République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 6 juin 2019 à 20h30
2e législature - 2e année - 2e session - 6e séance
PL 12392-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
Présidence de M. François Lefort, premier vice-président
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons à l'urgence suivante. Ce débat est classé en catégorie II, trente minutes. Madame la rapporteure de majorité, la parole est à vous.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi de rappeler le contexte. Comme vous le savez, lors des enquêtes administratives internes à l'Etat faisant suite à des épisodes de harcèlement et d'abus sexuel de la part d'enseignants envers des élèves mineurs et majeurs, les présumés harceleurs se présentaient accompagnés de conseils aux séances alors que les présumées victimes se retrouvaient seules à devoir affronter ces séances éprouvantes et traumatisantes pour elles. Suite à ce constat, trois projets de lois ont été déposés: le PL 12349 dont M. Murat Julian Alder est le premier signataire, le 27 avril 2018; le PL 12350 des Verts, datant du 30 avril 2018, qui sera excellemment présenté par ma collègue rapporteure de minorité; et le PL 12392 du Conseil d'Etat, déposé le 5 septembre 2018.
Mesdames et Messieurs, d'abondants travaux ont été réalisés dans des conditions vraiment très sérieuses. On a auditionné toutes les personnes concernées par le domaine. La conclusion a été la suivante: le premier projet de loi, celui de M. Alder, a été retiré; sont restés celui des Verts et celui du Conseil d'Etat, qui est maintenant proposé à votre approbation. Après l'examen d'amendements, après avoir longuement étudié le texte des Verts, il s'avère que les complexités issues d'une reconnaissance du statut de parties pour les victimes qui doivent participer à une procédure administrative au sein de l'Etat n'ont pas semblé opportunes à ce stade. Nous avons pu défendre le projet de loi du Conseil d'Etat tel qu'amendé. C'est à une très large majorité, Mesdames et Messieurs, que la commission a voté ce texte qui constitue un pas important dans la protection des victimes en les faisant considérer à égalité avec les potentiels auteurs. Elle vous remercie de bien vouloir le soutenir.
Mme Paloma Tschudi (Ve), rapporteuse de minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le PL 12350, que la minorité défend, vise également à modifier la loi sur la procédure administrative afin de protéger les victimes entendues en tant que témoins ou à titre de renseignement lors des enquêtes administratives, ce que la LPA actuelle ne fait pas, comme l'a dit la rapporteure de majorité.
La minorité que je représente fait valoir qu'il est nécessaire de reconnaître la qualité de partie à la personne entendue lorsqu'elle «est directement touchée dans ses droits», et ce «dans la mesure nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts». Ainsi, les victimes seraient enfin protégées et lors de leur audition dans le cadre d'une enquête administrative, elles pourraient se prévaloir des droits procéduraux particuliers dont elles sont titulaires. La majorité, craignant un manque de précision du texte légal, préfère refuser notre projet de loi. Toutefois, la formulation de celui-ci est précise: elle exige que la «personne entendue» soit «touchée dans ses droits» et que les droits procéduraux d'une partie lui soient en conséquence reconnus «dans la mesure nécessaire». Ce n'est ni une boîte de Pandore, ni un texte imprécis, mais au contraire un texte permettant à l'autorité administrative, voire au juge, d'en définir l'application au cas par cas, dans le respect du principe de proportionnalité. Il n'y a pas d'imprécision mais un renvoi au cas concret par la pratique et la jurisprudence. La minorité fait confiance aux capacités des professionnelles et professionnels pour l'appliquer correctement et à bon escient. De plus, la commission a eu la chance d'auditionner d'éminents professeurs qui n'ont jamais stipulé que cette loi n'est pas applicable ou trop difficile à mettre en oeuvre, comme le soutiennent à tort certains membres de la majorité. Celle-ci préfère soutenir un projet de loi - le 12392 - qui alourdit la loi tout en laissant un flou juridique. Ainsi, elle répond à un flou et à une inaction juridiques par un autre flou juridique. La minorité ne pense pas qu'un tel texte aide et protège les victimes. D'ailleurs, il semblerait que la majorité n'en soit pas sûre non plus: bien qu'elle rejette le PL 12350, elle dépose en parallèle une motion demandant au Conseil d'Etat d'étudier la proposition d'accorder sans restriction la qualité de partie.
