République et canton de Genève

Grand Conseil

Chargement en cours ...

M 2329-A
Rapport de la commission de l'énergie et des Services industriels de Genève chargée d'étudier la proposition de motion de Mme et M. Alberto Velasco, Lydia Schneider Hausser : Rachat par EOS des barrages et centrales hydrauliques mis en vente par la société Alpiq
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 11 et 12 mai 2017.
Rapport de M. Christian Flury (MCG)

Débat

Présidence de M. Jean Romain, président

Le président. Le point suivant de notre ordre du jour est la M 2329-A que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Je passe immédiatement la parole au rapporteur, M. Christian Flury.

M. Christian Flury (MCG), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Cette motion sur le rachat par EOS des installations hydrauliques mises en vente par Alpiq date quelque peu, puisque le rapport a été rendu en avril 2017. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, au siècle dernier, de belles vallées de nos cantons alpins ont été sacrifiées sur l'autel de la révolution électrique. Beaucoup d'ouvriers ont perdu la vie, des hameaux et des alpages ont été noyés lors de la construction des fleurons de cette révolution que constituent les barrages.

Dans un marché européen totalement dérégulé, la production de courant électrique à base d'hydraulique est déficitaire. Le prix du kilowatt hydraulique helvétique est de l'ordre de 6 centimes, tandis que celui du kilowatt importé varie entre 3 et 4 centimes. Ces bas prix s'expliquent par les aides dont bénéficient les centrales éoliennes étrangères, l'absence de taxe européenne sur le charbon ainsi que l'importation bon marché de charbon ou de gaz de schiste américain. Une grande partie de l'électricité que nous consommons est donc importée, ce qui fait que nos centrales alpines ne fournissent plus qu'un courant d'appoint.

Lors d'une visite de la centrale de Bieudron, les membres de la commission de l'énergie et des Services industriels de Genève ont constaté que dans ce temple de l'électricité, une seule des turbines fonctionnait, et à environ 10% de sa capacité, tout le reste étant régulé par EOS; la majeure partie du courant est donc approvisionnée par des fournisseurs étrangers. En l'état, nos installations ne sont malheureusement plus rentables. Afin de nous libérer de l'énergie nucléaire et de poursuivre la mise en place de la stratégie énergétique 2050, nous devons pérenniser notre production d'électricité.

Les Services industriels de Genève sont détenteurs de 23% des parts d'EOS, ce qui représente 3% d'Alpiq, elle-même soumise aux fluctuations du marché. Via une sub-holding, Alpiq met en vente des participations d'une société dans laquelle elle est minoritaire. Nous sommes d'avis qu'il ne faut absolument pas investir dans cette sub-holding, ce serait une décision à perte. De leur côté, les SIG étaient d'accord de racheter des participations, mais pas via une sub-holding servant d'intermédiaire, comme le veut Alpiq. En réalité, celle-ci ne servirait qu'à éponger les dettes d'Alpiq.

Après discussion, les commissaires ont adopté l'invite suivante: «à intervenir ces prochains mois auprès des autres actionnaires afin qu'EOS Holding analyse l'opportunité de se porter acquéreur des participations dans les sociétés qui détiennent les concessions d'exploitation des barrages qui pourraient être mis en vente ces prochains mois ou années». Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la majorité de la commission de l'énergie vous invite à soutenir la motion 2329 telle que sortie de commission. Je vous remercie.

M. Alberto Velasco (S). En effet, le rapport sur cette motion a été rendu en 2017, la motion date de bien avant. C'était à l'époque où il était question qu'Alpiq vende une partie de ses installations. Or, Mesdames et Messieurs, ces barrages ont été construits pour fournir de l'énergie aux divers cantons et à leur industrie. Il n'était pas question d'en retirer de l'argent, mais des kilowatts ! Comme l'a dit le rapporteur, on en a payé le prix en vies humaines, en vallées inondées. Ces équipements constituent ce qu'on appelle - je le répète, comme précédemment - des biens d'intérêt public ! D'intérêt public !

Malheureusement, ces centrales hydrauliques ne sont plus d'intérêt public, mais d'intérêt commercial, et c'est grave. Comment est-ce possible que des barrages qui étaient stratégiques pour notre pays, qui ont été érigés au prix de vies humaines soient passés dans le domaine privé ? Ils étaient propriété des cantons à travers EOS, et c'est maintenant Alpiq, société anonyme, qui peut décider de les vendre au prix du marché. C'est inadmissible à une époque où l'énergie hydraulique revêt justement une importance capitale.

