République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 11670-A
Rapport de la commission législative chargée d'étudier le projet de loi de Mme et M. Salika Wenger, Rémy Pagani sur la gestion des Ports Francs et entrepôts de Genève SA
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VI des 21 et 22 septembre 2017.
Rapport de majorité de M. Edouard Cuendet (PLR)
Rapport de minorité de Mme Jocelyne Haller (EAG)

Premier débat

Le président. Mesdames et Messieurs, nous commençons notre ordre du jour avec le PL 11670-A dont le débat est classé en catégorie II, quarante minutes. Je laisse la parole à M. Edouard Cuendet, rapporteur de majorité.

M. Edouard Cuendet (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Ce soir, c'est intéressant, nous avons deux fois affaire à une question de compatibilité avec le droit fédéral. Le premier cas est ce PL 11670 dont le but est de réformer la gestion des Ports Francs et entrepôts de Genève SA: d'une part, il propose de rendre impossible l'aliénation des parts détenues par l'Etat - qui représentent à l'heure actuelle 87% de la société - d'autre part, il concerne la représentation politique au sein du conseil d'administration.

Une fois n'est pas coutume, je vais d'abord rendre hommage à un membre d'Ensemble à Gauche, à savoir la première signataire, Mme Wenger: certes, son texte est totalement illégal, mais il nous a permis de procéder à l'audition de M. David Hiler, président des Ports Francs, qui nous a exposé dans le détail la réforme de la gouvernance des Ports Francs, réforme qu'il a conduite de main de maître - ceux-ci avaient connu plusieurs problèmes. C'était particulièrement intéressant, et je pense qu'il s'agit là du principal intérêt de ce projet de loi.

Pour le reste, nous avons mené d'autres auditions durant lesquelles on nous a clairement expliqué que les Ports Francs sont une société anonyme de droit privé et que le Grand Conseil ne peut pas, via une loi cantonale, contrevenir aux règles du code des obligations. L'examen du texte a créé le malaise jusque dans les rangs des deux signataires, puisque même la rapporteure de minorité était embarrassée. Je cite le rapport: «Une commissaire EAG concède que des problèmes doivent être éclaircis [...]» Eh bien ils ont été éclaircis, et ce projet de loi est illégal. (Rire de Mme Jocelyne Haller.) Cette conclusion a été reconnue par la majorité de la commission qui a refusé l'entrée en matière, Mesdames et Messieurs, ce que je vous propose de confirmer ce soir. Je vous remercie.

Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, M. Cuendet interprète mes propos; s'il est évident qu'un débat était nécessaire sur cette question, les conclusions à tirer ne sont certainement pas celles qu'il a rendues. Assurer le contrôle public d'une entité dont l'Etat est actionnaire à 87%, maintenir ce taux en empêchant l'aliénation des parts de l'Etat, voire tenter de les augmenter en rendant possible la hausse du ratio, instaurer une meilleure transparence, renforcer le contrôle de l'activité des Ports Francs via un rapport annuel, inscrire dans la loi la présence d'un membre par parti représenté au Grand Conseil, telles sont les intentions de ce projet de loi inspiré par l'actualité tapageuse des Ports Francs au moment de son dépôt.

A l'évidence, les mesures introduites ne sont pas de nature à régler tous les problèmes que rencontrent les Ports Francs dont l'activité est, par nature, extrêmement complexe, particulièrement importante et difficile à concilier compte tenu d'une part de la concurrence mondiale entre les différents ports francs, d'autre part d'une certaine opacité dans le fonctionnement de cet organe.

Quant à cristalliser sur le président du conseil d'administration - le nouveau président, à l'époque - toutes les attentes que pourrait avoir ce parlement, c'est faire porter à une seule personne une bien grande responsabilité, comme si nous étions, de notre côté, dispensés d'édicter des lois et de régler un certain nombre de dispositions pour garantir la transparence ainsi qu'un meilleur contrôle. Se dire tout simplement que nous avons là un homme providentiel qui y pourvoira et que ça suffit n'est évidemment pas adéquat, de notre point de vue.

