République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 11336-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le projet de loi constitutionnelle de Mmes et MM. François Baertschi, Sandro Pistis, Eric Stauffer, Danièle Magnin, Daniel Sormanni, Pascal Spuhler, Jean Sanchez, Thierry Cerutti, Ronald Zacharias, Marie-Thérèse Engelberts, André Python, Christian Flury, Henry Rappaz, Sandra Golay, Francisco Valentin, Jean-François Girardet modifiant la constitution de la République et canton de Genève (Cst-GE) (A 2 00) (Instaurer la préférence cantonale pour l'emploi sur le modèle monégasque)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 19 et 20 février 2015.
Rapport de majorité de M. Serge Hiltpold (PLR)
Rapport de minorité de M. Thierry Cerutti (MCG)

Premier débat

Le président. Nous abordons le PL 11336-A en catégorie II, quarante minutes. M. Serge Hiltpold, rapporteur de majorité, est remplacé par M. Jacques Béné, tandis que M. François Baertschi supplée le rapporteur de minorité, M. Thierry Cerutti. Monsieur Béné, c'est à vous.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Bienvenue à tous pour ce débat monégasque ! C'est un projet de loi digne du MCG qui nous occupe maintenant puisqu'on va parler de priorité de l'emploi à assurer aux citoyens suisses et aux résidents genevois. Le premier signataire de ce texte n'est autre que le prince François Baertschi Ier, qui rêve d'un long règne sur la principauté que pourrait devenir utopiquement notre canton. Il aurait dû être relayé ce soir par le scribe Thierry Cerutti, mais celui-ci nous a malheureusement fait faux bond.

Présidence de Mme Christina Meissner, deuxième vice-présidente

Mesdames et Messieurs, ce projet de loi est assez surprenant. En termes de chiffres, en effet, les Monégasques sont au nombre de 7634 et ne représentent que 21% de la population du pays; la majorité des emplois est donc assurée par de la main-d'oeuvre frontalière et plus particulièrement française et italienne. Il paraît donc assez étonnant qu'un tel modèle économique puisse plaire au MCG, qui prône d'autres valeurs. Ce projet de loi vise à faire appliquer à Genève - canton suisse, aujourd'hui encore - les pratiques d'un Etat qui, aussi «glamour» soit-il, n'est pas soumis à des règles de droit supérieur comme nous le sommes ici. Bien évidemment, il n'a pas plu au Conseil d'Etat. M. Poggia... Madame la présidente de séance, j'ai un petit blanc mais vous me rafraîchirez la mémoire en me rappelant de quel parti est M. Poggia...

Une voix. Du MCG !

M. Jacques Béné. Ah, on me souffle qu'il est du MCG, soit du même groupe que les signataires de ce texte ! Pourtant, M. Poggia a clairement expliqué en commission que ce projet de loi posait un vrai problème de droit interne, que la restriction qui devrait être appliquée n'exclurait pas la main-d'oeuvre confédérée mais entraverait, du fait de l'obligation de résidence à Genève, la liberté de mouvement garantie aux citoyens suisses, notamment aux résidents vaudois. Il a également rappelé, et il l'a prouvé et redit à de nombreuses reprises dans ce parlement, que la première chose à faire était de favoriser l'accès à l'emploi pour les chômeurs, ce dont il s'occupe avec satisfaction, autant pour lui que pour le canton ou notre parlement. Mesdames et Messieurs, après deux séances de commission, il a été clairement établi que ce projet de loi est totalement contraire à la libre circulation des personnes et contrevient bien évidemment aux droits fédéral et international. En effet, non seulement il présente une incompatibilité avec les traités internationaux de même qu'avec le droit supérieur, puisqu'il entrave la liberté de mouvement des citoyens suisses, mais il entraîne également des contraintes administratives et bureaucratiques très lourdes pour les entreprises. Enfin, il est discriminatoire.

On voudrait que la priorité de l'emploi soit conférée aux citoyens suisses et aux résidents genevois sur la base de ce qui se passe sur le rocher monégasque. Il faut relever que ce n'est malheureusement pas possible dans ce canton. Cela donne l'occasion au MCG, une fois encore, de rappeler son programme de campagne. Nous ne pouvons que vous inviter, Mesdames et Messieurs, à refuser ce projet de loi, et ce le plus rapidement possible afin de poursuivre notre ordre du jour. Je vous remercie.

