République et canton de Genève

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PL 11664-A
Rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi sur la police (LPol) (F 1 05)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 12 et 13 mai 2016.
Rapport de majorité de M. Murat Julian Alder (PLR)
Rapport de minorité de Mme Irène Buche (S)

Premier débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous abordons à présent notre ordre du jour normal avec le PL 11664-A, classé en catégorie II, quarante minutes. Je passe la parole à Mme la rapporteure de majorité ad interim.

Mme Nathalie Fontanet (PLR), rapporteuse de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'excuse M. Murat Alder, qui est retenu sous les drapeaux, et reprends ainsi ce soir son excellent rapport de majorité. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Le présent projet de loi vise à réintroduire dans la LPol trois dispositions relatives aux mesures policières préalables, à savoir l'observation préventive, les recherches préventives secrètes et les enquêtes sous couverture. Ces trois articles avaient été introduits dans la LPol en 2014, puis annulés par le Tribunal fédéral, celui-ci estimant qu'ils ne respectaient pas le principe de proportionnalité, faute de prévoir la communication ultérieure et un droit de recours pour la personne observée, l'autorisation du ministère public ou d'un juge lors de recherches préventives secrètes qui durent plus d'un mois et, enfin, l'autorisation d'un juge lors d'enquêtes sous couverture.

Ces mesures policières préalables se situent en amont de la procédure pénale; elles visent à empêcher qu'on ne commette des crimes ou des délits, et des indices sérieux sont suffisants pour mettre en oeuvre ces mesures. Aujourd'hui, ensuite de l'annulation par le Tribunal fédéral des trois articles, la police de notre canton ne dispose pas de la possibilité de prendre des mesures policières préalables. Cela signifie qu'actuellement ce n'est que s'il y a des soupçons fondés et qu'une procédure pénale est ouverte qu'il est possible de faire des observations secrètes, des recherches secrètes ou encore des enquêtes sous couverture. Cette situation ne peut perdurer, car ces mesures policières préalables sont indispensables pour assurer la sécurité.

Le projet de loi qui nous est proposé a totalement pris en considération l'arrêt du Tribunal fédéral. Ainsi, s'agissant des observations secrètes de l'article 56, la police peut ordonner cette observation préventive, mais au-delà d'un mois, elle doit être autorisée par le ministère public. Par ailleurs, celui-ci doit informer la personne concernée à la fin de la mesure. Pour les recherches secrètes - article 57 - qui permettent à la police d'engager un policier dont l'identité et la fonction ne sont pas reconnaissables dans des interventions afin de détecter la préparation de crimes ou de délits, au-delà d'un mois, lesdites recherches devront être autorisées par le ministère public et, à l'issue de la mesure, les personnes visées devront être informées. Je souligne, chers collègues, que cet article permettra notamment à des inspecteurs de la brigade des moeurs d'être présents sur des forums pour démasquer des pédophiles, tout en cachant leur identité derrière un pseudonyme. (Brouhaha.) Concernant l'investigation secrète ou enquête sous couverture - article 58 - qui permet à des agents infiltrés d'agir et de conserver leur anonymat même après l'enquête, elle devra faire l'objet d'une demande de la part du ministère public au Tribunal des mesures de contrainte.

En conclusion, Monsieur le président, chers collègues, la majorité de la commission estime que ce projet de loi est nécessaire, car sans lui la police ne dispose pas des moyens d'intervenir en cas d'indices sérieux, avant l'ouverture de procédures pénales. La majorité de la commission confirme que ce projet est conforme à la décision du Tribunal fédéral et qu'il respecte le principe de proportionnalité exigé dans le cadre des atteintes aux trois fondamentaux. Je vous invite donc à entrer en matière sur le présent projet de loi. Merci, Monsieur le président.

Mme Irène Buche (S), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi n'est que le troisième d'une saga qui a commencé en 2013. Vous connaissez la profonde méfiance de l'Alternative à l'égard des mesures préalables que sont l'observation préventive, les recherches préventives secrètes et les enquêtes sous couverture. Nous pensons toujours aujourd'hui que ces mesures présentent de grands risques de dérapage et d'atteinte aux droits fondamentaux et nous n'y sommes en principe pas favorables.

