République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 21 mars 2019 à 17h
2e législature - 1re année - 10e session - 58e séance
PL 10872-R-A
Premier débat
Le président. Nous abordons le PL 10872-R-A en catégorie II, quarante minutes. J'espère que les rapporteurs ont pris leurs cartes avec eux en venant à la tribune. M. Béné étant assis, je lui passe la parole.
M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Il est ici question d'un projet de loi PLR qui avait été retiré et que M. Baertschi a repris. Ce texte prévoyait de demander très clairement l'affectation du produit de la redevance sur le trafic des poids lourds - la RPLP - aux infrastructures liées au trafic des poids lourds, soit aux routes. Cet objet avait été déposé parce que le Conseil d'Etat utilisait à l'époque la RPLP pour le CEVA. Etant donné que le CEVA était bientôt achevé, nous avons obtenu de la part du gouvernement, par un courrier daté du 20 mai 2015, la garantie que la RPLP serait bien affectée à la route. C'est pourquoi nous avions décidé de retirer le projet de loi: il n'avait plus de raison d'être. Si nous sommes malgré tout appelés à nous prononcer sur le PL 10872-R, qui n'a plus d'utilité, Mesdames et Messieurs, c'est suite à son nouveau renvoi à la commission des finances après que M. Baertschi l'a repris. Je vous invite donc à refuser cet objet. Je vous remercie.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est important. Il démontre que le projet CEVA est une véritable catastrophe pour le canton de Genève: celui-ci laisse une ardoise qui se compte en milliards de francs. C'est considérable; c'est pour cette raison que l'on a détourné la RPLP pour l'attribuer au CEVA. Comme le propose avec pertinence l'objet qui nous est soumis, l'argent de la redevance poids lourds doit financer les nuisances causées aux infrastructures par les poids lourds. L'un des objectifs capitaux est de renforcer la sécurité des usagers de la route.
Ce projet de loi a été abandonné par son groupe politique signataire. Le MCG l'a repris dans l'intention de protester contre un financement qui n'est pas correct, un financement qui va ruiner les finances genevoises. Chaque année, nous devrons trouver 50 millions supplémentaires pour financer le surcoût du système. Les dépenses non comprises dans le budget CEVA, à la charge du canton mais aussi des communes, sont multiples. Est-ce utile ? Non ! Le CEVA suit un mauvais tracé: son trajet favorise presque exclusivement les habitants de la France voisine au détriment des habitants du canton. Le CEVA va générer une nouvelle insécurité et attirer une nouvelle criminalité. Il va faire fuir les clients des commerces du canton de Genève pour les envoyer en France voisine. On se tire vraiment une balle dans le pied avec le CEVA !
Le danger, c'est que cette manne financière soit maintenant consacrée à d'autres projets transfrontaliers, comme des trams. C'est pourquoi nous devons impérativement voter le présent projet de loi. Beaucoup d'erreurs ont été commises avec le CEVA et il est grand temps d'y mettre fin !
Le président. Je vous remercie, Monsieur le rapporteur. La parole... (Brouhaha.) Un peu de silence, s'il vous plaît ! (Un instant s'écoule.) La parole est à M. le député Serge Hiltpold.
M. Serge Hiltpold (PLR). Merci, Monsieur le président. En complément aux propos du rapporteur de majorité, Jacques Béné, je voudrais simplement préciser que nous avons obtenu avec certitude, à travers le courrier du Conseil d'Etat du 20 mai 2015 annexé au rapport, toutes les garanties nécessaires. Le groupe PLR n'a maintenant qu'une seule question: voter ce projet de loi serait effectivement un combat d'arrière-garde... (Brouhaha.)
Le président. Une seconde.
M. Serge Hiltpold. Vous ne m'entendez pas, Monsieur le président ?
Le président. Non. S'il vous plaît, Madame, je vous prie de sortir si vous voulez discuter. Je vous remercie. (Un instant s'écoule.) Convenons d'écouter celui qui s'exprime ! Je vous remercie et repasse la parole à M. Hiltpold.
