Séance du vendredi 16 décembre 2005 à 17h
56e législature - 1re année - 3e session - 14e séance

P 1195-C
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la pétition pour la défense du français dans les collèges genevois
M 1308-B
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Michel Balestra, Janine Berberat, Madeleine Bernasconi, Marie-Françoise De Tassigny, Nelly Guichard, Philippe Glatz pour un renforcement de la qualité de l'enseignement du français

Débat

M. François Thion (S). Je tiens d'abord à remercier le Conseil d'Etat pour ce rapport très complet, qui tente de répondre à la fois à une pétition de maîtres de français du collège de Genève et à une motion déposée par des députés demandant de renforcer l'enseignement du français tout au long du cursus scolaire.

La pétition concerne particulièrement le problème de l'augmentation des effectifs dans les classes et la surcharge des maîtres de français qui demandent de pouvoir continuer à travailler dans des conditions convenables. (Brouhaha.)

S'agissant de ce rapport, j'aimerais revenir sur cinq points, si vous le permettez...

Tout d'abord, la maîtrise de la langue française, de la lecture et de l'écriture joue évidemment un rôle majeur dans tous les apprentissages scolaires. Trop souvent, des jeunes ayant achevé leur scolarité butent sur la compréhension de mots simples... (Brouhaha.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais un peu de silence pour pouvoir écouter M. Thion !

M. François Thion. Merci, Monsieur le président ! Un exemple tout récent: une collègue m'a signalé que, lors d'un exercice effectué au collège, des élèves à qui l'on demandait de trouver un synonyme butaient sur le mot «synonyme»... Ils n'en comprenaient pas le sens !

Autre exemple. L'orthographe est souvent très fantaisiste et joue des mauvais tours à certains élèves qui perdent des points dans des épreuves d'histoire ou de géographie, car ils confondent des mots à cause de l'orthographe !

Mais une chose est positive - et ce n'est pas signalé dans le rapport - je veux parler de l'expression orale qui s'est nettement améliorée à l'école. J'ai eu l'occasion de faire rencontrer des jeunes des collèges de Genève avec des jeunes de lycées français de l'autre côté de la frontière... Eh bien, très honnêtement, je n'ai pas vu de différence entre ceux qui ont pris la parole, même si, a priori, on pense que les Français s'expriment mieux ! A mon avis, un très grand progrès a été fait dans le domaine de l'expression orale à Genève.

Deuxième point que je voulais relever: la bonne connaissance du français est également un facteur important d'intégration pour les jeunes étrangers. Et il ne faut pas oublier que, dans cette intégration, il faut aussi prendre en compte nos compatriotes d'outre-Sarine.

Troisième point: le département a mis en place un «plan lecture» aux objectifs ambitieux... Et, comme cela est indiqué dans ce rapport: «...les compétences de lecteur se développent tout au long de la scolarité...». C'est vrai, mais il est extrêmement important d'identifier rapidement des élèves en difficulté en lecture. C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en place des dispositifs de dépistage et de «remédiation» pour ces élèves que l'on pourrait qualifier «d'élèves à risques»... Et cela doit être fait dès l'école primaire.

Ensuite, quatrième point. Il faut réserver des plages horaires spécifiques pour la lecture et l'écriture. Cela me semble indispensable. J'ai l'impression que l'on a affaire, à l'heure actuelle, à une génération de jeunes qui ont passé quinze ou vingt ans à l'école et qui n'ont jamais été amenés à écrire un texte en entier... J'exagère peut-être un peu, mais, trop souvent, dès l'école primaire, dès l'apprentissage de la lecture, les élèves n'écrivent que des mots. En fait, on leur demande de boucher des trous dans des textes photocopiés. L'introduction des photocopieuses dans toutes les écoles, il y a vingt ans, et la surcharge des programmes ont conduit les enseignants, dans les différentes disciplines, à utiliser des textes à compléter. Et l'on se retrouve maintenant avec des élèves qui, à l'âge de 20 ans, ont rarement eu à écrire un texte de trois ou quatre pages !