Ainsi, alors que le PL 12392 alourdit la loi et laisse un flou juridique, le PL 12350 répond au problème posé en un seul article. Il est regrettable de constater que la peur de la majorité de cette commission de bouleverser les choses empêche notre Grand Conseil de donner plus de droits et d'accorder une plus grande protection aux victimes entendues en tant que témoins lors de procédures administratives. Notre projet de loi permettrait pourtant une justice plus proche des citoyens et citoyennes et plus respectueuse de leurs droits. Merci. (Applaudissements.)
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, les Vertes et les Verts proposent le PL 12350, qui présente, comme l'a dit ma préopinante, une formulation précise, simple et claire, avec ce nouvel article 33 concernant la reconnaissance des droits procéduraux des victimes.
Notre texte vise la modification de la loi sur la procédure administrative, la LPA. Pourquoi ? Parce que des jeunes femmes se sont retrouvées seules devant un enquêteur, devant la personne visée par l'enquête et devant le conseil de cette personne, un ami ou un avocat. Ceci est inacceptable à Genève en 2019. Les victimes, femmes ou éventuellement hommes, de faits graves - violence sexuelle, attouchements, harcèlement ou autres - appelées à être entendues soit comme témoins, soit à titre de renseignement, ne bénéficient donc pas du droit d'être assistées. Il s'agit d'une injustice crasse.
Pour cette raison, les auteurs du PL 12350 vous proposent de modifier la LPA de façon que toute victime puisse avoir la qualité de partie «dans la mesure nécessaire à la protection de ses droits, singulièrement son droit à être accompagné[e]» - je cite l'exposé des motifs de notre projet de loi. En effet, il est urgent d'agir: selon les statistiques officielles, 22% des femmes en Suisse sont victimes de violences sexuelles. Combien de filles ne font pas partie de ces statistiques, parce qu'elles n'osent pas parler ? Combien de victimes de comportements ou paroles inadéquats sont élèves ou étudiantes ? Combien sont-elles à subir du harcèlement, puisque tout ne sort pas dans la presse ? Nous, les Vertes et les Verts, pensons qu'elles sont plus nombreuses.
A une semaine de la grève des femmes du 14 juin, grève qui revendique dans son manifeste plus d'égalité et la fin des violences sexuelles ainsi que plus de moyens pour les associations comme Viol-Secours, il est urgent d'agir. Les Vertes et les Verts demandent donc aujourd'hui essentiellement que la qualité de partie soit enfin reconnue aux victimes pendant les auditions uniquement. L'objectif principal est de protéger les victimes et surtout de libérer la parole. C'est pourquoi les Vertes et les Verts vous proposent d'adopter le PL 12350 et s'abstiendront sur le PL 12392. Merci.
M. Marc Fuhrmann (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, l'intention principale de ces deux textes est évidemment d'amener une meilleure protection des victimes, ce qui est très louable. Ensuite viennent selon nous des différences et des problèmes: en reconnaissant la qualité de partie à la victime, le PL 12350 rendrait plus complexe une procédure qui l'est déjà suffisamment. Il amènerait aussi, par des termes nébuleux, une certaine incertitude juridique qui pourrait dans le fond ne pas bénéficier aux victimes. La définition de partie étant différente selon la loi pénale et selon la loi administrative, on s'avancerait en terrain inconnu, ce qui a été dit notamment par les professeurs de droit que nous avons auditionnés. L'UDC vous propose donc, pour les raisons que je viens d'énumérer, d'accepter le PL 12392 mais de refuser le PL 12350. Merci.
