République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du mardi 14 mai 2019 à 20h45
2e législature - 2e année - 1re session - 2e séance
PL 12415-A
Premier débat
Le président. Nous abordons maintenant le PL 12415-A, dont nous débattons en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de M. Pierre Vanek, qui n'a pas introduit sa carte dans la console... (Exclamations.) Je lui passe néanmoins la parole !
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Une fois n'est pas coutume, je défends pour le compte de la commission des droits politiques un rapport non pas de majorité, mais d'unanimité. Si celui-ci contient un nombre de pages relativement conséquent, c'est que nous avons auditionné l'ensemble des acteurs et des spécialistes de la problématique du vote électronique. Nous avons bien sûr entendu le Conseil d'Etat - non pas une fois, mais deux - de même que la Chancellerie fédérale, l'OCSIN, la Poste, qui est un prestataire de services en la matière, la Cour des comptes, le préposé à la protection des données, d'éminents professeurs de l'EPFL, ainsi que M. Roussel, un spécialiste que vous avez connu sous les couleurs du Parti Pirate et qui possède des compétences remarquables dans ce domaine. La commission a finalement peu débattu, mais à travers cette série d'auditions elle s'est forgé une conviction assez arrêtée sur la nécessité de voter ce projet de loi, qui joue un rôle essentiel. Je ne retracerai pas l'ensemble du cheminement de ce dossier, car je n'en ai pas le temps: je vais donc simplement présenter les conclusions auxquelles est parvenue - de façon commune, je crois - notre commission des droits politiques.
La réflexion qui a mené au dépôt de ce projet de loi par ses auteurs - mais je pense que ce sentiment était largement partagé par les députés de la commission - s'est articulée autour d'une incompréhension et d'une critique de la décision du Conseil d'Etat de suspendre le développement du système de vote électronique genevois, qui est pourtant exploité depuis 2003 et qui a été utilisé sans problème dans le cadre de très nombreux scrutins. Le Conseil d'Etat a tiré la prise sans consulter d'aucune manière le Grand Conseil; il lui avait pourtant demandé d'adopter des crédits importants en 2016 pour faire passer le système de vote électronique genevois du stade où il se trouvait au niveau 2.0 exigé par la Confédération pour son extension, tout comme il avait procédé à des modifications législatives pour garantir que les logiciels et dispositifs répondent aux critères de l'open source permettant de contrôler dans une large mesure - ou du moins dans une certaine mesure - leur qualité et leur fiabilité.
Le consensus de la commission a en outre porté sur le fait que le vote électronique, comme les autres formes de vote, est un exercice relevant manifestement des fonctions régaliennes de l'Etat. On abuse parfois de cette épithète, mais là il n'y a pas à tortiller ! C'est une fonction qui doit être assumée par la collectivité publique, or l'alternative qu'on nous propose nous lierait pieds et poings à un système privé, même si celui-ci est vendu et promu commercialement par la Poste. Cette dernière commercialise en effet le produit d'une entreprise sise à l'étranger et financée par des fonds de «venture capital» américains; cette société, appelée Scytl - c'est un nom un peu barbare ! - est par ailleurs controversée pour toutes sortes de raisons, sur lesquelles je ne m'étendrai pas.
Mesdames et Messieurs, nous avons indiqué très simplement que nous adhérions au coeur du projet de loi, qui stipule que «le système de vote électronique utilisé par le canton doit être, dans sa conception, sa gestion et son exploitation, entièrement contrôlé par des collectivités publiques». Et pas forcément par le canton de Genève, car nous ne prétendons pas être les seuls et les meilleurs ! Il peut s'agir d'une entité intercantonale ou de la Confédération, comme l'a suggéré le Conseil d'Etat dans ses dernières déclarations, qui ont du reste évolué par rapport au contenu de ses positions initiales. Nous insistons sur ce point, et il y a une volonté claire de reprise des travaux relatifs au développement du vote électronique à Genève. Je pense que notre collectivité doit - et elle le peut - garder des compétences dans ce domaine si elle veut conserver le contrôle du processus démocratique qui devrait être au coeur de l'activité de l'Etat à Genève. Merci. (Applaudissements.)