M. François Baertschi (MCG), rapporteur de minorité ad interim. Je ne vais pas relever toutes les inexactitudes exprimées par le rapporteur de majorité ni répondre à sa hâte, qui est tout de même un peu louche. Mais à part ça, je le remercie pour ses compliments ! Pour revenir au coeur du sujet, il est important de mettre en avant la situation particulière de Monaco qui est, comme Genève, un îlot de prospérité - enfin, notre canton est encore un îlot de prospérité, mais si on continue dans la ligne tracée actuellement, on va se retrouver dans un îlot de pauvreté, et il est certain que le modèle monégasque ne sera même plus envisageable parce qu'on aura tout détruit, y compris la place financière, on aura fait fuir les personnes fortunées, on aura appauvri les gens, on sera entré dans la spirale de la pauvreté !

Quel est cet article de la Constitution, qui date de 1962 - donc de l'époque du général de Gaulle, pour remettre les choses à leur place - et que stipule-t-il ? Il indique ceci: «La priorité est assurée aux Monégasques pour l'accession aux emplois publics et privés, dans les conditions prévues par la loi ou les conventions internationales.» C'est très clair, cela signifie que la priorité de l'emploi est donnée aux résidents monégasques, parce qu'il n'y a pas que de grandes fortunes dans la principauté, des habitants modestes y vivent aussi, et il faut protéger ces gens-là. Si on laisse la libre circulation exister sur le marché de l'emploi, ils seront pulvérisés. C'est la situation que nous connaissons depuis le début des années 2000: une population modeste, de classe moyenne, a été pulvérisée par le libre marché du travail. Quand on vit dans un îlot de prospérité, il faut une protection, c'est ce qu'ont compris les Monégasques et c'est ce que nous proposons justement au travers de ce projet de loi. Il faut s'inspirer des bonnes choses, d'où qu'elles viennent. Ce dispositif est important, cela démontre que les idées du MCG existent et sont mises en pratique avec succès, cela signifie que des personnes très riches et des personnes modestes peuvent vivre au même endroit dans de bonnes conditions, d'autant plus qu'à Monaco, on ne paie pas d'impôts, ce qui est aussi un avantage.

Je comprends que ça dérange beaucoup de gens. Mais si je peux comprendre que la gauche soit choquée par le fait qu'il y ait des riches, estime choquant le simple fait de posséder de l'argent, j'ai en revanche beaucoup plus de peine à entendre une certaine droite du centre ou de je ne sais trop où s'étonner que des personnes riches et moins riches puissent vivre ensemble et s'opposer à ce texte de bon sens. C'est un projet qui sied à Genève, c'est le modèle de développement que nous devons à tout prix promouvoir.

La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Ronald Zacharias.

M. Ronald Zacharias. C'est une erreur.

La présidente. Puisque vous renoncez, je passe la parole à M. Pierre Vanek.

M. Pierre Vanek (EAG). Merci, Madame la présidente... (Brouhaha.)

La présidente. S'il vous plaît !

M. Pierre Vanek. Ce projet de loi mérite d'être débattu, non pas parce qu'il va être voté - il ne le sera pas - ni parce qu'il déploierait un quelconque effet s'il était voté - il est contraire au droit supérieur, donc ne déploierait aucune espèce d'effet. Mais il mérite d'être débattu parce qu'il incarne une vision des membres du MCG, un modèle qu'ils cherchent à nous présenter, et ils ont raison de le faire, avec franchise. Ce modèle-là, Mesdames et Messieurs, est un peu misérable pour Genève: il est vraiment très désolant, de notre point de vue, de ravaler ainsi la République et canton de Genève avec tout ce qu'elle a de glorieux dans son passé et de riche dans son existence actuelle, notamment en termes de diversité, d'économie et de travail productif, et de prendre la principauté de Monaco comme modèle. D'ailleurs, il y a quatre ans, alors que nous étions aussi en campagne pour les élections municipales, Ensemble à Gauche avait pris comme slogan le refus d'un Monaco-sur-Léman !

