Séance du
vendredi 2 octobre 2020 à
16h
2e
législature -
3e
année -
5e
session -
26e
séance
La séance est ouverte à 16h, sous la présidence de M. François Lefort, président.
Assistent à la séance: M. Mauro Poggia et Mme Anne Emery-Torracinta, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mme et MM. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat, Pierre Maudet, Serge Dal Busco, Nathalie Fontanet et Thierry Apothéloz, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Jacques Apothéloz, Antoine Barde, Amanda Gavilanes, Alessandra Oriolo, Paloma Tschudi, Nicole Valiquer Grecuccio, Salika Wenger, Raymond Wicky et François Wolfisberg, députés.
Députés suppléants présents: Mmes et MM. Glenna Baillon-Lopez, Pierre Bayenet, Didier Bonny, Joëlle Fiss, Badia Luthi, Patrick Malek-Asghar, Jean-Pierre Pasquier, Helena Rigotti et Esther Schaufelberger.
Communications de la présidence
Le président. Nous adressons nos félicitations à M. Bertrand Buchs pour la naissance de sa petite-fille Louise. (Applaudissements.)
Annonces et dépôts
Le président. La pétition suivante, parvenue à la présidence, est renvoyée à la commission des pétitions:
Pétition : Sécurisons les eaux du Rhône entre le barrage du Seujet et le pont de la Jonction, en demandant la présence de sauveteurs bénévoles ou professionnels équipés de bateaux à moteur (P-2107)
Questions écrites urgentes
Le président. Vous avez reçu par messagerie les questions écrites urgentes suivantes:
Question écrite urgente de M. Patrick Dimier : La pagaille dans les centrales d'alarme est-elle alarmante ? (QUE-1371)
Question écrite urgente de M. Christo Ivanov : Inventaire des excuses fantaisistes pour cause d'absence tolérées par le département de l'instruction publique (QUE-1372)
Question écrite urgente de M. Jean-Luc Forni : Dispensation des traitements oncologiques, la DGS ne navigue-t-elle pas à contre-courant ? (QUE-1373)
Question écrite urgente de M. Sandro Pistis : Pour quelles raisons la Fondation pour les terrains industriels (FTI) choisit-elle hors de notre pays des mandataires ne disposant pas des compétences nécessaires ? (QUE-1374)
Question écrite urgente de Mme Christina Meissner : Le silence de l'Etat face à l'agonie de nos cours d'eau est assourdissant (QUE-1375)
Question écrite urgente de Mme Patricia Bidaux : Enseignement à distance et échanges de données personnelles : quelle protection ? (QUE-1376)
Question écrite urgente de M. Jacques Béné : COVID et mobilité au sein de l'Etat : quelles leçons tirer ? (QUE-1377)
Question écrite urgente de M. Christo Ivanov : Aide au monde sportif en période de Covid-19 : où en est Genève ? (QUE-1378)
Question écrite urgente de M. Romain de Sainte Marie : Quelle est la stratégie de l'office cantonal de l'emploi face à la crise du COVID-19 ? (QUE-1379)
Question écrite urgente de Mme Ana Roch : Commissions paritaires - contrats de prestations (QUE-1380)
Question écrite urgente de M. Guy Mettan : Peut-on améliorer la vente de billets pour le Léman Express ? (QUE-1381)
Question écrite urgente de M. Stéphane Florey : Combien la nouvelle loi sur le CO2 va-t-elle coûter aux collectivités publiques ? (QUE-1382)
Question écrite urgente de Mme Natacha Buffet-Desfayes : Le « t-shirt de la honte », et c'est quoi la suite ? (QUE-1383)
Question écrite urgente de Mme Véronique Kämpfen : Bilan de l'arrêt des activités au sein du petit et du grand Etat et de ses répercussions sur l'économie genevoise (QUE-1384)
Question écrite urgente de M. Didier Bonny : Sept c'est assez, dix c'est trop ? (QUE-1385)
Question écrite urgente de M. Grégoire Carasso : Sortie du chômage pour d'autres motifs que le retour vers l'emploi (QUE-1386)
Question écrite urgente de M. Grégoire Carasso : Inaptitude au placement selon l'office cantonal de l'emploi (QUE-1387)
Question écrite urgente de M. Grégoire Carasso : Sanctions et pénalités données par l'office cantonal de l'emploi (OCE) (QUE-1388)
Question écrite urgente de Mme Patricia Bidaux : Heures supplémentaires... quelles différences ? (QUE-1389)
Question écrite urgente de M. Christo Ivanov : Aide aux acteurs culturels en période de COVID-19 : Genève est-elle à la traîne ? (QUE-1390)
Question écrite urgente de M. Christo Ivanov : Devoir de réserve de l'administration (QUE-1391)
Question écrite urgente de M. Stéphane Florey : Recrutement de pilotes de locomotives pour l'exploitation du Léman Express - Où en est l'OCE ? (QUE-1392)
Question écrite urgente de Mme Jocelyne Haller : Une décision démocratique remise en question par un procédé illégal ! Que font les autorités ? (QUE-1393)
Question écrite urgente de M. Emmanuel Deonna : A quand une revalorisation des salaires du personnel hospitalier des métiers du care ? (QUE-1394)
Question écrite urgente de M. Emmanuel Deonna : Quelles mesures du Conseil d'Etat pour contrer les fléaux de la violence domestique et du féminicide ? (QUE-1395)
Question écrite urgente de M. Emmanuel Deonna : Accélérer le test et la mise en oeuvre d'un revenu de base à Genève (QUE-1396)
Question écrite urgente de M. Emmanuel Deonna : Recenser et augmenter l'offre en matière de piscines dans le canton de Genève (QUE-1397)
Question écrite urgente de Mme Caroline Marti : Ligne de remplacement nocturne Genève-Coppet : les CFF promènent les bus romands ? (QUE-1398)
Question écrite urgente de M. Souheil Sayegh : Pourquoi ces files d'attente à l'OCAS ? (QUE-1399)
Question écrite urgente de M. Alberto Velasco : Transparence sur les cadeaux aux conseillers d'Etat bis repetita (QUE-1400)
Question écrite urgente de M. Alberto Velasco : Combien sont rémunérés les membres du conseil d'administration de la Loterie romande ? (QUE-1401)
Question écrite urgente de Mme Marjorie de Chastonay : Est-il possible de connaître le détail du fonds alimentaire et les modalités d'attribution de Partage ? (QUE-1402)
QUE 1371 QUE 1372 QUE 1373 QUE 1374 QUE 1375 QUE 1376 QUE 1377 QUE 1378 QUE 1379 QUE 1380 QUE 1381 QUE 1382 QUE 1383 QUE 1384 QUE 1385 QUE 1386 QUE 1387 QUE 1388 QUE 1389 QUE 1390 QUE 1391 QUE 1392 QUE 1393 QUE 1394 QUE 1395 QUE 1396 QUE 1397 QUE 1398 QUE 1399 QUE 1400 QUE 1401 QUE 1402
Le président. Ces questions écrites urgentes sont renvoyées au Conseil d'Etat.
Questions écrites
Le président. Vous avez également reçu par messagerie les questions écrites suivantes:
Question écrite de M. Boris Calame : Une « Maison de l'enfance et de l'adolescence » aux HUG ou une « Maison de l'enfance et de la jeunesse » ? (Q-3843)
Question écrite de Mme Céline Zuber-Roy : Frais de garde, une notion floue ? (Q-3844)
Le président. Ces questions écrites sont renvoyées au Conseil d'Etat.
Annonce: Séance du vendredi 28 août 2020 à 14h
Cette question écrite urgente est close.
Le président. Le Conseil d'Etat nous informe que la réponse à la QUE 1361 sera déposée à la prochaine session, malgré le désaccord de son auteur.
Premier débat
Le président. Nous reprenons le traitement des urgences et passons à deux objets liés, les PL 12302-A et PL 12303-A, qui sont classés en catégorie II, soixante minutes. La parole va d'abord aux deux rapporteurs de majorité, en commençant par Mme la députée Céline Zuber-Roy.
Mme Céline Zuber-Roy (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Je vais intervenir sur le PL 12302 qui a été étudié à la commission d'aménagement du canton, soit sous l'angle du déclassement du terrain destiné à accueillir la prison des Dardelles. La commission a consacré huit séances à cette question et a procédé, vu l'importance du sujet, à de nombreuses auditions. Outre les magistrats de tutelle, elle a notamment entendu le directeur général de l'office de la détention, le gardien-chef principal, l'architecte-urbaniste de l'office de l'urbanisme, le maire de la commune de Puplinge, des représentants de l'Union du personnel du corps de police, le directeur des rénovations et transformations ainsi que le directeur des constructions et la cheffe de projet à la direction des constructions de l'office cantonal des bâtiments, qui étaient accompagnés du directeur des infrastructures et de la logistique de l'office cantonal de la détention. Nous avons bien sûr également entendu le procureur général, accompagné du secrétaire général du Pouvoir judiciaire, et finalement la directrice du SAPEM. Vous voyez donc que la commission a traité sérieusement la question.
Les travaux ont convaincu la majorité des commissaires de la nécessité de construire une nouvelle prison à Genève, et par conséquent de déclasser le terrain indispensable à cet effet. Il faut dire que le canton de Genève n'assume pas ses responsabilités en matière carcérale: il n'existe aucun établissement d'exécution des peines, ce qui mène à la surpopulation chronique de Champ-Dollon - dont le taux d'occupation se situe en moyenne entre 160% et 180% - et à un mélange des types de détenus, soit ceux qui exécutent leur peine et ceux qui font de la prison préventive. A plusieurs reprises, le Tribunal fédéral a qualifié ces conditions de détention d'illicites et de contraires aux droits de l'Homme, ce qui a conduit à des indemnisations de détenus ou à des réductions de peine.
Ce mélange des genres entre la prison préventive et l'exécution de peine empêche aussi de préparer la réinsertion des détenus dans la vie courante. Il n'est en effet absolument pas possible d'effectuer une requalification de niveau professionnel à Champ-Dollon. De même, aucune prise en charge n'est prévue pour les femmes détenues, et encore moins des cellules mère-enfant: les Genevoises qui ont besoin d'une cellule de ce type doivent être incarcérées à Berne. Il n'y a pas non plus d'installation pour les détenus plus âgés ou présentant des handicaps. Cette situation n'est tout simplement pas digne de Genève ! Ainsi, la commission a décidé de soutenir le projet de déclassement.
S'agissant de l'aménagement du territoire, il est question d'un terrain de 10,7 hectares actuellement en zone agricole, dont 7,1 hectares en SDA; l'ensemble se trouve sur la commune de Puplinge. Ce projet, conforme à notre plan directeur cantonal, est aussi cité par l'ARE - soit par la Confédération - dans la liste des déclassements autorisés de zones agricoles et de SDA. Concernant les SDA, je précise que le périmètre a été grandement réduit grâce à un important travail du département et du lauréat de l'appel d'offres. Au début du processus, il était question de 15,3 hectares alors que nous en sommes maintenant à 10,7 hectares. Les travaux de la commission nous ont convaincus qu'il n'était pas possible de réduire davantage cette surface, bien qu'on puisse évidemment le souhaiter, en raison des contraintes liées au fait qu'il s'agit d'un établissement pénitentiaire, je pense notamment aux aspects sécuritaires. Il faut en effet certaines distances pour s'assurer qu'il n'y ait pas d'intrusions ou à l'inverse d'évasions.