M. Diego Esteban (S). Mesdames et Messieurs, après plusieurs mois d'intenses travaux, nous avons ici un bon projet, qui empêche que le vote électronique genevois soit mis à mort dans quelque temps. L'un des éléments particulièrement marquants de l'unanimité de la commission - le rapporteur l'a relevé - a trait à cet enjeu institutionnel de taille. Si le Conseil d'Etat proposait au Grand Conseil par le biais d'un projet de loi de mettre fin à l'exploitation et au développement du système genevois de vote électronique et que nous décidions - regrettablement - de l'accepter, on atteindrait certes le même résultat, à savoir l'arrêt du développement de la plate-forme genevoise de vote électronique suite à une décision du Conseil d'Etat prise en son sein. Mais il ne s'agit pas ici d'une simple compétence gouvernementale pouvant être exercée sans le concours du Grand Conseil: il s'agit bel et bien de priver le peuple de l'un des trois canaux de l'expression du vote démocratique ! En adoptant ce projet de loi, nous signifions ainsi au Conseil d'Etat que, dans un domaine aussi fondamental pour notre canton et notre système que les droits politiques, le concours des représentants et représentantes du peuple est de mise.
Je tiens à remercier l'ensemble des membres de la commission pour leur soutien unanime à ce texte. Le système genevois de vote électronique a intégré notre paysage démocratique grâce à une volonté politique large, qui transcendait les frontières partisanes. Le parti socialiste se réjouit de constater que cette volonté est toujours aussi présente et vous invite à soutenir ce projet de loi tel que sorti de commission avec l'unanimité des partis. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, en tant que présidente de la commission des droits politiques, je voudrais exprimer ma vive reconnaissance à M. Vanek, qui a si bien et si vite rédigé ce rapport. C'était de plus un rôle à contre-emploi, puisqu'il a dû représenter l'unanimité de ladite commission ! Je tiens aussi à relever l'excellence des travaux menés par la commission qui, comme vous l'avez entendu, a auditionné absolument tous les partenaires qui pouvaient être concernés.
Je ne vais pas répéter ce qui a été dit, mais j'aimerais quand même dissiper tout malentendu: non, ce n'est pas au canton de Genève d'être un prestataire de services, nous sommes tous d'accord ! Ce n'est pas au canton de Genève de financer l'ensemble du système de vote électronique, nous sommes tous d'accord ! Cela dit, il est clairement inacceptable que la Poste - qui a perdu à mon avis toute notion de service public - sous-traite à une entreprise privée étrangère, qui plus est sise hors de nos frontières. C'est à la Confédération de garantir que le système de vote électronique remplit les conditions de sécurité, c'est à la Confédération de financer les différents niveaux de sécurité, avec des partenaires comme les cantons, bien sûr - en l'occurrence Genève - mais aussi l'EPFL et d'autres institutions publiques, qui garantissent le contrôle. Il s'agit en effet de la substantifique moelle de la démocratie, Mesdames et Messieurs les députés ! C'est notre démocratie qui est en jeu, et elle ne peut être ni bradée ni sous-traitée. En conclusion, je vous remercie d'accepter ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, je vais essayer de vous expliquer la position des Verts, qui n'est pas totalement identique, même si nous sommes finalement parvenus aux mêmes conclusions que celles qui sont présentées dans le rapport.
Une voix. C'est comme pour la CPEG !
M. Pierre Eckert. Pour nous, les Verts, la qualité de vie, la convivialité, voire la frugalité, comme l'a dit notre ex-président du Grand Conseil, sont des éléments importants - je parlerais plutôt de sobriété, si vous voulez - de sorte que notre système de vote préféré est celui qui se déroule au local de vote. En effet, le vote à l'urne permet aux personnes qui vont voter d'entretenir des discussions et de fréquenter éventuellement le bar des votants: elles partagent donc toujours des moments de convivialité. Cela dit, il est vrai qu'avec le seul système de vote à l'urne, le taux de participation a fini par diminuer, et nous reconnaissons qu'il était important de mettre en place de nouveaux canaux de vote. Du reste, grâce au vote par correspondance, on a réussi à maintenir le taux de participation à un niveau relativement élevé, et j'aimerais à ce propos préciser qu'on garde toute notre confiance en ce système.
