Séance du jeudi 7 novembre 2019 à 14h
2e législature - 2e année - 6e session - 34e séance

M 2434-A
Rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Delphine Klopfenstein Broggini, Sarah Klopmann, Mathias Buschbeck, Frédérique Perler, Boris Calame, Yves de Matteis, Emilie Flamand-Lew, Guillaume Käser, Sophie Forster Carbonnier, François Lefort, Vincent Maitre, Anne Marie von Arx-Vernon, Jean-Marc Guinchard, Olivier Baud, Jean Batou, Jocelyne Haller, Pierre Vanek, Christian Zaugg, Maria Pérez : Diffuser la nationalité d'un-e délinquant-e présumé-e n'est pas pertinent et attise la xénophobie : cette pratique doit cesser !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 6 et 7 juin 2019.
Rapport de majorité de Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve)
Rapport de minorité de M. Marc Fuhrmann (UDC)

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons à l'objet suivant, soit la M 2434-A. Nous sommes en catégorie II, quarante minutes. Le rapport de majorité est de Mme Delphine Klopfenstein Broggini, remplacée par Mme Paloma Tschudi, à qui je cède la parole.

Mme Paloma Tschudi (Ve), rapporteuse de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Je souhaite tout d'abord vous informer, comme l'a indiqué le président, que je reprends le rapport de majorité brillamment rédigé par Delphine Klopfenstein Broggini, et je me permets d'ailleurs de la féliciter encore une fois pour son élection à Berne.

La motion dont il est question ici, qui a été étudiée lors de quatre séances de la commission judiciaire et de la police, invite le Conseil d'Etat à renoncer à communiquer la nationalité d'un ou d'une délinquante présumée, sauf si cette information est pertinente dans une situation spécifique ou dans des cas exceptionnels. La principale raison d'être de cette motion est que la nationalité ne constitue pas une variable déterminante dans l'explication du phénomène criminel. En effet, de nombreuses études, notamment celle du professeur de droit pénal et de criminologie à l'Université de Lausanne André Kuhn, démontrent que les principales variables explicatives du phénomène criminel sont tout d'abord le sexe, puis l'âge, le niveau socio-économique et, enfin, le niveau de formation. Ainsi, communiquer la nationalité d'un présumé délinquant ou d'une présumée délinquante laisse suggérer qu'elle explique son présumé délit, tout en cachant les causes exactes, comme la pauvreté ou encore le bas niveau de formation.

Le phénomène criminel est un phénomène complexe, et les raccourcis opérés par certains partis de l'hémisphère droit de ce parlement - dont fait d'ailleurs partie le rapporteur de minorité - sont dangereux. (Remarque.) Donner la nationalité d'une personne, d'un présumé ou d'une présumée délinquante n'a d'autre fonction que de renforcer des préjugés dangereux et d'attiser la haine. D'ailleurs... (Commentaires.) D'ailleurs, la cheffe de la police, auditionnée par la commission, a relevé que depuis qu'elle ne communiquait pas ou plus la nationalité sur Facebook, les commentaires et réactions de type xénophobe ou raciste avaient diminué. (Remarque.) C'est bien la preuve qu'il existe une corrélation entre la communication de cette information et l'attisement de la xénophobie.

La majorité de la commission que je représente s'accorde à dire qu'il est d'autant plus important de ne pas divulguer la nationalité que le cas qui nous occupe ici est celui d'un présumé ou d'une présumée délinquante. (L'oratrice insiste sur le terme «présumé».) Dès lors, la présomption d'innocence doit prévaloir et aucune information sur la personne ne devrait être communiquée, de manière à s'assurer de la protection des données et de l'intégrité de ces personnes ainsi que de leur communauté. (Brouhaha.)

Le rapporteur de minorité vous dira que nous, majorité de cette commission, attaquons la liberté d'expression de la presse et vous invitera donc à refuser cette motion. Mais il convient de rappeler que mettre un cadre n'équivaut pas à de la censure. La question que je vous pose est la suivante: quel type de presse souhaitez-vous ? Une presse qui attise la xénophobie, le rejet et l'exclusion ou une presse qui informe ? A cette question, je réponds que nous, la majorité de cette commission, nous souhaitons une presse qui informe. Nous souhaitons une presse de qualité, qui sort des faits divers pour donner à son lectorat des informations utiles et surtout pertinentes, qui fait du vrai et du bon journalisme. Il existe d'ailleurs des directives du conseil de la presse qui invitent les journalistes à mettre en balance la pertinence de l'information sur la nationalité d'une personne et le risque de discrimination lié à cette information.