Pour répondre aux demandes de la commune, d'importantes mesures ont également été prises afin d'atténuer les nuisances sonores et visuelles pour le voisinage. Malgré les variantes qui ont été étudiées suite à la demande du Grand Conseil, il nous a été démontré que la surface au sol resterait inchangée même si l'on réduisait le nombre de places dans la prison. Toujours en matière d'aménagement du territoire, on nous a expliqué l'importance de situer cette prison dans le prolongement des autres établissements pénitentiaires, ce qui autoriserait des synergies d'exploitation, notamment pour certaines installations devenues vétustes à Champ-Dollon - la cuisine pourrait par exemple être exploitée en commun. Cela permettrait également une prise en charge uniforme des détenus dans les différents sites.
Ce nouvel établissement de 450 places est indispensable pour une prise en charge digne de nos détenus. Y sont prévues 300 places pour les courtes peines et 150 places pour les longues peines - dont 25 places pour les femmes, y compris 4 cellules mère-enfant, 10 places pour les personnes particulièrement vulnérables et 15 places pour l'unité psychiatrique. On voit que Genève se dotera ainsi d'un outil carcéral afin de traiter réellement les détenus avec dignité. De plus, la construction de la prison des Dardelles permettra de rénover Champ-Dollon...
Le président. Vous parlez désormais sur le temps de votre groupe, Madame la députée.
Mme Céline Zuber-Roy. Très bien, je me dépêche ! ...qui se trouve actuellement dans un état de délabrement avancé. Il y a donc une certaine urgence, parce que les travaux sont nécessaires et qu'il faudra évidemment déplacer les détenus de Champ-Dollon aux Dardelles pour les effectuer. La construction des Dardelles permettra en outre de libérer La Brenaz pour l'affecter totalement à de la détention administrative, ce qui débloquera une subvention fédérale de 40 millions de francs par an.
Les travaux de la commission ont par ailleurs montré qu'il n'y a pas d'alternative à une prison. Nous avons en particulier étudié l'option des bracelets électroniques, mais le droit fédéral limite malheureusement beaucoup leur usage, notamment parce qu'il faut un domicile légal en Suisse et que 70% des détenus de Champ-Dollon n'ont pas de titre de séjour. De plus, aucun canton romand n'a accepté notre proposition d'établissement pénitentiaire intercantonal. Il faut donc effectivement bâtir une prison à Genève.
En résumé, ne pas construire Les Dardelles reviendrait à ne pas répondre aux besoins actuels et encore moins aux besoins futurs de Genève. Cela rendrait également difficile la réhabilitation de Champ-Dollon et ferait perdurer la problématique de la surpopulation carcérale. Les conditions de détention resteraient illicites et la politique de réinsertion dramatiquement absente. Rejeter ce déclassement, c'est reporter de vingt ans minimum la construction d'une nouvelle prison. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission d'aménagement vous invite à accepter le projet de déclassement.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs, nous n'avons pas le choix: nous devons construire la prison des Dardelles ! Pour quelle finalité ? Protéger Genève de la délinquance internationale. Pour ceux qui douteraient de cette réalité, il nous a été indiqué à la commission des travaux que 70% de la population pénitentiaire se trouve en situation illégale à Genève. Chacun comprendra qu'il est essentiel de protéger la population genevoise de ces criminels venus illégalement en Suisse. En conséquence, le bracelet électronique pour les prisonniers est une sinistre plaisanterie.
En commission, le directeur de l'office cantonal de la détention nous a très clairement signalé que Genève a besoin de 500 à 550 places. La crise sanitaire ne freinera que temporairement cet afflux; le nombre de criminels condamnés risque de revenir au niveau que l'on connaissait avant le covid. Les difficultés économiques et sociales se multipliant dans les autres pays, on peut craindre une augmentation des condamnations et donc des détenus. Les 450 places du projet des Dardelles répondent par conséquent aux besoins. Ce chiffre a été confirmé par le procureur général; il a insisté sur le fait qu'il est dans l'obligation d'appliquer la loi, en particulier la législation fédérale, et que nous n'avons pas de marge de manoeuvre.
Peut-on envoyer les détenus genevois dans d'autres cantons, comme certains l'ont souhaité ? Hélas, ce n'est plus possible. Vaud et Fribourg ont refusé d'accueillir une infrastructure pénitentiaire pour Genève - le rapporteur du préavis de la commission des visiteurs, Alberto Velasco, l'indique de manière très claire. Autre piste envisagée puis abandonnée: réduire la taille de la prison. Dans un premier temps, de nombreux députés ont demandé que cette possibilité soit étudiée. Après un examen minutieux en commission, il a fallu convenir que construire plus petit coûterait plus cher, notamment parce que notre canton perdrait des subventions fédérales. Il y a donc une absence d'alternatives. Sans entrer dans le détail du projet, largement étudié en commission - chacun peut se référer au rapport - notons que son coût total s'élève à 258,5 millions. Une fois déduite la subvention fédérale, le coût à charge de l'Etat de Genève sera de 189 millions, c'est-à-dire bien moindre que celui du dépôt d'En Chardon - 330 millions. Il faut donc prendre conscience qu'à Genève on dépense davantage pour parquer des bus que des humains ! C'est aussi une réalité.
Est-ce trop cher ? Faudrait-il supprimer ce qui est prévu à la prison des Dardelles, par exemple les places pour les femmes, l'espace de promenade pour les détenus LGBT ou les parloirs familiaux permettant la présence de quatre mères avec enfant ? A moins que les ateliers de réinsertion ne doivent être supprimés ? Personne ne le demande. Faudrait-il transformer la prison voisine de La Brenaz, consacrée à la détention administrative, pour l'affecter à la détention pénitentiaire ? Il faudrait, dans cette hypothèse, renoncer à la détention administrative. C'est un choix politique que nous devrions alors clairement indiquer, et cela signifierait que l'illégalité et la délinquance seraient favorisées à Genève. La majorité de la commission s'y refuse !
Quant à l'espace occupé par la prison sur le terrain, il a été très nettement réduit et ne correspond plus du tout aux projets initiaux. L'aménagement prévu pour Les Dardelles permettra par ailleurs de diminuer les nuisances sonores et lumineuses, ce dont profitera le voisinage. Enfin, il convient d'évoquer la situation actuelle de Champ-Dollon, indigne de Genève qui est, rappelons-le, la capitale des droits de l'Homme. Nous sommes régulièrement pointés du doigt par le Tribunal fédéral. Les Dardelles permettront de rénover cette vénérable prison, ce qui a beaucoup trop tardé. C'est pour cette raison aussi qu'il convient de construire Les Dardelles.
On pourrait imaginer un monde sans criminalité, un monde sans prisons; la réalité est tout autre. Ne pas le voir nous conduit à un avenir sombre pour Genève. Cette prison est nécessaire et nous n'avons pas d'autre choix, c'est pourquoi la majorité vous demande de voter oui à ce projet de loi.
M. Rémy Pagani (EAG), rapporteur de minorité. Monsieur le président, pour répondre à mon préopinant, je suis tout d'abord assez étonné de voir les chantres de la dénonciation, pardon, de la stigmatisation des populations extérieures à notre canton se prévaloir des droits humains à Genève... (Remarque.) ...et tenir un discours social, mais enfin tout arrive. Cela étant, Mesdames et Messieurs, nous remettons en cause la politique menée par le Ministère public.
Je vais d'abord donner des chiffres: il faut savoir que 75% des prisonniers de Champ-Dollon purgent des peines de moins de deux jours, Mesdames et Messieurs ! Moins de deux jours ! 60% des détentions, on l'a dit, concernent des personnes sans domicile fixe: ça signifie que le Ministère public - et la justice genevoise - fait de la politique migratoire en incarcérant les gens. C'est bien ce dont il est question, dans le fond ! Nous refusons de passer par l'enfermement pour mener une politique migratoire sélective et qui ne respecte pas les droits humains - on peut là très clairement le dire. Des organisations gouvernementales et non gouvernementales de notre canton l'ont d'ailleurs dénoncé à plusieurs reprises.
En ce qui concerne le taux de personnes incarcérées, il est quand même assez extraordinaire qu'un tiers des mises en détention provisoire de toute la Suisse soit prononcé à Genève alors que nous ne constituons que 5% de la population nationale ! Un tiers des détentions provisoires de toute la Suisse, Mesdames et Messieurs les députés, et nous ne représentons que 5% de sa population ! Nous avons une politique restrictive d'enfermement pour soi-disant nous protéger, or d'autres cantons et d'autres pays ont opté pour des mesures différentes, notamment le bracelet. Là aussi, on nous a fait tout un schproum sur l'impossibilité d'y recourir en raison de la législation fédérale, mais j'ai pourtant vu qu'on n'a pas mis de bracelet aux gens qu'on a sortis de Champ-Dollon au moment du covid. Plus d'une centaine de personnes ont alors été libérées, avec l'autorisation du procureur général, et la situation à Champ-Dollon est tout d'un coup devenue à peu près acceptable. Voilà pour l'ensemble des arguments chiffrés.
Nous ne pensons pas que la politique d'enfermement menée aujourd'hui par le Ministère public et soutenue par M. le conseiller d'Etat Poggia - et précédemment par M. Maudet - soit bonne. C'est la politique du XXe siècle, pas celle du XXIe siècle ! Dans la mesure où le covid va durer, les infections vont continuer et nous serons obligés de revoir notre politique. Nous ne sommes pas des Bisounours: nous pensons que certaines personnes doivent effectivement être enfermées pour protéger la société. Mais toujours est-il que certains pays ont mis en place des structures qui permettent d'accueillir beaucoup moins de gens - les plus dangereux, ceux qui sont de fait dangereux, et non ceux qui ont conduit en état d'ébriété. On les emmène à Champ-Dollon alors qu'ils pourraient très bien dégriser un jour, une nuit dans les cellules de quartier, comme ça se faisait avant, juste pour qu'on leur rappelle quelques notions de droit.
Nous pensons qu'une autre politique doit être mise en oeuvre. Du fait de la dégradation climatique, les pandémies vont proliférer et nous obliger de toute façon à revoir nos politiques publiques. Des pays comme la Suède ou la Norvège ont compris cette problématique bien avant nous et sont en passe de prendre des mesures pour modifier leur politique carcérale - et ils la modifient drastiquement puisqu'ils développent de petites agglomérations de pas même trente détenus.
