République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 22 novembre 2018 à 20h30
2e législature - 1re année - 6e session - 34e séance
PL 12367-A
Premier débat
Le président. Nous passons à notre urgence suivante, que nous traiterons en catégorie II, trente minutes. Je cède immédiatement la parole à M. Rolin Wavre.
M. Rolin Wavre (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission des droits politiques a consacré une seule séance à cet objet. Je rappelle qu'il s'agit d'ajouter au serment prêté par les membres du Conseil d'Etat une clause dont je vous donne lecture pour la clarté des débats. (Brouhaha.) «Je jure ou je promets [...] de ne solliciter, ni d'accepter, pour moi ou pour autrui, ni directement, ni indirectement»... (Brouhaha.)
Le président. Une seconde, s'il vous plaît. Il y a beaucoup trop de bruit ! On avance bien plus vite et de manière bien moins confuse si on écoute ceux qui parlent. (Le silence revient.) Je vous remercie et je repasse la parole à M. Wavre.
M. Rolin Wavre. Merci, Monsieur le président. Je recommence: «de ne solliciter, ni d'accepter, pour moi ou pour autrui, ni directement, ni indirectement, aucun don, avantage ou promesse en raison de ma fonction et de ma situation officielle». Mesdames et Messieurs, cet ajout ressemble à la formule prononcée par les magistrats du pouvoir judiciaire et n'est donc pas totalement étranger aux oreilles genevoises. J'ai relevé lors des prestations de serment que nous avons eues à 20h30 les termes de «présent», «faveur» et «promesse». Mais le fait que cet objet soit visiblement inspiré par une affaire précise, qui occupe actuellement les gazettes, a semblé particulièrement opportuniste à une grande partie de la commission. Il fait un peu penser aux modifications législatives initiées en son temps par le président Nicolas Sarkozy, souvent inspirées par un fait divers.
Cette clause ne fait pas partie du serment des députés, ce qui est logique. Il serait en effet difficile de définir ce qu'est un avantage. Un parlement de milice est forcément représentatif de milieux intéressés à l'action des députés de tout bord, et certains sont même salariés de ces milieux.
La disposition transitoire exigeant que le Conseil d'Etat en fonction prête à nouveau serment dans un délai d'un mois selon la formule proposée dans le projet de loi - retirée par un amendement que vous avez reçu ce jour - a semblé étrange et a largement déplu à la majorité de la commission. Elle était d'ailleurs douteuse au vu du principe de la non-rétroactivité.
Présenter cet ajout comme relevant de la «salubrité publique», selon l'exposé des motifs, a quelque chose de choquant. Les plus bienveillants d'entre nous - et d'entre vous - pourront attribuer cette formulation au tempérament du député Vanek, auteur du projet de loi et rapporteur de minorité.
La majorité a considéré que le pouvoir de décision d'un juge était nettement plus personnel que celui d'un conseiller d'Etat, puisqu'il est souvent appelé à décider seul de l'issue d'un litige. Dans ce sens, la différence de serment se justifie aux yeux de la commission. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous recommande de refuser ce projet de loi.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs, mon voisin a parlé de fait divers, disant que ce projet de loi aurait été inspiré par un fait divers. Vous savez toutes et tous qu'il ne s'agit pas d'un fait divers mais de l'affaire Maudet, dont je ne saurais résumer que le quart du tiers du cinquième du huitième dans les trois minutes que j'ai à disposition pour vous parler ! Ce n'est pas un fait divers, c'est une crise; une succession d'événements qui crée une crise politique dans cette république ! Cette crise a une dimension morale, et il est réellement problématique qu'on vienne nous dire: «Il n'y a pas de problème ! Circulez, il n'y a rien à voir !»
Avec ce projet de loi, nous bouchons un trou. Nous bouchons un trou dans le serment du Conseil d'Etat: comme l'a dit Rolin Wavre, nous demandons simplement que les conseillers d'Etat jurent ou promettent solennellement de ne solliciter, ni d'accepter, pour eux-mêmes ou pour autrui, ni directement, ni indirectement, aucun don, avantage ou promesse en raison de leur fonction et de leur situation officielle. Ceux qui sont favorables à ce que ce précepte s'applique aux membres du gouvernement, comme les autres éléments du serment - ils promettent de respecter la constitution, de maintenir l'indépendance et l'honneur de la république, d'être assidus aux séances, etc. - doivent voter ce projet de loi ! On m'a fait des objections sur la rétroactivité, on m'a dit que ce n'était pas correct: je supprime bien volontiers la disposition transitoire.