Cela étant, nous allons tout de même proposer quelques amendements qui nous paraissent indispensables pour donner davantage de garanties permettant d'éviter ces abus. Il faut bien sûr rappeler que ces mesures vont s'appliquer en l'absence de toute infraction et donc à tout citoyen et à des citoyens qui n'ont rien à se reprocher. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Il faut rappeler également que, dans son arrêt, le Tribunal fédéral avait jugé qu'au vu de l'importance des atteintes aux droits fondamentaux, toutes les mesures devaient être autorisées ou validées par une autorité judiciaire... (Brouhaha.)

Une voix. Chut !

Mme Irène Buche. ...et qu'il fallait informer après coup la personne faisant l'objet de ces mesures et lui donner la possibilité de former recours. Ce projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui ne répond que partiellement aux exigences du Tribunal fédéral, raison de notre refus en commission, en sus de notre méfiance à l'égard de telles mesures. Il est vrai que le projet de loi actuel est meilleur, bien meilleur que le précédent, mais il n'est pas suffisant.

Parmi d'autres reproches, nous estimons que le choix fait par le Conseil d'Etat de confier au ministère public la décision de valider la poursuite d'une observation préventive ou de recherches préventives secrètes n'est pas adéquat. J'aimerais citer l'ordre des avocats qui avait écrit dans sa prise de position que ces articles «prévoient des mesures intrusives qui imposent un contrôle d'autant plus strict qu'elles se prolongent». (Brouhaha. Le président agite la cloche.) L'ordre des avocats avait donc préconisé que l'autorité compétente ne soit pas le ministère public, mais un tribunal, soit le Tribunal des mesures de contrainte. Nous partageons cette position. Certains avaient fait la comparaison avec la procédure instaurée par le CPP, mais cela n'a pas lieu d'être, puisqu'on parle ici d'investigations menées par la police, sans qu'il y ait eu commission d'une infraction, et que les exigences doivent donc être d'autant plus fortes. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons deux amendements, l'un à l'article 56 et l'autre à l'article 57, pour que l'autorité compétente soit le Tribunal des mesures de contrainte.

Nous ne sommes pas non plus satisfaits de ce projet de loi sur le plan de la protection des données. Les réponses qui nous ont été fournies ne permettent pas de savoir ce qu'il adviendra des données recueillies dans le cadre de ces mesures. Nous estimons que l'application de la LIPAD n'est pas suffisante... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...et que le citoyen doit pouvoir être certain qu'il ne restera rien des données recueillies une fois la mesure levée, sauf exception dûment listée par la loi. Dans ce contexte, nous demandons la mise en place d'un système de destruction automatique des données, ainsi que cela est prévu à l'article 6, alinéa 6, de la loi sur les manifestations sur le domaine public, comme l'avait proposé l'association des juristes progressistes. Cette proposition fait donc l'objet de trois amendements, les amendements 2, 4 et 5.

Le président. Vous prenez sur le temps du groupe, Madame la rapporteure.

Mme Irène Buche. Oui, j'en ai juste encore pour une phrase. J'aimerais encore relever que le système de destruction des données prévu par la LPol ne concerne que les mesures d'identification à l'article 44 de la LPol, si l'on se réfère à la systématique de la loi, et qu'à ma connaissance, la LIPAD ne prévoit la suppression des données que sur demande. Je vous remercie donc de faire bon accueil à ces amendements.

Le président. Merci, Madame la rapporteure de minorité. Mesdames et Messieurs, je profite de l'occasion pour vous signaler que vous avez reçu la liste des demandes d'amendements avec la mention «qui annule et remplace les amendements déposés les 3-4 novembre 2016». Vous avez donc là cinq amendements qui concernent les articles 56, 57 et 58. Nous aborderons ces amendements en deuxième débat. Je passe maintenant la parole à M. le député Bernhard Riedweg.

