu'on est au parlement cantonal, on ne peut pas discuter de cette motion. De toute façon, si des réfugiés sont admis en Suisse par la Confédération, une répartition se fera entre les cantons. C'est donc un geste symbolique que je demande. C'est vraiment un geste symbolique, parce que toutes les personnes, de tous bords politiques, qui se sont rendues sur cette île de Lesbos - dans le premier camp qui a brûlé comme dans le deuxième - sont revenues horrifiées: elles n'avaient jamais vu ça en Europe ! On a déjà été traumatisés pendant la Deuxième Guerre mondiale à cause de certains camps, on ne va pas recommencer à l'être parce qu'on n'est pas capables de se comporter correctement avec des gens qui ont tout perdu, qui sont partis de pays en guerre, qui ont dû traverser certains pays dans des conditions horribles, qui ont été exploités par des passeurs, qui arrivent finalement en Grèce - qui fait partie de l'Europe - et qui sont parqués dans une espèce de camp de prison. Honnêtement, on ne peut pas l'admettre ! Il faut donc que nous fassions, nous, un petit effort, pour montrer que nous voulons accueillir quelques familles. Les autres villes suisses sont aussi d'accord d'en prendre en charge; si plusieurs cantons le font, on peut arriver à 100 ou 200 familles, c'est déjà ça ! Oui, c'est déjà un pas, sachant que ces gens n'ont aucun espoir là où ils sont. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Le président. Merci. Madame Jocelyne Haller, je vous donne la parole pour une minute dix-sept. (Un instant s'écoule.)

Mme Jocelyne Haller (EAG). C'est à qui ?

Une voix. C'est à toi !

Mme Jocelyne Haller. Oh pardon ! Excusez-moi, je n'avais pas entendu mon nom ! Je vous remercie, Monsieur le président. J'aimerais juste surenchérir sur ce que disait M. Buchs: ce n'est pas une question fédérale, c'est une question de citoyenneté, une question de respect du devoir d'hospitalité et avant tout une question de respect des droits humains. Il l'a rappelé: certaines villes, notamment genevoises, se sont déclarées prêtes à accueillir un certain nombre de personnes venant du camp de Lesbos. Il y a également une pétition, munie de plus de 50 000 signatures, qui demande que la Suisse accueille un certain nombre de requérants d'asile, vu les conditions lamentables dans lesquelles ils étaient obligés de vivre jusqu'à maintenant. Les deux Chambres, elles aussi, ont accepté des textes allant dans ce sens. Il s'agit donc d'exprimer notre volonté d'être plus accueillants à l'égard de ces personnes, qui sont aujourd'hui amenées à vivre dans des conditions innommables. Nous vous encourageons dès lors à adopter cette motion, mais surtout à aller bien au-delà et à soutenir tous les efforts qui seront faits en ce sens par d'autres organisations. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat ne peut évidemment que souscrire à l'intention qui s'exprime à travers cette motion. Malgré cela, il vous demandera de ne pas la soutenir et je vais vous expliquer pourquoi.

J'évoquerai d'abord la question des termes: cette motion parle de réfugiés, alors qu'il s'agit avant tout de requérants d'asile, dont la situation doit être examinée et qui n'ont pas - pour la plupart - encore été enregistrés en Grèce où ils se trouvent actuellement. Mais là n'est pas le problème; il s'agit de personnes et nous devons aller au-delà des termes, cas échéant.

Il faut savoir qu'à la suite de cet incendie dans la nuit du 8 septembre 2020, la Suisse a immédiatement mis en place une aide humanitaire, qui s'est concentrée sur des actions en matière d'hébergement, d'approvisionnement, de santé et de protection pour les quelque 12 000 requérants d'asile concernés par ce sinistre. La Suisse, par l'intermédiaire du Département fédéral des affaires étrangères, a également débloqué une aide humanitaire d'urgence d'un million de francs.

Nous le savons, la question du droit d'asile relève du droit fédéral; cela ne veut pas dire que nous n'avons pas à en parler ici, mais les accords qui doivent être passés sont des accords entre Etats, en particulier entre la Suisse et l'Union européenne, pour qu'il y ait une aide coordonnée. Ce n'est évidemment pas un oreiller de paresse: je ne suis pas en train de vous dire que, puisqu'ils ne font rien, il n'y a pas de raison que nous agissions; l'Union européenne a par ailleurs elle-même indiqué qu'elle entendait faire quelque chose, et non seulement qu'elle entendait le faire, mais qu'elle avait déjà commencé.

Nous ne pouvons intervenir sur le plan international pour recevoir des requérants d'asile, comme le sont les familles qui font l'objet de cette motion, que si l'on se trouve dans une situation d'urgence humanitaire absolue - entendons-nous: quand on regarde ces camps, on peut avoir tendance à considérer que tel est le cas -, c'est-à-dire lorsque l'Etat qui accueille les personnes n'est pas en mesure de les prendre en charge et lance un appel à l'aide internationale pour recevoir un appui, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence. Cela doit être fait dans le cadre d'un programme coordonné au niveau européen.

Suite à l'incendie de Mória, 400 mineurs non accompagnés ont été pris en charge par les instances européennes; la Suisse, pour sa part, a recueilli 20 mineurs non accompagnés. Il y a en outre eu le programme qui vise à rechercher des attaches familiales pour des mineurs non accompagnés sur place, afin de leur permettre de regagner notre pays. Depuis le début de l'année, ce sont 53 enfants et adolescents qui ont rejoint la Suisse dans ce cadre. Cela fait déjà 73 enfants et adolescents mineurs non accompagnés qui sont arrivés dans notre pays.

La Suisse aide également la Grèce depuis 2015: 8,5 millions ont été versés à ce pays pour soutenir ses actions à l'égard des migrants qui arrivent sur ses côtes. Donc le travail se fait; certainement pas au rythme soutenu que certains, légitimement, voudraient, mais il se fait. Il se fait en coordination avec les autorités européennes et par l'instance nationale qui doit le faire, c'est-à-dire le Département fédéral des affaires étrangères et le Secrétariat d'Etat aux migrations. Nous pouvons donc évidemment exprimer des voeux, mais il n'en demeure pas moins que cette politique doit être menée par la Confédération - il s'agit d'une répartition des tâches qui figure dans la Constitution fédérale - et les voeux de Genève, même s'ils sont exprimés, doivent en fin de compte être avalisés par l'autorité fédérale. Raison pour laquelle, non pas parce que cela ne nous concerne pas, mais parce qu'il s'agit de respecter la répartition des tâches, il faut laisser la Confédération effectuer son travail, ce d'autant qu'elle est en train de le faire. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous sommes saisis d'un amendement de M. Emmanuel Deonna, qui vise à modifier la deuxième invite comme suit: «à proposer que le canton de Genève prenne en charge 20 familles.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 53 oui contre 42 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Le président. Nous nous prononçons maintenant sur la proposition de motion ainsi amendée.

Mise aux voix, la motion 2730 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 52 oui contre 43 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Motion 2730