Mais ce n'est pas le sujet de notre débat, puisqu'on parle ici du vote électronique. Celui-ci capte en principe une partie du vote par correspondance, il n'entraîne donc pas réellement une hausse significative du taux de participation. Il s'agit malgré tout d'un nouveau système, qui peut être utilisé par de nombreuses personnes - et pas forcément les plus jeunes. De plus, on sait qu'il peut revêtir un intérêt pour les électeurs suisses vivant à l'étranger ainsi que pour certaines personnes en situation de handicap. On lui reconnaît cette vertu ! Il n'en reste pas moins que ce qui se passe sur internet est hélas relativement obscur, tout le monde le sait, et on peut ou non avoir confiance en ce type de ressources. Il existe aussi, on l'a vu, un certain nombre de hackers ! Les Verts s'opposent donc depuis assez longtemps au système de vote électronique en raison de son obscurité. La position des Verts genevois est en revanche un peu plus souple: on veut bien admettre l'existence d'une plate-forme de vote électronique, mais elle doit être totalement sécurisée. Dans ce sens, nous soutenons le projet de loi proposé ici et partageons largement les préoccupations qui ont été évoquées. Le système de vote doit être sûr et crédible, et il faut qu'il soit entièrement contrôlé par les collectivités publiques. En clair, nous préférerions nous passer du vote électronique plutôt que de disposer d'un outil qui n'offre pas toutes les garanties. Même les plus libéraux de la commission ont reconnu que le vote était une activité profondément régalienne, il doit donc rester en mains publiques ! C'est ce que ce texte demande, raison pour laquelle il convient de le soutenir. Il est également crucial que le système de vote puisse être vérifié par toutes celles et tous ceux qui le désirent - cet élément figure lui aussi dans le projet de loi - voilà pourquoi la publication du code source est primordiale.
Nous laissons maintenant la possibilité au Conseil d'Etat de se prononcer sur cette question. L'une des options consiste à renoncer totalement au vote électronique, même si ce n'est pas nécessairement ce qu'on souhaite. On peut aussi continuer à développer le système actuel ou alors aller dans de nouvelles directions - on en a parlé en commission. Ce n'est pas forcément possible tout de suite, mais on pourrait envisager d'utiliser des blockchains ou d'autres systèmes. Ça prendra peut-être un peu de temps, mais nous ne sommes pas fermés à ce type de technologies. Elles devront cependant être totalement sécurisées ! Enfin, nous avons également reconnu que la mise en place d'un tel outil ne relevait pas de la seule responsabilité du canton de Genève, ni financièrement ni administrativement. Nous soutiendrons donc - en tout cas en ce qui concerne les Verts - toute démarche ou initiative demandant à la Confédération de s'investir beaucoup plus largement dans le système de vote électronique. Je vous remercie.
Mme Diane Barbier-Mueller (PLR). Je voudrais moi aussi remercier M. Vanek pour ce long rapport, qu'il a réussi à rédiger en un temps record. Comme l'ont dit mes préopinants, la commission a été unanime - une fois n'est pas coutume ! - ces discours vont donc être un peu rébarbatifs, mais je pense qu'il était quand même utile que chaque parti exprime sa position. (Quelques députés discutent.) Chut ! Chut ! Je plaisante...