Lors de son audition, M. Hiler a donné la mesure de la complexité du fonctionnement des Ports Francs et des risques de blanchiment ou de trafic de pièces de valeur et autres objets, qu'ils soient de nature artistique ou archéologique. A cet égard, l'Etat doit y porter une attention particulière. M. Hiler a d'ailleurs signalé que l'enjeu actuel ne réside pas dans la législation, mais dans le manque de moyens pour les contrôles; en clair, il n'y a pas assez de douaniers. Il a indiqué avoir porté ce message aux autorités fédérales en octobre 2016, mais compris lors de leur rencontre que dans le contexte actuel, il n'était pas possible d'octroyer davantage de postes. Voilà qui constitue quand même une réponse particulièrement paradoxale; si on l'interprète, ça signifie que pour l'heure, nous ne pouvons pas garantir qu'on applique la loi, ce qui est un aveu d'impuissance particulièrement choquant.

En ce qui concerne la présumée impossibilité légale de prévoir la présence d'un membre par parti représenté au Grand Conseil, il en a beaucoup été question, mais elle n'a pas été prouvée. Or si elle était effective, gageons que les opposants à ce projet de loi ne se seraient pas privés du plaisir de la rappeler en permanence. Ainsi, parce que le contraire ne nous a pas été démontré jusqu'à présent, nous la tenons encore pour possible. C'est pour l'ensemble de ces motifs que la minorité vous propose d'entrer en matière sur ce projet de loi et d'en accepter la teneur.

M. André Pfeffer (UDC). Ce projet de loi est irréaliste et ne peut pas s'appliquer aux Ports Francs. Comme cela a déjà été dit, les Ports Francs sont une société anonyme soumise au droit privé. En détenant 87% du capital d'actions, l'Etat de Genève contrôle déjà l'intégralité de cette entreprise. Plusieurs articles du projet de loi ne sont pas conformes au code des obligations auquel les sociétés anonymes sont pourtant soumises.

Les Ports Francs agissent quasiment comme une entreprise publique et, en plus, interviennent dans un cadre largement réglementé par la législation fédérale. Les contrôles ont déjà été améliorés: si des douaniers manquent, les Ports Francs font appel à des compagnies de surveillance privées, notamment pour le contrôle systématique des antiquités archéologiques. Quant au contrôle des locataires, les Ports Francs ont mandaté une société tierce pour analyser leur fiabilité et leur réputation; en cas de doute, le bail est refusé. La législation liée à la lutte contre le blanchiment est également appliquée. Depuis le 1er janvier 2016, le nom du propriétaire des biens déposés doit impérativement figurer sur les formulaires et documents de la douane. En parallèle, une réglementation internationale contre la fraude fiscale est en discussion et entrera sans doute prochainement en vigueur.

Genève est en concurrence avec le Luxembourg, Monaco, Pékin, Hong Kong et bientôt Shanghaï. Il est essentiel de ne pas renforcer les handicaps de nos Ports Francs ni les entraves à leur fonctionnement. Cette société joue un rôle central pour notre canton en lui offrant une place de premier choix à l'échelle mondiale en ce qui concerne les ventes aux enchères, expositions et autres événements liés à l'art. Encore une fois, elle n'a pas attendu le législateur pour entreprendre des mesures en faveur d'une meilleure maîtrise des objets entreposés et d'une plus grande transparence. Aucun concurrent n'applique de principes aussi stricts que ceux ayant cours aux Ports Francs de Genève. Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs, le groupe UDC vous recommande de rejeter ce projet de loi. Merci de votre attention.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Mesdames et Messieurs, chers collègues, M. Cuendet a fort bien résumé la position de la majorité de la commission qui s'est penchée sur ce projet de loi. L'audition du président du Conseil d'Etat de même que celle du président actuel des Ports Francs ont démontré que l'adoption de ce projet de loi engendrerait forcément des recours pour violation du droit fédéral. Les députés, certes, auraient souhaité un avis de droit; il n'a pas été possible de l'obtenir, mais je crois que les choses étaient suffisamment claires pour refuser l'entrée en matière.

