République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 1 mars 2018 à 17h15
1re législature - 4e année - 12e session - 71e séance
PL 11421-B
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs, nous abordons le PL 11421-B, qui est à l'ordre du jour pour la treizième fois. Je vous rappelle que lors de la dernière session, j'ai eu entre les mains une proposition de motion qui était à l'ordre du jour pour la vingt-septième fois. Il y a un problème fondamental dans le fonctionnement de notre Grand Conseil, il faudra une fois que nous prenions ce problème en main.
Nous sommes en catégorie II, quarante minutes. Le rapport de majorité est de M. Conne, à qui je passe la parole.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Chers collègues, en introduction, j'attire votre attention sur le fait que ce projet de loi est un des plus importants de cet après-midi, d'une part parce qu'il porte sur l'exercice des droits politiques et d'autre part parce que s'il était adopté, il pourrait avoir des effets qui iraient à l'encontre de ce que souhaitent probablement les initiants. En effet, le texte dit une chose assez simple: «Le droit de siéger est garanti et l'employeur a l'obligation de libérer l'élu pour accomplir son mandat.» Mesdames et Messieurs, c'est déjà assez difficile aujourd'hui pour les personnes qui travaillent de faire de la politique; si en plus on impose à tous les employeurs une exigence de ce niveau-là, la recherche d'emploi, voire la collaboration dans tous les domaines d'activités pourraient être rendues plus compliquées. Nous devons garder en tête ce fond de la question. Pour le moment, en tout cas, ce projet de loi ne prévoit absolument pas une possibilité de négocier son temps de travail et le temps nécessaire pour exercer les droits politiques. C'est là un premier avertissement. (Brouhaha.)
Ensuite, l'histoire de ce projet de loi. D'où vient-il ? C'est assez simple. Le règlement du personnel de l'Etat, le RPAC, était lacunaire s'agissant de la manière dont l'employeur et l'employé peuvent s'organiser pour qu'un élu fonctionnaire puisse siéger. Constatant cette imprécision, le Conseil d'Etat a précisé cet élément en 2014 avec un article intitulé: «Exercice d'un mandat électif», qui cadre la nécessaire collaboration entre l'employeur et l'employé pour permettre à celui-ci de siéger. L'article prévoit que l'autorité compétente d'un fonctionnaire doit préciser l'organisation du travail, notamment si le mandat s'exerce pendant les heures de travail. C'est l'un des alinéas. Un autre précise que s'il faut compenser d'une manière ou d'une autre l'absence pour cause de séance, la compensation se fait en temps de travail ou par la réduction du taux d'activité. Ce sont des choses assez naturelles, tellement d'ailleurs qu'on en trouve la reconnaissance dans le rapport de minorité. Je le cite: «[...] il n'est pas équitable qu'il y ait un double salaire. Une réduction de salaire ou une compensation doit être prévue. La personne, pendant qu'elle travaille, est payée par l'employeur et, pendant qu'elle siège, indemnisée par le Grand Conseil.» La minorité reconnaît donc qu'on ne peut pas simplement imposer avec force de loi le droit de siéger sans prévoir la nécessaire négociation. C'est le premier point.
Le règlement de 2014 auquel je fais référence a été frappé d'un recours et le Tribunal fédéral s'est prononcé. Que dit-il de l'état actuel du règlement ? Il dit que le règlement actuel ne crée pas de nouvelles incompatibilités, ne restreint pas l'exercice des droits politiques, respecte la séparation des pouvoirs et aménage les conditions d'exercice d'un mandat politique.
Mesdames et Messieurs, je vous invite à traiter ce sujet avec la plus grande attention et, évidemment, à rejeter ce projet de loi. Je compléterai mon intervention tout à l'heure.
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, comme M. le rapporteur de majorité l'a mentionné dans son rapport et son explication, ce projet de loi est issu d'une modification réglementaire de la part du Conseil d'Etat, qui, par le durcissement qu'elle introduit, entrave la possibilité de siéger, qui contraint davantage les employés de l'Etat dans cette possibilité. Je lis les deux alinéas en question de l'article 11, l'alinéa 1, d'abord: «Les membres du personnel ne peuvent exercer un mandat électif incompatible avec leur fonction ou qui porte préjudice à l'accomplissement des devoirs de service.» L'alinéa 2, particulièrement problématique, dit: «Une autorisation de l'autorité compétente est nécessaire si le mandat est exercé pendant les heures de travail. L'absence doit être compensée. L'autorisation fixe les modalités de la compensation.»
