République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 25 janvier 2019 à 18h10
2e législature - 1re année - 8e session - 48e séance
M 2347-A
Débat
Le président. Nous abordons notre prochain objet en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à M. Christo Ivanov.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion, sortie de la commission du logement, vise à réguler la mise à disposition d'hébergements par le biais de plateformes de type Airbnb et à informer sur cela. Ceci est un voeu pieux. En effet, lors des auditions, il est apparu un certain nombre de problèmes liés à la location et à la sous-location. Quid des changements d'affectation ? Quid d'un propriétaire en troisième zone ordinaire qui souhaite utiliser son appartement dans le cadre exclusif d'Airbnb ? Il y a ensuite la problématique de la limite des soixante jours déterminante pour apprécier le caractère professionnel de l'activité, ce point étant lié au précédent. L'application de la LTour, la loi sur le tourisme, entre aussi en ligne de compte: il s'agit de l'équité de traitement pour la taxe de séjour, que les hôteliers paient dès la première nuit. Je rappelle que la sous-location est interdite dans les logements au bénéfice de prestations publiques LGL et LUP, sous peine de résiliation de bail. Si on dépasse le fameux délai des soixante jours, il y a donc infraction. Or, l'aveu du département est le suivant - c'est à la page 10 du rapport, je cite: «Le département n'a pas les ressources pour aller contrôler les appartements. Il ne pourra pas envoyer des inspecteurs. Les contrôles se feront sur dénonciation ou sur constat. La stratégie est de capturer les "gros poissons".»
Cette proposition de motion est une fausse bonne idée. C'est au département de faire appliquer la loi et d'exercer les contrôles nécessaires. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission du logement vous demande de refuser ce texte.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. La parole échoit maintenant à Mme le rapporteur de minorité, Mme Caroline Marti.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de minorité. Mme la rapporteure ! Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, on constate à Genève comme ailleurs une augmentation du nombre de logements loués par le biais de la plateforme Airbnb ou d'autres sites de ce genre, ce qui conduit à une diminution du parc locatif qui doit servir à loger la population. Cette situation nous amène à tirer la sonnette d'alarme, comme l'ont fait les motionnaires et comme l'ont fait de nombreuses autres villes en Europe et dans le monde, notamment Berlin, Paris, New York ou San Francisco, qui ont mis en place des mesures de restriction ou d'interdiction.
Il est peut-être nécessaire de rappeler encore une fois que nous sommes dans une situation de grave pénurie de logements, qui conduit à une hausse des loyers, à des situations graves de «mal-logement» ou à la nécessité pour certains d'aller habiter en dehors de nos frontières cantonales. Parallèlement, la plateforme de location Airbnb recense plus de trois mille objets immobiliers offerts à la location, dont 60% sont un logement entier: vous imaginez bien que quand on met en location un logement entier, ce n'est pas pour que la famille ou le ménage qui y vivent puissent continuer à y loger; c'est donc bien un objet qui est sorti du marché du logement. De plus, 38% des biens immobiliers mis en ligne sur Airbnb le sont pour plus de soixante jours par an. Ce bref constat nous amène à nous rendre compte qu'il ne s'agit plus d'une situation conforme à l'idée d'origine, à l'innovation imaginée, soit une simple location entre particuliers pendant les vacances ou pendant une période où l'on vit temporairement à l'étranger. Non, c'est un marché investi par des agences de location professionnelles qui le font dans une logique de profit et qui soustraient à long terme ces appartements non seulement à la location mais aussi aux normes légales qui s'appliquent en matière et de logement et d'hôtellerie.
On a quand même pu constater suite au dépôt de ce texte une prise de conscience collective de ce problème, et le Conseil d'Etat est arrivé avec des propositions de modifications législatives, certes d'ordre réglementaire, notamment la limitation de la mise en location d'appartements sur les plateformes de type Airbnb à soixante jours par année. En l'occurrence, une décision de justice a cassé cette proposition d'un maximum de soixante jours et l'a repoussé à nonante. Les autres propositions du Conseil d'Etat étaient de faire respecter le cadre légal fédéral et cantonal - ça paraît la moindre des choses - de s'assurer que la taxe de séjour soit perçue pour ce type de location et d'informer les propriétaires des logements et les locataires de ceux-ci des contraintes légales qui encadrent ce marché.
Cela étant, la minorité de la commission du logement regrette le déficit d'un réel contrôle de ce nouveau dispositif et s'en inquiète. En commission, le magistrat, M. Hodgers, a expliqué que «le contrôle se fait par le réseau d'acteurs (voisinages, régies, associations de défense des locataires, etc.). Le département n'a pas les ressources pour aller contrôler les appartements. Il ne pourra pas envoyer des inspecteurs. Les contrôles se feront sur dénonciation ou sur constat». Le rapporteur de majorité l'a aussi relevé. Or, on peut craindre que sans contrôle, on ne parvienne pas à encadrer cette pratique et qu'une partie des logements genevois soit massivement soustraite à la location. C'est dans ce souci et dans le but d'éviter cela que les motionnaires et la minorité de la commission ont souhaité maintenir le texte malgré les dispositions prises par le Conseil d'Etat et vous invitent à l'adopter. Je vous remercie.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Au nom du parti démocrate-chrétien, je demande le renvoi en commission de cette proposition de motion. Je vais vous dire pourquoi, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés. Depuis quelque temps, il est avéré que les sites de type Airbnb peuvent être des facilitateurs, des vecteurs de traite des êtres humains dans le domaine de la prostitution forcée. Un propriétaire, un locataire évidemment non subventionné ne savent pas qu'ils ont pu louer leur bien à un réseau de prostitution pour quelques jours, quelques semaines, et que les personnes qui y logent peuvent être victimes de prostitution forcée. Pour toutes ces raisons, je pense qu'il est utile de renvoyer cet objet en commission, afin d'auditionner notamment la police, qui, on le sait, est exemplaire à Genève dans ce domaine, et peut-être encore d'autres intervenants. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame. J'invite l'assemblée à se prononcer sur cette demande.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2347 à la commission du logement est adopté par 77 oui contre 15 non.