Séance du jeudi 18 novembre 1999 à 17h
54e législature - 3e année - 1re session - 51e séance

P 1195-A
6. a) Rapport de la commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'étudier la pétition : Pour la défense du français. ( -)P1195
Rapport de majorité de M. Jean-François Courvoisier (S), commission de l'enseignement et de l'éducation
Rapport de minorité de Mme Janine Hagmann (L), commission de l'enseignement et de l'éducation
M 1308
b) Proposition de motion de Mmes et MM. Janine Hagmann, Michel Balestra, Janine Berberat, Madeleine Bernasconi, Philippe Glatz, Nelly Guichard et Marie-Françoise de Tassigny pour un renforcement de la qualité de l'enseignement du français. ( )M1308

RAPPORT DE LA MAJORITÉ

Rapporteur : M. Jean-François Courvoisier

Le mercredi 1er septembre, à la demande de la présidente Mme Jeannine de Haller, nous interrompons l'étude du projet de loi 7787 modifiant la loi sur l'instruction publique pour étudier la pétition 1195 sur l'enseignement du français dans les collèges, pétition qui date de 18 mois.

Plusieurs commissaires pensent qu'il faudrait intégrer cette pétition au projet de loi 7787. La présidente répond que c'est à cause de cette éventualité qu'elle a prévu de mettre cette pétition à l'ordre du jour et qu'elle a invité les deux pétitionnaires, Mmes Catherine Fuchs et Anne Zanoni-Jeanrenaud, pour être auditionnées par notre commission.

Une discussion reprend entre les commissaires qui veulent intégrer cette pétition au projet de loi 7787 et ceux qui veulent la traiter séparément. La présidente met fin au débat et note qu'il faudra clarifier cette question.

Nous accueillons ensuite les deux pétitionnaires suivies de Mme Extermann, représentante du DIP, qui pourra répondre à nos questions au sujet de la nouvelle grille horaire des collèges genevois.

Mme Zanoni-Jeanrenaud prend la parole la première et nous informe qu'en automne 1997 les maîtres ont pris connaissance de la nouvelle grille horaire. D'après elle, il y a deux grilles. Soit les heures que les élèves doivent suivre à l'école et la grille horaire des maîtres, les heures pendant lesquelles ils doivent enseigner. Dans l'opération, les professeurs de français ont perdu une heure et les élèves une demi-heure.

Pour expliquer cette différence, la pétitionnaire indique que les élèves bénéficiaient jusqu'alors d'une heure de français en demi-groupes tous les quinze jours ou sous un plan plus individualisé. Le maître enseignait quant à lui cette heure chaque semaine.

En réaction à cette nouvelle grille, la Commission des présidents des groupes de français, dont font partie Mmes Fuchs et Zanoni-Jeanrenaud, a exprimé son mécontentement en rédigeant cette pétition qui a été signée par 322 maîtres dont beaucoup n'enseignent pas le français.

C'est au tour de Mme Fuchs de prendre la parole pour nous dire que ces nouvelles dispositions aggravent les conditions de l'enseignement du français. D'après l'accord de 1989, on sait que les corrections bien faites prennent énormément de temps. Au collège de Saussure où elle enseigne tout comme sa collègue Mme Zanoni-Jeanrenaud, il n'y a que deux maîtres sur 23 qui enseignent le français à plein temps. Mme Fuchs mentionne aussi l'augmentation d'élèves non francophones et le niveau de plus en plus préoccupant des francophones dans la maîtrise de leur langue maternelle. Ce fait est confirmé par des collègues qui enseignent à l'Université et qui se plaignent de la médiocrité de la qualité de rédaction des élèves qui fréquentent leur cours. Enfin, Mme Fuchs déplore l'augmentation des effectifs dus en partie à l'instauration de la nouvelle maturité.

L'oratrice réclame le retour au système des demi-groupes comme elle l'explique plus loin. Mme Fuchs dénonce un paradoxe. Les Plans d'études cadres insistent sur l'importance de la langue première mais, dans le même temps, les maîtres de français ont de moins en moins de temps. Elle concède que des professeurs d'autres disciplines pourraient faire le même constat mais les deux pétitionnaires jugent indispensable de ne pas laisser un tel état de fait à leur niveau.