Dans mon rapport de minorité, j'ai très clairement indiqué qu'il ne s'agit pas de légitimer par ce projet de loi le fait pour un employé de l'Etat qui serait élu de gagner un double salaire, soit le fait de siéger tout en étant rémunéré durant ces mêmes heures de séance au Grand Conseil; non, il s'agit ici d'octroyer le droit - garanti par l'article 45 de la constitution - d'exercer pleinement ses droits politiques, donc le droit d'être élu, de siéger librement, non pas sur les heures de travail, donc sans être rémunéré doublement, mais en pouvant être libéré à cette fin et en fournissant des compensations si nécessaire pour pouvoir siéger. La modification réglementaire faite par le Conseil d'Etat va dans le sens inverse; elle inquiète une minorité - enfin, je ne sais pas si on peut qualifier de minorité ce bord de la commission: vous avez vu que le vote en commission était absolument neutre, il y a eu sept voix pour et sept contre, avec une abstention, on verra l'issue du vote aujourd'hui. La moitié de la commission est particulièrement sceptique par rapport à ce règlement et voit d'un mauvais oeil ce durcissement réglementaire. C'est pourquoi ce projet de loi vise simplement à rappeler et à mentionner dans la LRGC le droit de siéger, à l'inscrire clairement dans la loi et à ne pas laisser au règlement cette portée qui restreint le droit politique fondamental de siéger.
Ainsi, Mesdames et Messieurs, la moitié de la commission, qui est une minorité mais qui reste quand même la moitié de la commission, vous invite à adopter ce projet de loi et à adopter l'amendement technique déposé - vous l'avez sur vos tables - concernant l'entrée en vigueur. Vous aurez compris que l'entrée en vigueur du texte le jour de son adoption poserait un certain nombre de problèmes; c'est pourquoi l'amendement prévoit l'entrée en vigueur le lendemain de la promulgation dans la «Feuille d'avis officielle». (Brouhaha.)
Le président. Merci, Monsieur. (Brouhaha.) Monsieur de Senarclens, s'il vous plaît ! Merci. Madame Orsini, c'est à vous.
Mme Magali Orsini (EAG). Merci, Monsieur le président. Je trouve personnellement inouï qu'un fonctionnaire genevois élu député au Grand Conseil ait pu demander au Conseil d'Etat de recevoir son traitement intégral plus des heures de repos payées un lendemain de vote du budget, en raison du nombre d'heures passées à siéger et de la fin tardive des débats de la veille. S'est-il un seul instant interrogé sur le cas de tous les élus qui ont un statut d'indépendant, qui siègent dans ce même parlement et sont contraints, sans indemnités particulières, de rattraper le manque à gagner dû à leur absence dans leur entreprise ? Ne seraient-ils pas, comme tous leurs collègues, bénéficiaires d'un dispositif justement dénommé jetons de présence ? Enfin, comme la majorité de leurs collègues: dans les groupes normaux, les députés bénéficient de jetons de présence. C'est à juste titre que le Conseil d'Etat a précisé en 2014 par une modification du règlement relatif au personnel de l'administration: «Les membres du personnel ne peuvent exercer un mandat électif incompatible avec leur fonction ou qui porte préjudice à l'accomplissement des devoirs de service.» C'est ce que n'importe quel employeur du secteur privé exigerait de son employé dans le meilleur des cas, et les auteurs de ce projet de loi le savent fort bien. Malgré tout le respect qu'ils portent à l'exercice des droits politiques, nombre de patrons de PME ne pourraient s'offrir le luxe d'avoir du jour au lendemain à faire face à des absences non compensées de leurs employés élus; cela les pousserait inévitablement à se passer de leurs services, quand on sait ce que représente un travail sérieux de député en heures de présence aux séances plénières et de commission - pour ceux à qui on laisse encore le loisir d'aller en commission. (Commentaires.)