De manière générale, nous sommes donc opposés à ce projet. Et si on parle de la zone agricole, un nombre considérable d'hectares est touché ! Nous préférons voter des crédits pour construire des écoles et des logements plutôt que de bâtir des prisons. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Mme Adrienne Sordet (Ve), rapporteuse de deuxième minorité ad interim. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le groupe des Verts, en tant que minorité, ne peut accepter ces deux textes. Il est tout d'abord question de cohérence avec le vote positif sur l'abrogation de la loi ouvrant un crédit d'étude pour le projet de prison des Dardelles et sur la M 2220 déposée en 2014. (Brouhaha.) Malgré ces votes du parlement, le Conseil d'Etat fait la sourde oreille et revient à la charge avec ces deux nouveaux projets de lois... (Brouhaha.)
Le président. Excusez-moi, Madame la députée. Nous allons attendre que M. Pagani et M. Pistis aient fini leur conciliabule et nous reprendrons ensuite. (Un instant s'écoule.) Voilà, Madame la députée, vous pouvez continuer.
Mme Adrienne Sordet. Merci, Monsieur le président. Je disais que le Conseil d'Etat fait la sourde oreille et revient à la charge avec ces deux nouveaux projets de lois, faisant mine d'avoir pris en compte nos doléances en réduisant un tout petit peu l'emprise sur la zone agricole et la surface du périmètre final. Cette emprise sur la surface agricole et la SDA reste toutefois bien trop élevée à notre goût. En outre, le nouveau projet des Dardelles coûte très cher et les frais liés à son fonctionnement auront un impact non négligeable sur les budgets à venir. Il paraît dérisoire d'attribuer autant de deniers publics à une proposition qui n'est pas moderne pour un sou, particulièrement en période de crise covid, au vu des besoins de la population.
Vous pensiez peut-être déjà qu'il s'agissait d'une blague de mauvais goût, mais attendez d'entendre ce fameux argument du gouvernement: la prison de Champ-Dollon, en plus d'être en piteux état, est surpeuplée. La situation est critique. Il est donc nécessaire de construire une prison de la même taille juste à côté. Mesdames les députées, Messieurs les députés, comprenons-nous bien: le groupe des Verts déplore la situation actuelle à Champ-Dollon et la trouve insupportable. Il souhaite toutefois souligner que Les Dardelles ne sont pas la solution à ce problème. Avez-vous déjà entendu parler d'un Etat qui copie-colle une prison afin de la rénover parce qu'elle est en mauvais état ? Vous imaginez-vous le nombre gigantesque de prisons qu'il y aurait alors sur notre planète ? Trêve de plaisanterie, le groupe des Verts est déçu par le manque de vision et de créativité dont fait preuve le gouvernement vis-à-vis de sa politique carcérale.
Premièrement, quitte à proposer un nouveau projet, n'aurait-il pas été plus intelligent de se remettre en question, en tant qu'Etat, quant au nombre d'incarcérations et de récidives, leurs raisons et le rôle que l'Etat y joue ? Je pose cette question puisque, d'après une étude de 2017, ce n'est pas l'insuffisance des places de détention qui caractérise les prisons genevoises, mais un recours disproportionné à l'enfermement. Autrement dit, notre canton enferme une fois et demie plus que la Suisse centrale et orientale. Ne faudrait-il donc pas revoir nos sanctions à la baisse ? Ce d'autant que la diminution de la criminalité observée dans le monde est intimement liée à la tendance à vider les prisons, contrairement à ce que propose le présent projet. N'oublions pas non plus que Genève possède un profil spécifique s'agissant de sa population carcérale, constituée à 65% de migrants et migrantes en situation irrégulière. Ne serait-il pas temps de réfléchir à une réelle politique d'insertion et d'inclusion de ces personnes, plutôt que de les mettre en prison ? Enfin, il est connu que la prison joue un rôle négatif sur les personnes incarcérées: cette institution ne permet que très peu à ceux qui ont commis des délits de se réinsérer dans la société, ce qui conduit à des récidives.
Deuxièmement, quitte à proposer un nouveau projet, n'aurait-il pas été plus intelligent de travailler en poursuivant la réflexion quant à la possibilité de réaliser des prisons intercantonales sur des terrains pénitentiaires déjà disponibles ? A cela, le Conseil d'Etat nous déclare que les contacts pris avec les autres cantons en 2014 se sont soldés par une réponse négative. Il en a alors profité pour balayer purement et simplement cette réflexion, qui aurait dû être poursuivie assidûment puisqu'elle correspond à l'une des invites de la M 2220. Et aujourd'hui, pour faire avaler la pilule d'une dépense aussi grotesque, le canton nous dit qu'il s'agira d'une prison concordataire ! Quelle générosité ! Dommage que ce projet se trouve sur une zone agricole et non sur des terrains pénitentiaires disponibles; la cible, encore une fois, est ratée.
Enfin, quitte à proposer un nouveau projet, n'aurait-il pas été plus intéressant de consacrer davantage de temps à la recherche d'alternatives ? Par alternatives, entendez par exemple les prisons intercantonales mentionnées ci-dessus ou encore le concept de campus pénitentiaire - je me réfère au Livre blanc sur la détention à Genève - particulièrement pertinent à Puplinge, puisqu'il permettrait de profiter des synergies de divers bâtiments spécifiques. Entendez par exemple les bracelets électroniques ou les travaux d'intérêt général. Entendez aussi la diminution du nombre de personnes incarcérées en favorisant d'autres modalités d'exécution des courtes peines, l'augmentation des libérations conditionnelles et la réduction du recours à la détention provisoire.
Enfin, du point de vue de certains et certaines, la criminalité ne peut que croître si l'on vide les prisons. Rendez-vous compte que le discours fut le même pour les tortures et les sanctions corporelles publiques à la fin du Moyen Age, tout comme pour la peine de mort plus récemment. Peut-être est-il temps d'emboîter le pas à certains pays nordiques qui ont développé d'autres alternatives, plus vertueuses. Cela étant, il est urgent de mener de réelles réflexions sur notre politique pénitentiaire plutôt que de proposer des projets peu convaincants et peu aboutis comme celui des Dardelles. La minorité vous invite par conséquent à refuser ces projets de lois. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole au rapporteur de troisième minorité ad interim, M. Alberto Velasco.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de troisième minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. J'ai également été rapporteur pour la prise de position de la commission des visiteurs sur le PL 12303.
Beaucoup de choses ont été dites et je ne vais pas les répéter, Mesdames et Messieurs, mais quand nous avons procédé à nos travaux, deux problématiques ont été soulevées et l'ensemble des groupes ici présents les a retenues. La première, c'est que les conditions de détention à Champ-Dollon sont indignes, indignes de cette république: il y a parfois six détenus dans une cellule. (Brouhaha.) Cette situation est connue non pas depuis six mois, mais depuis des années et des années. (Un instant s'écoule.) J'attends que les gens aient fini de parler, Monsieur le président.
Le président. Faites !
M. Alberto Velasco. Deuxième élément: il y a dix ans, la commission des visiteurs s'était penchée sur la politique criminelle et d'emprisonnement du Ministère public. Un rapport avait été émis afin d'éviter les incarcérations telles qu'on les pratique à l'heure actuelle, puisqu'il y a effectivement - on l'a indiqué - des peines de quelques jours. Les personnes sont enfermées à Champ-Dollon alors qu'un grand pourcentage d'entre elles, si on appliquait d'autres mesures, pourraient ne pas l'être. Ces éléments-là ne datent pas d'aujourd'hui: notre Grand Conseil les a relevés depuis longtemps dans des rapports.
J'aimerais mentionner un autre aspect important: je crois que de nos jours les prisons ne sont pas faites pour punir les gens afin qu'ils n'y retournent plus - ou qu'ils n'aient plus envie d'y retourner - mais pour les insérer au mieux dans la société. Il y a des années, Monsieur le président, notre commission a visité des pays où cette politique au sein des prisons était effectivement une réussite: les personnes sortaient parfois avec un métier, avec des assurances sociales pour pouvoir se réinsérer dans la société. Cela n'est pas appliqué aujourd'hui, du moins pas à Genève, or c'est une nécessité.
Il faut aussi relever que la commission des visiteurs avait été invitée à participer aux travaux sur d'autres projets, notamment celui de Curabilis, et à faire part de ses recommandations et de son point de vue. Dans le cas de ce projet de loi, elle n'a été sollicitée à aucun moment, alors qu'elle étudiait les dossiers, afin d'amener son expérience et les éléments qu'elle avait retenus en visitant d'autres lieux de détention. C'est vraiment dommage ! Le projet nous a été présenté en toute fin d'élaboration, à mon sens.
Pour ceux et celles qui ont lu le rapport, la position des auditionnés et des groupes figure aux pages 142-143, et l'on constate que tous les groupes sont acquis au fait que le projet prévoit des conditions de détention admissibles. Par contre, je crois que la commission des travaux, quand elle l'a analysé, n'a pas retenu le fait que la commission des visiteurs, de manière générale, s'était prononcée pour la variante Barot II, Monsieur le président, soit pour une prison de 290 personnes. Cela n'a pas été retenu et je pense, comme l'a dit M. Baertschi, que c'est pour des raisons économiques qu'on a opté pour la solution à 450 places. Il est malheureux qu'une proposition soit choisie pour des questions totalement financières et non pour des motifs pleinement liés aux conditions de détention et à la qualité du projet. C'est dommage, parce qu'avec la version que l'ensemble des groupes de la commission des visiteurs avait retenue, on aurait peut-être pu parvenir à une solution.
Cela dit, Monsieur le président, quelle que soit la décision qu'on prendra aujourd'hui - je pense que le vote sera peut-être négatif - le sujet est sur la table ! Il faut maintenant à tout prix que les conditions de détention à Champ-Dollon et dans d'autres lieux d'incarcération soient totalement changées et améliorées. Actuellement, les conditions sont indignes ! Par ailleurs, il est difficile de reconstruire Champ-Dollon, et là un problème va se poser. Quelle que soit la décision que prendra aujourd'hui ce Grand Conseil, il faudra donc que l'on nous présente un nouveau projet qui recueille l'unanimité de ce parlement, parce que les conditions sont très dures.
Enfin, Monsieur le président, il n'est pas vrai que le Ministère public fédéral nous impose de ne pas recourir aux travaux d'utilité publique, par exemple. Ce n'est pas vrai ! Fribourg le fait: dans ce canton, on a recours aux travaux d'utilité publique ! Si Fribourg les pratique, Genève devrait pouvoir les pratiquer aussi. Je me suis informé et ce serait possible: les conditions de mise en place doivent simplement être bien spécifiques.
Il y a aujourd'hui une tendance telle du Ministère public à emprisonner que certains députés ont peut-être peur. Vous savez, la nature a horreur du vide ! Ils pourraient alors considérer que si on augmente les places de détention, eh bien nos collègues du Ministère public, du troisième pouvoir, se diront: «Puisqu'on a des places, il faut les remplir !» Cet élément n'a malheureusement pas non plus été très discuté; il n'a pas vraiment été relevé, mais il faudra un jour le prendre en compte.
Le président. Vous parlez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.