S'agissant de la deuxième proposition, celle d'un représentant par parti au conseil d'administration, nous avons largement débattu de ce principe qui, aux dires même de M. Hiler, président du conseil d'administration, n'apporterait aucune plus-value et rendrait la gouvernance des Ports Francs encore plus compliquée et touffue, en recréant au sein du conseil d'administration les débats politiques que nous avons l'habitude de mener ici - ici où ils ont toute leur place.

J'aimerais enfin préciser que des réformes ont été conduites sous la main - que je devine ferme - de M. Hiler, et j'estime qu'il faut laisser le travail aboutir afin de parvenir à une situation plus saine que celle qui a prévalu il y a quelques années. En fonction de cela, le groupe démocrate-chrétien, Mesdames et Messieurs et chers collègues, vous recommande de rejeter ce projet de loi.

M. Mathias Buschbeck (Ve). Les Verts partagent les préoccupations exprimées par la rapporteure de minorité. J'en ai compté trois qu'il me semble important de relever. La première concerne la participation de l'Etat qui s'élève aujourd'hui à 87%. Il est pour nous essentiel que l'Etat reste largement majoritaire au sein de cette institution, mais nous nous inquiétons peu à ce sujet, car si on voulait un jour aliéner la moindre action, cela passerait automatiquement par un vote du Grand Conseil avec possibilité de référendum.

Ensuite, il y a les aspects de transparence et de contrôle. On l'a vu lors des travaux de commission, les Ports Francs étaient dans la tourmente lors du dépôt de ce projet de loi, et les problèmes ne sont pas tous réglés. Les différents acteurs étaient d'accord pour qu'un rapport plus complet soit présenté à l'Etat. Nous espérons entendre aujourd'hui le magistrat nous confirmer qu'un tel rapport sera à l'avenir transmis au Conseil d'Etat et au Grand Conseil.

Le dernier problème, qui a été moins développé par la rapporteure de minorité mais qui suscite chez nous les plus grandes inquiétudes, c'est celui des effectifs de douane. Le président des Ports Francs l'a dit et même redit, le nombre de douaniers est insuffisant à l'heure actuelle pour qu'on puisse effectuer les contrôles nécessaires afin de s'assurer que les oeuvres stockées aux Ports Francs le soient en toute légalité, ce qui est terriblement préoccupant.

Au sujet de ces deux derniers points - contrôle démocratique par l'Etat et effectifs de douane - nous souhaiterions entendre des propos rassurants de la part du Conseil d'Etat, parce qu'on ne peut pas en rester là. Pour le surplus, on l'a déjà indiqué, il n'est pas possible d'inscrire les différentes dispositions proposées dans la loi, tout simplement parce qu'elles sont illégales. Nous appelons donc à refuser ce projet de loi. Je vous remercie.

M. Murat Julian Alder (PLR). Le groupe PLR tient à remercier l'excellent député Edouard Cuendet pour la qualité de son rapport et de son intervention... (Exclamations.)

Une voix. Chouchou !

M. Murat Julian Alder. Je vois que ça suscite l'enthousiasme et je m'en réjouis. Le député Edouard Cuendet a résumé les raisons procédurales pour lesquelles ce projet de loi ne s'impose pas, le député André Pfeffer de l'UDC a expliqué sur le fond l'intensification des contrôles menée aux Ports Francs au cours des deux dernières années, et le député Jean-Marc Guinchard a indiqué les motifs institutionnels qui doivent nous amener à rejeter ce projet de loi: je me contenterai donc de vous dire ici, Mesdames et Messieurs les députés, que le bon sens commande le rejet de ce texte. Je vous remercie de votre attention.

