République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 5 juin 2020 à 14h
2e législature - 3e année - 2e session - 8e séance
RD 1340
Débat
Le président. Nous traitons le RD 1340. La parole va à Mme la députée Caroline Marti.
Mme Caroline Marti (S). Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la loi sur le financement de la solidarité internationale est très claire: elle prévoit que le canton de Genève consacre 0,7% de son budget annuel de fonctionnement à l'aide internationale. Or dans le rapport du Conseil d'Etat qui nous est soumis aujourd'hui et qui dresse le bilan de la politique de solidarité internationale du canton, on ne trouve aucune mention de la part du budget de l'Etat de Genève allouée à cette politique publique. Vous me direz, quand on peut éviter de faire honte, on évite !
En l'occurrence, suite à une question que j'avais adressée au gouvernement il y a quelques mois, celui-ci reconnaissait que seul 0,2% du budget était alloué à la solidarité internationale contre un taux de 0,7% inscrit dans la loi. Vous voyez bien que nous sommes extrêmement loin des objectifs, d'autant que le Conseil d'Etat avait également admis ne pas avoir de planification très claire et très concrète sur la manière d'augmenter la part du budget accordée aux projets de coopération et d'aide au développement, que ce soit dans le domaine humanitaire, de la santé ou de l'éducation.
Pour cette raison, le groupe socialiste demande et vous recommande de renvoyer ce rapport à la CACRI pour que cette commission puisse étudier de façon plus approfondie les ambitions du Conseil d'Etat en matière de solidarité internationale. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames les députées, Messieurs les députés, Mme Caroline Marti m'a ôté les mots de la bouche, elle a parfaitement raison. Je vous rappelle que la loi sur le financement de la solidarité internationale a été adoptée il y a dix-neuf ans, en 2001 - nous allons bientôt fêter son vingtième anniversaire ! - et l'article 2 prévoit de manière expresse que la République et canton de Genève consacre au moins 0,7% de son budget annuel de fonctionnement à la solidarité internationale. Cet objectif est gravé dans la loi et pourtant, depuis vingt ans, il n'a jamais été respecté. Il est donc difficile d'accepter un rapport qui entérine purement et simplement une situation illégale, une situation contraire à ce que nous-mêmes, Grand Conseil, avons voté le 4 octobre 2001. Dès lors, je soutiens évidemment la demande de renvoi à la CACRI.
J'aimerais encore souligner que la subvention accordée à la Fédération genevoise de coopération a été diminuée il y a quelques années. Auparavant, cet organe percevait 3 millions de francs par année via un contrat de prestations, et ce montant a été réduit à 2,5 millions. Il faut au minimum rétablir le statu quo ante et donc allouer à nouveau 3 millions de francs. Il faut également, pour pouvoir augmenter le nombre de subventions attribuées, renforcer les moyens du service de la solidarité internationale. En effet, qui dit plus d'argent dit plus de travail pour filtrer les projets, vérifier leur qualité et s'assurer que celle-ci demeure irréprochable, comme elle l'a été jusqu'à aujourd'hui, puisque les programmes soutenus par l'Etat de Genève sont dans l'ensemble excellents et démontrent un impact réel sur le terrain.
Pour finir, je tiens à indiquer que si la Suisse vit fort heureusement la fin d'une situation très difficile, dans le reste du monde, certains pays se trouvent encore en plein dedans, voire à ses débuts. Voilà une occasion pour nous de renforcer la solidarité internationale, car c'est un exemple caractéristique du fait que les actes de chacun, de chaque Etat, de chaque collectivité publique peuvent avoir des conséquences sur l'ensemble de la planète. Cette pandémie doit nous appeler à consolider la solidarité internationale.
M. François Baertschi (MCG). C'est un vieux serpent de mer, cette loi sur le financement de la solidarité internationale. D'abord, elle n'est pas claire. En effet, le concept de solidarité internationale n'a jamais été bien spécifié, on ne sait pas exactement ce qu'il recouvre. Il y a eu de longues discussions à la commission des finances pour tenter de le définir, mais on n'a jamais vraiment réussi à en obtenir une description formelle. Ensuite, cette loi n'a jamais été appliquée, il faut le savoir ! Ses partisans eux-mêmes ont dit: «Peu importe, c'est un but à atteindre, ce n'est pas une règle formelle.» Voilà comment la loi a souvent été défendue en commission, et j'en étais le premier surpris, parce qu'il me semble que quand on vote une loi, il faut la respecter. Si on n'arrive pas à l'appliquer, eh bien il faut en changer. On se trouve dans une situation embarrassante, c'est vrai.