Ce qui avait été soulevé par le PLR, c'était notamment l'importance de ne pas perdre l'investissement initial réalisé pour le développement de la plate-forme de vote électronique. Il était par ailleurs ressorti des auditions un manque de fiabilité du système privé, et nous regrettons que l'étude de solutions alternatives n'ait peut-être pas été suffisamment approfondie. Il y a une volonté évidente de ne pas précipiter les choses s'agissant de l'abandon de la plate-forme genevoise, qui était tout à fait fonctionnelle mais qui s'est malheureusement butée aux exigences fédérales, d'autant qu'à l'ère où l'on veut encourager l'écologie, on devrait considérer que le vote électronique sans papier représente une voie d'amélioration plutôt que de songer à y mettre un terme. Voilà une ironie que ne relèvera pas le PLR, mais qu'il faudrait souligner ! Pour toutes ces raisons, la commission - en particulier le PLR, en l'occurrence - vous invite à suivre ses conclusions et à adopter ce projet de loi. Merci. (Applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, le débat est sérieux, et je remercie M. Pierre Vanek pour son excellent rapport détaillé, qui montre en définitive qu'il ne s'agit pas là... Enfin, il nous est proposé de voter sur le maintien d'un système, mais avec quelles garanties ? Lors d'aucune audition, que ce soit de la Cour des comptes ou d'autres, il n'a été dit que le système était infaillible. Mesdames et Messieurs, nous sommes au coeur de la démocratie. Je ne vais pas revenir sur ce qui s'est passé ces derniers jours, puisque les soupçons semblent être dissipés, mais notre démocratie repose notamment sur la crédibilité non seulement de nos votes, mais surtout de leur résultat. Or l'électronique n'est pas infaillible, et c'est normal, car on sait que même si l'on dispose des meilleurs spécialistes, il existe des hackers qui sont encore meilleurs et qui sont capables de faire sauter les codes, de pénétrer les systèmes et d'y introduire de mauvaises choses. Aujourd'hui même, on apprenait qu'un pays - que je ne nommerai pas - aurait piraté des téléphones via l'application WhatsApp...
Le président. Monsieur Lussi, pourriez-vous parler un peu plus fort ou plus près du micro ? On ne vous entend pas !
M. Patrick Lussi. Excusez-moi ! Mesdames et Messieurs, l'électronique n'est pas sûre. Au niveau national, l'UDC s'est prononcée contre tout système de vote électronique et je tiens à rappeler, parce que c'est quand même normal, que la Norvège, la Finlande, la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne ont renoncé à introduire tout vote électronique. Ces pays ne sont pas plus intelligents ou plus bêtes que nous, ils se sont simplement rendu compte des difficultés et peut-être des failles que pouvaient comporter ces systèmes.
Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes conscients de l'effort que vous avez réalisé, et la voie à suivre consiste peut-être à garder un système genevois plutôt qu'à adopter celui de la Poste. Quoi qu'il en soit, le groupe UDC, qui est partagé sur cette question, a décidé lors de son caucus de laisser la liberté de vote à ses membres. Merci.
Une voix. Très bien !
M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs, je serai bref. M. Mizrahi interviendra pour sa part sur l'amendement proposé par le Conseil d'Etat. J'aimerais toutefois relever plusieurs éléments. Il y a tout d'abord un point qui devrait nous inquiéter - c'est un véritable warning ! - sur le plan fédéral: le même cabinet d'audit - il s'agit d'une grande société américaine - a le monopole de l'audit à la fois du vote électronique en Suisse et de l'entité de la Poste. Rien qu'à ce titre, la Chancellerie fédérale, tout comme le Conseil d'Etat, devrait s'inquiéter de ne conserver qu'une seule solution, celle de la Poste. Ce même warning concerne également la proposition formulée par la Poste et son logiciel, qui est très limité au niveau de l'open source, comme on a pu le voir. Et ce n'est pas nous, membres de la commission des droits politiques, qui le disons, mais bien différents spécialistes, notamment de l'EPFL, qui sont venus témoigner du fait que le système genevois était quant à lui parfaitement ouvert et qu'il répondait parfaitement au besoin démocratique d'avoir un contrôle des citoyennes et citoyens, ce qui n'est pas le cas lorsque le code source est fermé. On peut établir un parallèle tout trouvé avec l'encadrement du vote à l'urne ou par correspondance, Mesdames et Messieurs les députés: aujourd'hui, celui-ci est effectué soit par l'Etat, soit par les citoyennes et citoyens dans les bureaux de vote. Il doit en aller de même du vote électronique, il s'agit donc de ne pas confier son encadrement à une société privée. Enfin, on ne peut que regretter la gestion du Conseil d'Etat en la matière. Il s'est en effet précipité, il n'a pas consulté la commission des droits politiques ni le parlement et, pire encore, il a pris cette décision sans en informer les collaborateurs et collaboratrices directement concernés, ce qui a entraîné une vague de départs au sein du service chargé du vote électronique. Pour toutes ces raisons, nous vous prions d'accepter ce projet de loi. Merci.