M. François Baertschi (MCG). Pour le MCG, les Ports Francs constituent un enjeu capital - pour Genève, devrais-je dire, plus que pour le MCG - parce que l'avenir de notre canton y réside aussi. Sans les Ports Francs, en effet, nous n'aurions pas le même dynamisme économique, notamment en ce qui concerne le marché de l'art, il s'agit donc d'un atout que nous devons jouer et continuer à jouer.

Ces dernières années, malheureusement, nous avons traversé un certain nombre de tourmentes parmi lesquelles on peut citer un transfert d'actifs sur nonante ans - nonante ans ! - ce qui est insensé dans un domaine où il y a autant de risques et de difficultés prévisibles. Nous avons encore en souvenir un débat sur la question - en partie avorté, d'ailleurs. Aujourd'hui, il nous faut à tout prix retrouver une stabilité. J'ai toute confiance en M. Hiler qui a déjà fait ses preuves et qui a repris la direction de cette institution essentielle pour Genève, mais il faudra s'atteler à sa pérennisation.

Pour parler plus précisément du projet de loi qui nous occupe ce soir, je relève son aspect positif, à savoir la démocratisation d'une institution phare qui est dirigée et financée de manière conséquente par l'Etat de Genève. Une privatisation ou semi-privatisation, comme elle se pratique souvent, présenterait certes des avantages, mais aussi des risques s'agissant d'une activité qui dépend en grande partie de la Confédération - c'est dire la difficulté de l'exercice. Nous étions intéressés, notamment en commission, à soutenir le projet de loi, mais après réflexion, eu égard notamment aux problèmes juridiques qu'il soulève, nous nous abstiendrons.

M. Cyril Mizrahi (S). Très brièvement, si le groupe socialiste adhère à l'objectif initial de ce projet de loi, il partage aussi un certain nombre de doutes quant aux questions juridiques qu'il soulève et à la manière dont il est rédigé. Nous estimons que le travail n'a pas été mené à fond en commission, ce qui n'est du reste peut-être pas la faute des commissaires.

Au départ, en effet, un avis de droit avait été sollicité, car on ne peut pas juste prétendre comme ça, sur la base de ce que nous ont communiqué les auditionnés, qu'il y a un problème juridique et évacuer complètement le débat, ça ne me paraît pas tout à fait correct. Nous avions donc sollicité un avis de droit de la part de la chancellerie d'abord - c'est ce qui ressort du rapport - qui a indiqué qu'elle n'était pas en mesure de le faire, puis du secrétariat général du Grand Conseil qui a répondu la même chose, et on s'est arrêté là. C'est là que nous voyons un problème.

Pour cette raison, nous estimons que ce projet doit être renvoyé en commission afin que la question juridique y soit examinée correctement. Si cette demande de renvoi est refusée, le groupe socialiste s'abstiendra. Merci.

Le président. Merci, Monsieur le député. Les rapporteurs veulent-ils s'exprimer - uniquement sur le renvoi ? (Remarque.) Je passe la parole à Mme Jocelyne Haller.

Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de minorité. Merci, Monsieur le président. Je trouve dommage qu'on en arrive à cette proposition maintenant, j'aurais souhaité moi aussi qu'on s'attarde beaucoup plus longtemps en commission sur le projet. Mais si d'aucuns ont besoin d'un examen plus approfondi pour adhérer au texte, alors oui, renvoyons-le, ça leur permettra d'adopter une position éclairée.

M. Edouard Cuendet (PLR), rapporteur de majorité. Je trouve cette demande assez piquante de la part du fin juriste qui l'a formulée, qui n'a même pas participé aux travaux... (Remarque.) Ah si, il y a participé, mais la question juridique tombe tellement sous le sens que même un étudiant de première année saurait que, selon le code des obligations, c'est absolument incompatible avec le droit des sociétés anonymes privées, donc il n'y a pas besoin d'avis de droit.