Le rapporteur de minorité vous dira également que la population a le droit d'être informée. A cela, nous, majorité, répondons que bien sûr, la population a le droit d'être informée, et que même si la presse ne communique plus la nationalité des présumés délinquants et délinquantes, la population pourra toujours, si elle le souhaite, obtenir cette information en consultant les données de l'Office fédéral de la statistique, qui indiquent la nationalité.

Par ailleurs, cette motion ne préserve pas seulement le travail des journalistes: elle préserve également celui de la police et de la justice, qui se trouvent parfois desservies par les informations figurant dans la presse. Pour toutes ces raisons, je vous invite, Mesdames les députées, Messieurs les députés, à accepter cette motion. Merci. (Applaudissements.)

M. Marc Fuhrmann (UDC), rapporteur de minorité. La minorité constate aussi, avec bonheur du reste, que la police ne publie plus sur les réseaux sociaux les nationalités ou les origines de criminels existants ou potentiels. C'est déjà une bonne chose. Cette mesure est pour nous suffisante pour réduire significativement les stigmatisations actuelles. Pour l'heure, seuls les communiqués de presse officiels de la police contiennent les indications de nationalité.

Maintenant, nous pensons que cette motion est superflue et particulièrement perverse pour les raisons suivantes. Tout d'abord, il s'agit d'une obstruction à la liberté de la presse, liberté pourtant garantie par notre constitution. C'est une attaque dirigée pas directement contre cette liberté en soi, mais contre les sources de celle-ci. Comment donner une couverture médiatique aux événements si l'on n'en connaît pas les éléments factuels ? Cela est digne d'une époque soviétique que nous pensions révolue depuis longtemps.

Des voix. Oh ! (Commentaires.)

M. Marc Fuhrmann. La demande de la population et des médias nous a été confirmée tant par Mme la commandante de la police que par le contenu que les médias nous proposent. Cette demande est claire: la population veut connaître l'origine et la nationalité des délinquants actuels ou supposés. Il ne s'agit ici que de faits, à savoir une réalité. La population est en droit de savoir ce qui se passe sur son territoire, d'être informée sur les infractions commises et de savoir par qui elles le sont. Ne pas publier ces informations ne laisse pas seulement le citoyen dans le noir, mais l'induit aussi en erreur par rapport à la réalité qui l'entoure. Cette réalité est claire: les prisons genevoises sont peuplées, d'une part, à plus de 90% par des ressortissants non suisses, dont certaines régions d'origine sont massivement surreprésentées, et, d'autre part, à 50% par des personnes qui n'ont finalement rien à faire sur le territoire suisse. C'est une réalité et non une vision politique ! C'est une réalité !

Que vise à faire croire cette motion néfaste ? Elle tente d'inventer une réalité qui n'existe pas: un rêve, un village de Potemkine ! Faire croire à une réalité inexistante est le plus grand danger pour une société. Le monde connaît les dégâts causés par l'imposition de fausses réalités, notamment dans les pays sous le joug soviétique. Voulons-nous une telle imposture à Genève sous couvert de bons sentiments ? Les femmes se sentiraient-elles plus à l'aise face aux hommes si on ne les informait pas du sexe du prédateur sexuel ? Mais il faut juste arrêter ! Cette motion veut manipuler le public afin de le détourner de la réalité; pour nous, c'est inacceptable !

Comme mentionné auparavant, la presse et les médias ont un fort intérêt à connaître la nationalité des prévenus et feront tout pour la connaître si la police ne peut plus la communiquer. Cela aurait finalement des résultats pervers, car ces médias feraient tout pour supposer ou deviner l'origine des suspects, ce qui, selon les circonstances, aurait des effets bien plus désastreux que n'en aurait la simple publication de la réalité en toute transparence. Pour toutes ces raisons, la minorité estime que cette motion est contraire à tout idéal de transparence démocratique et de liberté d'information idéale, pour lequel la population suisse se bat depuis si longtemps, et vous enjoint donc de rejeter ce texte. Merci.

Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je ne vais pas réitérer les arguments de la rapporteuse de majorité, qui sont très clairs. Mentionner la nationalité n'apporte aucune plus-value, mis à part combler la curiosité des lectrices et des lecteurs pour que nous puissions coller une étiquette et aiguiser davantage un sentiment de crainte et d'hostilité vis-à-vis des personnes qui n'appartiennent pas au même groupe que le nôtre. Cette mention - et non pas «motion» - n'apporte aucun élément saillant, en particulier sur la question du délit.

En quoi, expliquez-moi, la nationalité est-elle une variable pertinente pour la population ? Elle l'est pour la police, mais sa communication peut être instrumentalisée à mauvais escient, comme l'a mentionné la rapporteuse. Les seules données pertinentes pour nous, les Vertes et les Verts, restent donc l'âge, le niveau socio-économique, le sexe, le niveau de formation et, en dernier lieu, la nationalité. Voilà pourquoi les Vertes et les Verts soutiendront évidemment cette motion. Merci.

M. Rolin Wavre (PLR). Chers collègues, Mesdames et Messieurs les députés, pour nous, contrairement à ce que disait le rapporteur de minorité, cette motion n'est pas perverse. Elle poursuit des intentions louables, puisque lutter contre la stigmatisation et les amalgames est un objectif parfaitement légitime. Les débats en commission en 2017 puis en 2018 ont été instructifs. Ils ont démontré que la question de la protection de la personnalité était digne d'un débat.

Le groupe PLR constate que la pratique actuelle du Ministère public et des autorités de la police est correcte, nuancée et réfléchie. Il nous semble que chercher à interdire la diffusion de cette information sur la nationalité est plutôt de nature à éveiller la suspicion du public. Les journalistes qui souhaiteraient la connaître parviendraient à obtenir cette information en quelques coups de fil. Il nous semble donc que la dissimuler n'est pas la bonne formule. Nous préférons d'ailleurs nettement lutter dans l'arène politique et dans l'arène médiatique contre la stigmatisation elle-même. La presse a démontré par ses propres règles internes et ses lignes de conduite qu'elle était attachée à cette balance dans son travail. Il nous semble que l'exemple de la France, où les statistiques ethniques sont interdites, ne démontre pas d'efficacité dans la lutte contre les fantasmes et la stigmatisation. C'est un point qui ne nous paraît pas éprouvé. Ensuite, on pourrait aussi refuser d'indiquer l'âge des prévenus, par exemple pour éviter une stigmatisation anti-jeunes ou anti-vieux. (Commentaires.) Il nous semble que cette motion est intéressante, mais qu'elle ne représente pas le bon moyen. Nous considérons donc qu'il faut s'en tenir à la pratique des autorités et refuser cette motion. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)

Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames les députées, Messieurs les députés, cette motion, dont nous sommes co-signataires, a effectivement pour but de supprimer la communication de la nationalité d'une prévenue ou d'un prévenu, qui attise la haine de l'autre, surtout lorsqu'il est étranger, ce qui est le sport favori de certains partis que vous aurez reconnus. Nous ne souhaitons plus aller dans les détails; ce texte demande de les supprimer. Nous vous demandons d'adopter cette motion, qui va dans le sens des pratiques de la police genevoise. Grâce aux auditions, notamment celle de Mme Bonfanti, nous avons été assurés que c'était dans cette logique que nous devions aller. Merci infiniment de bien vouloir soutenir cette motion et de ne pas confondre liberté d'expression avec propagande d'extrême droite. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le sujet est assez sérieux, assez grave en réalité, puisqu'on peut légitimement se demander s'il faut, d'une certaine manière, censurer les services de l'Etat, donc empêcher l'accès à l'information. Quel est l'intérêt public qui justifie qu'on censure cet accès à l'information ? En réalité, cet intérêt, il existe. Il est vrai qu'on pourrait se dire qu'il y a un intérêt à connaître la nationalité des prévenus, des condamnés - d'ailleurs, les chiffres de l'Office fédéral de la statistique contiennent ces informations, il est donc possible, si l'on veut réaliser un travail de recherche sérieux, d'aller sur le site de l'Office fédéral de la statistique et d'examiner les infractions commises selon les nationalités.