Il est insupportable qu'il y ait des règles qui s'appliquent aux petits mais pas aux grands, aux gens qui travaillent mais pas aux chefs. Or s'il est vrai qu'il y a une référence au serment des juges, l'article 25 du règlement qui régit le personnel de l'administration et des établissements publics de cette république dit aussi qu'«il est interdit aux membres du personnel», soit à tous ceux qui, quelque part, travaillent sous les ordres du Conseil d'Etat, «de solliciter ou d'accepter pour eux-mêmes, ou pour autrui, des dons ou d'autres avantages». On ne fait que demander l'égalité de traitement entre ce qui est imposé à ceux d'en bas et les règles que s'engagent à respecter ceux d'en haut.
On nous a dit que les juges, c'était autre chose. Un député PLR que je ne nommerai pas a considéré que ça allait bien pour la formule de serment d'un juge qui promet, je cite le PV, «de n'écouter, enfin, aucune sollicitation et de ne recevoir, ni directement ni indirectement, aucun présent, aucune faveur, aucune promesse à l'occasion de [ses] fonctions». Il a dit que c'était adéquat, mais il a affirmé qu'il en allait tout autrement pour le Conseil d'Etat en disant que la formule rappelle qu'on n'achète pas un juge, mais qu'il en va tout autrement du Conseil d'Etat ! J'espère que ce n'est pas vrai.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai été interpellé, frappé, par une citation de Pierre Bourdieu qui dit que «dans l'intervalle de temps qui sépare don et contre-don, le donataire entre dans la dépendance du donateur, devient son obligé». Je dois dire que cette citation éclaire à mon avis la nécessité d'adopter la modification du serment des magistrats. Au-delà des questions de corruption et d'acceptation d'un avantage, qui sont des notions juridiques assez difficiles à prouver et s'appliquent vraiment à la situation où on donne quelque chose pour obtenir quelque chose, on se rend bien compte qu'il y a aujourd'hui toute une série d'autres situations dans lesquelles les conseillers d'Etat peuvent recevoir un cadeau, une invitation à aller voir un concert ou un repas au restaurant. Et les magistrats deviennent, sans même forcément le vouloir, sans même forcément le savoir, sans même forcément en avoir conscience, les obligés de la personne qui leur a offert ce cadeau.
On a pu constater cette absence de conscience en lisant dans les journaux certaines interviews de conseillers d'Etat qui ont dit: «Une fois, je me suis effectivement senti bizarre, parce que j'étais invité dans une villa et tout à coup je me suis demandé: mais si je n'étais pas conseiller d'Etat, est-ce que je serais aussi invité ? Et puis un jour, on me demande finalement quelque chose; je ne le donne pas et on me dit que, quand même, il y a eu une invitation !» Il est nécessaire, impératif, Mesdames et Messieurs les députés, que nos magistrats ne soient les jouets de personne ! Et pour qu'ils ne soient les jouets de personne, il n'y a qu'une solution: qu'ils n'acceptent aucun cadeau. Il est indispensable qu'ils aient l'obligation de n'en accepter aucun et que la population genevoise sache que lorsqu'on fait un cadeau à un conseiller d'Etat, c'est un cadeau empoisonné qui ruinera sa carrière ! Il faut que cela se sache, il faut que cela se fasse ! Ensemble à Gauche vous invite à accepter ce projet de loi tout en précisant qu'un autre texte est dans le pipeline, si vous me passez l'expression: le PL 12368. Ce texte vise à modifier la LECO pour qu'il n'y ait pas seulement une modification du serment mais également une modification de la loi et que celle-ci interdise au Conseil d'Etat d'accepter des cadeaux. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés. (Applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, comment trier le bon grain de l'ivraie quand on sombre dans la précipitation ? Je n'oserai pas dire que les propos tenus par M. Pierre Vanek sont indécents, à côté de la plaque. Pas du tout ! Disons peut-être juste que le projet de loi est prématuré. L'UDC était une des premières à trouver paradoxal ce qui s'est passé. Qu'on le nomme fait divers ou autre, ce n'est pas le problème. Le problème, c'est que bien des choses se sont passées depuis que nous avons étudié le projet de loi à la commission des droits politiques. Pour le moment, la position de l'Union démocratique du centre est de dire qu'il faut attendre les conclusions de la justice. Le législateur aura à ce moment-là tout le loisir et l'opportunité, en fonction de conclusions avérées - que personne ne contestera, j'espère - de modifier la législation. Il y a certainement des manquements, mais n'en faisons pas pour le moment une vindicte personnelle, pour nous faire plaisir et faire de la politique. Soyons conséquents, soyons corrects: nous sommes des législateurs et non des exécuteurs - testamentaires ou autres. L'UDC refusera donc ce projet de loi. Merci, Monsieur le président.