Mme Xhevrie Osmani (S). Chers députés, chers collègues, à en croire le rapport de minorité - presque convaincant, je le dis en toute honnêteté - on serait quasi persuadé que pendant cinq mois nous avons fait fausse route, et ce aveuglément, ne répondant guère à la situation pénible à laquelle nombre de victimes se voient confrontées dans le cadre d'une enquête administrative.
Tous les commissaires ainsi que le département étaient convaincus qu'il fallait combler des lacunes du système actuel en renforçant les droits de la victime au cours d'une enquête. De fait, les travaux ont pu donner lieu à des nouveautés importantes, par exemple dans le cadre des dispositions du témoignage, à des droits renforcés et en adéquation avec la vulnérabilité de la victime si celle-ci veut être accompagnée d'un tiers ou du conseil de son choix. En ce sens, nous avons oeuvré en améliorant leur protection afin que les victimes ne se sentent plus démunies lors de leur audition.
Mesdames et Messieurs, il ne s'agit pas ici de revenir sur toutes les modifications qui ont été apportées, mais de décrire l'essentiel, soit le point névralgique qui a opposé ces deux projets de lois. Comment faire pour que la loi reste plausible sans prétériter quoi que ce soit, en comprenant que, bien sûr, la victime est directement touchée dans ses droits, mais que la LPA n'est construite que dans un rapport d'autorité et d'administré ? De plus, le PL 12350 des Verts, qui se veut certes limité à la procédure, amène une marge de manoeuvre et des appréciations à faire lorsqu'il introduit formellement des notions de partialité, par exemple en proposant «une reconnaissance partielle de la qualité de partie» et ce «uniquement dans la procédure», ou encore que l'Etat devrait veiller à ce que l'attribution de cette qualité ne s'applique qu'à la protection de ce qu'il définit comme étant les «intérêts de la personne entendue». Comment fait-on, aussi bien intentionné que l'on soit, pour découper la qualité de partie suivant les moments ? Vous comprendrez, chers collègues, qu'il serait bien risqué d'introduire des normes qui amèneraient un juge à trancher au cas par cas, quand la loi se veut générale et abstraite et ne peut évidemment pas tenir compte de tous les cas individuels.
Pour finir, sachant que ce sujet comporte des aspects complexes qui ne peuvent être expliqués dans une intervention aussi courte, il est important de mentionner que la majorité qui s'est dégagée a voulu renforcer la protection des victimes lors de procédures administratives. On ne pourrait pas justifier et légitimer des mélanges de procédures; l'introduction à l'heure actuelle d'un règlement de type pénal entre la victime et le fonctionnaire serait trop risquée sous la forme proposée. Le but est de savoir si l'Etat doit sanctionner son employé, la sanction visant à faire respecter le bon ordre dans un service. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
On ne peut pas se dire au bout du compte que nous ne sommes que dans une relation gagnant-perdant entre ces projets de lois, car les motivations du PL 12350 étaient tout aussi louables que celles des deux autres objets. On peut dire néanmoins que les commissaires, dans leur presque unanimité, restent ouverts à l'idée que dans un avenir proche, qui sait, les choses puissent encore avancer dans ce débat...
Le président. Madame la députée, il faut penser à finir.