Alors même qu'aujourd'hui, à Davos, on parle du climat, de sauver la planète - d'ailleurs, ce n'est pas la planète qu'il faut sauver, mais les êtres humains, c'est différent, la planète continuera à exister - il était question au moment du dépôt de cette motion de nous défaire d'installations dont l'énergie ne produit pas de pollution ni de CO2 et contribue à protéger la planète. C'est incompréhensible, Mesdames et Messieurs, que des barrages qui nous ont appartenu, qui ont appartenu au canton de Genève, comme la Grande Dixence qui est un monument du point de vue hydraulique, un monument du point de vue énergétique, un monument du point de vue environnemental, soient maintenant mis sur le marché. C'est hallucinant !

Le pire, c'est qu'il n'y a eu personne à Genève ou en Suisse pour racheter ces centrales ! Exactement comme pour Swissair à l'époque, Mesdames et Messieurs, qui était pourtant un fleuron de l'aviation helvétique. Personne n'est venu sauver cette compagnie et personne n'est venu sauver nos installations hydrauliques. Par contre, quand l'UBS était en difficulté, souvenez-vous, alors là, pas de problème, on l'a sortie du pétrin, mais personne n'est jamais venu racheter nos barrages ou Swissair. C'est dramatique ! Or, Mesdames et Messieurs, la même situation peut se reproduire demain, et c'est la raison pour laquelle je vous demande de soutenir cette motion. Merci. (Quelques applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Puis-je vous suggérer de laisser votre micro tranquille et de ne pas le tordre dans tous les sens ? Il vous sera ainsi d'un long et bon usage. La parole échoit maintenant à M. Olivier Cerutti.

M. Olivier Cerutti (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, le rachat par EOS des centrales hydrauliques mises en vente par Alpiq constitue une question émotionnelle, une question identitaire pour la Suisse. Chaque citoyen de notre pays est attaché à ces barrages, nous avons tous fait une course d'école à un moment donné de notre vie d'enfant pour découvrir ce patrimoine industriel.

Lors de sa séance du 10 juin 2016, la commission de l'énergie a auditionné M. Wider, l'un des CEO d'Alpiq à l'époque, qui nous a expliqué les deux raisons pour lesquelles il n'avait pas envie de se séparer de ces barrages pour l'instant. Tout d'abord, il faut rappeler qu'il existe des droits de préemption très importants, notamment pour des communes suisses alémaniques. Ces droits de préemption pourraient vite être valorisés par les gens à des prix qui seraient plus bas. Ensuite, le jour où on vend, eh bien on aura des pertes de valeur au niveau de notre portefeuille. Nous perdrons alors notre capacité à être l'une des principales sociétés distributrices de Suisse, comme c'est le cas aujourd'hui, puisque nous sommes propriétaires à hauteur de 3% au travers d'EOS, ainsi que l'a relevé M. Velasco.

Aujourd'hui, le marché est complexe. Nous sommes face à des clients captifs et à des clients privés. La libéralisation du marché ne s'est pas faite pour les clients captifs. Le coût de l'énergie électrique est excessivement bas en Europe, mais il ne s'agit pas forcément d'une énergie de qualité: voyez l'Allemagne qui produit de l'électricité avec du charbon, ce n'est pas une énergie propre en raison du dégagement de CO2. Produire de l'électricité à 6 centimes au travers de nos centrales alors qu'on en reçoit pour 3,5 reste une prouesse difficile à réaliser, même pour la société Alpiq.

Nos barrages constituent des investissements sur le très long terme, Mesdames et Messieurs. Je pense qu'au moment où M. Velasco lisait l'article du «Temps» sur ce sujet, le danger existait; à l'heure actuelle, il n'existe plus. Toutefois, il vaut la peine de maintenir une pression politique pour montrer à quel point nous tenons à notre patrimoine industriel qui est le fleuron de la Suisse. Je propose donc qu'on vote cette motion. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole va maintenant à M. Marc Falquet.

M. Stéphane Florey. Enfin la vérité !

M. Marc Falquet (UDC). Oui, la vérité sort de la bouche de l'UDC ! Il faut en effet rendre hommage à ces barrages qui nous ont fourni de l'énergie pendant des dizaines d'années...