M. Serge Hiltpold. Merci, Monsieur le président. Je reprends donc: la seule question que nous avons au sein du groupe PLR porte sur la future affectation de la redevance poids lourds liée aux prestations, qui a été imputée au CEVA pendant à peu près quatre ans. Cette même question a été posée à la commission des travaux, juste pour que nous soyons au courant: à quel projet routier le Conseil d'Etat compte-t-il affecter tout ou partie de la RPLP ? Est-ce que ce sera pour du phonoabsorbant, pour des infrastructures transfrontalières - pour quel projet ? Je pense que ce serait intéressant pour le parlement de le savoir. Merci.
M. Mathias Buschbeck (Ve). Chères et chers collègues, pour notre part, nous voudrions remercier M. Baertschi d'avoir sauvé ce projet de loi, voué à une mort certaine après que ses auteurs l'ont abandonné - ça fait maintenant une année et demie qu'il a été traité en commission. Je n'avais jusqu'à présent, je l'avoue avec une certaine candeur, aucune idée de l'affectation de la RPLP. J'ai pu découvrir qu'il était effectivement prévu de l'imputer au CEVA jusqu'à la fin des travaux et que vous demandez, par ce texte, qu'elle soit ensuite affectée à la route. Bien évidemment, nous ne sommes pas d'accord.
Une large majorité va aujourd'hui refuser ce projet de loi, mais grâce à lui je suis allé voir l'article 1, auquel vous faites référence, du règlement relatif à la RPLP. Je suis allé voir cet article 1 et ce qu'il comporte sur le but de la RPLP: il est d'«améliorer les conditions-cadres du chemin de fer». Alors quand le Conseil d'Etat nous indique dans sa lettre qu'à la fin des travaux du CEVA, il veut affecter la RPLP aux coûts d'infrastructure du trafic poids lourds - M. Hiltpold l'a évoqué - nous ne sommes de nouveau pas d'accord ! Nous demandons qu'elle soit attribuée au rail, comme elle l'a été jusqu'à maintenant.
L'exécutif dit qu'il procédera à la nouvelle affectation lors de l'élaboration du budget suivant la fin des travaux du CEVA, dans le cadre, pour être précis, du changement de l'arborescence des prestations du programme J02. Une nouvelle fois, nous ne sommes pas d'accord. Nous serons attentifs, dans le cadre du budget, à ce que la RPLP continue à être imputée au rail. Le Conseil d'Etat souhaite par ailleurs assigner la moitié de cette somme - quand même 18 millions par année - aux coûts externes occasionnés par le trafic des poids lourds. Pourquoi l'affecter aux coûts externes ? Pourquoi ne pas empêcher ces coûts et adopter une méthode proactive en promouvant les infrastructures de mobilité douce ou ferroviaires, comme c'est prévu par la loi ?
Nous serons donc bien attentifs, dans le cadre de l'élaboration du budget, à ce que les montants en question soient attribués à la mobilité douce ou au trafic ferroviaire, conformément au point 3 de l'article 1 du règlement sur la RPLP. Et si vous n'êtes pas d'accord, nous reviendrons avec un projet de loi pour demander de les affecter au trafic ferroviaire. Les projets ferroviaires ne manquent pas à Genève. Nous avons notamment la halte de Châtelaine et son pôle multimodal, qui sont aujourd'hui un peu à l'arrêt, faute de financement. Nous pourrions, dès l'année prochaine, opter pour un crédit d'étude et de réalisation - pourquoi pas - en faveur de cette halte prévue de longue date dans le plan directeur. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Jean Burgermeister (EAG). Mon intervention sera un peu dans la même veine que celle de mon collègue Mathias Buschbeck puisque le débat entre les rapporteurs de majorité et de minorité sur ce qu'on va faire de la RPLP consiste à savoir si on est plutôt d'accord avec ce projet de loi ou avec le Conseil d'Etat. Je pense qu'il est important de rappeler que certains ici, dont je fais partie, dont Ensemble à Gauche fait partie, ne souhaitent ni la solution du projet de loi ni celle du gouvernement: elles sont, il faut le dire, plus ou moins identiques.