Bien sûr, il faut refuser un Monaco-sur-Léman avec tout ce que ça représente de limousines, boutiques de luxe, spéculation immobilière et trafics douteux ! Nous avons déjà notre part de trafics douteux qu'il faudrait expurger d'un côté, et de «larbinisme», c'est-à-dire de gens qui vivent aux crochets de cette économie parasitaire, de l'autre. Alors ce modèle de Monaco-sur-Léman, nous n'en voulons pas, nous ne voulons pas d'une principauté parce que nous sommes attachés à nos institutions démocratiques - le prince-évêque a été foutu dehors au début du XVIe siècle - mais aussi parce que, sur le plan économique, nous prônons un modèle différent, un modèle de travail productif qui donne des emplois non pas dans une économie de «larbinisme» parasitaire, mais dans une économie productive. Nous refusons les trafics douteux dont on a vu quelques exemples récemment aux Ports francs et qui ont fait débat; ça, c'est du Monaco-sur-Léman ! Nous n'en voulons pas, nous rejetons ce type de choses, évidemment.

Présidence de M. Antoine Barde, président

Maintenant, plus concrètement s'agissant de ce qui nous est proposé, on nous présente un modèle de régulation du marché du travail tel qu'il est pratiqué à Monaco. Alors j'ai tout simplement pris la loi n° 629 du 17/07/1957 tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement dans la principauté de Monaco, une loi qui est d'un paternalisme insupportable et dont je vous lis l'article 1er: «Aucun étranger ne peut occuper un emploi privé à Monaco s'il n'est titulaire d'un permis de travail.» Vous me direz, c'est la même chose ici. Mais voici la suite: «Tout changement d'employeur, de métier ou de profession devra faire l'objet d'une nouvelle demande de permis de travail.» Ça veut dire que la grande majorité des résidents étrangers ici, qui bénéficient d'un permis C, à savoir précisément, excepté les droits politiques, de toute une série de libertés...

Le président. Il vous reste trente secondes.

M. Pierre Vanek. ...notamment le droit de changer de travail et d'agir librement dans ce domaine, seraient ravalés si on adoptait la législation monégasque; on rétrograderait des résidents genevois qu'un certain parti prétend défendre mais qu'il ne défend pas, ainsi que je l'ai expliqué lors de notre dernière séance, au niveau de titulaires d'un permis B, soit un permis de catégorie inférieure ! Il est parfaitement inadmissible de présenter la législation monégasque comme un modèle...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Pierre Vanek. ...devant permettre de défendre...

Le président. C'est terminé, Monsieur le député.

M. Pierre Vanek. ...les résidents et les salariés genevois, Mesdames et Messieurs !

Le président. Merci beaucoup.

M. Pierre Vanek. Je termine, Monsieur le président... (Le micro de l'orateur est coupé.)

Le président. Vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole, Monsieur le député. (L'orateur poursuit son intervention.) Je donne la parole à M. le député Jean-Marc Guinchard. (L'orateur poursuit son intervention.) Monsieur le député ! C'est terminé, Monsieur Vanek ! (Le président agite la cloche. Un instant s'écoule.) Merci. Peut-être pourrions-nous ouvrir les fenêtres pour faire redescendre quelque peu la pression ? Monsieur Guinchard, c'est à vous.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Merci, Monsieur le président. Il est parfois difficile de prendre la parole après M. Vanek ! Le projet de loi que nous sommes amenés...

Des voix. On n'entend rien !

M. Jean-Marc Guinchard. (L'orateur attend un instant.) Le projet de loi que nous sommes amenés à examiner peut susciter à la fois l'étonnement, l'agacement ainsi qu'une certaine fâcherie. Ses auteurs, il faut bien l'admettre dans cette enceinte, se réfèrent rarement à des droits étrangers et, s'ils le font, c'est évidemment par pur opportunisme, mais en le maquillant. En effet, si vous consultez la Constitution monégasque, vous constaterez que l'article en question, qui donne la préférence nationale à l'embauche, comprend une précision assez importante puisqu'il stipule que cette priorité ne pourra fonctionner que sous réserve du respect des traités internationaux - petit bout de texte qui n'a évidemment pas été ressaisi par les auteurs du projet de loi, c'est un mauvais copier-coller.

La deuxième chose un peu agaçante, c'est que comme le rapporteur de majorité l'a tout à fait bien démontré, et avec humour, ce projet de loi ne tient aucun compte de la différence qui existe entre Monaco et Genève. Il faut savoir que si Monaco compte un peu plus de 37 000 habitants, il y a également 38 000 frontaliers ! Je vous laisse imaginer la projection que l'on pourrait faire sur la population genevoise: si nous avions mille frontaliers de plus que d'habitants, peut-être le MCG adopterait-il une attitude différente. Cette comparaison n'est donc pas sérieuse, et il n'est pas décent de passer vraisemblablement quarante minutes à discuter d'un projet de loi de piètre qualité qui nous fait perdre notre temps et dont le texte est purement podoclaste. Dès lors, le groupe démocrate-chrétien vous recommande de le rejeter purement et simplement. Je vous remercie.