Le président. Monsieur Falquet, pouvez-vous parler un tout petit peu plus fort, s'il vous plaît ? On a de la peine à vous entendre.

M. Marc Falquet. Oui, d'accord. Je disais donc: rendons hommage à nos barrages qui nous ont servi pendant des dizaines d'années, qui nous ont fourni de l'électricité, qui ont donné du travail et qui font effectivement partie du patrimoine.

Pour le reste, l'UDC avait refusé la motion en commission - c'est donc une faible majorité qui avait décidé de la renvoyer au Conseil d'Etat - considérant qu'il ne fallait pas perdre de temps avec cette question et laisser le conseil d'administration des SIG s'en occuper. Merci.

M. Georges Vuillod (PLR). Le PLR ne soutiendra pas cette motion. Bien que nous puissions comprendre l'inquiétude des motionnaires, ce sujet concerne soit les SIG qui doivent déterminer s'ils y trouvent un intérêt économique et, cas échéant, décider d'un investissement, soit la Confédération qui, dans le cadre de la stratégie énergétique 2050, doit faire une pesée d'intérêts en ce qui concerne sa planification.

Je précise pour le surplus que l'on ne vendrait pas les barrages, mais éventuellement les droits d'exploitation pendant une certaine durée, l'activité ainsi que l'énergie produite resteraient donc sur notre territoire. Pour ces raisons, nous ne voterons pas cette motion. Je vous remercie.

M. Christian Bavarel (Ve), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, dans le cadre de la production d'énergie renouvelable, les barrages font partie d'un dispositif extrêmement important pour nous, en Suisse - tant qu'il y aura des glaciers, du moins. Il faut que le marché se régule, c'est vrai, mais à force de jouer et de spéculer autour de l'énergie, on finit par adopter des comportements aberrants pour des questions purement financières. Les Verts, bien évidemment, préfèrent que la production énergétique ne nous échappe pas, et surtout pas de la manière surprenante dont ça s'est passé ces dernières années. La Suisse est riche, riche de son or bleu, riche de ses barrages que nous devons garder en mains locales.

Je rappelle que l'invite votée à la fin des travaux de commission engage le Conseil d'Etat «à intervenir ces prochains mois auprès des autres actionnaires afin qu'EOS Holding analyse l'opportunité de se porter acquéreur [...]». Vous voyez les précautions qui ont été prises ! Il ne s'agit pas d'imposer une action brutale qui contraindrait les SIG de manière préjudiciable, mais d'analyser la situation pour déterminer comment les choses se sont passées sur un marché de l'énergie devenu extrêmement agressif. Nous, les Verts, pensons que cette invite est plus que raisonnable et il nous semble impératif d'accepter cette motion. Merci.

M. François Baertschi (MCG). Pour le MCG, nous devons impérativement garder notre futur en main, nous devons conserver notre souveraineté énergétique. Quoi de plus symbolique que les barrages, quoi de plus essentiel et de plus prometteur pour l'avenir que ces installations hydrauliques ? L'électricité ne doit pas s'écouler sur un marché mondialisé, mais être produite le plus localement possible, dans une dynamique de proximité, et non pas dans une optique de marchandisation de l'énergie. Le canton de Genève s'est laissé déposséder - d'abord au travers d'EOS, puis d'Alpiq - des participations directes qu'il détenait dans de nombreux barrages, en particulier en Valais. Nous le déplorons, et il s'agit maintenant de revenir à la raison, de ne plus aller dans cette direction qui est funeste sur le long terme.

Il faut arrêter de dire qu'on veut protéger le climat et agir, arrêter de tenir de grands discours et agir de manière concrète. Naturellement, ce texte n'est qu'une motion, prudente par-dessus le marché - tant mieux, ça incitera peut-être un plus grand nombre de députés à la soutenir - mais nous devons impérativement aller dans cette direction. Si on regarde l'avenir tel qu'il se présente, on peut l'imaginer dangereux, obscur, difficile, et on doit mettre toutes les chances de notre côté, il faut donner le maximum de chances à Genève. C'est pour cette raison que le MCG, Mesdames et Messieurs, qui se bat pour la proximité, pour la priorité à Genève, pour la priorité aux citoyens genevois, vous demande de voter cette motion.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, je lance la procédure de vote.

Mise aux voix, la motion 2329 (nouvel intitulé) est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 52 oui contre 43 non et 1 abstention.

Motion 2329