M. Alberto Velasco. Merci, Monsieur le président. En conclusion, eu égard aux questions que j'ai soulevées ici, le groupe socialiste a décidé de ne pas entrer en matière sur ces projets de lois. Merci. (Applaudissements.)
M. Christian Flury (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ces objets prévoient un déclassement non négligeable et un investissement conséquent. Avec cet argent, comme vous tous, les membres du Mouvement Citoyens Genevois auraient préféré bâtir des écoles, agrandir nos hôpitaux ou créer des lieux de culture. Dans une société idéale, dans une société où chacune et chacun respecterait l'autre, sa personne et ses biens, il n'y aurait pas besoin de règles, pas besoin de lois ni de sanctions. La réalité est malheureusement tout autre.
La prison de Champ-Dollon, construite trop exiguë dans les années 70, mal entretenue et surpeuplée, subit les affres du temps et nécessite une rénovation lourde. Il n'est cependant pas possible de vider ce bâtiment particulier de ses occupants durant les travaux; nous devrons donc bien construire un nouveau lieu d'hébergement pour détenus avant de pouvoir entreprendre cette rénovation. Quant aux conditions d'incarcération, chers collègues, combien de temps encore allons-nous nous laisser pointer du doigt par les organisations humanitaires et nous faire rappeler à l'ordre par les tribunaux en raison du nombre de places dans la prison et de conditions de détention qualifiées d'inhumaines ? Puissent ces organisations aller jeter un coup d'oeil à l'extérieur, pas très loin de chez nous: c'est bien pire.
Combien de temps encore allons-nous verser aux détenus des primes pour non-occupation alors qu'ils ne peuvent pas travailler à cause du manque de places dans les ateliers ? Combien de temps encore allons-nous indemniser les détenus parce que l'espace à leur disposition dans les cellules est insuffisant ? Je profite de l'occasion pour rappeler à M. Pagani la notion de séparation des pouvoirs - vous transmettrez, Monsieur le président, je vous remercie. La justice et le Pouvoir judiciaire condamnent, l'Etat doit assurer une capacité carcérale adéquate. Et la population carcérale n'est que le reflet de la situation délictueuse dans le canton.
Enfin, à l'instar de ce qui se pratique dans le cadre des projets d'agglomération, la participation financière fédérale à la construction des Dardelles risque de nous échapper, du moins partiellement, si nous ne construisons pas ces bâtiments.
Après examen des différentes variantes qui lui ont été soumises, la majorité de la commission des travaux vous invite, Mesdames les députées, Messieurs les députés, à voter ces deux projets de lois afin que Genève puisse enfin se doter de capacités de détention adaptées à ses besoins et honorer également ses engagements concordataires. Je vous remercie.
M. Stéphane Florey (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, sur la forme, ce projet est catastrophique. (Le micro de l'orateur est coupé.)
Le président. Rappuyez, s'il vous plaît. (Un instant s'écoule.)
M. Stéphane Florey. Voilà ! Je disais que ce projet est catastrophique: non seulement on va encore consacrer de la zone agricole pour construire une prison, mais en plus c'est un projet qui coûte cher et dont il est impossible de réduire les frais, notamment en raison des normes fédérales qui imposent des minima pour ce type de bâtiments. C'est pourquoi nous aurions peut-être dû regarder du côté de Berne pour justement abaisser ces fameuses normes fédérales, ce qui aurait permis de construire à moindre coût.
Quand on voit qu'il faut prévoir pour ces personnes une salle de sport, un espace de promenade, qu'il faut de plus séparer les espaces de promenade en fonction des ethnies et des besoins de chacun, qu'il leur faut des salles pour tout et pour rien, des parloirs séparés, des parloirs mixtes... enfin, tout ce qu'on veut ! Si on observe ce qui se pratique encore aujourd'hui dans d'autres pays, où quand vous êtes incarcéré, on ferme la porte et on vous dit à bientôt, eh bien finalement on s'aperçoit - sans aller jusque-là - qu'ils n'ont peut-être pas tout faux au regard de ce que coûte une prison !
A la demande de la commission, on nous avait proposé trois variantes. On peut dès lors regretter qu'on nous ait signalé qu'il n'était plus possible de changer de projet, en raison notamment des subventions fédérales et du fait que la diminution de l'emprise totale du projet ne serait, quoi qu'il arrive, plus envisageable. Celle-ci, fort heureusement, a quand même été réduite au maximum et on peut s'en réjouir.
Maintenant, sur le fond, cette prison est plus que nécessaire, premièrement pour répondre aux exigences du concordat latin. Genève s'est engagé: il doit faire sa part en matière de politique pénitentiaire et construire les bâtiments dont il a besoin. Mais il y a d'autres paramètres à prendre en compte dans la décision de l'UDC de soutenir ces deux projets, notamment celui de la politique migratoire voulue par notre canton. Quand on sait que 90% des détenus en moyenne viennent de l'étranger et qu'on voit les résultats du vote de dimanche passé - en refusant de diminuer l'immigration, la population suisse a refusé de limiter l'accès à notre pays - eh bien vous avez finalement la politique que vous avez voulue, Mesdames et Messieurs les députés !
On doit à notre population la sécurité - il faut qu'elle puisse vivre en sécurité dans notre pays - et pour la lui garantir, notre politique pénitentiaire doit être irréprochable et assurer précisément la sécurité de tout un chacun. Pour toutes ces raisons, le groupe UDC votera ces deux projets de lois et vous demande de les soutenir également. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je donne la parole à M. Patrick Saudan pour trois minutes.
M. Patrick Saudan (HP). Trois minutes ? (Remarque.) Merci, Monsieur le président, je n'aurai pas besoin de tout ce temps. Les deux rapporteurs de majorité nous ont donné toutes les bonnes raisons de construire une nouvelle prison à Genève, et certaines d'entre elles sont tout à fait compréhensibles. J'ai néanmoins quelques doutes quant aux besoins futurs de notre canton en matière de places d'incarcération.
Si vous prenez le rapport de l'Institut des sciences criminelles de l'UNIL, que le Conseil de l'Europe mandate chaque année pour faire un rapport exhaustif sur les politiques pénitentiaires en Europe, vous remarquez que le taux de personnes emprisonnées par million d'habitants baisse globalement entre 2009 et 2019. Cette diminution est assez conséquente: elle approche les 15% en Allemagne - un pays voisin qui possède aussi une forte population étrangère - 20% en Hollande et atteint 25%-30% dans les pays scandinaves. C'est vrai que la situation est un peu différente en Suisse, où elle se caractérise par une stabilité et même une légère augmentation - 2,3% - du taux de personnes incarcérées. On peut néanmoins imaginer que nous allons suivre cette tendance à l'avenir - en Suisse, vous savez, on est toujours un peu plus lents, on fait donc les choses un brin plus tardivement.
N'étant pas du tout spécialiste dans cette matière, je ne me permettrai pas de remettre en cause les principes qui sous-tendent la politique pénitentiaire, qu'elle soit suisse ou genevoise. Mais je m'interroge fortement sur la pertinence de construire une nouvelle prison à Genève, et je ne voterai pas ces deux projets de lois. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. J'ai bien écouté Mme la députée Zuber-Roy égrener longuement tous les défauts qui caractérisent la prison de Champ-Dollon, comme le fait qu'il n'y ait pas de parloirs intimes et que les femmes soient plus ou moins mélangées avec le reste de la population carcérale. Je pense qu'elle a parfaitement raison ! Il y a une réalité - Champ-Dollon est truffée de défauts - mais le problème est de savoir ce qu'on fait face à cette situation. La construction d'une nouvelle prison à côté est-elle une solution ? Non, ce n'est pas le cas ! J'ai cru que Mme Margaret Thatcher s'était réincarnée dans le corps de François Baertschi quand je l'ai entendu marteler: «Il n'y a pas d'alternative ! Il n'y a pas d'alternative à la création d'une nouvelle prison !» C'est évidemment faux: il existe des alternatives.
Je vous rappelle que, depuis 2008, nous avons doublé la capacité pénitentiaire du canton de Genève. En 2008, il n'y avait que Champ-Dollon, avec 276 places; 100 places ont été ajoutées en 2010, puis une vingtaine suite à la fermeture du centre de sociothérapie. L'ouverture de La Brenaz I en 2008 a fourni 63 places et celle de La Brenaz II, en 2016, 100 de plus. Nous en sommes donc à 285 places supplémentaires, Mesdames et Messieurs les députés; la capacité pénitentiaire du canton de Genève a doublé en douze ans ! Et on nous propose de pratiquement la doubler à nouveau, ce qui aboutirait à un quadruplement de la capacité pénitentiaire en vingt ans. C'est ça, le projet du Conseil d'Etat ? Des prisons qui doublent tous les dix ans ? Il n'y a pas besoin d'être un grand sage pour savoir où vont ce genre de courbes: elles vont dans le plafond ou dans le mur.
La seule solution consiste à réfléchir à une autre manière de gérer la détention. Il y a des personnes qui n'ont rien à faire à Champ-Dollon ! Il s'agit d'une prison très sécurisée: pourquoi est-ce qu'on y enferme des gens qui n'ont pas payé des amendes de bus ou de circulation routière, des gens qui ont fait un tag et qui n'ont pas pu régler l'amende reçue ? Ces personnes ne sont pas dangereuses; elles n'ont rien à faire dans un établissement du type de Champ-Dollon. Pourquoi est-ce qu'on y enferme des étrangers qui sont en séjour illégal mais n'ont rien d'autre à se reprocher ? Ces gens ne sont pas dangereux; ils n'ont rien à faire à Champ-Dollon. Il existe un principe fondamental du droit pénal suisse: le lieu de détention doit être adapté à la dangerosité du détenu.
Il faut des prisons ouvertes. Mme Zuber-Roy disait qu'à Genève, il n'y a pas de lieu d'incarcération autre que Champ-Dollon; c'est faux ! Il y a La Brenaz, qui est déjà un lieu de détention fermé destiné à des détenus dangereux. Ce qu'il faut - s'il faut quelque chose - ce sont des lieux ouverts ! Des lieux qui permettent aux détenus d'accomplir leur peine et de passer progressivement du lieu fermé à la liberté, car il convient d'éviter les sorties sèches. Une sortie sèche, vous le savez, c'est quand un détenu sort d'un établissement hautement sécurisé comme Champ-Dollon et qu'on le met dans la rue en lui disant: «Bye bye, débrouille-toi !» C'est ce qui engendre les plus importants risques de récidive et crée du danger dans nos rues.
Il faut des lieux dans lesquels les gens puissent faire du travail externe. Il faut des lieux dans lesquels les gens puissent réaliser des travaux d'intérêt général. Toutes ces personnes ne devraient pas se trouver à Champ-Dollon, mais malheureusement - malheureusement - Champ-Dollon est pleine de gens qui n'ont rien à y faire. Et si nous bâtissons une nouvelle prison, je peux vous assurer que celle-ci sera également pleine de gens qui n'auront rien à y faire.