Le problème, c'est qu'ici, on parle de tout à fait autre chose. On parle des communications faites par la police. Le Ministère public nous a dit de manière très claire que la police n'avait le droit de s'exprimer sur la nationalité des délinquants que pour les tout petits crimes ou délits: pour les affaires de rue, pour le délinquant qui va essayer de vendre un gramme de cocaïne à un policier, ce genre d'affaires qu'on trouve dans une colonne de droite du journal «20 Minutes» et dont les lecteurs sont apparemment friands, puisque l'on continue à le trouver, alors que personnellement je ne vois pas l'intérêt de ce genre d'informations. En réalité, le fait que la police communique la nationalité d'une personne introduit un biais au sein de la population, parce que cela donne l'impression qu'il y a plus d'étrangers qui commettent des infractions que de Suisses, alors que la vérité, c'est que les infractions commises par les Suisses sont soustraites à la possibilité pour la police de communiquer. Si un Suisse assassine son épouse, la police n'aura pas le droit de communiquer sur ce sujet. Si un Suisse frappe son enfant, si un Suisse viole une élève, ce sont des informations qui ne pourront pas être rendues publiques par la police, parce que le Ministère public se réserve le droit de communiquer. Or le Ministère public, lui, ne communique pas sur la nationalité.

Le système actuel fait qu'il y a davantage de communications sur les étrangers qui commettent des infractions que sur les Suisses qui commettent des infractions. Ça, c'est inacceptable; ça, c'est de la tromperie. Le système actuel induit une tromperie et donne à tort l'impression qu'il y a davantage d'étrangers que de Suisses qui commettent des infractions. Il faut y mettre un terme. Il est vraiment important de bien comprendre qu'il n'y a pas de... Je ne pense pas qu'il faut être d'extrême droite pour être en faveur de la publicité des informations. On peut aussi défendre la publicité et l'accès à l'information, la transparence de la justice, le fait qu'il faut communiquer la nationalité de tout le monde. Mais dans ce cas-là, il faudrait qu'on communique la nationalité de tous les criminels et non seulement des étrangers, ce qui est la situation actuelle à Genève. Ce biais fait qu'aujourd'hui, on permet à la police et à la presse de créer une ambiance de suspicion à l'égard des étrangers. Il est très important, très très important d'y mettre un terme. Soit on est transparent pour tous les délinquants, soit c'est le secret pour tous les délinquants, mais on ne peut pas simplement stigmatiser les étrangers dans la communication, comme c'est le cas aujourd'hui. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Murat Julian Alder (PLR). Vous me voyez, Mesdames et Messieurs, abasourdi par les propos tenus par mes deux préopinants.

Une voix. Oooh ! (Remarque.)

M. Murat Julian Alder. Nous sommes une fois de plus confrontés à une situation - je le dis au risque de me répéter - où nous avons la preuve que nous traitons dans ce parlement de problèmes de riches. Les Genevois et les Genevoises attendent autre chose de notre part que le traitement de questions opérationnelles internes au service de communication de la police. Il y a d'autres priorités dans ce canton que de se demander si la police doit communiquer l'âge, le sexe, la nationalité, la religion, les préférences gastronomiques des personnes qu'elle est amenée à interpeller. La police est parfaitement libre de communiquer les renseignements qu'elle estime pertinents. C'est d'ailleurs le lieu de relever à quel point cette motion enfonce une porte ouverte, puisque en substance elle dit à la police: «Ne communiquez pas la nationalité, sauf si vous estimez que c'est pertinent !» Cette motion, c'est un plaidoyer pour le statu quo ! Aujourd'hui, la police considère qu'il est pertinent de communiquer la nationalité des personnes qu'elle appréhende. Par ailleurs, ce que mon préopinant, M. Pierre Bayenet, a dit tout à l'heure concernant les citoyens suisses est parfaitement faux ! Lorsqu'un citoyen suisse commet une infraction, il est soumis exactement à la même règle, on va révéler sa nationalité.

En réalité, celles et ceux qui créent de la xénophobie, ce sont justement ceux qui aimeraient que l'on gomme cette information. Celles et ceux qui créent la suspicion, ce sont ceux qui sont appréhendés, malheureusement. Les statistiques sont ce qu'elles sont. Ne les cachons pas aux Genevois, cessons de nous mentir, cessons le politiquement correct et rejetons cette motion !