Mme Xhevrie Osmani. Oui. ...puisqu'une refonte de la LPA est en cours. En attendant, nous soutiendrons le projet de loi du Conseil d'Etat tel que sorti de commission. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
M. Alexandre de Senarclens (PLR). Quelques mots sur le contexte, d'abord. Nous avons là deux projets de lois qui visent à résoudre une problématique exacerbée par de récentes révélations, notamment, au département de l'instruction publique, des cas de harcèlement sexuel et d'abus sexuels d'enseignants à l'encontre d'élèves. Une procédure administrative est interne et vise à savoir si des sanctions doivent être prises contre le professeur, dans le cas d'espèce. Quand une telle procédure est ouverte, on procède à des auditions, en particulier de la personne qui a été harcelée - ou qui, à ce stade, est présumée harcelée. Or, il y a un déséquilibre: l'auteur présumé peut venir avec son avocat, alors que la victime présumée vient seule. Celle-ci a vécu des moments traumatisants et il est difficile pour elle de dénoncer les faits, de venir témoigner. L'objectif de ce projet de loi est de permettre que la victime présumée soit accompagnée d'une personne de confiance ou d'un conseil. Le texte contient d'autres mesures d'accompagnement: le droit de refuser de répondre à des questions touchant à sa sphère intime, le droit d'être entendu en l'absence de l'auteur présumé. Il représente donc une avancée, ce pour quoi le PLR soutiendra ce projet de loi du Conseil d'Etat, qui a été adopté par la commission presque unanime.
Le PLR ne soutiendra pas, en revanche, le projet des Vertes et Verts: les députées PLR et députés PLR... (Rires.) ...considèrent qu'il s'agit d'une bizarrerie, d'une genevoiserie, d'une affaire totalement farfelue qui ne prend pas en compte certaines questions juridiques. Il faut rappeler que la procédure administrative vise le rapport entre l'Etat et son employé et que la victime n'est pas démunie: elle peut avoir recours à la procédure pénale non seulement pour appuyer une accusation de nature pénale, mais aussi pour demander des dommages et intérêts. Il faut éviter le mélange des genres, qui dénote plutôt une incompréhension de notre système juridique. C'est la raison pour laquelle le PLR refusera le projet des députés Vertes et Verts. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Le PL 12392 a pour but de corriger cette anomalie qui porte préjudice aux victimes et de permettre qu'elles soient accompagnées lorsqu'elles ont été atteintes dans leur intégrité psychique, physique ou sexuelle. On constate que dans ce genre de situation, elles sont entendues uniquement en tant que témoins, ce qui est contraire à la plus légitime des aspirations que pourraient avoir des personnes victimes de ce genre d'agissements.
J'aimerais relever que contrairement à ce que disait la rapporteuse de majorité, ce projet de loi ne place pas les protagonistes à égalité: l'une est partie et l'autre est simplement témoin. Le PL 12392 consent la possibilité d'être accompagné d'une personne de confiance, mais qui est réduite au silence. Si on peut reconnaître que cette présence a un caractère rassurant, revêt une certaine importance d'un point de vue émotionnel, cependant, elle ne permet pas à la personne de se défendre ou de faire face à la partie adverse. Dans tous les cas, cet accompagnement ne résoudra pas tous les problèmes liés à des situations aussi complexes que douloureuses; mais il faut bien admettre qu'il comble une lacune affligeante. Néanmoins, pour le groupe Ensemble à Gauche, ce projet de loi ne va pas assez loin.
Nous serions plus favorables au PL 12350 qui, lui, entend reconnaître à une personne directement touchée dans son intégrité et ses droits la qualité de partie, tout en précisant que cela doit rester dans la mesure de la sauvegarde de ses intérêts, ce qui n'est certes pas conforme à l'usage, mais pose au moins la question de la reconnaissance de la qualité de partie à une victime dans le cadre d'une procédure administrative. Car enfin, si l'on comprend bien que celle-ci s'inscrit dans une relation entre un employeur et son employé, on se trouve tout de même interpellé par le fait que l'incompétence, l'inconséquence ou l'incorrection d'une personne puisse porter atteinte à l'intégrité d'une autre et qu'on voie celle-ci confinée dans un rôle exclusif de témoin: ce n'est pas acceptable.