Il faut sauver la zone agricole, Mesdames et Messieurs, c'est certain. Il faut peut-être construire des lieux de détention adaptés pour les femmes, mais il ne faut pas les mélanger avec ceux destinés aux hommes. Feu la députée von Arx-Vernon a toujours martelé l'importance d'éviter ce mélange entre lieux de détention pour les hommes et pour les femmes, alors suivons son avis sur ce point: elle avait raison. Il faut peut-être des lieux de détention ouverts, adaptés aux gens qui ne sont pas dangereux. Mais une prison de haute sécurité, une prison fermée, une prison bâtie sur le modèle américain, une prison bâtie par une architecte membre du PLR qui a siégé ici il y a quelques années, Mesdames et Messieurs les députés, c'est en tout cas inadmissible ! Merci. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Sébastien Desfayes (PDC). Le PDC s'abstiendra sur ces deux objets. Au regard de leur importance, il estime qu'il appartiendra au peuple de se prononcer suite au lancement inévitable d'un référendum. Nous n'aimons pas ces projets et avons l'impression d'être mis devant le fait accompli: finalement, nous avons le choix entre de mauvais projets ou rien ! Et il ne s'agit pas de n'importe quels projets, mais de projets pharaoniques - encore que le terme soit mal choisi parce que les pharaons nous ont fait rêver, ce qui n'est pas le cas des Dardelles ! - qui auront un impact sur les finances du canton et sur sa politique pénitentiaire pour les cinquante prochaines années.
Ce qui nous étonne d'abord ici, c'est le mépris - un mépris tout radical, à tous points de vue - à l'égard des communes. Puplinge n'y est pas favorable, or on lui dit: «Ce n'est pas grave, on va construire chez vous le plus grand centre pénitentiaire de Suisse !» Hier soir, nous avons voté un texte pour que les communes soient consultées lors de la construction d'une PPE de 100 mètres carrés, et là on bâtit une prison sur 10 hectares et on déclare à la commune: «Ce n'est pas grave, on ne va pas t'écouter; de toute façon, le Conseil d'Etat passe en force !» C'est une curieuse manière de voir les rapports entre le canton et les communes.
S'agissant des terres agricoles, il est prévu de déclasser 10 hectares - 10 hectares de terres agricoles ! - dont 7 hectares en SDA, alors qu'aucune alternative ne nous est donnée pour les remplacer. Ce n'est bien sûr pas acceptable pour le PDC !
Le troisième point - qui a été relevé par l'Ordre des avocats de Genève lors de son audition - c'est que la piste de la prison intercantonale n'a pas été examinée. Les cantons latins ne se résument pas au canton de Vaud ! Il y en a d'autres, que Genève n'a pas approchés; ce n'est pas admissible. On ne sait pas quelles démarches ont été entreprises ni quel en a été le résultat. L'Ordre des avocats s'est aussi étonné, alors que Genève accepte l'internement administratif pour les cantons latins, que ceux-ci ne lui rendent pas la pareille pour l'internement pénal. C'est un curieux scénario, une curieuse hypothèse, sauf à considérer que le Conseil d'Etat est incapable de négocier avec ses pairs.
Un autre aspect est également important: le coût démesuré du projet. Le coût est démesuré ! De combien est-il question pour le fonctionnement ? Est-ce qu'on parle de 75 millions par année ? De 100 millions par année ? De 125 millions ? De 150 millions ? Nous n'avons aucun chiffre alors même que ce projet va nous engager pour les cinquante prochaines années. Ce n'est absolument pas acceptable.
On prévoit de réaliser 450 places de prison et il faut 0,4 gardien pour un détenu. Sachant que c'est la profession du service public qui connaît le plus gros taux d'absentéisme - environ 11% - 220 gardiens de prison seront nécessaires. Comment les paiera-t-on, ces gardiens ? Avec quoi ? En accroissant la dette ? Il m'apparaît étonnant que des partis qui prônent la rigueur budgétaire acceptent d'emprunter 100 millions par année pour les payer - ce n'est pas sérieux. Du reste, et c'est une question qu'on pourrait poser à l'exécutif, comment trouver des gardiens de prison ? Comment les trouver, sachant qu'on n'arrive déjà pas à en recruter suffisamment pour couvrir nos besoins actuels ? Le métier est difficile et peu attractif. La commission prison de l'UPCP a d'ailleurs exprimé les plus grandes réserves quant à la capacité de l'Etat de Genève à engager suffisamment de gardiens.
Ce qui est aussi curieux, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, c'est que pour rénover une prison, il faille en construire une autre. C'est totalement absurde ! Je me souviens qu'on parlait déjà de la rénovation de Champ-Dollon quand j'ai commencé mon stage d'avocat. Pourquoi est-ce qu'il n'y a eu absolument aucune planification pénitentiaire pour la rénovation ? Est-ce une stratégie pour précisément nous dire aujourd'hui que nous n'avons pas le choix, que nous ne pouvons pas refuser ce projet et que nous devons voter oui ?
Enfin, je ne vais pas répéter tout ce qu'a énoncé le député Bayenet, mais il existe évidemment des alternatives - des alternatives bien plus humaines, bien plus dignes de Genève, bien plus cohérentes et bien plus économiques. Voilà ! Le PDC s'abstiendra et espère que le peuple pourra se prononcer sur ce projet catastrophique ! Merci. (Applaudissements. Commentaires. Huées.)
Des voix. Bravo !
M. Pierre Eckert (Ve). Je vois que le débat s'enflamme, ce qui est sans doute une bonne chose - je ne sais pas. Je ne sais pas non plus si j'arriverai à le calmer, Mesdames les députées, Messieurs les députés, mais j'aimerais ajouter quelques éléments portant plus spécifiquement sur la détention à l'excellent rapport de minorité de Mme Sordet. La prison des Dardelles est prévue pour accueillir 450 détenus, hommes et femmes, en exécution de peine, c'est-à-dire condamnés à la suite d'un jugement. Ainsi qu'on l'a mentionné tout à l'heure, l'exécution de peine est aujourd'hui assurée à La Brenaz qui comporte 168 places, auxquelles s'ajoutent quelques dizaines de places dans les établissements concordataires des cantons de Vaud, de Neuchâtel et de Fribourg.
Au vu de ce que la commission des visiteurs officiels a pu observer ces derniers temps, ces établissements fonctionnent plutôt bien puisque les unités ne sont pas trop grandes. Ils mettent par ailleurs à disposition des ateliers qui offrent des formations devenues récemment certifiantes, avec le soutien de l'OFPC. Le personnel pénitentiaire, avec lequel la commission des visiteurs officiels a pu s'entretenir, affirme que des unités de 200 places maximum permettent d'assurer un bon suivi des détenus et par conséquent d'augmenter les chances de réinsertion. Je relève donc cette aberration: en déplaçant les détenus de La Brenaz sur le nouveau site des Dardelles - ce mégaprojet qui comporte 450 places - on va casser la dynamique positive des établissements actuels. Et tout cela pour créer 168 places de détention administrative à La Brenaz, Mesdames et Messieurs, alors que les infrastructures actuellement dévolues à cette tâche - Favra et Frambois - sont à moitié vides et l'étaient déjà avant la crise du covid ! Et c'est sans compter les 50 places de détention administrative de courte durée, qu'on appelle «night stop», prévues dans le bâtiment de la PSI le long de la piste de l'aéroport. Plus de 200 places de détention administrative à Genève, quelle aberration !
Quel est ici l'objectif du Conseil d'Etat ? Créer un gigantesque hub de détention puis de renvoi de personnes se trouvant en situation illégale ? Clairement, nous ne soutiendrons pas cette politique inhumaine, insensée et dispendieuse. En fin de compte, nous souhaiterions conserver les structures d'exécution de peine existantes, dont La Brenaz, tout en y ajoutant une structure autonome destinée à la détention des femmes. Cette capacité est à notre sens bien suffisante pour l'exécution de peine en quartier de haute sécurité.
Il reste donc à voir ce qu'on fait avec les 200 détenus environ qui sont en exécution de peine à Champ-Dollon mais qui, comme l'a dit tout à l'heure M. Bayenet, n'ont rien à y faire. On y trouve pêle-mêle des détenus, hommes et femmes, qui purgent des peines de durées courtes à moyennes et habitent temporairement dans cette prison de haute sécurité pour des raisons parfois futiles, par exemple le non-paiement d'amendes de stationnement. On notera aussi qu'il a été parfaitement possible de diminuer fortement le nombre de détenus dans cet établissement durant la période de covid.
Alors que la logique voudrait que l'on crée des unités adaptées aux divers types de délits, qui pourraient comporter des dispositifs de sécurité plus ou moins stricts, on ajoute aux trois structures de haute sécurité déjà existantes - La Brenaz, Champ-Dollon et Curabilis - une quatrième qui possède exactement les mêmes caractéristiques. La logique sécuritaire et financière voudrait plutôt qu'on mette en place une nouvelle politique carcérale telle que nous l'avons formulée dans la M 2666 «Pour une politique pénitentiaire humaine, cohérente et économique». Cette motion demande entre autres d'adapter la politique pénitentiaire de façon à réduire le nombre de personnes détenues dans des établissements de détention fermés, de favoriser les peines de substitution, de planifier un certain nombre d'unités plus petites avec des niveaux de sécurité appropriés et de favoriser la réinsertion par l'utilisation de milieux ouverts ou semi-ouverts.
Je cite le rapport de minorité: «Partout on construit de bonnes vieilles prisons, des prisons à l'ancienne, bien coûteuses et qui finiront bien pleines.» Refusons donc une bonne fois pour toutes ce projet d'un autre âge, mettons en place une politique carcérale moderne et lançons dès demain un projet de rénovation de la prison de Champ-Dollon. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. Merci. La parole est à M. le député Patrick Dimier pour trois minutes onze.
M. Patrick Dimier (MCG). Merci, Monsieur le président. Je n'aurai pas besoin d'autant de temps: je voudrais juste faire deux constats. Premièrement, on comprend au fil des interventions que c'est surtout une question de «Montant»... Deuxièmement, pour répondre à notre collègue Desfayes, si nous étions en Egypte, nous serions au bord du Nil et ce serait le «Nil des Dardelles» ! (Rires. Commentaires.)
Le président. Une fois n'est pas coutume, j'avoue que celle-ci est particulièrement bonne ! La parole est maintenant à Mme la députée Badia Luthi pour cinq minutes quarante-neuf.
Mme Badia Luthi (S), députée suppléante. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, personne ne conteste les problèmes que rencontre le milieu... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
Mme Badia Luthi. Personne ne conteste les problèmes que rencontre le milieu carcéral genevois. Personne ne conteste le fait que chaque détenu a le droit de continuer à vivre dignement même en étant placé dans un établissement fermé. La surpopulation de Champ-Dollon est un fait avéré et personne ne le conteste. Je tiens à souligner que le parti socialiste n'est pas contre la construction d'un nouvel établissement pénitentiaire, au contraire: nous soutenons toute mesure visant à réduire la surpopulation des prisons genevoises, pour améliorer les conditions de vie des détenus et mettre à leur disposition un cadre humain. Nous avons d'ailleurs bien démontré notre volonté d'adhérer au projet dès sa révision, avec l'espoir de trouver une solution magique résolvant tous les problèmes liés à l'incarcération. Si nous ne sommes pas opposés à l'idée d'une nouvelle construction, le projet tel qu'il est conçu nous pousse à ralentir dans cette ambition afin que nous soyons en mesure de mieux réfléchir à la problématique tout en prenant en considération certains paramètres qu'il serait judicieux de ne pas négliger dans ce contexte.