Cinquième point: il faut assurer la cohérence entre l'école primaire, le cycle d'orientation et le postobligatoire. Les connaissances des plans d'étude en français sont peut-être un peu trop réservés à la hiérarchie du département de l'instruction publique et ne passent pas parmi les enseignants eux-mêmes !

Pour terminer, je dirais simplement qu'il faut assurer les moyens de cette politique ambitieuse - politique d'ailleurs demandée par les auteurs de la pétition. Je vous prie donc de prendre acte de ce rapport.

Mme Janine Hagmann (L). Voilà trois heures que nous parlons de problèmes concernant l'enseignement, et la fatigue se fait sentir... Je serai donc brève, car je pense que nous ne sommes plus en état de discuter de ce problème récurrent, qui resurgit régulièrement: on retrouve des textes qui ont plus de cent ans disant que les gens ne savent plus lire ni écrire ! Et puis je ne suis pas sûre que nous soyons tout à fait aptes à comprendre - même si je remercie le département de son rapport - des phrases du style: «...il s'agit de préciser que la lecture est une activité complexe qui suppose la mise en place de nombreuses compétences cognitives dont la maîtrise nécessite une combinaison des activités sur le code et le sens.»... Je crois que le code et les sens sont un peu fatigués en ce moment ! (Rires.)

Je voulais juste dire deux choses. La première. Tout le monde dit qu'il faut faire attention au français... A titre d'exemple, je me trouvais récemment derrière un tram sur lequel était placardée une immense affiche qui disait: «Le tabac, je veux plus le sentir !». Comme modèle de français, on aurait pu trouver un autre slogan, surtout que l'affiche est vraiment très grande ! Je ne suis pas d'accord avec la publication d'erreurs. Il faut savoir différencier l'oral et l'écrit !

Deuxième chose. Nous passons tous les jours dans la rue de l'Hôtel-de-Ville... Pendant une semaine - vous l'avez certainement su par vos services, Monsieur Beer - un grand panneau devant vos bureaux indiquait: «Rénovation ou travaux pour mettre en ordre le département de l'instruction public - PUBLIC» ! Vous avez fait corriger par la suite, mais, maintenant, on voit que l'on a collé les lettres «Q.U.E.» dessus ! (Rires.) Il faudrait aussi tenir compte de ce genre de message en matière de transmission de bon français !

Mais merci tout de même pour votre rapport, Monsieur le président !

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Je vais me sentir gênée de prendre souvent la parole, mais, comme je ne parle jamais longtemps, je pense ne pas abuser de votre temps...

Ce rapport est très important - il vaut la peine que nous en parlions même s'il est tard et que nous avons déjà beaucoup discuté aujourd'hui - parce qu'il aborde enfin le fond du problème, à savoir les méthodes d'apprentissage de la lecture.

Je pense que la lecture est la clé d'un bon départ pour toute la scolarité, qui concerne pratiquement tous les domaines d'enseignement. Et le rapport du Conseil d'Etat - c'est vrai, Monsieur Charles Beer - met tout de même en évidence de graves lacunes en la matière, et ce depuis fort longtemps. Il y a un manque criant d'heures d'enseignement du français, un manque d'homogénéité des méthodes appliquées, un manque de continuité de ces méthodes au fil des cursus scolaires et un manque d'évaluation des méthodes utilisées.

A mon avis, ce rapport aurait dû être renvoyé à la commission de l'enseignement et de l'éducation quand nous avons préparé le contreprojet de ARLE - malheureusement, cela n'a pas été le cas - car cela aurait été une bonne base de travail pour l'étudier.

Je voudrais relever des éléments qui me semblent graves et qui reviennent très souvent...