A la demande des commissaires sur les raisons qui ont conduit à la suppression de cette heure, Mme Zanoni-Jeanrenaud répond que c'est une question de coût. Elle pense que le but du DIP était en réalité de diminuer le nombre d'heures.

Mme Fuchs exemplifie : En quatrième année, les élèves suivaient 3 heures en classe entière et 1 heure en demi-groupe, mais le maître suit ses classes 3 heures plus les deux demi-groupes. Le compte est donc de 5 heures pour l'enseignant et de 4 heures pour l'élève. Or cela a disparu. Actuellement, professeurs et élèves voient leurs compteurs égalisés, soit 4 heures de part et d'autre. Il s'ensuit, déplore la pétitionnaire, une baisse évidente de la qualité. L'enseignement individualisé, poursuit Mme Fuchs, est fondamental. Alors avec des classes de 25 élèves !

Mme Fuchs sait qu'il y a des problèmes financiers et assure que les maîtres en sont conscients. Mais il est nécessaire d'après elle que les gens réalisent le hiatus grandissant entre ce qu'on exige des enseignants et ce qu'on leur permet de faire. Il faut savoir, ajoute Mme Fuchs, que ces changements ont été constatés mais que le corps enseignant n'en a pas été informé.

A l'issue des auditions, Mme Extermann s'étonne des revendications des pétitionnaires. Auparavant, il y avait une grande disparité entre les 8 établissements. La nouvelle grille horaire sera valable pour l'ensemble des collèges genevois. Mme Extermann insiste sur l'importance que le DIP accorde à la maîtrise du français. Elle s'étonne aussi que Mmes Fuchs et Zanoni-Jeanrenaud n'en parlent pas.

Après le départ des pétitionnaires, les commissaires se demandent s'il faut à tout prix, avec les difficultés financières actuelles, privilégier l'enseignement du français. Il semble évident que chaque enseignant estime nécessaire de privilégier la branche qu'il enseigne. Certains d'entre nous pensent que la dégradation dans la maîtrise de notre langue commence à l'école primaire.

Nous reprenons nos travaux le mercredi 8 septembre. Plusieurs commissaires se posent la question de savoir si une heure partagée en demi-classe pourra sérieusement améliorer l'apprentissage du français. Il n'est pas possible de répondre à cette question de manière catégorique, mais les commissaires qui désirent envoyer cette pétition au Conseil d'Etat veulent de cette manière envoyer un signe sur l'importance de l'enseignement du français qui semble être sacrifié par ce changement.

Nous passons au vote. La présidente précise que la pétition 1195 sera traitée séparément du projet de loi 7787. Le vote donne le résultat suivant :

Dépôt sur le bureau du Grand Conseil

4 pour   2 DC, 1 L, 1 R

6 contre  2 AdG, 3 S, 1 Ve

Renvoi au Conseil d'Etat

6 pour   2 AdG, 3 S, 1 Ve

4 contre  2 DC, 1 L, 1 R

La majorité de la commission vous recommande donc d'envoyer cette pétition au Conseil d'Etat.

Comme je l'ai écrit plus haut, ceux d'entre nous qui soutiennent l'envoi de cette pétition au Conseil d'Etat ne pensent pas que ce sera le miracle qui permettra à tous les collégiens de s'exprimer comme Anatole France. Et c'est certainement à tous les degrés qu'il faudra valoriser l'étude de la langue française. Malheureusement, peu après notre vote, M. Claude Cottier, directeur du Service de l'enseignement du Cycle d'orientation, nous a dit que les heures d'enseignement de l'anglais au C.O. seraient prises au détriment de l'enseignement du latin et du français. Les heures de français vont diminuer de 6 à 5 heures.

En maintenant l'enseignement du français à un haut niveau, c'est notre culture et notre civilisation que nous défendons et par conséquent notre patrie qui nous a confié sa destinée.

C'est pourquoi la majorité de la commission vous recommande d'envoyer cette pétition au Conseil d'Etat.