M. Patrick Dimier (MCG). On l'a dit à de nombreuses reprises, il est ici question du coeur de notre système, et il est bien évident que ce dernier, comme les autres, ne peut être qu'en mains publiques. A ce titre, on peut être plus qu'étonné de l'attitude ambiguë de la Chancellerie fédérale, qui a soutenu une privatisation en mains de la Poste alors qu'elle savait parfaitement bien que celle-ci ne maîtrisait ni les moyens ni les techniques et qu'elle allait devoir sous-traiter à l'étranger.
Après de longs débats ouverts, francs et directs, nous avons obtenu une unanimité et sommes arrivés aux points de convergence suivants. Premièrement, ce système ne peut être qu'en mains publiques. Deuxièmement, il faut que son code source soit ouvert. Troisièmement, il doit être développé ici en Suisse par des ingénieurs, et les auditions des spécialistes de l'EPFL auxquelles nous avons procédé ont montré que nous avions l'expertise pour le faire. Il faut maintenant que l'exécutif ait le courage de suivre ceux qui l'ont précédé. En effet, c'est quand même notre Conseil d'Etat, à une autre époque, avec d'autres membres, qui a mis en place le vote électronique de manière fiable - il n'y a pas eu de couacs, en tout cas pas à ma connaissance - c'est donc bien sûr ce chemin-là que nous devons suivre. Il y va aussi du respect des Suisses de l'étranger et de nos concitoyens et concitoyennes qui n'ont pas la chance d'être mobiles et pour lesquels aller voter à l'urne peut présenter des difficultés. Même le vote par correspondance peut se révéler problématique, à moins que nous envisagions des modalités qui permettent aux personnes non voyantes de voter en utilisant elles-mêmes les moyens à disposition. En un mot comme en mille, il faut bien entendu soutenir ce projet de loi, et notre groupe invite le Conseil d'Etat à faire preuve du courage et de la détermination qui ont été ceux des gouvernements précédents lorsqu'ils ont osé lancer ce système et aller de l'avant. Pour conclure, je ne vous dis pas ce que je pense de la Chancellerie fédérale, j'imagine que vous l'aurez compris... (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur. Je serai très rapide ! J'aimerais clarifier un point à l'intention de ceux qui ont fait preuve de scepticisme vis-à-vis du vote électronique - je pense à M. Eckert des Verts ainsi qu'à l'UDC, qui laissera la liberté de vote à ses membres. J'ai moi-même des réserves à l'égard du vote électronique: je ne dis pas que c'est la panacée et qu'il faut forcément aller dans cette direction, mais le projet de loi offre très clairement une alternative entre deux termes, à savoir d'un côté un système fermé développé par des entreprises privées dans des conditions de monopole très discutables - Romain de Sainte Marie y a fait référence - et de l'autre le maintien d'un système contrôlé démocratiquement par des collectivités publiques. Je vous invite à faire le bon choix sur ce point, qui a suscité l'unanimité.