Quant à la prétention à des heures de repos payées après une journée fatigante, elle est simplement ahurissante. On est effaré par la perception qu'ont de leurs droits supposés certains individus par ailleurs plutôt favorisés et protégés par la garantie d'emploi qu'offre l'Etat employeur. C'est à juste titre que le Tribunal fédéral a considéré que la nouvelle précision apportée dans le règlement de la fonction publique ne constitue pas une atteinte supplémentaire aux droits des fonctionnaires. Il ajoute même que du point de vue de l'égalité de traitement, en particulier, ces précisions constituent une amélioration. «Rien [...] ne permet de craindre», dit-il, «que les employés publics puissent être empêchés d'exercer leurs mandats électifs au point de les rendre "moins éligibles" que les autres candidats. Les dispositions contestées apparaissent au contraire susceptibles d'une application respectueuse du principe de la proportionnalité et, partant, conforme à la Constitution.» Il suffit d'observer la composition du Grand Conseil pour constater qu'on y rencontre peu de salariés du secteur privé, alors que nombre d'entre eux rêveraient sans doute aussi de pouvoir se présenter aux élections sans risquer d'y perdre leur emploi. C'est la preuve que les très nombreux fonctionnaires qui y siègent ont pu le faire jusque-là sans revendication particulière... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...trop heureux de pouvoir assumer leur mandat de député tout en continuant à toucher leur salaire dans la fonction publique. Nous ne saurions donc trop recommander un peu de décence aux auteurs de ce projet de loi. Le rapporteur de minorité lui-même admet qu'il ne serait pas équitable, qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé, qu'il y ait un double salaire. Il écrit que...
Le président. Il vous faut terminer.
Mme Magali Orsini. ...«la personne, pendant qu'elle travaille, est payée par l'employeur et, pendant qu'elle siège, indemnisée par le Grand Conseil». Et enfin, on nous rappelle que les droits fondamentaux sont le droit de vote et d'éligibilité et qu'ils sont déjà garantis par la Constitution fédérale. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Bernhard Riedweg (UDC). Ce projet de loi, qui ne concerne que le mandat de député, trouve son origine dans une modification du règlement d'application de la loi générale relative au personnel de l'Etat. Il précise les conditions d'exercice d'un mandat politique par les membres de la fonction publique. Ce projet de loi oblige l'employeur à libérer son employé pour l'exercice de son mandat de député sans restriction, sans égard à son devoir de diligence, de secret d'entreprise ou de fidélité envers son employeur, ce qui pose un problème de conformité au droit supérieur. Il ne laisse aucune marge de manoeuvre aux entreprises privées pour négocier les conditions d'exercice d'un mandat de député, ce qui ne les inciterait peut-être pas à engager des personnes qui auraient un mandat électoral. Pour le confort de l'employé comme pour celui de l'entreprise, il est préférable que les conditions de l'exercice d'un mandat électif ainsi que les conditions de libération soient discutées à l'engagement. Le fait de quitter son travail pour exercer un droit politique sous-entend le maintien du salaire à 100%, mais le principe de la surindemnisation doit être résolu. Il faut se poser la question de la compensation financière, comme les jetons de présence qui seraient à verser à l'employeur.
On ne peut pas opposer la LRGC à un employeur: la LRGC est un règlement qui s'applique aux députés et ne peut pas avoir de conséquences externes. En d'autres termes, la loi portant règlement du Grand Conseil ne s'applique pas à la relation entre l'employé et l'employeur, qu'il s'agisse du secteur privé ou public. Il s'agit d'un règlement interne au Grand Conseil. L'unique raison pour laquelle il prend la forme d'une loi est le fait d'assurer la possibilité du référendum facultatif et pour éviter que le Conseil d'Etat ne vote lui-même le règlement du Grand Conseil.