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Mme Marion Sobanek (S). Cessons le politiquement correct avec ce genre de faits qui sont publiés dans la presse et qui permettent de livrer certaines nationalités au pilori ! Je ne suis pas d'accord. 1,75 mètre: 1,75 mètre, c'est la taille au-delà de laquelle on compte le plus de criminels. C'est cela que dit la statistique: si vous faites plus de 1,75 mètre, vous êtes particulièrement susceptible de devenir un criminel ! Avec les statistiques, on peut dire à peu près n'importe quoi. L'Etat a le devoir d'informer la population, et il le fait via les statistiques annuelles. Donc dire que la presse est muselée, c'est tout simplement un mensonge ! L'Etat a également le devoir de veiller à une bonne cohésion sociale, et ça ne me semble pas être un problème de riches, ça me semble être un problème très concret de Genève ! L'Etat doit veiller à une intégration des différents groupes qui composent la société. Il se doit de prévenir les divisions nocives pour cette cohésion sociale qui est nécessaire et, pour cette raison, de combattre des attitudes telles que le racisme et l'ostracisme à l'encontre d'un groupe social ou d'une des 180 nationalités qui résident dans le canton de Genève. Car vous l'ignorez peut-être, mais Genève est le canton qui accueille le plus de nationalités de Suisse. La Suisse est une «Willensnation», c'est-à-dire un groupe de personnes de différentes cultures, religions et langues qui se sont rassemblées pour vivre ensemble, cohabiter, se donner des règles politiques et de vie communes. La Suisse et Genève sont connues pour cela. Cela fait bien plus d'un siècle que nous vivons ainsi, et cela n'a nui ni à la cohésion sociale ni à la richesse de notre canton. Nous avons donc une longue expérience de ce vivre-ensemble.

Pour revenir à la motion: est-ce utile de communiquer la nationalité ? Les chercheurs ont démontré qu'il existe cinq facteurs importants, au-delà de celui d'être plus grand que 1,75 mètre - d'ailleurs, j'ai de la chance: je ne peux pas devenir criminelle ! Le premier, c'est le sexe. A nouveau, ce sont avant tout des hommes. Viennent ensuite l'âge, le niveau socio-économique, le niveau de formation et, pour certains délits seulement, la provenance d'un pays étranger en guerre. (Brouhaha.) Les jeunes hommes de 18 à 30 ans commettent le plus souvent des infractions, et 85% des condamnés sont des hommes contre 15% de femmes. Les jeunes constituent 30% de la population, mais plus de 50% des condamnés. Les personnes de formation modeste constituent 37% de la population, mais plus de 68% de la population carcérale. Mais on ne nous informe ni de l'âge ni du niveau de formation des délinquants, bien que le phénomène criminel soit lié à plusieurs facteurs. Prendre une seule variable ne nous avance pas beaucoup et est réducteur. La nationalité n'explique donc pas les choses. En revanche, clouer au pilori dans la presse ou les cafés certaines nationalités est nocif et néfaste. Chercher du travail avec un nom d'une nationalité ainsi stigmatisée implique pratiquement aucune chance. Un de mes meilleurs élèves a dû écrire 287 demandes d'emploi. C'est seulement après avoir changé son prénom et être devenu suisse qu'il a pu trouver une place de travail ! Donc ne dites pas que communiquer la nationalité est neutre ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Communiquer la nationalité d'une personne qui a commis un délit ne l'est pas. Cela favorise des conclusions hâtives, imprécises et nocives, que cela plaise à une certaine partie de ce parlement ou non.

La population dans les prisons est majoritairement étrangère, parce que les peines alternatives ne sont pas ouvertes à ces personnes. Je terminerai en disant que la décision de la police de ne pas communiquer la nationalité sur Facebook est juste...

Le président. Merci, Madame Sobanek.

Mme Marion Sobanek. ...mais il faut aller plus loin et je vous remercie...

Le président. C'est terminé.

Mme Marion Sobanek. ...de voter dans le sens du parti socialiste ! (Applaudissements.)

M. François Baertschi (MCG). La motion demande que des informations pertinentes soient données par la police. C'est vraiment quelque chose de gigantesque ! C'est déjà le cas - enfin, nous avons confiance en la police genevoise pour qu'il en soit ainsi, et si ce n'est pas fait encore à la perfection, nous attendrons et nous ferons en sorte que cela le soit.