Deux mots maintenant sur l'amendement du Conseil d'Etat. Si l'alinéa 5 qui nous est soumis ne pose pas de souci, l'alinéa 3 est quant à lui réellement problématique ! En effet, le Conseil d'Etat nous dit qu'il s'agit, dans le cas où il n'aurait pas pu mettre en place un système conforme à l'alinéa 2, de se laisser une porte de sortie et invoque les personnes en situation de handicap ainsi que les Suisses de l'étranger, auxquels il faudrait pouvoir offrir le vote électronique en ayant recours à un système qui ne serait donc pas contrôlé par des collectivités publiques. Mais ce que le Conseil d'Etat oublie, c'est que l'article 60 de la loi sur l'exercice des droits politiques - LEDP - stipule actuellement que l'électeur peut voter à distance par la voie électronique. Il s'agit bien de tous les électeurs, de vous, de moi ! Donc si on se trouvait matériellement dans une situation où l'on ne pouvait pas respecter ce projet de loi, qui sera adopté sous peu, eh bien il faudrait de toute façon modifier les dispositions légales existantes. Par exemple, pour le retour à l'urne qu'évoquait Pierre Eckert, cas échéant, il faudrait modifier cet article 60 de la LEDP. En conclusion, Mesdames et Messieurs, cet amendement ne vient pas à son heure: c'est une échappatoire que le Conseil d'Etat essaie de se donner pour affaiblir un projet de loi auquel il aurait dû souscrire plutôt que de tenter de le combattre par des moyens de dernière minute, puisque la commission n'a pas été saisie de cette proposition d'amendement. (Applaudissements.)
M. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, on l'a dit, Genève a été précurseur en la matière: notre canton s'est doté d'une équipe - une start-up de l'informatique, dirait-on - pour développer un logiciel qui a connu différentes versions et qui en est actuellement à la version 1.6. Pour ce faire, Genève a décidé - pour des raisons financières également - de devenir vendeur de logiciels. Comme toute start-up, il vend son produit informatique, en l'occurrence à d'autres cantons, si bien qu'on a des collaborateurs et collaboratrices qui entretiennent des systèmes de vote électronique ailleurs dans le pays. Voilà une activité commerciale intéressante, qui rapporte un peu d'argent mais qui surtout, on le sait, entraîne beaucoup de risques.
La Confédération permet depuis quelques années d'offrir le vote électronique, mais à 30% de l'électorat au maximum. Nous sommes dans une phase expérimentale, et contrairement à ce qu'a dit le rapporteur, le citoyen ne dispose pas du droit absolu à utiliser le vote électronique, puisque 30% seulement de la population peut y avoir recours. De fait, si d'aventure 40% des électeurs voulaient se prononcer électroniquement lors des votations de dimanche, nous serions contraints de bloquer l'accès aux premiers 30%, les autres devant voter par correspondance. Il n'existe donc pas aujourd'hui, sous l'angle du droit fédéral, une universalité acquise du vote électronique. C'est de la musique d'avenir, et ce processus se déroulera dans le cadre des développements informatiques ultérieurs. Et c'est bien sur ce point que le débat au sein du Conseil d'Etat porte depuis des années, à vrai dire, soit sur la capacité, pour une collectivité publique, d'assumer le développement d'un logiciel informatique qui ne remplit plus simplement les conditions de sécurité d'un système test, limité à un pourcentage réduit de la population, mais bien d'un canal de vote large et majoritaire. Dans ce sens, Mesdames et Messieurs, comprenez bien la position du Conseil d'Etat: nous avons toujours été acquis non seulement à l'idée d'un dispositif de vote électronique développé par une collectivité publique, mais aussi au principe de l'open source, qui veut que ce qui est développé puisse être placé dans le domaine public, ne serait-ce que pour bénéficier des critiques bienvenues des hackers.
Le Conseil d'Etat prend acte de la volonté d'une majorité du parlement d'accepter ce projet de loi. Il en examinera de près les effets concrets, en considérant également l'évolution du débat fédéral, puisque c'est aujourd'hui à Berne que la question se joue. Quoi qu'il en soit, l'article 60C de la LEDP stipule bien que le vote électronique n'est proposé que si les conditions de sécurité - qui sont déterminées par Berne - sont garanties.