De plus, ce projet de loi pose un problème entre la loi générale relative au personnel de l'administration et le code des obligations, en créant une inégalité de traitement entre les salariés du secteur privé et ceux du secteur public. Il vise à garantir les droits démocratiques fondamentaux, alors qu'il s'agit d'instituer un droit de siéger garanti et d'obliger les employeurs à libérer les salariés députés qui devraient siéger. Il ne faut pas perdre de vue qu'au cas où un employeur voudrait interdire à un député de siéger, le droit permet déjà d'intervenir à la fois au niveau du Grand Conseil, mais aussi pour le salarié qui peut recourir au tribunal des prud'hommes. Ce projet de loi n'a donc pas de réelle efficacité juridique et n'est pas applicable. Si on admet qu'un employeur a l'obligation de libérer un élu, il faudra considérer que le temps passé pour accomplir son mandat soit pris sur les vacances ou ne soit pas rémunéré. Si l'on estime que la LRGC peut être compétente, il faudrait alors effectuer une modification aux niveaux communal et fédéral, car les droits fondamentaux doivent s'appliquer à tout le monde. C'est sur cet argument que la plénière a voté le renvoi en commission le 1er septembre 2016. Les employeurs retiennent rarement leurs employés qui ont une activité politique, mais il est possible que les employeurs soient réticents à employer des élus. Si en plus on rend impératif le fait de libérer son employé, cela deviendra encore plus difficile pour les élus de trouver un emploi. L'Union démocratique du centre estime que le projet de loi n'est pas applicable en l'état et ne votera pas l'entrée en matière. Merci, Monsieur le président.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, pour le parti démocrate-chrétien, ce projet de loi n'a absolument aucun sens. On l'a déjà évoqué, Monsieur le président, l'article 11 du RPAC a été jugé conforme par la haute cour dans son arrêt du 27 janvier 2015. Il ne restreint pas l'exercice des droits politiques, respecte la séparation des pouvoirs, aménage les conditions d'exercice des mandats électifs, n'est qu'une émanation du devoir de fidélité des employés de l'Etat, améliore la sécurité du droit, car les aménagements peuvent être contestés au cas par cas. De plus, ce qui est très important pour le parti démocrate-chrétien, Monsieur le président, c'est qu'avec ce projet de loi, la pratique actuelle serait évacuée. Cette pratique qui a cours au sein des entreprises publiques et privées donne entière satisfaction: elle permet d'aménager le temps de travail en respectant à la fois les engagements d'un employé vis-à-vis de son employeur et l'exercice des droits politiques garanti par la Constitution. Adopter ce projet de loi revient à nier tout ce qui ressort de la négociation et de l'accord entre employés et employeurs, et vous savez, Monsieur le président, que le parti démocrate-chrétien y tient tout particulièrement. Pour nous, les dispositions actuelles sont suffisantes, les droits fondamentaux ne sont pas entravés. Nous voterons non à ce projet de loi - aussi, Monsieur le président, pour éviter de surcharger notre Grand Conseil. Je vous remercie.
M. Christian Flury (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, oui, assurément, chacune et chacun devrait pouvoir exercer l'activité politique sans avoir à subir des chicaneries ou autres tracasseries administratives. La LPAC et le RPAC n'ont pas d'incidence sur les emplois du secteur privé, ces deux textes conditionnent les relations de travail de toute la fonction publique. A ce sujet, il est bon de garder en mémoire que certains fonctionnaires, selon l'emploi ou le poste occupé, peuvent librement décider de leurs horaires et, par voie de conséquence, ont la faculté de se libérer afin de pouvoir assurer les charges de leur fonction élective. D'autres, par contre, devront se justifier, quémander des arrangements de service, compenser leurs absences par des heures supplémentaires ou sacrifier des jours de vacances afin de pouvoir se libérer pour siéger.
Une voix. C'est exactement ça !