M. Bernhard Riedweg (UDC). Merci, Monsieur le président. C'est la troisième fois que la commission se penche sur les mesures policières préalables, soit l'observation et la surveillance préventive, les recherches préventives secrètes et l'enquête sous couverture, car en raison d'un arrêt du Tribunal fédéral, le canton a besoin de ce projet de loi qui nous est soumis pour des questions de sécurité.

Le contexte de cet objet est celui du droit administratif pré-pénal. Les articles 56 à 58 prévoient des mesures intrusives qui imposent un contrôle d'autant plus strict si elles se prolongent, ce qui doit être approuvé par le Tribunal des mesures de contrainte. Avec l'article 56 de ce projet de loi, on se trouve dans une affaire lorsqu'il y a soupçon d'infraction ou de délit. On nous donne l'exemple de la police qui surveille une conférence alternative sur le squat. La police suppose qu'une infraction de violation de domicile pourrait être commise par le squatteur; il s'avère que la conférence ne fait état d'aucune infraction. Cela signifie que des personnes ont été atteintes dans leur sphère privée ou dans leur liberté d'expression alors qu'elles n'ont commis aucune infraction. Dans ce cas, les données sont détruites après trente jours.

L'article 57 traite des recherches secrètes qui donnent la possibilité à un policier d'entrer en contact avec des personnes sans avoir besoin de dévoiler sa profession. L'article 58 traite de l'investigation secrète par des agents infiltrés, dont l'anonymat est conservé même après l'enquête. Il s'agit, dans le cas présent, d'un avantage important qui permettra de faciliter le moment délicat du basculement entre l'absence d'infraction et de soupçon et la confirmation de la préparation d'une infraction.

Non seulement le canton a besoin de ce projet de loi pour des questions de sécurité, mais en plus nous n'avons pas d'autre choix que de l'accepter, s'agissant d'un arrêt du Tribunal fédéral. L'Union démocratique du centre vous demande de le voter. Merci, Monsieur le président.

M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le président, chers collègues, le groupe Ensemble à Gauche soutient résolument les conclusions qui figurent dans le rapport de minorité de notre collègue Irène Buche. Nous comprenons fort bien que la collecte des données par la police avant toute infraction est d'un intérêt évident. Dans ce sens, on peut discuter du projet de loi qui nous est soumis, mais cela ne doit pas se faire au détriment des citoyens.

Nous rappelons que nous nous situons dans un moment pré-pénal, c'est-à-dire avant qu'une infraction n'ait été commise et, dans ce contexte, avec les juristes progressistes, nous nous inquiétons de la protection des droits fondamentaux relatifs à la liberté individuelle, à la protection de la sphère privée et à la liberté d'expression. Il convient de relever que la loi ne prévoit pas un délai après lequel les données doivent être détruites et que cela pose un problème évident aux justiciables. A ce titre, nous n'avons pas oublié le problème révélé dans les années 80, quand le pays entier a découvert que des fiches avaient été établies par la Police fédérale à l'encontre de quelque 900 000 citoyens ou sociétés.

Il est à cet égard piquant de constater que tous les amendements présentés en faveur du justiciable et de la protection de la sphère privée ont été refusés par la droite. Je pense notamment à l'amendement qui énonçait que la poursuite d'une observation préventive ordonnée par la police au-delà d'un mois devait être soumise à l'autorisation du Tribunal des mesures de contrainte sur requête du ministère public, ou encore que les données recueillies devaient être détruites dès la fin du délai de recours, ou dès la fin de la procédure de recours intentée par la personne concernée, et j'en passe et des meilleures...

Ce sont les raisons pour lesquelles nous nous opposons résolument à ce projet de loi qui porte manifestement atteinte à la protection de la sphère privée et aux droits des citoyens, et que nous vous invitons, chers collègues, à voter les amendements présentés par la minorité.