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais vous lire cette brève définition du terme xénophobie issue du Larousse... (Exclamations.) ...«Hostilité systématique à l'égard des étrangers [...]». Vous comprendrez que, depuis une décennie que le MCG existe, cette hostilité à l'égard des étrangers se manifeste...

M. Eric Stauffer. C'est faux, Monsieur le président !

Des voix. C'est faux !

M. Romain de Sainte Marie. ...spécifiquement à l'égard des frontaliers. (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît ! Vous répondrez quand vous aurez la parole.

M. Romain de Sainte Marie. Cela m'a fait un peu mal aux yeux, mais je suis allé voir sur Google les différentes affiches du MCG depuis une décennie. On peut lire des slogans comme...

Le président. Revenez au sujet, Monsieur le député.

M. Romain de Sainte Marie. ...«Les ennemis des Genevois !», «Frontaliers assez !». Monsieur le président, je parle bien du sujet. Pourquoi ? M. Guinchard évoquait un projet de loi de piètre qualité, ce qui est bien vrai, il faut le reconnaître; mais c'est surtout le énième, peut-être le centième projet de loi du MCG qui attaque les frontaliers, on peut encore le lire dans l'exposé des motifs. Ce soir, Mesdames et Messieurs les députés, je vous appelle à ne pas céder, à ne pas légitimer ce discours haineux à l'encontre d'une population voisine de la nôtre, qui habite à côté de chez nous... (Commentaires.) Si on peut encore s'exprimer dans ce parlement, Monsieur le président !

Le président. Poursuivez.

M. Romain de Sainte Marie. Merci. Mais le discours du MCG est surtout particulièrement paradoxal. Derrière des propos nationalistes se cachent en fait de réelles attaques contre la qualité de vie des Genevoises et des Genevois, contre l'économie de notre canton. On peut le voir aujourd'hui avec les effets de l'initiative contre l'immigration de masse du 9 février, qui met en péril la stabilité de l'économie de notre pays. Le MCG, encore une fois, se trompe de discours et invente des problèmes là où il n'y en a pas. En effet, plusieurs études dont celle du professeur Flückiger, prochain recteur de l'Université de Genève, le démontrent, et cela est mentionné dans le rapport de majorité: actuellement, les Genevoises et les Genevois ont davantage de facilité à être embauchés au sein des entreprises de notre canton par rapport aux frontaliers...

Des voix. C'est faux !

M. Romain de Sainte Marie. Bien évidemment, je laisserai la vérité dans la bouche du MCG, qui...

M. Jean-François Girardet. La vérité viendra dimanche !

M. Romain de Sainte Marie. ...dit que ceci est faux. On verra la vérité dimanche, en effet. Aujourd'hui, de réelles solutions existent. Un début de réflexion et d'action est mené, qui consiste en un renforcement des mesures de contrôle du marché du travail, en une lutte pour des salaires plus décents et contre la sous-enchère salariale que nous amène certes l'Europe, puisque nous avons construit la libre circulation des personnes sur l'économie et non sous un angle social. Nous devons maintenant mettre en place cet aspect social avec nos voisins français, avec la région, pour lutter contre les effets de sous-enchère salariale et améliorer l'insertion professionnelle de nos jeunes, par exemple en luttant contre des stages abusifs non rémunérés. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite ce soir à ne pas céder, à ne pas légitimer ce discours...

Le président. Il vous reste vingt secondes.

M. Romain de Sainte Marie. ...et, au-delà du refus de ce projet de loi, qui paraît de toute façon certain, à refuser les idées du MCG. J'en appelle également aux journalistes, aux médias, à la population... (Exclamations. Huées.) ...pour contester ce discours dimanche. A terme, les Genevoises et les Genevois...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Romain de Sainte Marie. ...résisteront à votre discours de haine puisque vous ne faites que ça ! (Applaudissements.)

M. Eric Stauffer (MCG). Monsieur le président, vous transmettrez à mon préopinant que le système communiste à la soviétique pour le contrôle de la presse n'existe pas et n'a pas lieu d'être en Suisse. Heureusement que le quatrième pouvoir est là pour relater des faits, et c'est bien de faits dont on va vous parler aujourd'hui. Mesdames et Messieurs, vous vous offusquez, vous dites que ce projet de loi est déplacé; j'aimerais pour ma part vous apporter un autre éclairage. On vient toujours nous dire que c'est contraire au droit supérieur et aux accords que la Suisse a signés avec l'Europe. Rappelez-moi, Monaco fait bien partie de l'Europe, de la Communauté européenne, de l'Espace économique européen...?