Pétition(1195)

pour la défense du français

Mesdames etMessieurs les députés,

N.B. : 322 signatures

. .

Collège de Saussure, 9, Vieux chemin d'Onex, 1213 Petit-Lancy

page 7

RAPPORT DE LA MINORITÉ

Rapporteur : Mme Janine Hagmann

La majorité de la commission (AdG, S, Ve) a décidé de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Cela signifie donc qu'elle acquiesce à la demande des pétitionnaires pour que les conditions d'enseignement du français restent les mêmes que la moyenne actuellement en vigueur dans les divers collèges genevois, à savoir une différence d'une heure par degré, diction comprise, entre la grille élèves et la grille maîtres. Ce qui signifie la possibilité de continuer à enseigner en demi-classe soit 1 heure tous les 15 jours, soit 1 heure toutes les semaines selon le collège où l'on enseigne, en 2e, 3e, ou 4e année, comme c'était le cas avant l'introduction de la nouvelle grille-horaire.

Pour atteindre les objectifs d'apprentissage, il a fallu tenir compte des demandes de dotation horaire des différents groupes. L'enseignement du français garde une place importante... mais il n'est pas envisageable de sacrifier les autres apprentissages tels que mathématiques, sciences ou langues. La demande des pétitionnaires est-elle donc bien raisonnable en ce moment ?

Il est évident qu'un enseignement en demi-classe est plus facile qu'avec une classe complète, mais est-il vraiment plus stimulant et plus efficace ?

Là-dessus, les avis des enseignants divergent car un nombre trop bas d'élèves ne favorise pas nécessairement la qualité des échanges et la richesse des débats. La qualité de l'enseignement est-elle gravement péjorée, au collège, par cette modification des horaires ? On peut sûrement répondre par la négative.

Il faut bien préciser que la grille horaire proposée ne pénalise pas les élèves mais modifie quelque peu les heures du maître.

La minorité de la commission, quant à elle, pense que la demande des enseignants pétitionnaires est irrecevable.

En effet, elle s'appuie sur une hiérarchisation des disciplines d'enseignement. La maîtrise de la langue française ne s'acquiert pas que lors des séquences d'enseignement. Qu'en est-il de l'interdisciplinarité ? Et des acquis hors cadre scolaire ? Chacun sait par expérience que les sources d'apprentissages sont très variées.

En outre, les collèges ne procèdent pas de manière identique quant à l'organisation des heures dévolues à l'enseignement du français.

La demande des pétitionnaires relève donc davantage de la préservation de conditions de confort de certains enseignants que de préoccupations pédagogiques partagées par tous. Pour les raisons évoquées ci-dessus, la minorité de la commission (DC, R, L) vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, le dépôt de la pétition 1195 sur le bureau du Grand Conseil, à titre de renseignement.

Cette pétition a eu, par contre, le mérite de soulever des discussions animées au sein de la commission sur l'évolution de l'enseignement du français.

L'unanimité s'est faite sur l'importance de l'apprentissage de la langue du pays dans lequel on fait ses études. Les commissaires ont également unanimement reconnu que s'il existait une méthode d'enseignement qui soit considérée comme la seule, l'unique et la plus efficace, elle serait depuis longtemps appliquée ! Par contre, la majorité a refusé de participer à la création d'une motion qui se veut constructive. Le clientélisme l'a sans doute emporté sur l'intérêt général.

C'est donc la minorité de la commission qui vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter la motion suivante :

Secrétariat du Grand Conseil

Proposition présentée par les députés:Mmes et MM. Janine Hagmann, Michel Balestra, Janine Berberat, Madeleine Bernasconi, Philippe Glatz, Nelly Guichard et Marie-Françoise de Tassigny

Date de dépôt: 7 octobre 1999Messagerie

Proposition de motionpour un renforcement de la qualité de l'enseignement du français