En réalité, le seul point positif de cet objet, c'est qu'il a permis de mettre en évidence les coûts externes occasionnés par le trafic des poids lourds. Des coûts externes qui sont importants, ont le sait, puisque le trafic des poids lourds a un impact sur la qualité de vie, sur l'environnement mais aussi sur la santé. Une grande partie de ces coûts est d'ailleurs très difficilement chiffrable - et on n'essaie en général même pas de les chiffrer. Devant ce constat, le bon sens voudrait qu'on essaie de limiter drastiquement le trafic des poids lourds; utiliser la redevance pour financer des transports publics apparaît à ce niveau-là comme une excellente solution ! Effectivement, en favorisant les transports publics, on réduira en tout cas les coûts externes et en définitive le trafic des poids lourds.
Il me semble que la logique est là assez simple, assez facilement compréhensible. A l'inverse, ce que proposent le Conseil d'Etat - et je le regrette - tout comme le projet de loi, c'est de continuer à mettre une partie de cet argent dans le développement des infrastructures. Or si on développe les infrastructures, on développera les coûts externes; c'est un serpent qui se mord la queue. Je pense qu'il est temps de prendre au sérieux les impératifs environnementaux, de santé, de qualité de vie, et d'opérer un transfert modal important.
Ce projet de loi, à l'exception justement du montant des coûts externes, qu'il a mis en avant, ne relève d'aucune espèce d'intérêt. Le PLR, qui l'a déposé en premier, s'en est d'ailleurs rendu compte et a fait marche arrière, reconnaissant que cet objet n'a aucun sens. Le MCG a entre-temps réussi à se convaincre qu'il y avait là une opportunité pour décliner son thème favori, le combat anti-frontaliers, et s'attaquer, avec un peu de retard, au CEVA. Mesdames et Messieurs, vous l'aurez compris, nous vous appelons à rejeter ce texte et, tout comme les Verts, nous resterons très attentifs à la manière dont sera utilisé l'argent de cette redevance. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, au contraire de mes préopinants, le MCG appelle évidemment à voter ce projet de loi parce qu'il est, en fait, logique: la taxe des poids lourds doit aller aux infrastructures des poids lourds, et pas ailleurs. La fin du financement du CEVA doit permettre de concrétiser cela puisque cette taxe poids lourds, payée par les entreprises de poids lourds, doit être affectée à leurs infrastructures. Nous ne demandons pas un développement de ces infrastructures, nous demandons juste que cette taxe, prélevée sur les entreprises de poids lourds, soit affectée à leurs infrastructures - ce qui paraît tout à fait logique - et non à d'autres usages.
Alors que vous souhaitiez développer les transports publics, développer la mobilité douce, soit ! Mais pas avec la taxe poids lourds. Vous n'avez qu'à voter les sommes nécessaires au budget de l'Etat si vous le souhaitez, mais il y a en l'occurrence un manque de logique à prendre dans la poche de Paul pour donner à Pierre. Nous vous invitons par conséquent à voter ce projet de loi, qui se justifie parfaitement.
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, pour l'Union démocratique du centre, nous sommes une fois de plus en présence d'un détournement, qui semble avoir l'aval de tous: le détournement d'une redevance qui était prévue pour les poids lourds. Oui, vous avez raison, Monsieur Burgermeister: les poids lourds, ça pollue. Oui, ils défoncent un peu les routes. Oui, il faut de l'entretien. Raisons pour lesquelles on a instauré la RPLP.
J'observe que vous voulez que tout passe maintenant par le ferroviaire. C'est très bien. Mais si le rail doit prendre une grande partie du trafic des poids lourds, il faudrait que cette volonté soit aussi manifeste au-delà de nos frontières. Ça ne semble pas être le cas: on voit par exemple que l'Italie refuse d'entamer les travaux d'un tunnel ferroviaire.