Une voix. Non !

M. Eric Stauffer. Oui ! Ces bases légales sont valables à Monaco, Mesdames et Messieurs, et je vous lis le passage de la Constitution monégasque qui stipule ceci en son article 25: «La liberté du travail est garantie. Son exercice est réglementé par la loi. La priorité» - pas l'obligation ! - «est assurée aux Monégasques pour l'accession aux emplois publics et privés, dans les conditions prévues par la loi ou les conventions internationales.» Qu'y a-t-il de choquant, Mesdames et Messieurs, dans cet article constitutionnel monégasque ? Que demande le MCG ? Le MCG veut que le Français, l'Espagnol, l'Italien, le Kosovar, le Suisse obtiennent la priorité de l'emploi sur une main-d'oeuvre qui vient de l'autre côté de l'Europe, parce que ce sont des résidents, voilà le message du MCG.

Vous m'expliquerez ce qu'il y a de xénophobe, Monsieur de Sainte Marie, à vouloir simplement protéger les résidents sans distinction de nationalité. Votre discours ne fait plus illusion, la preuve: à chaque élection, votre groupe recule. Et j'espère que dimanche, Mesdames et Messieurs, vous recevrez encore une fois la correction que vous méritez parce que vous ne voulez pas écouter la population genevoise qui, elle, souffre de ce chômage, de cette pression sur les salaires - et on ne parle pas encore de dumping salarial parce que les employeurs sont suffisamment intelligents pour rester dans une zone grise. A l'heure actuelle, on sait très bien qu'une famille qui gagne, entre les deux parents, 6500 F ou 7000 F par mois ne fait que survivre à Genève. Songez, Mesdames et Messieurs, aux subsides d'assurance-maladie: 108 000 personnes sont au bénéfice de ces aides pour un montant total d'environ 280 millions de francs. Au sens de la loi, elles ne gagnent plus assez, Mesdames et Messieurs, pour payer les primes d'assurance LAMal ! Voilà pourquoi le MCG veut la priorité de l'emploi et se bat pour des salaires décents avec des conventions collectives. Vous autres, socialistes, vous avez abandonné ce discours parce que vous êtes devenus une gauche caviar, qui ne protège plus qu'une petite élite de la gauche. Nous continuerons à défendre le peuple pour qu'il ait ses places de travail avant les frontaliers. Je reviendrai, Monsieur le président, sur l'amendement que nous allons déposer.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole revient à M. Cyril Aellen.

Une voix. Mais moins fort !

M. Cyril Aellen (PLR). Merci, Monsieur le président. Il m'est difficile de prendre la parole après ces propos exclusivement polémiques, qui viennent des bancs de droite comme de gauche. J'ai aussi été un peu déçu, à la lecture du rapport, du travail effectué par la commission, parce qu'elle s'est focalisée sur des aspects d'applicabilité en tentant de déterminer si le texte était contraire ou pas au droit fédéral et aux conventions internationales, sans se pencher sur l'examen de la conformité au droit fédéral, notamment celui voté par le peuple le 9 février 2014 - j'y reviendrai.

Je crois que le vrai débat se situe ailleurs. La préférence cantonale se fonde sur un double constat erroné: le premier, c'est que le nombre d'emplois est fixe et l'économie figée; le second, c'est que le nombre d'habitants est invariable et que, par voie de conséquence, il suffirait de répartir les catégories d'emploi et d'habitants un peu différemment à l'intérieur d'un cercle fermé pour que le problème soit réglé. En réalité, la situation est tout à fait différente: la priorité à l'emploi ne règle rien car le nombre de chômeurs est inversement proportionnel à notre capacité à fournir des emplois adaptés à des employés adaptés, un gâteau suffisamment grand pour que tout le monde puisse en manger, et suffisamment bon et sain pour que chacun ait envie d'y goûter. Une partie de ce parlement est parfois très attentive à la qualité du gâteau sans se préoccuper de sa taille; une autre se préoccupe peut-être davantage de la taille du gâteau sans se soucier de savoir s'il est suffisamment bon et sain; et il y a bien évidemment le MCG, qui se préoccupe de la taille de la part de gâteau sans savoir s'il est mangeable ou assez grand pour chacun. Ce projet de loi a le mérite de rappeler à ceux qui sont réellement préoccupés par l'emploi, soit l'Alternative modérée et l'Entente, que nous devons nous soucier à la fois du nombre d'emplois et de la qualité de ceux-ci, de façon réciproque.