M. Pierre Eckert (Ve). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, nous avons étudié ce projet de loi à la commission des droits politiques et nous ne nous sommes pas vraiment appuyés sur cette affaire particulière. Nous avons constaté qu'il y avait un vide puisque les conseillers d'Etat ne sont pas du tout soumis à une règle sur l'acceptation de cadeaux. Comme nous n'avons pas la possibilité - le pouvoir - d'introduire une règle sur le Conseil d'Etat, nous avons pensé introduire une règle à travers le serment que prêtent les magistrats, et c'est la proposition d'Ensemble à Gauche. Ça nous a paru légitime. Nous avons également discuté pendant un moment de ce que cela signifie de n'accepter aucun avantage, et il est clair qu'une limitation totale est difficile à mettre en place.
Je voulais aussi dire à M. Wavre qu'il n'est pas du tout question ici de considérer les députés. Les députés, c'est une autre question, ils ont un autre statut: ce ne sont pas des professionnels de la politique. Ce projet de loi s'adresse uniquement aux conseillers d'Etat - j'aimerais le répéter: uniquement aux conseillers d'Etat. Nous avons parlé des avantages et nous avons été rassurés par le fait qu'on peut en recevoir un certain nombre, comme peut-être un repas, pour ce qui reste dans les limites du raisonnable. Etant rassuré sur la question, je vous propose, avec les Verts, d'accepter ce projet de loi.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, à plusieurs reprises, la tentation a été grande dans ce parlement de faire des lois spéciales, comme la lex Stauffer. Aujourd'hui, il y a une certaine émotion, prétexte pour faire la loi Maudet. Et on sait bien que dans l'émotion, certains ne sont pas loin d'actionner la guillotine ! Beaucoup se prennent pour Torquemada - nous vivons une bien curieuse période - mais c'est aux yeux du parti démocrate-chrétien une vaste récupération politique malsaine, et le parti démocrate-chrétien ne mange pas de ce pain-là. C'est donc non, non et non à ce genre de loi ! Je vous remercie.
M. Diego Esteban (S). J'aimerais répondre à Mme Anne Marie von Arx-Vernon - vous transmettrez, Monsieur le président - que parfois les cas particuliers nous révèlent les lacunes qui existent dans notre système et qui appellent une réaction. Ici, la réaction prend la forme d'une modification d'un serment. Ce serment n'a rien de juridiquement contraignant: il s'agit d'un engagement symbolique à respecter une série de principes éthiques considérés comme fondamentaux pour la charge de conseillère ou de conseiller d'Etat. Ces principes éthiques, nous y adhérons et nous les appliquons à 99% des personnes présentes dans cette salle - c'est une très bonne chose. Malheureusement, certains critères importants qui semblent évidents pour les uns ne le sont pas forcément pour les autres. C'est pourquoi le projet de loi qui vous est soumis ce soir a dû être déposé. Pour toutes ces raisons, le parti socialiste vous recommande d'entrer en matière sur ce projet de loi. Merci. (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). Pour le MCG, affairisme et politique n'ont rien à faire ensemble. Hélas, hélas, nous avons vu ces derniers temps qu'il y a des dérives graves, autant au Conseil administratif de la Ville qu'au Conseil d'Etat. Nous sommes face à des dérives institutionnelles inquiétantes pour l'avenir de Genève, et nous avons là un projet de loi qui nous est soumis. Cette proposition est en soi intéressante et mérite d'être étudiée avec attention, d'être examinée, d'être approuvée, même ! D'être approuvée rapidement, parce qu'il y a urgence ! Il y a urgence face à la dégradation de nos institutions, ce que nous ne pouvons pas tolérer. Comment peut-on accepter que des fonctionnaires soient sanctionnés pour des fautes bénignes et que certains chefs ne reçoivent, eux, aucune sanction ni rien du tout ? Qu'ils n'aient à prendre aucun engagement, qu'ils puissent faire tout et n'importe quoi ? C'est intolérable ! Le chef doit montrer l'exemple; c'est un principe de vie. C'est un principe qui dépasse la gauche et la droite, qui dépasse aussi toutes nos petites différences. C'est pour cela que nous devons être impeccables, et le MCG vous demande de manière insistante de voter ce changement pour que les conseillers d'Etat prennent un engagement nécessaire. Et, je vous le rappelle encore, pour le MCG, cette dérive est inacceptable ! (Quelques applaudissements.)
M. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat peut vivre avec ce projet de loi et peut vivre sans. Il s'agit d'un élément déclaratif: le directeur des affaires juridiques de la chancellerie d'Etat a indiqué en commission qu'il n'a pas de portée légale. Maintenant, je n'aimerais pas que l'on pense, à travers ce débat ou d'autres autour des différentes affaires qui agitent notre petite république, que nos institutions dysfonctionnent - que les fautes, potentielles ou avérées, d'individus qui ont des charges exécutives soient assimilées à des fautes des institutions. Ce n'est pas le cas.
Le Conseil d'Etat est soumis à différentes autorités de surveillance. La vôtre, tout d'abord, à travers la commission de contrôle de gestion - et l'exécutif se pliera à ses demandes, notamment en ce qui concerne la transparence de ses frais de représentation. Les conseillers d'Etat sont soumis, comme tout citoyen, au code pénal, et c'est bien le sens de votre vote récent sur la levée de l'immunité de l'un d'entre eux, suite à une demande du ministère public, en vue de l'action de la justice. La Cour des comptes, enfin, a pu travailler et rendre son rapport. Dans toutes ces affaires, Mesdames et Messieurs, il y a certainement eu des fautes individuelles. Les êtres humains - les hommes et les femmes - ne sont pas parfaits. Mais dans toutes ces affaires, les institutions ont fonctionné.
Les contre-pouvoirs - y compris la presse, que je n'ai pas mentionnée - ont à chaque fois fonctionné dans leur logique et dans la logique des équilibres démocratiques vus selon Montesquieu ou plus largement, puisque, je l'ai évoqué, il y a non seulement la Cour des comptes, mais aussi la presse aujourd'hui. Il n'y a pas que trois pouvoirs; il y en a plus que ça dans notre pays. Donc, à nouveau, nous pouvons vivre avec cette petite modification et nous pouvons vivre sans. L'essentiel n'est pas là: l'essentiel est que nos institutions soient plus fortes que les hommes et les femmes qui les incarnent et occupent les différentes charges que nous savons, et que par là même les prestations à la population puissent être assurées. (Quelques applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons voter sur l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12367 est adopté en premier débat par 49 oui contre 42 non et 1 abstention.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'art. 19, al. 1, lettre e (nouvelle teneur).
Le président. Nous sommes saisis d'un amendement à l'article 234, alinéa 6, qui demande de biffer cet alinéa. Vous en avez déjà parlé, Monsieur le rapporteur, mais vous pouvez dire un mot si vous le souhaitez.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Pour mettre tout le monde sur le même niveau, je proposais que tout le monde prête à nouveau serment selon la nouvelle formule. Ce n'est pas important; cette disposition a suscité des réserves chez certains et je l'ai donc bien volontiers retirée.
Le président. Très bien. Nous votons donc sur l'amendement consistant à biffer l'article 234, alinéa 6.
Mis aux voix, cet amendement (biffage de l'art. 234, al. 6) est adopté par 80 oui contre 2 non et 12 abstentions.
Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que l'art. 2 (souligné).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 12367 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 50 oui contre 41 non et 4 abstentions.