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

que le français, langue de scolarité des élèves des écoles genevoises, n'est pas la langue maternelle d'une proportion importante d'entre eux ;

que la maîtrise de la langue de scolarité joue un rôle fondamental dans l'ensemble de la formation scolaire et professionnelle ;

qu'en particulier, les exigences de la nouvelle maturité gymnasiale augmentent quant aux capacités des élèves à exprimer leur pensée dans une forme synthétique, précise et structurée ;

que les plans d'étude cadre assignent à l'enseignement de la langue de scolarité une place prépondérante dans la formation dispensée par les écoles préparant à la maturité ;

que, de façon plus générale, la maîtrise de la langue française devient de plus en plus nécessaire pour participer de façon efficace à la vie professionnelle, sociale, politique, associative, culturelle, d'une société qui devient elle-même de plus en plus complexe ;

que le développement des nouveaux moyens d'information et de communication, loin de reléguer l'usage de la langue au second plan, nécessite au contraire une maîtrise plus étendue tant du code écrit que du code oral, et une capacité de décryptage et de synthèse de l'information à la fois plus rapide et plus sélective, dans tous les domaines cités plus haut ;

que la maîtrise de la langue de scolarité (et/ou de la langue maternelle) est la condition sine qua non de la bonne acquisition des langues secondes ;

que la qualité de l'enseignement dépend pour une bonne mesure des conditions de celui-ci (possibilité de prise en compte de l'hétérogénéité croissante des élèves, même s'il s'agit de collégiens, travail et soutien personnalisés dans les domaines de la dissertation et de la rédaction) ;

à étudier les moyens de parvenir à renforcer la qualité de l'enseignement du français à Genève, tout au long du cursus de l'élève, tant dans la scolarité obligatoire que dans la scolarité postobligatoire, et en tenant compte des particularités des diverses filières ;

à faire en sorte que l'ensemble des disciplines de l'enseignement secondaire prenne en compte, en particulier lors des évaluations, la qualité et la correction de l'expression orale et écrite des élèves.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames etMessieurs les députés,

Le rapport de minorité de la pétition 1195 tient lieu d'exposé des motifs de cette motion.

Les commissaires signataires de cette motion tiennent à être rassurés sur la qualité de l'enseignement du français à Genève. Ils savent que la langue est d'abord un outil de communication. Ils savent aussi que la langue de Voltaire n'est pas celle de Balzac qui n'est pas celle de Ramuz. Ils sont conscients de l'évolution de la langue et des difficultés à mettre en place des outils d'évaluation. Ils sont las d'entendre le sempiternel « de mon temps, on savait lire et écrire » ! Ils aimeraient être sûrs que, dans toutes les disciplines d'enseignement de la scolarité genevoise, on inculque des notions qui, à l'oral comme à l'écrit, permettent d'acquérir une maîtrise et une qualité linguistiques irréprochables.

C'est pourquoi ils vous prient de faire bon accueil à cette motion.

Débat

M. Jean-François Courvoisier (S), rapporteur de majorité. Je dirai tout d'abord deux mots au sujet de la motion. Elle fait semblant de répondre à la pétition. Nous sommes tout à fait d'accord avec ses considérants, notamment le dernier qui précise que l'enseignement dépend pour une bonne mesure des conditions de celui-ci et demande travail et soutien personnalisés dans les domaines de la dissertation et de la rédaction. C'est exactement ce que demandent les pétitionnaires, puisqu'ils veulent des classes moins nombreuses et des demi-classes qui permettraient justement cet enseignement personnalisé. Quant à l'invite : «étudier les moyens de parvenir à renforcer la qualité de l'enseignement du français tout au long du cursus de l'élève» elle est déjà annulée par la décision du département de l'instruction publique que nous a signalée M. Cottier. Au cycle d'orientation, il est prévu de supprimer des heures de latin et de français au profit de l'anglais. Cette invite est donc déjà éliminée. Quant à «faire en sorte que l'ensemble des disciplines de l'enseignement secondaire prenne en compte, en particulier lors des évaluations, la qualité et la correction de l'expression orale et écrite des élèves», cela veut dire que l'on va quasiment éliminer des études supérieures tous les élèves non francophones. Ceux qui ont déjà de la difficulté en français seront aussi pénalisés lorsqu'ils rédigeront des travaux de sciences naturelles, de géographie ou d'histoire. Si l'on voulait éliminer tous les élèves non francophones des études supérieures, on ne s'y prendrait pas différemment ! Nous rejetons donc tous cette motion avec grand plaisir !

Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse de minorité. Nous avons donc décidé de traiter conjointement la pétition et la motion. J'aimerais quand même vous rappeler un principe à ce sujet.

Lorsqu'une pétition est renvoyée au Conseil d'Etat, cela signifie que nous, députés, demandons au Conseil d'Etat de faire exécuter, de faire respecter la demande des pétitionnaires. En l'occurrence, la demande des pétitionnaires est ici une demande corporatiste. C'est une demande de personnes souhaitant conserver des avantages qu'ils ont obtenus jusqu'à présent, avantages tout de même un peu discutables. Les élèves qui vont au collège bénéficient déjà d'un enseignement de la langue française privilégié par rapport aux élèves d'autres écoles de Genève. Ils avaient jusqu'à présent la chance - c'est une chance, on ne veut pas le nier - de bénéficier de quatre heures d'enseignement, alors que les enseignants avaient cinq heures à disposition. Ce qui veut dire que les enseignants avaient la possibilité, selon les collèges et selon certains arrangements avec les directeurs, d'organiser leur cinquième heure, soit en demi-classe, soit en cours individuels.

Il s'agit là d'un avantage indéniable, Mesdames et Messieurs, un privilège d'une société qui n'a pas trop de soucis existentiels. Dire que l'enseignement du français sera péjoré parce qu'il n'est plus possible d'avoir en quatrième année, année de maturité, des classes de douze, de dix ou même de huit élèves, plutôt que des classes de dix-huit ou vingt élèves me semble quelque peu abusif. Prouvez-moi que l'enseignement du français sera péjoré ! La minorité de la commission, ayant été interpellée par cette demande, s'est dit qu'il s'agissait d'une demande qu'il n'était actuellement pas vraiment possible de soutenir.

La minorité de la commission - la majorité aussi, je crois - a l'impression qu'en dehors de toute polémique, en dehors de toute nostalgie, l'enseignement du française s'avère de plus en plus difficile et peut-être de moins en moins efficace. Mais quelle preuve a-t-on de cela ? Quels sont les indicateurs qui ont été trouvés pour mesurer cela ? D'où l'idée de dire qu'une motion est un acte législatif plus important qu'un renvoi de pétition, qui est lui basé sur une demande, et de rédiger une motion. Dommage que cette motion n'ait pas été signée par la majorité de la commission. Parce que je suis persuadée, Monsieur Courvoisier, quoi que vous en disiez, que vous êtes d'accord soit avec les invites, soit avec l'exposé des motifs de cette motion. Nous savons tous très bien que l'enseignement de la langue française, pour qu'il soit efficace, doit être vu dans sa globalité. La langue, c'est à la fois une liberté et une contrainte. La liberté, dans la mesure où elle permet à chaque individu de s'exprimer et de s'affirmer, la contrainte, parce qu'elle doit être étudiée dans la mesure où tout code est par définition contraignant pour communiquer.

Nous estimons donc que le français revêt une énorme importance. C'est pourquoi la minorité de la commission vous propose, Mesdames et Messieurs, de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat. Sa première invite demande une étude sur les moyens de parvenir à renforcer la qualité de l'enseignement - je ne vois pas comment l'on pourrait s'opposer à cela - tout au long du cursus de l'élève. Nous nous sommes tous rendu compte en commission que l'enseignement du français était important depuis les plus bas degrés jusqu'aux degrés les plus élevés. La deuxième invite demande ensuite que l'ensemble des disciplines soit pris en compte.

Je crois qu'il y a peut-être eu une mauvaise compréhension de la demande d'évaluation, en ce sens qu'en demandant une évaluation dans les branches autres que celle du français, jamais les motionnaires n'ont souhaité qu'un élève soit pénalisé, par exemple, dans un travail d'histoire parce qu'il aurait fait des fautes d'orthographe. Mais nous tenons à ce que le français soit pris en compte, même dans un travail d'histoire ou de géographie. Il faut que le français soit enseigné à travers toutes les branches. C'est pourquoi nous parlons d'évaluation, afin que le français ait aussi sa part d'évaluation dans d'autres branches.