M. Pierre Conne (PLR). Ce projet de loi, qui sera soutenu par le PLR, est une avancée majeure aujourd'hui, parce que nous avons, à ce stade, une guerre de retard contre la criminalité, les criminels ayant toujours un coup d'avance sur la police et la justice. Effectivement, lorsque l'on parle de mesures policières préalables, il s'agit de faire de la prévention et du dépistage. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Ces trois articles que nous voulons maintenant introduire dans la loi sur la police vont justement donner les moyens légaux à la police de pouvoir enquêter de manière secrète. Je ne reviendrai pas sur les trois articles qui distinguent précisément l'organisation et la nature de ce type d'enquête sous couverture.

Mesdames et Messieurs, il est évident que ce qui est mis dans la balance en termes de valeur, c'est la sécurité de la population d'un côté et la liberté et les droits des citoyens de l'autre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ces projets de lois, dans leur première version, qui figuraient dans la nouvelle loi sur la police, ont été retoqués par le Tribunal fédéral. Celui-ci a formulé un certain nombre de remarques, remarques qui sont intégrées maintenant dans la version que nous nous préparons à adopter ce soir. C'est pourquoi le PLR vous invite vivement à accepter ces trois projets de lois, tels quels, ainsi qu'à refuser les amendements proposés. Je vous remercie.

Une voix. Très bien, bravo !

Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le parti démocrate-chrétien salue l'excellent rapport du député Murat Alder, excellemment remplacé par Mme Nathalie Fontanet. Je ne vais pas répéter ce qu'elle a dit, nous en sommes totalement convaincus. Ce projet de loi est indispensable. Je vais me borner à ajouter un élément qui me semble déterminant, à savoir qu'il est absolument, absolument indispensable, Monsieur le président - et je pèse mes mots - de disposer d'outils de détection et de prévention, qui permettent d'intervenir avant que des drames ne se produisent. Il peut y avoir des risques de dérapage, évidemment, mais c'est tout à fait infime, parce que des contrôles sont faits pour les éviter ! C'est infime, en regard des horreurs et des ignominies qui peuvent être commises par des criminels sans scrupule. Alors, pour éviter que ces horreurs et que ces ignominies ne soient commises, il ne faut pas attendre d'avoir les preuves ! Car, quand on a les preuves, il est trop tard ! Là, on a enfin des outils qui peuvent servir et qui sont indispensables. C'est pour ces raisons que le parti démocrate-chrétien votera ce projet de loi. Je vous remercie.

Mme Emilie Flamand-Lew (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, les Verts souscrivent pleinement au rapport de minorité et soutiendront les amendements déposés par le groupe socialiste. Cela a été dit, il est important que ces mesures d'observation ou d'enquête préventive, si elles se prolongent, puissent être validées par un juge, et en l'occurrence par le Tribunal des mesures de contrainte. Rappelons que si, comme certains le disent ce soir, nous avons une guerre de retard, c'est bien parce que les dispositions qui avaient été proposées dans la LPol étaient contraires au droit supérieur, ce que le Tribunal fédéral a reconnu.

Pour ce qui est de la destruction des données, il nous paraît également indispensable d'avoir des dispositions spécifiques dans la loi, puisque malheureusement, le Conseil d'Etat fait assez peu de cas de la protection des données et de l'application de la LIPAD en surchargeant le préposé à la protection des données et à la transparence avec la nouvelle tâche de la médiation administrative; en tout cas, c'est le souhait du Conseil d'Etat, on verra si le parlement accepte de lui confier cette nouvelle tâche. Nous pensons que la LIPAD n'est pas suffisante en l'espèce. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Ce sont des cas particulièrement sensibles et nous souhaitons donc que des dispositions spécifiques soient prévues dans cette loi. Comme je l'ai dit, nous soutiendrons donc les amendements déposés par le parti socialiste.