Mesdames et Messieurs, nous constatons que la construction d'une prison avec une capacité de 450 places ne répond pas adéquatement à nos besoins, même si l'on veut nous faire croire qu'elle est bénéfique pour le canton parce qu'elle réduit les coûts. Mais ce qu'il faut pointer du doigt, c'est que plus grand ne signifie pas de meilleure qualité: la qualité ne se mesure pas en fonction des dimensions. Cela nous amène à parler de toutes ces petites unités pénitentiaires que l'on possède actuellement, telle La Brenaz, et dont l'exploitation n'est malheureusement pas optimisée. Entre celles qui requièrent un entretien plus conséquent et celles qui sont surdimensionnées, elles reviennent en effet très cher à la collectivité. Cet axe de réflexion pousse à opter pour une structure médiane, ni trop grande ni trop petite, afin de rester dans une philosophie humaine.
En parlant de philosophie humaine, nous observons que le projet tel qu'il est prévu aujourd'hui ne prend pas en compte les besoins des femmes. Si le nombre de femmes emprisonnées est - heureusement - toujours demeuré inférieur à celui des hommes, cela ne peut en tout cas pas constituer une raison pour négliger leur indépendance. Il faut cesser de les intégrer dans des établissements conçus pour hommes. Pour revenir aux Dardelles, leur réserver un quartier ou un pavillon dans une prison encore destinée aux hommes ne nous semble pas approprié. Nous pensons qu'il serait plus adapté d'avoir une prison indépendante permettant aux femmes de bénéficier de la structure d'une manière optimale afin d'assurer leur insertion sociale, voire économique, et de répondre à leurs besoins de façon plus adéquate.
Mesdames et Messieurs les députés, il convient aussi de rappeler que nos prisons sont surpeuplées en raison de la politique poursuivie justement par la droite ! 87% des détenus sont enfermés pour une peine de moins d'un mois, voire de quelques jours; peut-être est-il temps d'étudier sérieusement certaines pistes qui mènent à des alternatives contribuant au désengorgement des prisons, telles que l'utilisation du bracelet électronique - pourquoi pas ? - le recours à des travaux d'utilité publique ou encore l'obligation de se maintenir dans un périmètre précis. Le nouveau projet ne présente quant à lui aucune alternative.
Pour finir, un établissement pénitentiaire induit forcément un coût de fonctionnement et nous sommes interpellés par le manque de prévision afin de réduire les coûts. On pourrait par exemple limiter les déplacements des détenus vers l'extérieur ou, pourquoi pas, prévoir de recevoir à l'intérieur des établissements des corps professionnels tels que les procureurs ou les juges. C'est pour toutes ces raisons que le parti socialiste refusera ces projets de lois. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Merci. Monsieur le député Adrien Genecand, vous avez la parole pour quatre minutes dix-huit.
M. Adrien Genecand (PLR). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais vous raconter la conversation que j'ai eue avec six enfants âgés en moyenne de quatre à huit ans lors de mon déjeuner il y a maintenant cinq heures. Je leur ai exposé la problématique... (Commentaires. Le président agite la cloche.) ...parce qu'au-delà de toutes les grandes discussions très techniques et très théoriques, je me suis dit que j'allais m'en remettre à eux. (Brouhaha.) Il va sans dire que l'idée de transformer des champs en prison m'a valu les foudres immédiates des six enfants ! Ils m'ont demandé pourquoi, alors qu'on peut manger des produits qui viennent de ces champs, on allait bétonner leur surface. Voilà qui nous permet de développer la suite du débat, Mesdames et Messieurs, la question étant bien sûr de savoir pourquoi des personnes se retrouvent en prison. Eh bien parce que les lois ne sont pas respectées et que lorsqu'elles ne le sont pas - c'est le contrat social - il faut enfermer les gens. Ce à quoi un des enfants m'a répondu: «Mais il y a beaucoup trop de lois ! Vous faites mal les choses !» Il a évidemment raison: on légifère beaucoup trop dans ce pays. (Commentaires.)
Comme le sujet a tourné là autour, un autre enfant a posé les questions suivantes: «Pourquoi vous ne reconstruisez pas à la place de l'ancienne prison ? Pourquoi vous ne déplacez pas les briques rouges pour construire le nouveau bâtiment ?» Celui-là a manifestement déjà compris l'histoire du circuit court ! Je lui ai expliqué qu'il était quand même compliqué, quand on vivait dans une chambre, de reconstruire la même chambre par-dessus. Il a de plus assez vite compris que s'il fallait mettre six personnes 24 heures sur 24 dans sa chambre à lui, les conditions de détention ne seraient pas acceptables.
Tout ça pour dire, Mesdames et Messieurs, que ce débat ne concerne pas tellement la construction de la prison ou le reste. Il porte sur le Pouvoir judiciaire et la politique carcérale. Vous l'avez toutes et tous relevé ! Mesdames et Messieurs, il y a maintenant une heure et demie qu'on fait en réalité votre propre autocritique. En effet, lors du dépôt des listes pour les élections judiciaires en février 2020, vous aviez l'occasion de mener un vrai débat sur la politique carcérale et la question de savoir qui on enferme et pourquoi. Où étiez-vous en février 2020, Mesdames et Messieurs de la gauche, quand ce débat-là sur la politique carcérale et la justice devait avoir lieu ? Où étiez-vous, vous qui nous faites aujourd'hui des reproches ? Vous poussez des lamentations en demandant ce qu'on pourrait bien faire, vous dites que c'est terrible, qu'on enferme des gens alors qu'on ne devrait pas. Mais ce discours, il fallait le tenir à ce moment-là... (Exclamations. Rire.) L'excellent Jacques Béné qui est assis devant moi se moque !
Le président. Je vois que vous avez beaucoup de succès au sein de votre groupe !
M. Adrien Genecand. Un ancien candidat présent dans cette salle s'est d'ailleurs exprimé sur la question. Il fallait débattre au sujet du Pouvoir judiciaire et de la justice en février de cette année, Mesdames et Messieurs, c'était le seul moment possible pour le faire ! En effet, pendant six ans nous aurons une politique judiciaire qu'il conviendra d'appliquer, or pour cela il faut que les conditions de détention dans les prisons soient acceptables. Et si vous n'êtes pas d'accord, Mesdames et Messieurs, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-mêmes... Rendez-vous dans six ans ! (Exclamations. Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme Françoise Sapin pour deux minutes cinquante-trois.
Mme Françoise Sapin (MCG). Merci, Monsieur le président. Comme on peut le lire dans le rapport de majorité, nous ne vivons malheureusement pas dans un monde idéal. Nous sommes par conséquent dans l'obligation de posséder des lieux de détention, et cela également pour la sécurité de nos concitoyens. (Commentaires.) En outre, il ne sera bientôt plus possible - certains l'ont indiqué - d'envoyer des détenus dans les cantons de Vaud et de Fribourg. Nous n'avons donc pas le choix !
Il a par ailleurs été relevé que la construction des Dardelles permettra de rénover Champ-Dollon. Nous disons souvent que les bâtiments de Champ-Dollon se trouvent dans un état déplorable et que les conditions de détention sont très difficiles pour les personnes incarcérées, mais ce qu'on oublie, Mesdames et Messieurs, c'est que les conditions de travail sont elles aussi très difficiles pour les employés de cette prison, tant pour le personnel carcéral que pour le personnel hospitalier. Comme l'a rappelé l'un de mes préopinants, le taux d'absentéisme se monte à plus de 11%. Je pense que le fait de devoir travailler dans des bâtiments qui ne sont pas étanches et qui comportent un tas de moisissures a également des effets très nocifs sur la santé, nous tenions à le souligner s'agissant du personnel.
En conclusion, pour l'ensemble de ces raisons et toutes celles qui ont été citées auparavant, nous vous demandons de voter oui au PL 12302. (Brouhaha.)
Le président. Merci, Madame la députée. Je donne la parole à M. Rémy Pagani, rapporteur de minorité, pour une minute dix-sept.
M. Rémy Pagani (EAG), rapporteur de minorité. Merci beaucoup, Monsieur le président. Je ne comprends pas que le temps de parole soit aussi limité, puisqu'il y a deux projets de lois. Toujours est-il que j'aimerais revenir sur la prise de position de M. Desfayes et du PDC en général. Il a cité deux faits incontournables - qui devraient le pousser à rejoindre notre point de vue - à savoir le non-entretien de la prison de Champ-Dollon, qui m'interpelle moi aussi, et la lettre intercantonale qu'on a reçue et qu'on a pu étudier. Ce courrier, qui a été exhibé devant nous, dit en substance qu'il n'existe pas de solution à l'extérieur. Tout cela, ce sont des manoeuvres pour que nous votions cette prison, cet agrandissement de la prison de Champ-Dollon. En effet, je sais que la question de la rénovation de Champ-Dollon a été posée de manière importante il y a très longtemps et que les magistrats d'alors ont refusé de rénover cet établissement, parce qu'ils avaient l'intention de l'agrandir - ce qui s'est du reste produit. Je sais aussi que le conseiller d'Etat, enfin le pseudo-conseiller d'Etat Maudet a entrepris des démarches pour que l'intercantonalité ne fonctionne pas et que l'on obtienne cette lettre. On nous met donc aujourd'hui devant le fait accompli, et je pense que le PDC devrait en tirer des conclusions et se rallier à notre point de vue, parce que c'est assez stupide de se laisser enfermer ainsi dans une position de neutralité.
Le président. Vous parlez désormais sur le temps de votre groupe.
M. Rémy Pagani. Cela étant, en ce qui concerne Berne, là aussi je trouve que c'est un peu spécial: il y a 258 millions sur la table mais on nous dit que ça ne nous coûtera pas un sou. Nous contribuons pourtant tous aux impôts fédéraux, Mesdames et Messieurs ! Toute cette affaire va donc nous coûter beaucoup d'argent.
On nous indique par ailleurs que le budget d'exploitation de cette nouvelle prison se situera entre 50 et 60 millions, mais c'est 100 millions - certains l'ont relevé - qu'il faudra dépenser chaque année ! Je vous laisse calculer ce que ça représente en dix ans, mais j'imagine que vous l'avez déjà fait... Ces coûts impliqueront une augmentation des charges, soit des sommes que l'on ne pourra pas affecter à d'autres postes.