Peut-être que le PL 12350 comprend quelques imperfections; mais au moins, il a le mérite de poser la question de cette reconnaissance du statut de partie. Nous regrettons que la majorité de la commission n'ait pas voulu entrer en matière et examiner ce projet de loi, voire l'amender si cela s'avérait nécessaire. S'il y a une bizarrerie, une genevoiserie, pour employer les mots de M. de Senarclens, ce serait peut-être ce statut indigne que l'on concède à une personne victime d'une atteinte à son intégrité en la confinant dans un rôle de témoin. C'est pourquoi le groupe Ensemble à Gauche soutiendra ces deux projets de lois. Je vous remercie de votre attention.
M. François Baertschi (MCG). Pour le groupe MCG, il est évident qu'il faut défendre les victimes, qu'il faut leur donner toute la place, tout l'accompagnement nécessaires. C'est l'objet de ces deux projets de lois. On le sait, ils ont été inspirés par une affaire qui a fait couler beaucoup d'encre. Elle mettait aux prises un enseignant célèbre - un ex-enseignant, devrais-je dire - avec certaines de ses élèves, qui ont émis des accusations à son encontre et qui ont été bien embarrassées au moment de témoigner, quand il fallait participer à une procédure administrative où, comme on l'ignore trop souvent, on se retrouve face à un employeur, l'Etat, et à un employé, le fonctionnaire. Dans cette espèce d'opposition se trouve aussi un témoin qui peut être une victime. Or, il ne s'agit pas d'une affaire de type pénal, mais de type administratif: ainsi, toute la grande difficulté... Les très longs débats de la commission judiciaire ont visé à examiner correctement ces deux projets de lois. Finalement, après beaucoup d'hésitations et de tâtonnements, le Conseil d'Etat a présenté un texte peut-être plus léger, mais relativement sûr à plusieurs titres: il ne nuit pas, il ne cause pas de tort.
Quant au projet de loi des Verts, même s'il est bardé de bonnes intentions, son gros danger est qu'il pourrait avoir - même s'il faudrait le voir à l'usage - un effet nocif, d'éminents juristes ont exprimé ces craintes. Il pourrait créer de nouvelles victimes: sans entrer dans le débat et réexposer toute la problématique, des craintes qui n'étaient pas légères ont été exprimées par des personnes tout à fait compétentes sur ces questions.
C'est pourquoi le groupe MCG votera le projet de loi du Conseil d'Etat et refusera celui des Verts, tout en rappelant que nous avons soutenu une motion déjà déposée, qui va être examinée par la commission compétente du Grand Conseil et vise à trouver de nouvelles solutions afin d'optimiser la situation juridique. Ce sera un long travail que d'agir de manière efficace et fructueuse afin qu'on entende et respecte mieux la parole des victimes. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Vincent Maitre. (M. Marc Fuhrmann commence à s'exprimer. Rires.)
Une voix. Vincent Maitre !
Le président. Vincent Maitre a changé de place ! Monsieur le député Vincent Maitre, vous avez la parole.
M. Vincent Maitre (PDC). Je n'imaginais pas que le doute fût permis ! Monsieur le président, je vous remercie. Dans notre ordre juridique, dans toute procédure judiciaire, qu'elle soit civile, pénale ou administrative, soit on est partie, soit on ne l'est pas: il n'y a pas de statut hybride, pour des raisons assez évidentes de prévisibilité et de sécurité du droit. Ça ne veut pas dire pour autant que dans le cadre d'une procédure administrative, où une des parties incontournables est l'Etat - puisque par définition, le droit administratif régit l'action de l'Etat - une personne dont le statut de victime se confond avec celui de témoin - en l'occurrence, dans les cas dont on a parlé, une personne victime des agissements d'un agent ou d'un employé de l'Etat - se trouve, comme le prétendait Mme Haller, reléguée dans un hall de couloir. Alexandre de Senarclens l'a parfaitement rappelé: des cas de ce genre ont une connotation pénale telle que les droits de la victime peuvent entièrement et largement être défendus et revendiqués devant les juridictions pénales.