Je me permettrai peut-être de reprendre la parole, Monsieur le président, selon ce que diront les prochains orateurs. 

M. Jean-François Courvoisier (S), rapporteur de majorité. Deux choses me heurtent beaucoup dans le rapport de minorité. On peut ne pas être d'accord, mais il y a là un procès d'intention, lorsqu'il est dit que la pétition relève d'abord de la préservation de conditions de confort, alors que les pétitionnaires désirent simplement pouvoir faire leur travail le mieux possible.

Lorsque Mme Hagmann nous explique que le clientélisme l'a emporté dans la décision de la commission, je ne vois pas quel est ce clientélisme, surtout lorsque l'explication provient d'un parti qui a réussi à faire adopter par le peuple de Genève une diminution d'impôt. Cela, c'est du clientélisme ! Pour notre part, nous voulons surtout que les conditions d'enseignement du français soient respectées, car il y va, au-delà de la manière de s'exprimer ou de lire, de l'accès à notre culture. La culture fait partie de notre civilisation et de notre patrie. Elle est absolument nécessaire pour nous situer par rapport au reste du monde. Je demande donc que l'on puisse respecter le voeu des pétitionnaires et je vous demande de prendre en considération cette pétition des enseignants, qui ne demandent qu'à travailler de manière confortable, c'est vrai, mais aussi de pouvoir faire leur métier le mieux possible. Ils ne demandent pas de travailler moins ou d'être mieux payés. Ils veulent seulement travailler dans de meilleures conditions. Et c'est tout à fait respectable de leur part.

Mme Jeannine de Haller (AdG). Oui, nous soutenons entièrement les propos de M. Courvoisier. Il ne s'agit absolument pas d'une demande corporatiste des enseignants, ni d'un privilège qu'ils voudraient continuer à avoir. C'est parfaitement ridicule ! Il s'agit ici de pouvoir dispenser un enseignement - comme vous le demandez vous-mêmes dans votre motion qui ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes - de pouvoir offrir un soutien personnalisé dans les domaines de la dissertation et de la rédaction entre autres. Vous demandez ensuite, vous invitez le Conseil d'Etat à étudier les moyens de parvenir à renforcer la qualité de l'enseignement, en supprimant cette possibilité à disposition des enseignants d'enseigner en demi-classes. Actuellement, les classes comptent la plupart du temps 24 élèves au collège.

Vous êtes donc totalement incohérents dans votre demande. Nous demandons dès lors que cette motion soit tout simplement oubliée et abandonnée. Nous demandons également d'envoyer la pétition au Conseil d'Etat.

Mme Caroline Dallèves-Romaneschi (Ve). Si l'on pousse la réflexion au bout, il convient de se poser une première question. L'enseignement du français est-il toujours adéquat ? Est-il toujours indispensable de savoir écrire le français comme on l'écrit actuellement, si toutefois on l'écrit juste ? N'y a-t-il pas quelque chose d'absurde à passer des heures, des jours et des années à se mettre en tête un ensemble, ma foi absurde, il faut le dire, de règles, de conventions et d'autres tortures intellectuelles. A l'heure où les élèves sont surchargés de branches nouvelles et de nouveaux enseignements de tous genres, faut-il vraiment continuer à enseigner les règles d'orthographe, de grammaire, de syntaxe et toutes ces complications inhérentes à la langue française ?

Si l'on estime qu'il le faut, si l'on estime que le français est une belle langue, qu'il s'agit du véhicule de notre culture et que nous y tenons - c'est en tout cas mon opinion - il faut alors lui consacrer du temps, car c'est effectivement une langue compliquée et difficile et elle a besoin de temps pour être enseignée. Je serais pour ma part un petit peu moins catégorique que la préopinante, en pensant que motion et pétition, l'une et l'autre, ne sont pas absolument satisfaisantes, mais peut-être un peu complémentaires et qu'il convient soit de les interpréter, soit éventuellement de les modifier quelque peu.