M. François Baertschi (MCG). Tout d'abord, il faut quand même souligner qu'il s'agit d'une suite - on serait tenté de dire une bavure - de la LPol, la loi sur la police, qui a été malheureusement votée par la majorité de ce parlement. Heureusement, le Tribunal fédéral a donné tort à certaines de ses prescriptions, en particulier aux attaques contre la liberté, puisqu'il n'y avait aucun contrôle de certaines mesures policières, contrôle qui existait auparavant et qui a été malheureusement supprimé dans cette LPol. On rectifie donc une situation et nous en sommes satisfaits. Le groupe MCG votera cette loi sans les amendements, parce que nous sommes sensibles aux libertés individuelles; nous sommes également sensibles à l'efficacité de la sécurité pour la population et nous sommes quand même très choqués de voir que l'on se préoccupe trop souvent de la liberté ou des droits individuels des criminels et beaucoup moins des droits individuels de M. et Mme Tout le Monde, des droits individuels des simples citoyens qui peuvent à n'importe quel moment se trouver aux prises avec une affaire ou une autre. Je crois qu'il est important de laisser ce message, qu'il faut donner des droits à M. et Mme Tout le Monde mais n'avoir aucune faiblesse envers la criminalité. C'est en tout cas la ligne que défend le MCG et la ligne que nous défendrons sur ce sujet. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)

M. Raymond Wicky (PLR). Très rapidement, l'essentiel a déjà été dit, tant dans le rapport de majorité que par mon collègue Pierre Conne. L'autorité judiciaire fédérale a clairement montré le chemin, elle nous a indiqué que nous devions renforcer le contrôle judiciaire, ce qui a été parfaitement fait et, contrairement à ce que pense la minorité, nous estimons que nous sommes tout à fait en adéquation avec la décision du Tribunal fédéral, en ce qui concerne le groupe PLR en tout cas. Nous vivons dans une société où tout va très vite, où la criminalité évolue et se pratique à une rapidité folle. Nous devons donner des moyens à notre police cantonale ainsi qu'un moyen de contrôle simple et rapide aux autorités de tutelle et notamment au pouvoir judiciaire. Nous soutiendrons donc pleinement ce projet de loi et nous refuserons bien sûr tout amendement.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme la rapporteure de minorité... (Un instant s'écoule.) ...qui ne la prend pas. Mme la rapporteure de majorité ne la prend pas non plus. (Remarque.) D'accord. Monsieur le conseiller d'Etat ? (Remarque.) Je passe la parole à M. le conseiller d'Etat Pierre Maudet.

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. J'interviendrai brièvement d'abord pour rappeler... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...à l'intervenant du MCG que ces dispositions querellées au Tribunal fédéral ont été votées avant le vote de la LPol, elles n'ont rien à voir avec la nouvelle loi sur la police - c'était dans l'ancienne loi sur la police - et que vous les avez votées par ailleurs, il faut donc ici rétablir la vérité: il n'y a pas de lien avec la loi sur la police, strictement aucun ! On le confirme sur les bancs d'en face. Je vous invite à ne pas revisiter l'histoire de façon trop créative, Monsieur le député !

Sur le fond, Mesdames et Messieurs, il s'agit ce soir de réparer - là, je rejoins le préopinant MCG - une erreur historique. Cette erreur historique, c'est la Confédération qui se débarrasse de ces prescriptions légales. On disposait précédemment, au niveau de la Confédération, d'une base très solide pour que la police puisse faire son travail de façon préventive... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...et nombreux ce soir ont été celles et ceux qui ont rappelé l'importance de protéger les potentielles victimes. J'aimerais associer à ces victimes potentielles les policiers eux-mêmes, pour lesquels...

Le président. Un instant, Monsieur le conseiller d'Etat. (Un instant s'écoule.) Merci. Poursuivez, Monsieur le conseiller d'Etat.

M. Pierre Maudet. Merci, Monsieur le président. Je disais donc qu'il faut aussi voir à travers ces dispositions le moyen pour les policiers non seulement de faire leur travail, mais aussi de se protéger eux-mêmes. La troisième disposition est fondamentale pour le travail de la police, celle qui permet à des policiers, des hommes et des femmes qui nous défendent au quotidien, de prendre par exemple une identité d'emprunt, lorsque c'est nécessaire.