Il n'empêche que parallèlement à ça, l'agent de l'Etat qui a commis ce genre de méfait doit répondre en tant que tel face à son employeur. Pour attester cela, pour établir les faits, il faut évidemment des témoins qui n'ont pas le rôle, au sens pénal du terme, de victimes. C'est là que le projet de loi des Verts tend à instaurer une dangereuse confusion, voire un grand doute et une grande instabilité du droit: à les entendre, au juge appartiendrait le choix de décider si le témoin sera en plus partie ou, à l'inverse, sera exclu de cette qualité. Ça laisse évidemment, pour à peu près tous les avocats qui pratiquent le droit judiciaire, des portes et des possibilités infinies de créer ce qu'on appelle des incidents de procédure, de faire s'éterniser les procédures et de retarder ainsi la reconnaissance du statut de victime. C'est pour ça que le projet de loi du Conseil d'Etat doit être largement préféré à celui des Verts: il maintient en effet une prévisibilité et une clarté dans notre ordre juridique. (Applaudissements.)
Une voix. Très bien !
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Marc Fuhrmann, c'est maintenant vraiment à vous ! (Rires.)
M. Marc Fuhrmann (UDC). Merci, Monsieur le président. Cher Vincent, cher député, désolé de mon intrusion inopinée dans ton temps de parole. Toutes mes excuses.
Je désirais simplement ajouter que le tout premier projet du Conseil d'Etat était d'une portée bien moindre et beaucoup plus floue. A travers les auditions et les débats en commission, il a été étoffé afin d'aller dans le sens des victimes. Actuellement, ce PL 12392 y arrive d'une manière beaucoup plus concluante que le 12350.
Mme Paloma Tschudi (Ve), rapporteuse de minorité. Le PL 12350 permet à l'autorité administrative d'en définir l'application au cas par cas, dans le respect du principe de proportionnalité, ce que semble craindre la majorité. Toutefois, c'est le choix qu'a fait le législateur fédéral dans la matière pénale au niveau suisse, et depuis 2011 le système fonctionne très bien. Nous vous demandons par conséquent de soutenir le PL 12350. Merci.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC), rapporteuse de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, pourquoi ne peut-on pas soutenir le PL 12350 ? Parce qu'il n'est pas applicable en l'état. Par contre, une proposition de motion déposée par Ensemble à Gauche permettra de réfléchir à la notion de partie.
Pourquoi faut-il soutenir le PL 12392 ? Parce que dans le cadre des procédures administratives, la victime potentielle aura avec elle à la fois une personne de confiance et un avocat. C'était voulu, et le Conseil d'Etat nous a préparé des amendements qui correspondaient exactement à ce besoin. En votant aujourd'hui - c'est pour ça que nous avons demandé l'urgence - nous enverrons un message clair et fort pour la prochaine rentrée scolaire. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs.
Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi un préambule. A entendre surtout certaines d'entre vous - je m'adresse aussi bien à vous, Mme Tschudi, qui êtes enseignante, qu'à d'autres de vos collègues Vertes - j'avais l'impression que les écoles étaient peuplées essentiellement de prédateurs sexuels à l'affût de nos élèves. Non, Mesdames et Messieurs les députés ! Je réaffirme ma confiance dans le corps enseignant, dont l'immense majorité est irréprochable. (Quelques applaudissements.) Merci d'applaudir les enseignants, en effet ! (Applaudissements.)
Ce projet de loi ne concerne pas que les enseignants, bien évidemment, mais tous les employés de l'Etat, comme on l'a rappelé. Cependant, les débats ont été suscités par un contexte que vous connaissez bien, celui de l'affaire Ramadan et d'autres affaires qui ont agité le passé des écoles genevoises. J'aimerais aussi vous dire que le projet de loi déposé par le Conseil d'Etat s'inscrit dans un ensemble de mesures qui visent à renforcer la protection de nos élèves; car il est évident que nos élèves doivent considérer que l'école où elles ou ils se trouvent est un lieu protégé. Ces mesures ont été la mise en service d'une ligne d'écoute, Abus Ecoute; la revision d'une procédure interne au DIP sur la maltraitance; une directive qui se construit avec les enseignants, visant à rappeler leur posture et leurs devoirs face aux élèves; enfin, «last but not least», aujourd'hui, en l'état actuel des travaux, le présent objet.