On fait souvent un lien entre le niveau socioculturel et les difficultés d'apprendre à lire... En tant que professionnelle de l'apprentissage de la lecture, puisque je suis logopédiste, je m'inscris en faux contre cette affirmation ! Il y a des personnes dont le milieu socioculturel est extrêmement bas et qui n'ont aucun problème d'apprentissage de la lecture. A l'inverse, des personnes d'un excellent niveau socioculturel sont complètement dyslexiques. A mon avis, les difficultés d'apprendre à lire n'ont rien à voir avec le niveau socioculturel ! Par contre, la culture n'est bien sûr pas similaire. Il est évident que des enfants d'un niveau socioculturel plus bas auront peut-être un vocabulaire moins riche. Mais ils auront une capacité d'apprendre équivalente à celle d'enfants dont le niveau socioculturel est élevé.

Autre élément de ce rapport que je voulais évoquer... Le département ne cite que le Service médico-pédagogique comme lieu de thérapie où exercent des professionnels... C'est faux ! Il existe quatre centres reconnus à Genève, puisqu'il y a aussi le Service de neurologie, à l'hôpital, la Guidance infantile et le Centre des praticiens privés.

De plus, on parle d'école obligatoire à 4 ans... C'est prématuré ! Le peuple ne s'est pas encore prononcé sur ce sujet !

Voilà les remarques que je voulais faire. J'aurais bien proposé de renvoyer cet objet à la commission de l'enseignement et de l'éducation, mais, comme les travaux sur le contreprojet de ARLE sont terminés, je pense que ce n'est pas nécessaire. Je remercie le département d'avoir écrit ce rapport, et je propose d'en prendre acte.

M. Pierre Weiss (L). Je partage la conclusion de Mme Leuenberger de prendre acte de ce rapport...

Je voudrais toutefois faire deux remarques formelles et deux remarques concernant le rapport lui-même.

La première remarque formelle est la suivante. La phrase: «Le tabac, je veux plus le sentir !» me semble davantage évoquer un acte freudien qu'il faut mettre au crédit du CIPRET... On lui souhaite de continuer dans cette voie !

Deuxième remarque formelle. La critique de l'enseignement et de l'école genevoise n'est pas forcément un dénigrement de celle-ci. Elle montre, au contraire - en tout cas de la part de celui qui vous parle - la volonté - et je pense que c'est la majorité de ceux qui émettent des critiques - que ces critiques soient constructives, dans le but d'améliorer la situation - le rapport lui-même reconnaît les difficultés de cet enseignement - et les résultats de l'enquête PISA sur la lecture, qui figurent en page 5.

J'en viens à mes remarques sur le rapport lui-même. Première remarque. La dotation horaire du français à Genève est plus faible que dans les deux cantons ayant obtenu les meilleurs résultats - cela figure en page 6. Il y a effectivement un lien entre le nombre d'heures d'enseignement et les résultats obtenus. Et ce que M. Beer a dit tout à l'heure est tout à fait pertinent: il ne faut pas surcharger l'école de missions qui la distraient de ses missions fondamentales, à savoir l'enseignement du français et des mathématiques notamment. Ce n'est évidemment pas incompatible avec le fait d'avoir une filière bilingue qui ne serait choisie que par un certain nombre d'élèves et non pas généralisée comme les tenants du conservatisme le craignaient.

Deuxième remarque. Le rapport propose, en page 10, des formations continues pour les enseignants. Je pense qu'il serait bon que ces formations continues soient évaluées et dans le suivi des enseignants et dans les résultats qu'ils obtiennent à l'issue des formations en question.

Mme Michèle Künzler (Ve). Je voudrais juste intervenir sur une phrase qui m'a choquée dans ce rapport. On parle en effet de «L'identification des élèves potentiellement faibles en lecture...». J'aimerais bien que l'on ne stigmatise pas les milieux les plus défavorisés en pensant que les enfants de ces milieux sont «potentiellement faibles en lecture» avant même qu'ils aient commencé à lire ! Comme l'a très bien dit ma collègue, l'apprentissage n'est pas une question de milieu social ! Certes, il y a des différences de cultures, et certaines cultures sont plus ou moins favorisées à l'école. Mais la capacité d'apprentissage et l'intelligence sont répartis de manière égale dans les classes sociales. On ne peut donc pas parler «d'élèves potentiellement faibles» !