Si je prends la pétition, je pense qu'il est légitime de reconnaître cette inquiétude des enseignants, alors que tant de branches nouvelles sont apparues. Cette inquiétude de voir l'importance du français diminuer dans l'enseignement est légitime, même s'il ne faut peut-être pas prendre à la lettre ce calcul compliqué de demi-classes tel qu'il est proposé dans la pétition, mais le prendre dans le sens qu'il ne faut pas prétériter l'enseignement de la langue française, qu'il ne faut pas lui faire perdre ce qu'il a acquis jusqu'à présent.

Quant à la motion, nous ne pouvons pas être contre la première invite, alors qu'elle n'apporte pas grand-chose de nouveau. Il est juste de demander le renforcement de la qualité de l'enseignement du français. La seconde invite prête par contre réellement à confusion. Les propos de Mme Janine Hagmann correspondent-ils réellement à ce qui a été voulu par les motionnaires ? Je veux bien le croire, mais alors le texte prête vraiment à confusion. Lorsqu'on se réfère en particulier aux évaluations, cela veut à mon avis dire qu'il faut donner des notes aux prestations de français dans l'ensemble des disciplines. Cela, nous ne pouvons évidemment pas l'accepter, car nous ne pouvons pas prétériter encore les élèves peu doués pour cette langue dans l'enseignement des mathématiques, de l'histoire, des sciences ou de toutes les autres matières. Si l'on voulait donc accepter cette motion, il faudrait au minimum supprimer cette partie de phrase : «en particulier lors des évaluations». Ce qui donnerait : «à faire en sorte que l'ensemble des disciplines de l'enseignement secondaire prenne en compte la qualité et la correction de l'expression orale et écrite des élèves.» Cela pourrait encore aller. On pourrait peut-être même ajouter « hors notation » afin d'être bien précis sur ce point et pour qu'il n'y ait aucune confusion. Dans ce cas-là, nous serions prêts à accepter la motion, mais également à renvoyer la pétition au Conseil d'Etat pour qu'il prenne en compte l'importance de cette demande.

Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse de minorité. Je voulais réagir à l'intervention des deux premiers préopinants, M. le rapporteur de majorité et Mme De Haller. Je trouve triste d'entendre que le français, l'enseignement du français dans sa globalité, est pour vous conditionné à une demi-classe en dernière année. Vous prétendez que sa suppression va péjorer l'enseignement du français. Cela me paraît tout de même un peu fort. D'autre part, Madame De Haller, vous dites que nous enfonçons des portes ouvertes avec notre motion. C'est assez amusant d'entendre cela. Vous devez tout de même être un tout petit peu ennuyés, car vous vous rendez compte que vous avez refusé de participer avec nous à la rédaction de la motion en commission, rédaction qui visait à réunir une majorité de commissaires. Il paraît incroyable qu'un groupe ose prétendre qu'il n'est pas d'accord sur la question de l'importance du français. Vous pouvez relire toutes les invites, elles reflètent exactement les discussions que nous avons eues en commission et soulignent l'importance d'avoir un enseignement du français généralisé.

Nous avons voulu introduire, avec la deuxième invite, la notion de transdisciplinarité. Il n'est en effet pas juste de vouloir tout rendre sectoriel. Il faut une sorte de globalité. C'est le sens de la deuxième invite.

L'enseignement du français est un sujet totalement récurrent. Nous pouvons trouver des articles du début du siècle constatant que la population ne sait plus lire et ne sait plus écrire. Si l'on avait trouvé depuis une méthode miracle, il est certain que tout le monde l'utiliserait aujourd'hui !

Le président. Bien, Mesdames et Messieurs les députés. Il y a encore cinq orateurs inscrits. Or, nous devons procéder au huis clos. Je crains que nous n'arrivions pas à finir avant midi si nous ne prononçons pas ce huis clos le plus rapidement possible. Je vous propose dès lors d'interrompre les débats sur la motion et de les reprendre après le huis clos.

Je me permets de saluer à la tribune la présence de Mme Stroumza, notre ancienne collègue députée. Nous allons malheureusement prononcer maintenant le huis clos, mais je pense que nous aurons l'occasion de la revoir !

Je prononce donc le huis clos.  

La séance publique est levée à 10 h 40.

Le Grand Conseil continue de siéger à huis clos.