Il n'est pas impossible que l'adoption de cette loi aboutisse à l'arrêt complet du vote électronique dans le cas où l'on ne disposerait pas d'un système public développé par Genève ou d'autres collectivités publiques, raison pour laquelle le Conseil d'Etat a déposé un amendement. En effet, s'il est admissible de priver nos citoyennes et citoyens du vote électronique parce qu'ils peuvent facilement recourir au vote par correspondance - dont on a vu encore cette semaine qu'il était parfaitement sûr - il est plus difficile de tenir ce discours à l'égard des Suisses de l'étranger et des personnes à mobilité réduite, car pour ces catégories de population la suppression du vote électronique équivaut dans beaucoup de cas à une suppression pure et simple du droit de vote. Par conséquent, dans ce cas hypothétique - et par cascade - la question se pose: préfère-t-on offrir un système certes développé par le privé, mais présentant quand même un niveau de sécurité qui lui permet d'obtenir l'accord et l'autorisation d'exploiter de la Chancellerie fédérale, ou laisser ces personnes sans droit de vote du tout ? Le Conseil d'Etat partage votre vue politique: il faut avant tout un système public, effectivement, mais comme vous le savez, dans la vraie vie nos voeux ne deviennent pas toujours réalité, alors que se passera-t-il si l'on ne dispose pas de ce système ? Le Conseil d'Etat vous demande d'accepter cet amendement: il n'enlève rien au projet de loi initial mais permettrait, le cas échéant, d'offrir des droits politiques aux personnes en situation de handicap et aux Suisses de l'étranger. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, je vous invite à vous prononcer sur l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12415 est adopté en premier débat par 79 oui contre 3 non et 1 abstention.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.
Le président. Nous sommes saisis d'un amendement du Conseil d'Etat, qui est projeté sur l'écran situé devant vous:
«Art. 60D, al. 3 (nouveau, les alinéas 3 et 4 anciens devenant les alinéas 4 et 5) et al. 5 (nouvelle teneur)
3 Il peut exceptionnellement être dérogé à l'obligation de l'alinéa 2 pour permettre aux Suissesses et Suisses de l'étranger et aux personnes en situation de handicap de voter par la voie électronique. Le Conseil d'Etat fixe, par voie réglementaire, les modalités de mise en oeuvre.
5 Le Conseil d'Etat peut conclure des conventions avec des collectivités publiques afin de leur mettre à disposition le système de vote électronique développé par le canton de Genève ou disposer d'un tel système et collaborer avec d'autres collectivités publiques pour développer un tel système, dans le respect des alinéas 2 et 4.»
Je propose que nous passions au vote sans plus attendre... (Commentaires.) Oui, Monsieur, j'ai vu qu'il y avait des demandes de parole ! C'est à vous, Monsieur Mizrahi.
M. Cyril Mizrahi (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, chers collègues, j'aimerais en premier lieu saisir cette occasion pour dire merci aux cosignataires de ce projet de loi ainsi qu'aux membres de la commission, qui l'ont soutenu très largement. Je remercie également le rapporteur, qui a travaillé de façon extrêmement rapide.
J'en viens maintenant à la position du Conseil d'Etat et plus précisément à cet amendement. Bien entendu, vous vous en doutez, le groupe socialiste est très attentif à l'exercice des droits politiques des personnes en situation de handicap. Il ne s'agit pas uniquement des personnes qui ont des problèmes de mobilité, mais aussi de celles qui ne peuvent pas remplir leur bulletin de manière autonome et qui doivent avoir recours à des tiers pour ce faire, ce qui ne garantit pas le secret du vote. Nous sommes également attentifs à la situation des Suissesses et des Suisses de l'étranger, qui ont besoin du vote électronique pour que leurs droits politiques soient assurés. Nous refuserons cependant cet amendement, car la loi garantit très clairement l'accès au vote électronique en son article 60, alinéa 1. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) La période de test touche à sa fin, cette limite des 30% - qui n'a jamais posé de problème - va être levée et chacun aura donc le droit d'accéder au vote électronique. Par conséquent, ce que nous voulons, c'est que le Conseil d'Etat fasse montre de volonté pour réaliser les exigences relatives à la sécurité fixées par la Confédération, afin que le droit d'utiliser le vote électronique puisse être garanti pour chaque citoyen et citoyenne. Au besoin, nous demandons au Conseil d'Etat de solliciter un délai supplémentaire pour satisfaire à ces exigences de sécurité. Enfin, et je terminerai par là, nous rappelons que lors des votations purement cantonales Genève pourra de toute façon continuer à utiliser son système de vote électronique, car il n'a pas besoin pour cela de l'agrément de la Confédération. En conclusion, Mesdames et Messieurs, je vous recommande de refuser cet amendement et d'adopter ce projet de loi. Merci. (Applaudissements.)