M. Christian Flury. En fonction du poste occupé et de leur parti, d'autres, enfin, subiront toute sorte de tracasseries, quand il ne s'agit pas d'intimidations, voire de menaces non clairement exprimées. Enfin, sur le sujet brûlant du «double salaire», rappelons-nous que la fonction de député au Grand Conseil correspond globalement à un taux d'activité de 30% à 40%. Tant l'étude de dossiers que la préparation de textes ou la rédaction de rapports s'effectuent sur le temps libre du fonctionnaire. Au lieu d'aller à la salle de sport, aux champignons ou à la piscine, le fonctionnaire député passe ses jours de congé à oeuvrer pour la collectivité. Il touche un pécule pour cela, mais seulement pendant les heures de séance; le travail à domicile est compris, et tout additionné, il ne reste finalement pas grand-chose. Le Mouvement Citoyens Genevois souhaite une harmonisation, une équité de traitement des membres de la fonction publique qui sont élus et vous encourage, Mesdames et Messieurs les députés, à soutenir ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Frédérique Perler (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, en préambule, je préciserai que le groupe des Verts a toujours été en faveur de droits politiques élargis, qui font partie de nos fondamentaux. Cependant, comme j'ai eu l'occasion de l'exprimer, le groupe des Verts continuera à s'abstenir. Le fond du problème réside dans le changement du RPAC par le Conseil d'Etat, qui prévoit à présent une autorisation de l'employeur pour être candidat à une élection: nous partageons le courroux des auteurs de ce projet de loi face à cette modification de règlement; la question est juste. Mais ce projet de loi n'est pas applicable, cela a été abondamment expliqué. La question reste pourtant juste.
Le groupe des Verts regrette que le Conseil d'Etat, depuis 2014, n'ait pas eu l'idée, suite au dépôt de ce projet de loi, de modifier son règlement dans le sens demandé par les auteurs du texte. Il a ainsi fallu que nous, députés du Grand Conseil, nous réglions ce problème difficile. Notre position reste la même qu'en commission: nous nous abstiendrons sur ce projet de loi, qui va trop loin, car il concerne tous les employeurs et pas seulement l'employeur Etat de Genève; en cela, ce texte ne modifie pas la bonne loi, la LRGC. Nous persisterons donc dans notre abstention. Je vous remercie.
M. Serge Hiltpold (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je ne peux pas m'empêcher de citer la page 5 du rapport, sur la conception des droits fondamentaux: «Les droits fondamentaux sont le droit de vote (droit actif) et d'éligibilité (droit passif); ils sont déjà garantis par la Constitution fédérale.» En tant qu'employeur, on est assez pragmatique. Le nouvel alinéa 2 introduit dans l'article 20 de la LRGC par ce projet de loi, «Le droit de siéger est garanti et l'employeur a l'obligation de libérer l'élu pour accomplir son mandat», est clairement inacceptable.
La relation d'un employeur à un employé est extrêmement simple. Quand un employé désire s'engager en politique, en général, un dialogue se noue avec son chef, son patron, et la personne dit qu'elle aimerait un aménagement de son temps de travail. Une discussion a lieu. Il n'y a pas besoin de légiférer ! Une personne qui se trouve dans une entreprise se demandera si ça pose un problème pour l'entreprise si elle s'engage en politique: oui, non ? Le droit fondamental implique aussi un devoir: si vous êtes élu, vous prenez vos responsabilités ! Si votre employeur n'est pas d'accord de vous accorder un aménagement dans votre temps de travail, que ce soit pour faire de la politique ou pour vous occuper d'un club de football ou d'une association, eh bien vous changez de travail ! (Remarque.) Oui, Madame Haller, vous changez de travail, vous prenez vos responsabilités ! Vous avez toute la latitude de mener votre vie; ce n'est pas à l'employeur de dégager du temps pour cela.
Quant à la perte salariale, certains députés fonctionnaires, que je ne nommerai pas, sont dans six ou sept commissions. Qu'en est-il de la transparence des revenus ? Qu'en est-il des déductions salariales sur les postes ? On ne les connaît pas. La solution préconisée dans ce projet de loi est mauvaise, elle se ferait au détriment du secteur privé, tous domaines confondus. Parce que la réalité, la réalité simple, c'est que si quelqu'un fait un passage en force pour siéger, imaginez simplement ce que fera l'employeur !
Une voix. Très bien, tu as bien expliqué.
Une autre voix. Ça a l'avantage d'être clair.