Je finirai en disant à l'UDC que je n'ai pas compris sa position, vraiment pas. C'est un message de soutien très simple, et j'espère que vous changerez d'avis. En disant aux étrangers: «Si vous voulez nous aider à faire fonctionner nos hôpitaux, nos transports publics, vous ne pouvez pas habiter dans la région transfrontalière, vous devez impérativement venir chez nous, et là, vous pourrez nous aider et travailler auprès de nous», vous dites exactement le contraire de ce que préconise l'UDC Suisse avec son initiative.

M. Patrick Lussi (UDC). Bien que je sois souvent proche de M. Aellen à la commission des finances, je n'ai pas du tout compris sa dernière proposition, mais je suis sûr qu'il va me l'expliquer gentiment. Mesdames et Messieurs, permettez-moi de commencer par ces mots puisque nous avons été, nous aussi, légèrement agressés: ce qui est semblable n'est pas forcément similaire; ce soir, l'Union démocratique du centre ne sera pas similaire. J'aimerais vous dire ceci car quand j'entends les bancs d'en face, je suis obligé de réagir - vous me le permettrez: l'amour du migrant, l'amour de l'étranger doit-il être supérieur à la volonté de protéger ceux qui sont sur notre territoire, quelle que soit leur nationalité ? C'est une question de position. Le peuple suisse s'est tout de même prononcé à ce sujet et, bien que M. Aellen prétende le contraire, l'Union démocratique du centre aura un peu de souci ce soir quant à ce projet du MCG pour la simple et bonne raison que parallèlement - vous le savez, et j'entendrai vos critiques, heureusement d'ailleurs que ces critiques ne se font qu'ici parce que, dans la rue, les gens signent - nous avons une initiative pour que notre droit suisse revienne.

Un bon agrarien, un bon militant de l'Union démocratique du centre aime son pays, comme vous d'ailleurs, aime ses institutions et ses lois, et ce sont justement nos lois que nous aimerions voir prédominer. Or tout un cheptel de nos lois ne sont pas respectées par l'exécutif - de toute façon, c'est son habitude, M. le président du Conseil d'Etat aime me fustiger et dire que nous sommes des ânes - pour différentes raisons, peut-être y a-t-il des pressions, dont M. Vanek est certainement, on l'a entendu tout à l'heure, l'un des initiateurs, mais on ne respecte pas la loi. Dans cette loi, il y aurait des possibilités de mieux...

En deux mots, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, l'Union démocratique du centre est pour un contrôle. Je sais que ça vous dérange, ça dérange les milieux économiques. Quand j'entends «un emploi adapté pour un employé adapté»...! Mais les emplois adaptés du moment, tels que les milieux économiques nous les donnent, on n'en trouve plus à Genève, et c'est peut-être là une interrogation à poser directement à Mme Torracinta, même si elle ne pourra pas me répondre: comment se fait-il qu'avec les milliards que l'on dépense pour l'instruction publique, nous ne trouvions plus à Genève de gens qualifiés ? Même dans le milieu médical - vous me permettrez ce propos par un sourire vu que vous avez eu l'élégance de refuser notre motion l'autre soir - nous avons des valeurs à Genève, mais non, il faut aller les chercher à Paris parce qu'ils sont paraît-il meilleurs ! Mesdames et Messieurs, face à tout cela, l'Union démocratique du centre adoptera la liberté de vote mais, en ce qui me concerne et par rapport à mes convictions, je ne pourrai pas voter ce projet de loi. Je vous remercie.

M. Boris Calame (Ve). Chères et chers collègues, ce n'est pas tant le principe qui doit être combattu ici, soit permettre à tout résident genevois de trouver un emploi, mais bien le projet de loi constitutionnel qui inscrit les résidents genevois comme primo-accédants aux emplois proposés sur le territoire genevois. Un résident genevois est-il un résident d'origine genevoise ou alors un résident qui habite le territoire genevois ? La formulation crée l'ambiguïté et ne peut pas être acceptée en tant que telle.