Cela étant, les partisans de la solidarité avec le tiers-monde - enfin, de la solidarité internationale, même si on ne sait pas trop ce que ce terme veut dire - oublient de nous dire que Genève est le canton qui verse le plus d'argent dans ce domaine. La moitié de toutes les dépenses suisses en matière de solidarité internationale - ou d'aide au tiers-monde, pour être clair - provient du canton de Genève, alors de qui se moque-t-on dans cette histoire ? On vit sur un petit nuage, on parle d'un concept qui ne recouvre rien, et lors de chaque débat parlementaire sur cette question, on nous enfume ! C'est un peu comme le mythe de Sisyphe: on monte une pierre sur un sommet, puis on la fait descendre, et on la remonte chaque fois. Ce n'est pas très clair, ce n'est pas très cohérent, ce n'est pas une bonne gestion de l'Etat de Genève, ce n'est pas une bonne gestion politique. On est dans la confusion, et ce n'est pas réjouissant.
A mon avis, il faudrait réviser cette loi assez rapidement pour pouvoir la mettre en application; le problème, c'est que nos finances cantonales ne nous le permettent pas, à moins qu'on coupe dans les dépenses de santé, dans les dépenses sociales, dans l'enseignement. Ce serait une solution, mais je n'entends pas les rangs de la gauche demander que l'on fasse ça pour la solidarité internationale; ce serait la seule logique possible, couper dans les finances ou augmenter les impôts, mais apparemment, il n'y a pas grand monde qui veut le faire, donc je ne vois pas comment procéder, on se trouve dans une impasse. Cette loi est impraticable et, de l'avis même des personnes qui en sont à l'origine, n'a jamais eu pour vocation d'être appliquée. Aussi, nous prendrons simplement acte de ce rapport, c'est tout.
M. Stéphane Florey (UDC). Pour le groupe UDC, il est temps d'abroger cette loi. On a évoqué la situation actuelle; à un moment donné, il faut arrêter de tout ramener au covid, ça n'a absolument rien à voir dans cette affaire, donc commençons à penser à autre chose. La loi sur le financement de la solidarité internationale n'est pas appliquée, ça a été dit. A notre sens, il est temps non pas de la repenser, mais bien de l'abroger et de réallouer les fonds, même s'il ne s'agit que de 0,2% du budget, pour nos concitoyens, pour nos résidents...
Une voix. Bravo !
M. Stéphane Florey. ...pour nos pauvres, pour ceux qui sont dans le besoin. Arrêtons de vouloir prendre sur nous toute la misère du monde ! Aujourd'hui, la population en a marre, marre de payer encore et toujours et de ne rien obtenir en retour. Les 5 millions que vous avez votés hier soir, vous n'avez qu'à les prélever dans ce 0,2% ! Il faut cesser de vouloir toujours subventionner tout le monde, ce n'est plus possible, il faut commencer à voir la réalité en face. Pour notre part, nous prendrons acte de ce rapport et nous penserons peut-être à déposer un projet de loi pour abroger cette loi qui ne sert à rien. Je vous remercie.
M. Jean Rossiaud (Ve). Les Verts s'associent à la démarche socialiste soutenue par Ensemble à Gauche pour demander le renvoi de ce rapport à la CACRI. Certes, je peux concéder à M. Baertschi - vous transmettrez, Monsieur le président - qu'il faut peut-être revoir cette loi, je peux même concevoir qu'il faille la supprimer. Cela étant, la loi est la loi, et elle doit être appliquée. Pour l'instant, ce que le peuple a voulu, ce que le Grand Conseil a voté, c'est un prélèvement de 0,7% sur le budget, et c'est ce qu'ont décidé aussi tous les pays de l'OCDE. Il s'agit, rappelons-le, de la problématique des rapports Nord-Sud et du fait que notre richesse repose au fond sur des rapports inégaux, puisque les transferts Sud-Nord sont trois à quatre fois plus importants que les transferts Nord-Sud. Un rééquilibrage est donc nécessaire, et les Verts continueront à soutenir une aide au développement de 0,7% ainsi que l'application de la loi. Peut-être serait-il judicieux de rediscuter de la manière dont l'argent est utilisé, mais il faut en tout cas renoncer à une application au rabais de cette loi. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Cyril Aellen (PLR). Le groupe PLR rappelle que dans son immense majorité, le Grand Conseil a récemment voté une résolution pour nous imposer le respect des différentes catégories de débats. Nous voudrions aller de l'avant dans les extraits pour pouvoir les terminer dans les délais.
Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la CACRI; c'est le moment de voter.
Mis aux voix, le renvoi du rapport du Conseil d'Etat RD 1340 à la commission des affaires communales, régionales et internationales est adopté par 53 oui contre 28 non et 3 abstentions.