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, il me semble que tout le monde est d'accord sur un aspect, sur lequel il ne sert donc à rien de débattre durant des heures: le fait qu'il ne doit pas y avoir de double salaire. On ne peut qu'être d'accord à ce propos, le rapport de minorité le mentionne, du reste. Mais il y a d'autres aspects sur lesquels, me semble-t-il, nous ne sommes pas tout à fait d'accord. Tout d'abord, on nous dit que c'est contraire au droit fédéral ou que ce serait inapplicable. En réalité, Mesdames et Messieurs, si on regarde le droit fédéral, que dit en particulier l'article 324 du code des obligations ? En substance, cet article stipule exactement la même chose que cette disposition. On ne voit donc pas comment on pourrait affirmer que le canton ne serait pas autorisé à adopter une disposition qui, finalement, ne fait pas du tout obstacle à l'application du droit fédéral, puisque cette disposition dit en substance la même chose, et qu'en plus, il est fréquent que le canton adopte des dispositions de droit public cantonal qui ont un impact sur les relations de droit privé.
Mon collègue préopinant nous dit que c'est une question de dialogue: mais ce n'est pas tout à fait ce que dit l'article 324a ! Quand une employée est enceinte, elle ne vient pas vous demander une autorisation pour avoir son congé maternité ! Pour l'élection, fondamentalement, si on suit la loi, c'est la même chose ! Je ne dis pas qu'il ne doit pas y avoir de dialogue, mais le dialogue porte sur la manière dont on met en oeuvre la chose. Le droit d'être élu est un principe et il n'y a pas à avoir une discussion préalable là-dessus pour demander l'autorisation, en tout cas si on s'en tient au texte légal. Je ne suis pas sûr que le licenciement d'une personne en raison de son élection serait conforme au droit.
Deuxièmement, existe-t-il une marge de manoeuvre quant à l'incompatibilité ? Le Tribunal fédéral dit dans son arrêt, en somme: «D'accord, on demande l'autorisation, mais ce n'est pas tout à fait exclu que l'Etat fasse son boulot correctement et qu'il donne les autorisations quand il le doit.» Très bien, mais comme l'a dit Christian Flury, ce n'est pas non plus totalement exclu que l'Etat fasse mal son boulot et qu'on mette des bâtons dans les roues aux gens ! Et c'est précisément ça qu'on veut éviter, parce qu'il n'y a aucune marge de manoeuvre au niveau du canton. Les causes d'incompatibilité pour certains fonctionnaires - les proches collaborateurs des conseillers et conseillères d'Etat, les cadres supérieurs et aussi les cadres supérieurs des régies - sont de réelles incompatibilités. En dehors de ces incompatibilités prévues dans la constitution, il n'y a aucune place pour d'autres. Le canton en tant qu'employeur - cela a été dit dans un cas lancéen relaté dans le rapport de minorité, et c'est la même chose qui prévaut pour le canton - n'a strictement aucune marge de manoeuvre pour ajouter des incompatibilités supplémentaires sans violer la constitution cantonale. A partir de là, on peut effectivement se demander si mettre cette disposition dans la LRGC est véritablement une bonne idée: peut-être qu'il faudrait plutôt la mettre dans la loi sur les droits politiques ou éventuellement dans la LPAC. Ce qui paraît intelligent est de renvoyer la question en commission pour tomber d'accord sur une formulation. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur. Je laisse les rapporteurs s'exprimer sur cette demande de renvoi en commission. Monsieur de Sainte Marie ?
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Je soutiens le renvoi en commission. M. Mizrahi l'a extrêmement bien dit, autant nous soutenons le principe, autant il peut y avoir une discussion sur la place dans la LRGC et éventuellement un amendement général qui permettrait peut-être de mettre tout le monde d'accord - j'ai l'impression que dans cette salle, on est plutôt d'accord sur le fait d'accorder ce droit de siéger, et aussi de reconnaître que la question du double salaire ne se pose pas aujourd'hui. En revanche, il y a peut-être bien un problème d'emplacement de la disposition.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité. Monsieur le président, chers collègues, je vous invite à refuser ce deuxième renvoi en commission...
Une voix. Premier.
M. Pierre Conne. Non, deuxième !
Des voix. Oui !
M. Pierre Conne. Je pense qu'on a fait le tour de la question. A l'heure actuelle, le règlement - le RPAC - ne s'oppose absolument pas à la garantie des droits démocratiques fondamentaux, parce que cet article du règlement porte sur l'exercice du mandat politique et vise à cadrer son organisation. Il ne représente absolument pas un obstacle à la candidature à une élection d'un employé soumis à la LPAC. C'est uniquement dans le cas d'une personne élue qui dès lors exerce son droit qu'à juste titre, depuis 2014, le Conseil d'Etat a affiné le règlement, qui reprend exactement - mon préopinant du groupe socialiste l'a dit - l'esprit du code des obligations.