Le dernier argument concerne le terrain agricole. Nous disposons encore de 20 hectares, 20 hectares seulement de déclassement pour construire des logements. Si vous nous enlevez 7 hectares avec cette prison, il nous en restera 13. Sachant que 10% de la zone villas ne pourront pas être déclassés pour créer des logements en raison du blocage de ce type de zone par référendum, cela signifie, faute de terrains, qu'on va continuer à externaliser la production de logements au-delà de nos frontières - que ce soit dans le canton de Vaud ou en France voisine - pour les citoyens et citoyennes qui habitent actuellement dans le canton, de même que pour leurs enfants. Je trouve qu'il y a des arbitrages à opérer, nous l'avons fait, et si d'aventure ces projets sont votés aujourd'hui, nous lancerons éventuellement deux référendums, ou du moins un. Merci de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je précise que nous avons prévu soixante minutes pour ce débat parce que les deux projets sont liés. Les rapporteurs et les groupes disposent de six minutes de temps de parole. Je cède maintenant le micro à M. Pierre Bayenet pour trente-quatre secondes.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Je vous remercie, Monsieur le président. J'aimerais simplement préciser un point que M. Adrien Genecand semble n'avoir pas compris. Il y a d'un côté la question de la politique criminelle, qui est évidemment entre les mains du Ministère public, et de l'autre côté celle de la politique carcérale. Ce sont deux éléments fondamentalement différents ! La politique criminelle permet d'aboutir au prononcé d'une peine, d'une sanction pénale, tandis que la politique carcérale s'applique à décider dans quel type d'établissement on va enfermer la personne qui a subi cette peine. Dans ce domaine, c'est l'exécutif, en l'occurrence le SAPEM, dont la marge de manoeuvre est grande, qui décide de placer les gens dans des lieux plus ou moins sécurisés, de les faire bénéficier du régime de travail externe, etc. Mais encore faut-il qu'il existe des lieux adaptés à ce genre de sanctions plus ouvertes. Actuellement, ils sont très rares. Il n'y a pas de lieux de détention ouverts à Genève...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Pierre Bayenet. ...et c'est pour cette raison que les gens font trop de détention en milieu fermé. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Guy Mettan pour trois minutes.
M. Guy Mettan (HP). Merci, Monsieur le président. Je serai bref, parce que beaucoup de choses ont déjà été dites. Je m'opposerai moi aussi à ce projet de loi pour plusieurs raisons, mais je ne vais pas revenir sur les nombreux arguments qui ont été apportés au fil du débat.
Jusqu'à maintenant j'ai voté tous les crédits qui portaient sur l'extension des prisons, et je me souviens avoir également accepté le crédit en faveur de Curabilis. On s'est aperçu après coup que cet établissement avait coûté extrêmement cher et qu'il ne donnait pas pleinement satisfaction en tout cas du point de vue de son fonctionnement, alors que les frais liés à sa construction avaient explosé. Je suis dès lors devenu grandement sceptique à l'égard des mégaprojets concernant les prisons.
On pourrait par ailleurs établir une autre comparaison - c'est mon collègue et ami Patrick Saudan qui me le souffle. En effet, ce dossier fait un peu penser à la traversée de la rade: il s'agit là aussi d'un mégaprojet intéressant, comme l'était la traversée de la rade pour la mobilité, mais il ne répond plus tout à fait aux objectifs qu'on s'est fixés. Sans vouloir approfondir ce parallèle, je considère donc qu'il ne faudrait pas qu'on tombe dans le même type de travers.
J'aimerais enfin soulever un argument qui a été peu évoqué jusqu'ici. Comme le conseiller d'Etat Mauro Poggia l'a rappelé tout à l'heure, nous allons effectivement être confrontés à une crise économique qui va être très grave: des dizaines de milliers de personnes sont menacées quant à leur emploi, le budget cantonal affiche lui-même un déficit préoccupant, et je pense que pour l'instant ce projet n'est pas suffisamment mûr, d'autant plus qu'il existe des alternatives intéressantes qui n'ont pas encore été pleinement explorées. Ainsi, pour toutes ces raisons et celles qui ont déjà été citées par mes collègues, je m'opposerai à cet objet. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Charles Selleger pour une minute seize.
M. Charles Selleger (PLR). Merci, Monsieur le président. Ce sera largement suffisant. J'aimerais revenir sur l'intervention de M. Pagani, qui s'est permis de tenir des propos insultants à l'égard d'un conseiller d'Etat en fonction. (Exclamations.) Je vous pose donc la question, Monsieur le président: quelle attitude votre autorité va-t-elle adopter face à cette insulte ? Je vous remercie de votre réponse. (Commentaires.)
Une voix. Il a raison !
Le président. Merci, Monsieur le député. Je cède la parole à M. François Baertschi, rapporteur de majorité, pour une minute dix-sept.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. J'ai écouté avec intérêt les calculs du député Bayenet. Cela dit, je devrais parler non pas du député Bayenet, mais du magicien Houdini, car il arrive à nous trouver des places de détention de manière assez curieuse ! En réalité, c'est la politique sans frontières d'Ensemble à Gauche, à laquelle on est habitué. L'autre surprise provient des socialistes, qui veulent moins de prisons. C'est la politique des portes ouvertes ! Quant aux Verts, ils ont une politique moderne vraiment très décoiffante, qui consiste à insérer les criminels étrangers illégaux à Genève. C'est la pratique de l'open bar, des portes ouvertes aux criminels. Genève, capitale de la criminalité !
Dans le fond, la question essentielle derrière ces deux textes, c'est la sécurité des Genevois, la protection des Genevois face à une menace extérieure. En effet, les chiffres sont imparables ! Ce n'est pas nous qui créons de la criminalité: ceux qui la commettent sont malheureusement attirés par la richesse de notre canton, et c'est pour cette raison qu'il faut voter avec conviction les deux projets de lois.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à la rapporteure de majorité, Mme Céline Zuber-Roy, pour quarante et une secondes.
Mme Céline Zuber-Roy (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Pratiquement tout a été dit. J'aimerais souligner qu'effectivement une grande partie relève de la contestation de la politique judiciaire, mais encore une fois ce débat aurait dû être mené lors des élections générales, ce qui n'a pas été le cas. Concernant les alternatives qui existeraient, de nombreuses séances de commission ont eu lieu, or ces alternatives n'y ont pas été amenées. C'est facile de les développer maintenant comme ça, alors qu'il n'y a pas eu d'études ! Plusieurs sont contraires au droit fédéral. Je pense réellement que si l'on veut améliorer les conditions de détention à Genève, ce qui est une obligation, nous devons voter Les Dardelles. Il n'y a pas de plan B que l'on pourrait mettre en oeuvre rapidement.
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. David Martin pour une minute trente-huit.
M. David Martin (Ve). Merci, Monsieur le président. A en croire mon préopinant François Baertschi - vous transmettrez, Monsieur le président - on a l'impression que Genève est comparable à Mexico City ou un endroit de ce genre. C'est à peine audible ! Pour ma part, je prends la parole pour compléter les propos d'Adrienne Sordet et de Pierre Eckert, qui ont déjà exposé en détail la position des Verts. En tant que commissaire à l'aménagement, j'aimerais simplement confirmer que ce projet de déclassement manque de justifications. Oui, il manque des justifications pour qu'on entre en matière sur un déclassement de terres agricoles aussi colossal. En effet, avant de parler de déclassement, il est nécessaire de requestionner sérieusement notre politique d'incarcération. Ces notions ont été développées par plusieurs préopinants. En particulier, le PDC a exposé en détail les nombreuses critiques portant sur ce dossier. Je m'interroge donc vraiment sur l'abstention annoncée par ce groupe et je l'invite à réfléchir attentivement aux raisons d'un tel vote après un plaidoyer aussi négatif sur ce projet. J'encourage le PDC à le refuser, pour éviter que l'on se dirige vers un référendum qui sera certainement gagnant. Je vous remercie. (Applaudissements. Commentaires.)
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, pour ne rien vous cacher, je suis assez consterné par certains des propos que j'ai entendus. Qui ici se réjouit de la construction d'une prison ? Personne ! D'ailleurs, si quelqu'un s'en réjouissait, je l'inviterais à aller consulter. Comme disait Bossuet, «Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes». En d'autres termes, comment peut-on se plaindre des effets sans s'attaquer aux causes ? Il n'y a pas un seul débat mené sur la détention sans que les partis de gauche et le centre droit viennent fustiger les conditions dans lesquelles les personnes sont détenues dans ce canton. Il n'y a pas un seul contrôle effectué par des autorités fédérales ou européennes qui n'aboutit pas à la conclusion que les conditions dans lesquelles les personnes sont détenues à Champ-Dollon sont inacceptables. Il n'y a pas un seul recours au Tribunal fédéral déposé par un détenu ayant purgé une peine à Champ-Dollon et réclamant des indemnisations qui se voit rejeté. Mois après mois, Genève, berceau des droits de l'Homme, est condamné !
Aujourd'hui, nous avons une prison, Champ-Dollon, qui tombe en ruine. Elle tombe en ruine, mais elle ne peut pas être remplacée. On ne remplace pas, on ne rénove pas une prison comme on rénove n'importe quel bâtiment ! Il faut bien se rendre compte qu'il y a d'abord des questions de sécurité extrêmement lourdes pour l'ensemble des entreprises qui interviennent. Il faut ensuite libérer des secteurs entiers pour pouvoir procéder à des rénovations, ce qui n'est pas possible ! Le nombre de détenus ne dépasse plus la barre des 900, comme ce fut le cas à une certaine période - pour une capacité, je le rappelle, de 398 places. Ils sont actuellement à peu près 550, mais nous atteindrons vraisemblablement le chiffre que l'on connaissait avant le covid, soit environ 650.
A ce propos, j'ai entendu certaines personnes, dont un rapporteur de minorité, dire que nous avions libéré des détenus en raison du covid. Mais d'où tire-t-on cette argumentation ? Nous n'avons pas libéré de détenus ! Il se trouve simplement que pendant cette période, nous n'avons pas délivré d'ordres d'écrou à l'encontre de personnes qui se voyaient condamnées alors qu'elles sont en liberté, précisément pour ne pas encombrer inutilement des cellules déjà surpeuplées et augmenter ainsi le risque de transmission si par malheur le virus devait entrer dans ce lieu de détention. Nous avons aussi évité de procéder à des conversions d'amendes en jours de détention. J'entends que cela déplaît à certains, mais il n'en demeure pas moins que si le message que vous voulez donner aux personnes qui nous écoutent est le suivant: «Surtout ne payez pas les amendes ou les jours-amende auxquels vous êtes condamnés; plus longtemps vous tiendrez, moins vous aurez à payer ! Et les honnêtes gens qui s'acquittent de leurs dettes aussitôt qu'ils reçoivent les bordereaux de l'Etat, ce sont les dindons de la farce.», eh bien ce n'est pas sérieux, Mesdames et Messieurs.