Par ailleurs, force est de constater que le groupe MCG ne propose à nos travaux qu'une partie seulement de la loi monégasque et semble ainsi délibérément oublier non seulement la notion de respect du droit supérieur, le cas échéant son interprétation envisageable dans la loi, mais aussi les conventions ou accords internationaux tels qu'ils sont mentionnés dans la Constitution monégasque. A la fin de son article 25, celle-ci stipule en effet: «[...] dans les conditions prévues par la loi ou les conventions internationales.» Voilà tout le problème de ce texte, qui veut faire fi du droit supérieur, ce qui le rend illégal et inapplicable.

N'oublions pas que Genève est une république mais aussi un membre de la Confédération, et que les engagements pris par celle-ci au nom du peuple suisse dans son entier sont garantis et contraignants. Les accords bilatéraux imposent la libre circulation des personnes; notre constitution cantonale ne peut s'y opposer et, le cas échéant, cette disposition dans sa formulation proposée serait obligatoirement cassée par les tribunaux, notamment notre Chambre constitutionnelle. Autant les collectivités publiques ont une certaine marge de manoeuvre en matière de politique d'embauche locale, autant une loi constitutionnelle ne peut imposer un type d'embauche au secteur privé. La liberté économique est en effet régie par le droit supérieur, c'est-à-dire la Constitution fédérale, comme par notre constitution cantonale. Nous refuserons bien évidemment ce projet de loi qui est non conforme au droit et ne tiendra en aucun cas devant les tribunaux. Je vous remercie.

M. Michel Amaudruz (UDC). Je vais m'efforcer d'être bref. Instaurer la préférence pour la main-d'oeuvre cantonale, jusque-là je veux bien; mais encore faudrait-il la trouver ! D'autre part, en écoutant tant M. Stauffer que M. le rapporteur Baertschi, si je portais des bretelles, elles m'en seraient tombées ! C'est effarant, ce que j'ai entendu sur le droit monégasque. Les citoyens monégasques ne sont qu'une dizaine de milliers, toute l'administration est française. Il faut regarder les choses factuellement: toute l'administration est française, tous les services hospitaliers sont français, tous les secteurs de l'activité économique monégasque sont français. Le matin, quand vous arrivez à Monaco, il y a une colonne de frontaliers qui dépasse largement celle que connaît Genève. Puisque M. Baertschi fait un droit comparé un petit peu martien et lunaire, il aurait aussi pu regarder du côté de la principauté du Liechtenstein, où 60 000 frontaliers se rendent chaque matin. Une petite entité ne peut pas se développer par ses propres moyens et ressources. Or notre canton, Grand Genève ou pas, reste une petite entité.

Le président. Il vous faut conclure.

M. Michel Amaudruz. Vous oubliez totalement de tenir compte de cela. Ce que je veux dire, c'est que les comparaisons de droit que vous avez faites sont totalement hors de propos et que la situation à Monaco...

Le président. Merci, Monsieur le député.

M. Michel Amaudruz. ...est terrible pour les quelques Monégasques qui y résident, lesquels vivent un enfer et se plaignent...

Le président. C'est terminé, Monsieur Amaudruz.

M. Michel Amaudruz. ...de la cherté de la vie.

Le président. Merci. Je cède la parole à M. le député Daniel Sormanni pour quarante secondes.

M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, personne n'a parlé d'évincer les frontaliers, on a simplement dit qu'il fallait donner la priorité de l'emploi à ceux qui vivent ici, et c'est ce qui se fait à Monaco: quand un poste se libère, on regarde d'abord si un Monégasque peut le prendre, et c'est ce que nous voulons pour Genève, à savoir que ceux qui habitent ici puissent bénéficier des emplois. A quoi bon créer de nouveaux postes si c'est pour aller chercher tous les travailleurs de l'autre côté de la frontière ? Ça n'a pas de sens.

Un mot encore sur l'étude de M. Flückiger, évoquée dans le rapport de majorité.

Le président. Il vous reste vingt secondes.

M. Daniel Sormanni. Je vais tout de suite terminer. Il s'agit d'une étude au rabais, avec six personnes entre 35 et 45 ans interrogées, dont aucune femme, et vous vous basez là-dessus pour prétendre que les employeurs engagent des Suisses ?! C'est faux, et voici trois chiffres des TPG, que j'ai par hasard sous les yeux, pour le prouver: en 2010, 36 frontaliers ont été engagés sur 66 engagements...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Daniel Sormanni. ...en 2011, 37 sur 79 engagements et, en 2012, 65 sur 154.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député.