Plusieurs d'entre vous l'ont dit, le coeur de ces trois articles - et c'est un débat fondamental qui doit avoir lieu au parlement - c'est de savoir comment on traite, dans un Etat de droit, la notion de détection d'infraction potentielle ou même de détection de suspicion d'infraction, qui prend un relief particulier sur fond de terrorisme. Comment traite-t-on ce genre de notion ? Comment, dans un domaine qui par définition est pré-pénal, dans lequel les tribunaux et le ministère public n'interviennent pas, va-t-on appréhender ce genre de situation... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...avec - je me permets d'insister là-dessus - une préoccupation très vive de la population, encore une fois sur fond d'attentat et d'actes terroristes, quant à la capacité de l'Etat d'assumer sa crédibilité dans ce domaine et d'intervenir, précisément pour éviter que des infractions ne soient commises, et pas uniquement une fois que l'infraction est commise pour la constater et pour sanctionner ?

Il s'agissait donc, avec ces trois articles, de se donner les moyens de détecter la préparation de crimes et de délits, avec le principe des observations préventives, cela a été rappelé, et le principe des recherches préventives secrètes, et j'aimerais insister sur ce que cela signifie: les recherches préventives secrètes, ce sont des patrouilles de police sur internet. Il s'agit simplement de donner la possibilité à des policières et policiers d'être sur les réseaux avec leur identité, mais d'agir de façon préventive, pour lutter contre la cybercriminalité, pour lutter contre la cyberpédopornographie, contre la cyberpédophilie, pour lutter contre tous ces phénomènes qui sont des réalités, immatérielles certes, mais des réalités aujourd'hui, où l'on voit de nombreuses infractions se concrétiser. Et puis, s'agissant de la troisième disposition, c'est faire en sorte que l'on puisse donner, sous contrôle, des identités d'emprunt qui sont nécessaires aujourd'hui - je parlais de cyberpédophilie il y a un instant - pour que les policiers puissent faire leur travail correctement.

En résumé, Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition, qui a été faite à la commission judiciaire et de la police - qui est plus modeste que la proposition initiale et je le regrette, mais c'est ainsi - est une proposition de nouveau concertée avec le pouvoir judiciaire, mais qui est relativement urgente, est de donner les moyens à la police de faire son travail, et surtout, Mesdames et Messieurs, de donner les moyens à l'Etat de garantir les libertés individuelles ! Sans police, sans moyens de contrôle, pas d'Etat de droit, raison pour laquelle, pour la sécurité des citoyens et pour le maintien de leur liberté, le Conseil d'Etat ne peut que vous inviter à voter ces dispositions sans amendement, sans prescription particulière relative aux délais - nous avons largement eu l'occasion d'expliquer en commission ce qu'il en était - ni d'ailleurs de référence à un changement de juridiction. A Genève, le ministère public est indépendant, c'est une juridiction en tant que telle, il n'y a donc aucune raison de ne pas lui reconnaître cette compétence. Je vous remercie de votre attention.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je mets aux voix l'entrée en matière sur ce projet de loi.

Mis aux voix, le projet de loi 11664 est adopté en premier débat par 61 oui contre 6 non et 22 abstentions.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

Le président. Nous sommes saisis de deux amendements à l'article 56, l'un modifiant l'alinéa 3 et l'autre ajoutant un alinéa 6. Madame Irène Buche, vous avez la parole.

Mme Irène Buche (S), rapporteuse de minorité. Merci, Monsieur le président. En fait, je vais simplement répéter ce que j'ai dit tout à l'heure: pour ce qui est du premier amendement à l'alinéa 3 de l'article 56, nous estimons qu'il revient vraiment au Tribunal des mesures de contrainte d'autoriser la prolongation de l'observation, puisque l'atteinte aux droits fondamentaux est quand même très importante et qu'il faut donc prendre des mesures qui le sont tout autant. Il faut véritablement un tribunal indépendant et non pas un ministère public, qui finalement profite des informations dans le cadre de ses enquêtes.