Ce texte est important: au bout du compte, il permet à l'élève ou à la personne appelée à témoigner dans une procédure d'être accompagnée d'une personne de confiance et éventuellement d'un conseil. Il prévoit de plus la possibilité de refuser de parler ou de répondre à des questions qui concernent la sphère intime, ainsi que - cela compte - celle d'être entendu sans la personne mise en accusation. Et puis, c'est aussi extrêmement important - vous ne l'avez peut-être pas assez souligné - le texte comporte le droit d'être informé non seulement du fait que la dénonciation est traitée, mais aussi de la sanction, si une sanction intervient à la fin. C'est important, parce que j'ai connu des situations où des enseignants ont été accusés d'un certain nombre de choses, où les affaires ont été traitées et où il y a eu sanction, mais une sanction qui n'a pas abouti à une révocation ou à une résiliation des rapports de service parce que la faute n'était pas suffisamment grave: le maître enseignait donc toujours et l'élève, dépourvu du droit d'accéder à des informations, pouvait penser que le département n'avait rien fait.
Fallait-il aller plus loin ? C'est une question qui se pose, mais on ne peut pas la résoudre en quelques séances ou même en six mois ou une année de travail dans une commission. Toucher à la procédure administrative par le petit bout de la lorgnette, simplement en voulant donner le rôle de parties à des témoins, c'est mettre peut-être en cause un ensemble d'éléments juridiques qu'on ne saurait défaire si facilement; d'où le sens de la motion, qui permettra d'étudier cela. De plus, actuellement, il existe au sein de l'Etat un groupe qui travaille à une refonte complète de la procédure administrative et qui pourra peut-être se poser cette question.
J'aimerais enfin rappeler une chose - M. Maitre l'a bien soulevé: on n'est pas dans un procès, on n'est pas en train de faire le procès d'une personne avec une victime qui est partie à la procédure ! Il s'agit d'un employeur, lui-même partie à la procédure, qui s'inquiète d'une accusation portée contre un de ses employés - partie lui aussi - et qui se demande si cet employé peut continuer de travailler dans la fonction publique ou s'il faut le révoquer. C'est dans ce sens-là que les personnes sont entendues à titre de témoins. Il est clair que le système actuel ne protège peut-être pas suffisamment les personnes qui sont potentiellement, voire souvent, des victimes; c'est pour ça qu'il faut l'améliorer - objectif qu'atteint ce projet de loi - mais je vous en prie, n'ayez pas la velléité de refaire tout le droit genevois à cette occasion, il faut le faire dans un autre contexte. Je suis persuadée que dès les prochaines affaires - il y en a en cours - les victimes, qui seront dans ces cas des témoins, seront mieux accompagnées.
Je vous remercie, donc, de faire un très bon accueil au PL 12392 et de refuser le 12350. Rappelez-vous par ailleurs que toutes les affaires que j'ai eu à traiter depuis que je suis à la tête de ce département ont été examinées avec célérité et que dans tous les cas, même avec l'ancienne procédure, les témoins ont pu être entendus et protégés. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous passons au vote, tout d'abord sur le PL 12392.
Mis aux voix, le projet de loi 12392 est adopté en premier débat par 87 oui et 6 abstentions.
Le projet de loi 12392 est adopté article par article en deuxième débat.
Mise aux voix, la loi 12392 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 82 oui et 12 abstentions.
Le président. Nous votons à présent sur le PL 12350.
Mis aux voix, le projet de loi 12350 est rejeté en premier débat par 67 non contre 23 oui et 1 abstention.