Le président. Sur le renvoi en commission, s'il vous plaît !
M. Pierre Conne. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation symétrique, il est donc inutile de renvoyer ce projet de loi en commission. Merci.
Le président. Merci, Monsieur. Je lance le vote sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11421 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 43 non contre 42 oui et 2 abstentions. (Exclamations à l'annonce du résultat.)
Le président. La parole est à M. Baertschi pour deux minutes.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît ! Attendez deux secondes, Monsieur Baertschi. Un peu de silence, s'il vous plaît ! (Le silence revient.) Allez-y, Monsieur.
M. François Baertschi. Merci, Monsieur le président. Dans notre démocratie de milice, être élu est un service à la république, comme le service militaire en est un à notre pays, entre autres obligations que l'on peut avoir. Imaginerait-on être soumis pour le service militaire au bon vouloir d'un employeur ? Je ne le pense pas. Je pense qu'il doit y avoir une symétrie avec le fait de donner de son temps, de son énergie pour la république; il faut pouvoir être libéré, l'élection ne doit pas dépendre de la bonne volonté ou du bon vouloir d'un employeur. C'est un principe de base, je m'étonne qu'il soit contesté.
Par ailleurs, il y a actuellement une pratique très spéciale à l'Etat de Genève: certaines régies publiques donnent automatiquement des congés, des rémunérations donc, pendant que la personne siège ici; dans d'autres départements - c'est un peu à géométrie variable suivant les départements, suivant peut-être l'humeur de je ne sais quelle hiérarchie ou du président du département - on peut siéger ou on ne peut pas siéger. (Brouhaha.) C'est l'ouverture à l'arbitraire, c'est aussi la confusion entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, voire quelques problèmes dans l'autonomie communale. On est allé dans une direction dangereuse. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
Le bienfait de ce texte de loi est qu'il permet d'affirmer un principe démocratique, utile. Il mettra fin à la bidouille actuelle - ayons le courage de dire qu'actuellement, il y a beaucoup de bidouille dans l'Etat de Genève. Chacun essaie de trouver son avantage, c'est logique...
Le président. Il vous faut terminer.
M. François Baertschi. Merci, Monsieur le président. Je redemande donc le renvoi en commission. (Exclamations.)
Une voix. Bravo !
Le président. Très bien. Nous attendons quelques secondes que les gens reviennent à leur place. (Un instant s'écoule.) Messieurs les rapporteurs, voulez-vous reprendre la parole ? Je ne pense pas... (Remarque.) Si !
Une voix. Mais non !
Le président. Alors reprenez la parole. Commencez, cette fois, Monsieur Conne.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité. Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, savez-vous quand la commission des droits politiques a commencé à traiter cet objet ? Le 21 mai 2014 ! Il vous a fallu quatre ans pour réaliser que ce projet de loi était mal foutu et n'avait rien à faire avec la LRGC ? Je vous en prie, vous vous moquez de qui ? Il est exclu qu'on reprenne ce projet de loi à la commission des droits politiques. Déposez un nouveau texte, Mesdames et Messieurs. Pas de renvoi, merci ! (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. C'est un peu l'hôpital qui se moque de la charité, alors que le PLR a demandé à plusieurs reprises le renvoi en commission du projet de loi sur l'enfance et la jeunesse après un traitement qui a occupé 22 séances en commission ! Donc oui au renvoi en commission ! (Applaudissements.)
Une voix. Oui, bravo !
Le président. Très bien, nous allons voter sur la demande de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11421 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 45 non contre 43 oui et 1 abstention.
Le président. Madame Magnin, il vous reste cinquante-huit secondes.
Mme Danièle Magnin. Excusez-moi, Monsieur le président, c'était pour demander le renvoi en commission, mais j'avais appuyé sur le mauvais bouton.
Le président. Merci, Madame. La parole n'étant plus demandée, nous pouvons passer au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 11421 est rejeté en premier débat par 45 non contre 35 oui et 10 abstentions.