Et l'autre chose qui est assez amusante, c'est que M. Mizrahi - vous transmettrez, Monsieur le président - propose un renvoi en commission non pas pour rejeter le projet de loi, le cas échéant, mais pour s'abstenir ! Voilà qui n'a strictement aucun sens et aucune utilité, et c'est pour ça que je vous invite, Mesdames et Messieurs, à ne pas renvoyer ce texte en commission. La question juridique me paraît évidente, et je vous engage à rejeter la demande de renvoi.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et je lance le vote sur la demande de renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11670 à la commission législative est rejeté par 67 non contre 26 oui.

Le président. Nous poursuivons le débat. La parole est encore sollicitée par Mme Jocelyne Haller.

Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de minorité. Je vous remercie, Monsieur le président. M. Cuendet allègue que la question de la légalité de ce projet de loi est un problème pour étudiant de première année en droit; toujours est-il qu'il n'a pas été capable de faire la preuve de cette impossibilité jusqu'à maintenant.

Cela étant, M. Hiler lui-même a mis en évidence la complexité des risques liés au blanchiment ainsi qu'au trafic d'objets de valeur, il est donc véritablement crucial de revoir la législation relative aux Ports Francs, mais surtout de garantir la transparence et un meilleur contrôle public d'une entité qui, effectivement, brasse des milliards de francs et ne peut pas simplement s'abriter derrière la zone franche pour se développer tout à son aise, en faisant fi de la loi. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs, nous vous appelons encore une fois à soutenir ce projet de loi.

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Tout d'abord, Mesdames et Messieurs les députés, merci d'avoir consacré du temps en commission et en plénière à cette importante institution que sont les Ports Francs, dont on parle peu ou, pour le dire autrement, dont on a beaucoup parlé au début de la législature précédente. Ce projet de loi date d'ailleurs de mai 2015, ce qui correspond peu ou prou à la période où est entré en fonction David Hiler, que le Conseil d'Etat a nommé président du conseil d'administration sur ma proposition, pour accompagner les Ports Francs vers une ère marquée par plus de transparence mais aussi plus de traçabilité.

Trois ans et demi après, je crois pouvoir dire que des progrès substantiels ont été accomplis, notamment grâce à l'évolution de la législation fédérale. En effet, si nous pouvons tous nous accorder sur la nécessité de voir la législation s'améliorer, il faut bien admettre - le député Cuendet l'a indiqué tout à l'heure - qu'il s'agit en l'espèce d'une législation fédérale et que, de ce point de vue là, seules les Chambres fédérales sont habilitées à serrer la vis.

Mais nous pouvons également constater que les Ports Francs ne sont pas restés inactifs et que sous l'impulsion du nouveau président, le conseil d'administration, qui est aussi composé d'actionnaires privés - on a beaucoup évoqué les 87% d'actionnariat de l'Etat, mentionnons brièvement les 13% d'actionnaires privés - a pris toute une série de mesures proactives dans un contexte pourtant complexe. C'est ici le lieu de souligner que si l'Etat est propriétaire des Ports Francs pour une large part, il est également transitaire, locataire, exploitant, autant de casquettes différentes qui rendent souvent difficiles la traçabilité et la transparence.

Dans ce dossier, il faut commencer par rappeler - cela a été fait par le député Pfeffer - que les Ports Francs représentent un enjeu capital pour la place économique genevoise. Vous le savez, dès le Moyen Age, depuis que foires et transactions commerciales se sont intensifiées au long des routes - et Genève se situe au carrefour de plusieurs de ces routes - par exemple dans les domaines de la joaillerie et de l'horlogerie, la conservation et l'échange de pierres précieuses ont constitué des éléments essentiels pour le bon fonctionnement de notre place économique. Oui, les Ports Francs servent notamment à cela.