Mesdames et Messieurs les députés, il faut être sérieux: quand des taxes sont mises en place, on les utilise conformément à ce pour quoi elles ont été mises en place. Ou bien - ayons le courage de le dire - on les supprime ! Ah, quelle horreur ! Qu'ai-je dit là: supprimer une taxe ! Une rentrée de moins ! Mesdames et Messieurs des bancs de la gauche, je pense que votre interprétation n'est pas correcte. Pour ces raisons, à l'Union démocratique du centre, s'agissant de la RPLP et de l'utilisation qui doit réellement en être faite - ce pour quoi elle est perçue - nous soutiendrons ce projet de loi. Merci.
M. Alberto Velasco (S). Tout le monde est d'accord qu'il faut sauver la planète, mais quand il s'agit d'adopter une petite mesure, on voit tout de suite deux camps se dessiner ! Vous savez très bien, Mesdames et Messieurs, que les poids lourds non seulement endommagent les routes, etc., mais qu'ils polluent ! Ils polluent gravement l'air, ils polluent gravement la planète. C'est clair et net ! Et si donc on prélève effectivement une taxe, celle-ci doit être affectée à des actions limitant les dégâts causés par ces poids lourds, notamment les dégâts à l'air et à la nature. Nous, les socialistes, nous refuserons par conséquent ce projet de loi. Voilà !
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de minorité. Pour revenir sur les propos de M. Velasco, ce n'est pas en construisant le CEVA qu'on sauvera la planète, au contraire. Au contraire ! Avec cet objet, il s'agit justement de limiter les dégâts du trafic des poids lourds par des mesures compensatoires. Cet argent doit être affecté à cela et non être détourné pour assurer la gestion de projets périlleux, de projets mal conçus pour lesquels on n'a pas trouvé de moyens financiers suffisants. Il faut véritablement que l'argent aille là où il doit aller pour régler les problèmes causés par le trafic des poids lourds. C'est ce que devrait faire le canton de Genève et c'est ce que propose ce projet de loi. Nous devons également avoir une politique qui soit au service des Genevois, au service des besoins de la population, et non pas détourner des fonds, détourner des montants considérables de leur attribution normale, parce qu'on n'arrive pas à boucler un budget - un budget qui est celui du CEVA, qui va devenir un puits sans fond.
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le rapporteur de majorité l'a excellemment dit: ce projet de loi n'a plus de raison d'être puisque le Conseil d'Etat s'est engagé, en 2015, à aller dans le sens souhaité par les auteurs de ce texte - les auteurs initiaux et celui qui l'a repris. A la faveur de ce débat, un certain nombre d'arguments relatifs notamment au CEVA ressortent. Il n'est pourtant plus question de savoir si celui-ci va être construit ou pas: il va bientôt être mis en service, dans quelques mois, et il faut s'en réjouir. Quand j'entends encore qualifier ce projet de catastrophe, je me réjouis de son inauguration pour que chacune et chacun puisse constater que, s'il y a lieu de dire quelque chose à son propos, c'est: pourquoi est-ce qu'on ne l'a pas réalisé bien plus tôt ? Ça, c'est le premier élément.
Quant au deuxième élément, on semble s'émouvoir de l'utilisation qui va être faite de la RPLP dès lors que cet argent ne sera plus nécessaire à l'affectation qui lui a été dévolue au cours de ces dernières années. Eh bien le Conseil d'Etat a été très précis: il entend utiliser ces fonds selon les dispositions légales en vigueur. Le produit net de cette RPLP est défini par la loi, et il sera donc imputé à des projets routiers. Mais je me permets de rappeler que les projets routiers, de par leur définition même, comportent également des pistes cyclables ! J'imagine par conséquent que l'affectation pourrait être faite de manière tout à fait équilibrée pour des projets routiers, mais qui comprendront également des aménagements pour les vélos. Merci de votre attention.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Avant de passer au vote, je salue la présence dans la salle de Mme Angelova, professeure, et de Mme Zaja, de l'Université Saints-Cyrille-et-Méthode de Skopje, en Macédoine du Nord. (Applaudissements.) Nous sommes maintenant en procédure de vote et je soumets à votre approbation l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 10872-R est rejeté en premier débat par 79 non contre 18 oui.