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Pour les raisons qui viennent d'être évoquées, je vous invite à refuser l'amendement du Conseil d'Etat. Il ne peut y avoir plusieurs catégories de citoyennes et de citoyens, ce vote électronique doit être au service de toutes et tous et, comme indiqué dans le communiqué de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil, c'est à l'unanimité qu'a été adopté le principe du vote électronique sous le contrôle exclusif des collectivités publiques dans le canton de Genève. C'est ce que nous demandons au Conseil d'Etat, et nous attendons de lui qu'il prenne ses responsabilités. Merci beaucoup, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe maintenant la parole à M. François Baertschi.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Avec un peu de retard, je vous adresse mes félicitations pour votre élection ! (Exclamations.) Pour en revenir au sujet qui nous occupe, j'annonce que le groupe MCG refusera cet amendement, car nous trouvons que c'est la porte ouverte à tous les abus. On voit maintenant ce qu'un manque de rigueur peut entraîner dans le processus des votations. On l'a appris la semaine dernière ! C'est la porte ouverte à tous les doutes, à toutes les questions et à toutes les dérives, nous vous demandons donc de rejeter cet amendement avec vigueur.
M. Patrick Dimier (MCG). J'aimerais juste apporter un complément. Le défaut principal de cet amendement est de créer deux catégories de citoyens, ce qui n'est tout simplement pas possible. L'idée est bonne, elle peut et doit être travaillée, mais en tous les cas vous ne pouvez pas instaurer un système dans lequel on pratique une différenciation aussi marquée, avec des citoyens et citoyennes qui ont droit à un certain canal de vote, et d'autres qui n'y ont pas accès. Ça ne peut pas fonctionner !
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous allons maintenant nous prononcer sur cet amendement... (Commentaires.) Je vous passe la parole, Monsieur Vanek.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur. Merci beaucoup, Monsieur le président. Excusez-moi de m'être manifesté un peu tardivement ! Comme vous l'avez peut-être remarqué, les objections à l'amendement du Conseil d'Etat ciblent uniquement le nouvel alinéa 3 proposé. En effet, pour ma part - mais je crois que ce sentiment est partagé par nombre de députés dans cette assemblée - je considère que l'alinéa 5 est raisonnable et ne pose pas de problème... (Commentaires.) ...c'est pourquoi je demande un vote séparé... (Commentaires. Protestations.)
Une voix. Mais non, cette disposition se trouve déjà dans le texte !
Le président. Je vous prie de vous calmer, laissez parler M. Vanek ! (Exclamations.)
M. Pierre Vanek. Elle y est déjà ? Non ! (Brouhaha.)
Une voix. Elle figure dans le projet initial !
M. Pierre Vanek. Ah bon ?
Une voix. C'est uniquement le renvoi aux alinéas qui change !
Le président. Regardez la dernière ligne, Monsieur Vanek: «dans le respect des alinéas 2 et 3» devient «dans le respect des alinéas 2 et 4». (Un instant s'écoule.)
M. Pierre Vanek. Ah oui ! Mais alors c'est idiot ! (Rires.) Je ne comprends pas à quoi joue le Conseil d'Etat, mais je retire ma demande ! Et dire que je voulais faire preuve de bonne volonté...
Le président. Très bien. Nous allons donc nous prononcer sur l'amendement du Conseil d'Etat à l'article 60D.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 88 non (unanimité des votants).
Mis aux voix, l'art. 60D, al. 2 (nouvelle teneur), al. 3 et 4 (nouveaux), est adopté.
Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que l'art. 2 (souligné).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 12415 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 81 oui contre 4 non et 5 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)