Mais les Ports Francs donnent aussi lieu, par période - grosso modo, cela change tous les vingt ans - à la financiarisation de certains secteurs d'activité. Aujourd'hui, c'est le marché de l'art: plus de 40% des surfaces de cette institution y sont dévolus, qui rendent possibles à Genève toute une série de transactions. Dans les années 60, c'étaient les véhicules automobiles de collection. Longtemps, mais c'est encore passablement le cas, cela a été les bouteilles; nous avons aux Ports Francs l'une des plus grandes caves au monde: plus de 3000 cols, dont les meilleurs crus de bourgogne et de bordeaux. Je précise que c'est sous clé et strictement gardé, le conseil d'administration n'y a pas accès. Tout cela pour dire que les Ports Francs reflètent aussi l'évolution de la valeur des marchandises au cours des décennies ainsi que l'importance pour notre place économique de les conserver de façon sûre en assurant une stabilité non seulement dans la sécurité mais encore juridique.

C'est la raison pour laquelle je vous confirme ici - c'est un premier élément de réponse au député Buschbeck - qu'il n'est pas question de vendre notre participation. Il aurait pu en être question, Monsieur le député, si d'aventure celles et ceux qui ont déposé ce projet de loi étaient allés au bout de leur réflexion. En effet, les risques liés à la transparence et à la traçabilité existeront toujours si nous restons propriétaire et exploitant, et si on souhaite les éviter, alors il faut se départir de l'actionnariat, complètement.

Par essence, par nature, les Ports Francs ne pourront jamais être totalement transparents; c'est le principe même de la conservation de marchandises de valeur. Cela étant, on doit pouvoir retrouver les ayants droit économiques, par exemple certaines autorités. L'une des évolutions, depuis le 1er janvier 2016, est que le propriétaire des biens est tenu de s'annoncer à la faveur d'un inventaire. Mais un port franc, par définition, conserve une part de secret. Ce n'est pas une boîte noire pour autant, mais si l'on ne veut pas de secret, si on vise une traçabilité totale, une transparence absolue, alors je le répète, Mesdames et Messieurs les députés, il faut abandonner rapidement nos 87% d'actionnariat et vendre les Ports Francs.

Si l'on considère en revanche, comme je viens de le démontrer, qu'il s'agit d'un acteur crucial pour notre place économique, on doit admettre que les Ports Francs fonctionnent selon certaines règles, lesquelles sont déterminées par le législateur fédéral. Depuis 2014, parce que c'est là que remonte la genèse du problème, le Contrôle fédéral des finances a défini un certain nombre de risques. Ces risques ont été diminués par l'action des Ports Francs: une série de contrôles sont mis sur pied, par exemple lorsque l'institution agit elle-même comme transitaire. Vous le savez, si elle met à disposition des espaces pour des transitaires privés, elle peut aussi agir elle-même comme transitaire et, à ce titre-là, remonter un peu plus loin dans la traçabilité auprès des ayants droit économiques. Ces mesures ont été prises à la faveur de ce rapport, Mesdames et Messieurs.

Nous observons par ailleurs que le travail a été fait s'agissant du marché très sensible des oeuvres d'art antiques - l'actualité l'a montré pas plus tard que l'année dernière - et c'est là-dessus que j'aimerais encore rassurer le député Buschbeck: les douanes effectuent des contrôles particulièrement aigus en ce qui concerne les antiquités, à une époque où l'on voit piller des sites historiques en Syrie ou en Irak. L'an dernier, avec l'Université de Genève, nous avons eu le plaisir de remettre à la Turquie un sarcophage qui lui avait été volé au début du siècle précédent. C'est dire si les Ports Francs portent une attention pointue et accomplissent un travail sérieux avec les moyens qui sont les leurs - les douaniers ne sont pas les seuls concernés - dans le domaine du trafic d'antiquités, ceci afin d'éviter le risque réputationnel.