La politique criminelle, ce n'est pas cela. Et quand j'entends que l'on s'attaque ici à la politique du Ministère public, j'aimerais bien savoir sur quelle base on considère qu'aujourd'hui dans notre canton on incarcère inutilement davantage qu'ailleurs des personnes qui ne le méritent pas. Parce qu'encore une fois, Genève est un lieu où la délinquance et la criminalité sont clairement plus importantes qu'ailleurs. Faudrait-il fermer les yeux pour entrer dans les statistiques nationales ? Bien évidemment que non. Excusez-moi, Mesdames et Messieurs, mais sur quoi repose le raisonnement qui consiste à dire: «Pas de prison, pas de détenus; pas de détenus, pas de délits; pas de délits, paradis...» ? (Applaudissements.) Cette naïveté confine à l'angélisme ! Si au moins ce discours baignait dans un minimum d'honnêteté intellectuelle, je pourrais suivre, mais actuellement nous n'avons aucun moyen - et d'ailleurs je trouverais scandaleux que nous puissions le faire - de dire à nos juges: «Condamnez moins, s'il vous plaît ! Et les personnes qui n'ont pas de domicile, avec un risque de fuite ou de récidive, laissez-les partir, parce qu'il faut que le bruit coure qu'à Genève on peut commettre un délit, puis prendre la fuite, laisser passer un peu de temps et revenir impunément.» Est-ce là le message que vous voulez donner, Mesdames et Messieurs ? Non !
Et quand on dit... (Remarque de M. Rémy Pagani.) Oui, Monsieur Pagani, qui m'interpellez - vous lui transmettrez, Monsieur le président - quand vous déclarez qu'en réalité on fait de la politique migratoire par la détention, vous ne savez pas ce que vous dites ! Si au moins vous étiez dans l'erreur, je pourrais le comprendre, mais vous parlez en sachant pertinemment que ce que vous avancez est faux. Le cas échéant, on incarcère en détention administrative - et cela parcimonieusement, je peux vous le dire - des personnes destinées à un départ rapide, et lorsque ce départ ne peut pas avoir lieu, je signe régulièrement des ordres de mise en liberté, parce qu'on ne garde pas des gens en détention administrative s'il n'y a pas une perspective de renvoi à court terme. Les détenus qui se trouvent à Champ-Dollon sont de deux ordres: soit ils attendent un jugement parce qu'ils sont poursuivis pour avoir commis un crime ou un délit - et le cas échéant la justice en décidera - soit ils purgent une peine prononcée par la justice. On ne fait pas de la politique migratoire, et les personnes aujourd'hui détenues exclusivement pour infraction à la loi sur les étrangers et l'intégration sont véritablement marginales. Elles sont totalement marginales ! D'après les chiffres en notre possession, qui ont été présentés lorsque nous avions encore la possibilité de disposer d'une vision conforme à une situation normale - car il est bien évident que le contexte lié au covid n'est pas représentatif - Champ-Dollon accueillait 864 personnes, dont 410 en attente de jugement. Alors à moins qu'on leur dise: «Allez attendre votre jugement ailleurs et si possible faites en sorte qu'on ne vous retrouve pas, pour qu'on évite de vous juger.», il est logique qu'elles attendent leur jugement, et cela également pour protéger la population. L'établissement comptait en outre 454 détenus en exécution de peine, parmi lesquels plus de 300 purgeaient des peines supérieures à trois mois, voire à un an pour 153 d'entre eux. Nous mélangeons par conséquent - j'allais dire allégrement, mais il n'y a aucune allégresse là-dedans - des personnes en attente de jugement, qui sont présumées innocentes, je vous le rappelle, avec des personnes condamnées, qui sont donc coupables aux yeux de la justice. Trouvez-vous qu'il est normal de mélanger ces populations ? Si vous voulez faire d'un jeune délinquant un délinquant chevronné, il n'y a pas mieux. Si vous souhaitez faire en sorte que ces personnes ne soient pas préparées à un retour à la liberté, continuez ainsi. Aujourd'hui à Champ-Dollon, alors que les personnes condamnées sont soumises à une obligation de travail, plus de la moitié d'entre elles ne travaillent pas parce qu'il n'y a pas suffisamment de places. Il n'existe aucune préparation pour leur retour. Quelle est votre solution, Mesdames et Messieurs qui vous opposez à ce projet ? Aucune.
L'infrastructure qui vous est proposée, qui comporte 450 places, correspond très exactement à la production genevoise, si je puis dire - excusez-moi l'expression. Cela signifie que nous n'allons pas prendre des gens condamnés ailleurs pour les placer dans la future prison des Dardelles ! Je vous le disais: les personnes condamnées sont au nombre de 454, or la prison des Dardelles dispose de 450 places, avec des unités de vie de 25 détenus. Il est clair qu'il s'agit d'une grande prison, mais elle contient de petites unités, parce que c'est ainsi qu'on prépare au retour en liberté. Ces 450 places coûtent finalement 189 millions à notre collectivité, ce qui n'est pas rien - c'est même beaucoup. Quelqu'un a fait référence au dépôt destiné aux bus et aux transports publics d'un montant de 330 millions. Personnellement, je trouve que pour donner une dignité à notre canton et pouvoir garder dignement en détention avant jugement puis en condamnation les personnes accusées, voire condamnées pour un crime ou un délit, c'est la somme que nous devons mettre.
Nous vous avons présenté les différentes variantes, et ce projet comporte tous les avantages. C'est celui où le coût par cellule est le plus bas. C'est celui qui permet des synergies pour que l'on puisse précisément offrir à ces personnes des lieux de travail et surtout de formation. Le but de l'insertion et de la désistance, comme on l'appelle, c'est de donner la possibilité aux personnes condamnées pour une période suffisamment longue d'acquérir une formation, en vue de leur construire un avenir. Actuellement, c'est tout simplement impossible à Champ-Dollon. Si ce projet est refusé, Mesdames et Messieurs, il n'y aura rien pour les dix prochaines années au moins. Qu'allons-nous faire ? Continuer à garder six détenus par cellule, comme nous le faisons maintenant, sans leur offrir aucune perspective de formation pour un retour en liberté ? C'est cela, l'humanité dont vous parlez ? C'est cela, l'humanité que vous voulez pour les personnes incarcérées ou condamnées dans notre canton ? Certainement pas.
Voilà, Mesdames et Messieurs, je ne veux pas être plus long. On a parlé des accords intercantonaux, on a même prétendu que les courriers présentés étaient de circonstance. Vous voyez nos collègues romands conseillers d'Etat signer des courriers de complaisance pour permettre à mon prédécesseur de porter ce projet ? Je laisse à l'auteur de ces propos la responsabilité qui en découle. Manifestement, personne ne veut de nouvelles prisons sur son territoire. Aujourd'hui, Genève transfère des personnes condamnées ici dans d'autres cantons. Nous devons assumer notre part, et pas la part des autres. Encore une fois, 450 places, c'est ce dont nous avons besoin.
Quant à La Brenaz, qui est un lieu de détention administrative, nous avons aussi des obligations intercantonales, qui vont jusqu'à 174 places - c'étaient les chiffres de 2018. Aujourd'hui, ce sont 180 places à La Brenaz; elles sont occupées par des personnes condamnées qui exécutent leur peine, alors que cette prison n'est pas faite pour l'exécution de peine et ne dispose pas des ateliers nécessaires pour accompagner les détenus sur le chemin de la liberté.
Dernier élément: c'est vrai qu'il existe des alternatives, comme le bracelet électronique, et nous allons les renforcer, mais elles ne seront jamais possibles, puisque le droit fédéral nous l'interdit, pour les personnes qui n'ont pas de domicile fixe en Suisse. Changez la loi fédérale, si vous le voulez ! La plupart des partis présents ici ont des représentants à Berne, alors faites en sorte que l'on applique le droit différemment pour que nous puissions avoir des alternatives, car aujourd'hui ce n'est pas le cas.
Je vous demande, Mesdames et Messieurs, de soutenir ce projet pour la dignité de notre canton. On ne peut pas être le berceau des droits de l'Homme et prendre des décisions comme celle-ci en continuant un jour de plus à n'avoir aucune perspective d'avenir pour la détention des personnes condamnées à Genève. Je vous remercie. (Longs applaudissements. Huées.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Pour commencer, nous allons procéder au vote d'entrée en matière sur le PL 12302-A. Je rappelle qu'il s'agit du rapport de la commission d'aménagement du canton chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat modifiant les limites de zones sur le territoire de la commune de Puplinge.
Mis aux voix, le projet de loi 12302 est adopté en premier débat par 47 oui contre 46 non et 5 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote.)
Le président. Vous avez accepté l'entrée en matière... (Commentaires.)
Une voix. C'était fini depuis longtemps !
Le président. Non, le vote était encore ouvert !
Des voix. Non !
Une voix. C'était fini ! (Chahut.)
Le président. S'il vous plaît ! Vous avez donc accepté l'entrée en matière par 47 oui contre 46 non et 5 abstentions. (Applaudissements.) Nous passons au deuxième débat.
Une voix. Il y a eu un problème technique !
Le président. Non, il n'y a eu aucun problème technique, quelqu'un a simplement voté au dernier moment ! (Commentaires.) Le temps de vote est le même pour tous les objets.
Une voix. Mais là il a été dépassé !
Le président. Non, il n'a pas été dépassé ! Clairement pas ! Monsieur Cruchon, vous avez la parole.
M. Pablo Cruchon (EAG). Merci, Monsieur le président. Je m'excuse, mais certains votes ont changé après la fin du temps. (Chahut.) Oui, des gens ont modifié leur vote... (Brouhaha.) S'il vous plaît ! Ça ne prête pas à controverse, c'est un fait, je demande donc que l'on revote sur l'entrée en matière. Merci. (Chahut.)
Une voix. Oui, c'est ce qui s'est passé !
Une autre voix. Il faut le demander, certains ont changé leur vote après coup !
Le président. Mesdames et Messieurs, je vous demande un instant pour que l'on procède à une vérification, mais il paraît absolument impossible que le temps de vote pour ce projet de loi diffère de celui imparti à tous les objets sur lesquels nous nous sommes prononcés depuis hier. (Un long moment s'écoule.) Un peu de patience: je ne suspends pas la séance, j'attends simplement le retour du service technique. (Un instant s'écoule.) Très bien. Nous poursuivons la procédure. Le vote d'entrée en matière étant acquis, nous passons au deuxième débat.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les art. 1 à 5.
Troisième débat
Mis aux voix, le projet de loi 12302 est rejeté en troisième débat dans son ensemble par 45 non contre 44 oui et 7 abstentions.
Le président. Je mets maintenant aux voix... (Commentaires.) Ah oui, je n'ai pas annoncé le résultat, mais tout le monde l'a vu ! Ce projet de loi a donc été rejeté par 45 non contre 44 oui et 7 abstentions. (Brouhaha.)
Je vous soumets à présent l'entrée en matière sur le PL 12303-A, qui est lié au précédent, soit le rapport de la commission des travaux chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat ouvrant un crédit d'investissement.
Mis aux voix, le projet de loi 12303 est rejeté en premier débat par 44 non contre 43 oui et 7 abstentions. (Applaudissements et exclamations à l'annonce du résultat.)
Le président. Mesdames et Messieurs, je lève la séance. Nous reprendrons nos travaux à 18h05 avec les dernières urgences.
La séance est levée à 17h45.