En ce qui concerne l'amendement proposant d'ajouter un alinéa 6 à l'article 56, il s'agit de renforcer la protection des données et de prévoir une destruction automatique de toutes les données récoltées dans les conditions indiquées, et ce sur le modèle de la loi sur les manifestations sur le domaine public. Je précise déjà que ces explications valent en grande partie pour les articles suivants. Je reprendrai peut-être la parole à un moment ou un autre pour compléter. Je vous remercie.

M. François Baertschi (MCG). Nous ne soutiendrons pas l'amendement socialiste. La manière dont cela a été formulé dans la loi nous satisfait. Il faut savoir que, pour le contrôle par le ministère public, il existait une disposition analogue avant la LPol; elle était dans la loi - contrairement à ce qu'a dit le conseiller d'Etat, qui, à mon sens, raconte également un peu l'histoire à sa façon - et il a enlevé cette garantie qui existait dans la loi antérieure. Aujourd'hui, la loi réintroduit cette garantie qui nous semble tout à fait positive et à laquelle nous adhérons. Nous regrettons seulement que cela n'ait pas été fait au préalable. Si cet élément avait été conservé, cela aurait été positif, et nous n'aurions en tout cas pas perdu le temps que nous sommes en train de perdre actuellement, mais nous ne suivrons pas les socialistes et la gauche qui veulent aller encore plus loin. Cette garantie nous semble suffisante. Merci, Monsieur le président.

M. Vincent Maitre (PDC). Le groupe démocrate-chrétien refusera ces amendements, tout simplement parce que le Tribunal fédéral a effectivement conclu que ces mesures préventives... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...devaient être sujettes à contrôle par une autorité judiciaire, et le ministère public en est évidemment une. Pour nous, c'est suffisant: il est apte et dispose des moyens d'agir et de le faire souvent dans l'urgence, ce que le Tribunal des mesures de contrainte ne peut en pratique pas forcément assurer et garantir au jour le jour; c'est un tribunal qui souffre de sa surcharge, qui croule actuellement sous les procédures et qui ne pourra peut-être, c'est un risque du moins, pas répondre en temps et en heure aux demandes de contrôle qui seraient faites.

Pour ce qui est de la destruction des données... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...c'est un amendement qui, philosophiquement, paraît sage. De notre point de vue, il n'en est pas moins inutile, puisque la sauvegarde et la conservation des données est absolument réglée et de façon exhaustive par la LIPAD, qui prévoit à quelles conditions et quand les informations recueillies doivent être conservées et surtout quand elles doivent être détruites. La LIPAD le stipule, elles doivent être détruites lorsque les autorités publiques n'en ont plus besoin.

Mme Nathalie Fontanet (PLR), rapporteuse de majorité ad interim. S'agissant du premier amendement demandant d'accorder la compétence au Tribunal des mesures de contrainte, il faut savoir que ce projet de loi est calqué sur les dispositions du code de procédure pénale qui s'applique dans la situation où les procédures pénales sont ouvertes et, là non plus, on ne prévoit pas que ce soit le Tribunal des mesures de contrainte qui intervienne. Par ailleurs, il nous a été dit pendant les auditions que cela le surchargerait inutilement et qu'il n'y avait pas lieu d'exiger que ce soit le cas en matière de mesures d'observation préventives secrètes et de recherches préventives secrètes.

Je m'exprime aussi pour l'amendement suivant: pour ce qui est de la destruction des données recueillies, cela est déjà prévu de façon tout à fait exhaustive par la LIPAD - la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles - qui prévoit non seulement... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...l'accès aux données par les personnes visées, mais également leur destruction. Il est donc inutile de le rappeler dans le présent projet de loi. Evidemment, la majorité vous invite à refuser l'ensemble des amendements. Merci, Monsieur le président.

Le président. Merci, Madame la rapporteure de majorité. Je salue à la tribune une classe de 4e année de maturité professionnelle commerciale du CEC André-Chavanne qui vient assister à notre session dans le cadre de son cours d'éducation civique. Les élèves sont accompagnés de leur enseignant, M. Jean-Jacques Liengme. (Applaudissements.)

Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote du premier amendement à l'article 56, alinéa 3, déposé par le groupe socialiste, qui propose de modifier le texte comme suit: «La poursuite d'une observation préventive ordonnée par la police au-delà d'un mois est soumise à l'autorisation du Tribunal des mesures de contrainte sur requête du ministère public.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 51 non contre 33 oui.

Le président. Je vous fais maintenant voter sur le deuxième amendement à l'article 56 introduisant un alinéa 6, dont la teneur est la suivante: «Les données recueillies seront détruites dès la fin du délai de recours ou dès la fin de la procédure de recours intentée par la personne observée suite à la communication prévue à l'article 283 CPP, à moins qu'elles ne soient directement utiles à la poursuite d'un crime ou d'un délit survenu pendant la période d'observation.» (Remarque. Rire.) Monsieur Cerutti, s'il vous plaît ! (Commentaires. Le président agite la cloche.) Le vote est lancé.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 55 non contre 33 oui.

Mis aux voix, l'art. 56, al. 1, lettre a, et al. 3 (nouvelle teneur), al. 4 et 5 (nouveaux) est adopté.

Le président. Nous sommes également saisis de deux amendements à l'article 57, l'un modifiant l'alinéa 2, l'autre introduisant un alinéa 5. Je passe la parole à Mme la rapporteure de minorité Irène Buche, auteure de ces amendements.

Mme Irène Buche (S), rapporteuse de minorité. Merci, Monsieur le président. Je voulais juste rappeler que l'on ne se situe pas dans le même cas de figure qu'en ce qui concerne le code de procédure pénale, parce qu'en ce qui concerne le code de procédure pénale, on a affaire à des enquêtes qui sont ouvertes lorsque des infractions ont déjà été commises et que, justement, là, on doit être d'autant plus strict dans le choix de l'autorité compétente pour prolonger la mesure. C'est pour cela que je vous invite à voter ce troisième amendement, et évidemment les autres amendements aussi. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame la rapporteure. Je fais donc voter cet hémicycle sur cette demande d'amendement modifiant l'alinéa 2 de l'article 57 que je vous lis: «La poursuite des recherches préventives secrètes ordonnées par la police au-delà d'un mois est soumise à l'autorisation du Tribunal des mesures de contrainte sur requête du ministère public.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 56 non contre 33 oui.

Le président. Mesdames et Messieurs, il s'agit maintenant de vous prononcer sur l'amendement à l'article 57 introduisant un alinéa 5, dont voici la teneur: «Les données recueillies seront détruites dès la fin du délai de recours ou dès la fin de la procédure de recours intentée par la personne concernée suite à la communication prévue à l'article 298 CPP, à moins qu'elles ne soient directement utiles à la poursuite d'un crime ou d'un délit survenu pendant la période des recherches préventives secrètes.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 58 non contre 33 oui.

Mis aux voix, l'art. 57, al. 1, phrase introductive et lettre a (nouvelle teneur), al. 2 à 4 (nouveaux) est adopté.

Le président. Nous passons à l'article 58 et nous sommes saisis d'un dernier amendement qui propose d'ajouter l'alinéa 6 suivant: «Les données recueillies seront détruites dès la fin du délai de recours ou dès la fin de la procédure de recours intentée par la personne faisant l'objet de la mesure suite à la communication prévue à l'article 298 CPP, à moins qu'elles ne soient directement utiles à la poursuite d'un crime ou d'un délit survenu pendant la période de l'enquête sous couverture.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 61 non contre 32 oui.

Mis aux voix, l'art. 58, al. 1, phrase introductive et lettre a, al. 2 à 5 (nouvelle teneur) est adopté, de même que l'art. 67, al. 2 (abrogé).

Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que l'art. 2 (souligné).

Troisième débat

La loi 11664 est adoptée article par article en troisième débat.

Mise aux voix, la loi 11664 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 60 oui contre 30 non.

Loi 11664