M. Daniel Sormanni.  Ça montre bien que tout cela est faux, et je vous enjoins de voter ce projet de loi.

M. François Lefort (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, il est intéressant de passer quarante minutes sur une proposition aussi absolument ahurissante. Mes collègues Calame et Amaudruz ont rappelé certaines réalités de Monaco, et j'en commenterai quelques-unes en particulier. Il faut savoir que depuis 1963, Monaco et la France forment un ensemble fiscal. Serait-ce donc là le modèle prôné par le MCG pour Genève ? J'attends une réponse, bien sûr.

Par ailleurs, le ministre d'Etat de Monaco, c'est-à-dire le premier ministre, était obligatoirement français jusqu'en 2002; maintenant, il peut encore être français, c'est-à-dire frontalier. Est-ce que ce serait ça aussi, le nouveau modèle que le MCG prônerait pour Genève ? Dans les règlements et traités internationaux que mentionnait M. Calame tout à l'heure, il y a évidemment tout ceci. On ne peut pas prendre un petit article dans la loi de Monaco et dire que l'exemple, c'est Monaco. Si l'exemple, c'est Monaco, eh bien suivons le modèle en entier - mais je ne sais pas si vous aurez la cohérence de le faire.

Le président. Je vous remercie. Monsieur Baertschi, il vous reste quarante-cinq secondes.

M. François Baertschi (MCG), rapporteur de minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Je ne vais pas argumenter sur certains éléments un peu pauvres, notamment s'agissant du droit supérieur, puisqu'il est évident que ça figure dans la loi monégasque. J'évoquerai seulement un autre élément, qui nous montre qu'il y a urgence à agir à ce niveau-là, c'est la question écrite à laquelle je viens de recevoir une réponse: 170 permis G ont été demandés pour l'université, 42 pour le DIP, tout ça alors qu'on dispose largement des personnes pour effectuer ce genre de tâches. On se rend compte qu'on entre dans une dérive à Genève...

Le président. Il vous faut conclure.

M. François Baertschi. Or il ne faut pas une dérive de la pauvreté, mais bien une dérive de la prospérité. C'est ce que demande ce projet de loi...

Le président. Je vous remercie.

M. François Baertschi. ...et si on ne payait plus d'impôts, j'en serais ravi ! Merci, Monsieur le président.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Je passe maintenant la parole à M. Jacques Béné, à qui il reste cinquante secondes sur le temps de son groupe.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Oui, merci, Monsieur le président. Je voudrais simplement rappeler que Monaco présente une très grande différence avec la Suisse et Genève en particulier, à savoir qu'elle ne connaît pas le principe de la libre circulation des personnes avec l'Union européenne. Cela fait peut-être sourire le MCG, mais c'est bien la réalité, d'où la nécessité de refuser ce projet de loi.

Maintenant, j'aimerais aussi souligner le fait qu'à Genève, plus de 60 000 emplois sont publiés chaque année, ce qui est davantage que ce que la main-d'oeuvre locale peut assumer, malheureusement. M. Romain de Sainte Marie a de surcroît mentionné les études effectuées par le professeur Flückiger...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Jacques Béné. ...sur la question du lien entre chômage...

Le président. C'est terminé.

M. Jacques Béné. ...et immigration... Si vous le permettez, Monsieur le président, je reprendrai la parole au moment de l'amendement. Merci.

M. Olivier Cerutti (PDC). J'entends ce qui se dit dans cet hémicycle. A écouter le MCG ce soir, il faudrait freiner la croissance, fermer nos entreprises, cesser d'engager du personnel venant de l'extérieur, arrêter de chercher des compétences...

M. Eric Stauffer. Ce n'est pas ce qu'on a dit !

M. Olivier Cerutti. C'est ce que j'entends, Mesdames et Messieurs, et je trouve cela déplorable. Une économie a besoin de prospérité, elle a besoin de se développer dans une région qui plus est magnifique, ce n'est surtout pas le moment de casser cet état d'esprit. La sinistrose commence par là - je vous invite à la réflexion.

Une voix. Ouh là là !

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et ouvre le scrutin sur l'entrée en matière.

Une voix. Vote nominal !

Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Très bien, nous passons donc au vote nominal.

Mis aux voix, le projet de loi 11336 est rejeté en premier débat par 67 non contre 16 oui et 2 abstentions (vote nominal).

Vote nominal