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Tout d'abord merci d'avoir pris acte de façon positive du rapport que le Conseil d'Etat vous a adressé.

Permettez-moi de faire brièvement quelques remarques.

La première remarque est très formelle et concerne l'école obligatoire à 4 ans. Si vous lisez le rapport avec attention - et si vous êtes attentifs à ce qui se dit actuellement dans le cadre d'une approche romande de ce sujet - il est question d'un plan d'étude-cadre romand. Bien entendu, il n'est pas question de priver le parlement, et encore moins le peuple, de se prononcer sur une telle décision. En effet, c'est bien par un concordat qui vous sera soumis que l'ensemble de ces dispositions seront, le cas échéant, adoptées. Ce n'est pas parce qu'il y a un objectif qu'il faut automatiquement penser que son application sera soustraite aux droits populaires, droits populaires qui me tiennent autant à coeur que vous, Madame Leuenberger, permettez-moi de vous le préciser !

Deuxième remarque importante par rapport à l'enseignement du français. J'aimerais vous dire d'emblée que c'est une problématique extrêmement complexe, et l'ensemble de vos interventions l'ont, d'une certaine manière, largement illustrée.

Tout d'abord, Madame Künzler, je vous dirais que, même si la phrase en question vous choque, cela mérite tout de même d'être relevé parce que c'est une réalité: plus les élèves font partie d'un milieu économique et social modeste, plus l'échec scolaire est au rendez-vous et plus cet échec est en relation avec des problèmes de lecture. C'est peut-être un constat déplaisant, mais je rappelle que l'objectif fondamental de la démocratisation des études consiste précisément à rompre ce processus. Et ce n'est pas en niant une réalité qu'on peut la transformer. C'est, au contraire, à partir de celle-ci que se construisent les plans d'avenir, y compris les plus audacieux.

Ce ne sont pas vos propos qui me poussent à prendre la parole. Je souhaite simplement apporter deux précisions à ce rapport sous forme de réflexions...

Tout d'abord, Monsieur Thion, permettez-moi de vous dire que l'approche est rigoureuse certainement au niveau du collège; elle l'est probablement au cycle d'orientation et elle l'est également au niveau de l'école primaire. Il n'en demeure pas moins que la réalité à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui, en termes d'urbanité, en termes de troubles liés notamment à un accès très facile et trop fréquent aux médias électroniques, touche l'ensemble des ordres d'enseignement. La rigueur et la nécessité de contrecarrer un certain nombre de constats concernent tout le monde. J'aimerais que l'on en prenne note et que cela nous permette d'avoir une approche cohérente, du primaire au postobligatoire, qui intègre notamment les élèves qui ont le plus de difficultés.

C'est là que j'apporte la deuxième précision, sous forme de réflexion ouverte, à partir d'une expérience engagée par le département de l'instruction publique à l'occasion des «Semaines de la lecture». Ces «Semaines de la lecture» sont un élément extrêmement positif en soi. Pourtant, il me fait réfléchir, et j'aimerais partager cette réflexion avec vous. En effet, on peut constater que, si l'on ne prend pas en charge, de façon spécifique et d'emblée, les élèves qui ont le plus de difficultés, plus on les fait lire et, alors, plus l'écart se creuse et les inégalités augmentent. L'enseignement dans son ensemble doit prendre en compte les élèves qui ont le plus de peine avec l'apprentissage du français. Et cela doit également se faire lors d'événements comme les «Semaines de la lecture».

Mais cela est un vaste objectif de nos jours, à l'heure des médias électroniques, à l'heure où l'on valorise tant les langues étrangères !

Je me permets, une fois de plus, à travers ce rapport, de faire un vibrant plaidoyer en faveur de la langue française, pour sa qualité, au niveau de l'écrit comme de l'oral. Cela est indispensable pour vivre ensemble, pour tout projet intégratif: social, culturel et éducatif ! (Applaudissements.)

Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat sur la pétition 1195 et sur la motion 1308.