La question centrale du contrôle a été soulevée, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés. A cet égard, j'aimerais insister sur le fait que si le contrôle est effectué dans une certaine mesure par les Ports Francs - ce qui entre, ce qui sort, les inventaires - il est placé, de par la loi fédérale, sous la responsabilité exclusive des douanes; on parle ici des douanes civiles, pas des gardes-frontière. Je vous indique qu'un travail de lobbying actif est mené; d'ailleurs, je rencontrerai le directeur de l'Administration fédérale des douanes le mois prochain pour demander une hausse des effectifs.

Pour l'ensemble de la Suisse romande, nous ne disposons en effet que d'une trentaine de douaniers en civil qui luttent contre la fraude commerciale - alors qu'une quarantaine de lois fédérales peuvent être invoquées - et qui, à cet égard, doivent passer un peu de temps dans les Ports Francs. Je le confesse ici volontiers, c'est totalement insuffisant. Selon les estimations, un peu plus de 3% des marchandises seulement sont contrôlées. Monsieur le député, vous avez raison d'insister là-dessus, car cela provoque un risque réputationnel pour notre canton. Je témoigne ici, agenda à l'appui, que nous remettons régulièrement ce point à l'ordre du jour de nos discussions avec la Confédération, ce d'autant plus, et ce n'est pas là le moindre des paradoxes, que les contrôles douaniers seraient largement finançables par le truchement d'émoluments ou d'amendes que nous ne manquerions pas de délivrer dans certains cas dont nous pouvons penser qu'ils sont litigieux. Nous avons donc de la peine, je vous le dis franchement, à comprendre pourquoi la Confédération rechigne tant à augmenter le nombre de douaniers. Je répète simplement que pour notre part, nous avons fait le travail, mais nous ne pouvons pas non plus nous substituer à la responsabilité de la Confédération.

Le dernier élément qu'il me semble important d'évoquer, c'est la question - elle a été mentionnée aussi - de la vente potentielle d'une partie de nos actions. Il serait possible de conserver les mêmes droits de majorité de blocage à hauteur de 66% et de réaliser par exemple la vente de 21 points de l'actionnariat. Le Conseil d'Etat ne le souhaite pas pour le moment. Il pense que c'est une question qui pourra se poser ultérieurement, mais je vous confirme ici que si d'aventure - c'est l'un des risques posés par le projet de loi - il prenait au Conseil d'Etat l'envie de vendre une part de notre actionnariat, nous devrions, puisqu'il s'agit de patrimoine administratif, le faire à la faveur d'un projet de loi, donc d'un vote du Grand Conseil, donc probablement d'un référendum populaire - toute loi votée par ce parlement est sujette à référendum.

Pour résumer, Mesdames et Messieurs les députés, nous avons sensiblement diminué les risques depuis 2015, nous maintenons une certaine pression à l'endroit de la Confédération - dont certains considéreront qu'elle est vaine, dont je veux croire pour ma part qu'elle portera un jour ou l'autre ses fruits - mais surtout, et c'est là-dessus qu'il faut conclure, les Ports Francs sont d'une importance vitale pour Genève et sa place économique. Ce soir, un vote qui viserait à rejeter clairement ce projet de loi serait perçu comme un encouragement dans la voie de la traçabilité et de la transparence, mais de façon raisonnable et surtout en respectant le droit supérieur. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je vois que M. Vanek demande la parole, mais la coutume veut qu'on ne s'exprime plus après les magistrats pour ne pas relancer la discussion. Je vous suggère, Monsieur, si l'entrée en matière est acceptée, d'intervenir au deuxième débat. Je mets donc aux voix l'entrée en matière... (Commentaires.)

M. Pierre Vanek. Monsieur le président...

Le président. Nous sommes en procédure de vote !

Mis aux voix, le projet de loi 11670 est rejeté en premier débat par 58 non contre 7 oui et 26 abstentions.