On se rend compte qu'on se trouve face à des Don Quichotte qui sont en train de s'élancer et de partir en guerre contre des moulins à vent, et ces moulins à vent, c'est quoi ? Ce sont les prétendus mal pensants, une extrême droite - on entend des mots... Mais j'ai plutôt l'impression que ces Don Quichotte qu'on a pu entendre font preuve d'une extrême bêtise. C'est l'extrême bêtise à tendance politique qui, malheureusement, est très répandue dans ce parlement, comme ailleurs dans la classe politique. Extrême bêtise parce qu'ils ne tiennent pas compte de la réalité, parce qu'ils prennent leurs désirs pour des réalités, parce qu'ils se font peur, qu'ils s'amusent à se faire peur en disant: «Il y a de méchants journalistes d'une certaine presse populaire, il y a de méchants politiques de certains partis !» Je vous laisse devenir lesquels, vous les aurez vite trouvés. Mais tout ça, c'est du délire ! Je ne dirai pas un gentil délire, mais un délire tout à fait stupide !

Il faut garder, il me semble, certains principes. Les principes qui doivent régner dans ce domaine-là, qu'est-ce que c'est ? C'est d'abord la liberté opérationnelle pour la police, c'est-à-dire d'évaluer l'importance de la divulgation d'une information et la manière dont elle doit être donnée pour que cela soit pertinent. Si on parle par exemple d'un truand et qu'on oublie de dire qu'il s'agit d'un truand marseillais alors qu'il vient d'un certain gang de la ville de Marseille, ça n'aura pas de sens ! Ce sera stupide ! C'est d'une bêtise énorme ! Cela rejoint d'ailleurs l'autre principe, à savoir la transparence, qui est nécessaire, bien évidemment sans stigmatisation, avec intelligence, et aussi dans le respect de la personnalité, qui, bien évidemment, existe - toutes ces valeurs-là existent.

La motion se trompe de combat. Au lieu de s'attaquer au vrai problème, c'est-à-dire aux discriminations dont a parlé Mme Sobanek... Qui est d'ailleurs complètement hors sujet, elle est complètement à côté de ses pompes en parlant de ça ici... (Vives protestations.) ...et en parlant de son élève, elle se trompe, elle fait une confusion totale. Parce qu'il est vrai que la question de la discrimination dont elle a parlé est bien réelle, mais elle est complètement non pertinente ici ! (Protestations.) C'est pour cela que je vous demande d'envoyer à la poubelle cette motion. C'est le seul endroit où elle mérite d'être.

Une voix. Ah ! (Rire.)

M. Stéphane Florey (UDC). J'aimerais dire deux choses par rapport à ce que j'ai entendu, notamment s'agissant de la presse. Pour la minorité, un article de presse complet et de qualité, c'est un article qui indique également la nationalité, par souci de transparence. Parce que, sur le fond, en acceptant cette motion, vous n'allez faire qu'inverser le problème. C'est-à-dire que si on interdit la divulgation de la nationalité, d'abord, ça n'empêchera pas la presse, si elle fait une enquête de fond, de trouver la nationalité de la personne mise en cause. Ensuite, inévitablement, les personnes qui liront l'article de presse ne se diront qu'une chose: «Tiens, ils n'ont pas mis la nationalité. C'est sûr, c'est un étranger !» De toute façon, quoi que vous fassiez, vous ne l'éviterez pas et il en sera toujours ainsi. C'est pour ces deux raisons que la minorité vous invite à refuser cette motion de censure digne de la Stasi de l'ancienne Allemagne de l'Est. Je vous remercie. (Commentaires.)

Le président. Merci. Je passe la parole à M. le député Jean Batou pour une minute.

M. Jean Batou (EAG). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, je ne résiste pas au plaisir de vous lire un petit extrait de presse datant d'il y a quatre-vingt-cinq ans: «Le 2 mars, la police a arrêté un Neuchâtelois pour vagabondage. Une domestique fribourgeoise, un Bernois et encore un Neuchâtelois pour menaces de mort envers sa femme [...] Le 15 mars, c'est un Fribourgeois qu'on arrête pour injures, un manoeuvre valaisan pour coups et blessures et une Argovienne [...] Mais vous chercheriez en vain le nom d'un Genevois.» Voilà. Ça, c'était écrit dans «L'Action nationale», un journal d'extrême droite des années 30. Je trouve que les opposants à la motion sont très minimalistes: ils devraient exiger que le canton d'origine des délinquants... (Rire.) ...soit systématiquement mentionné par la presse. Merci. (Applaudissements.)

Le président. Merci. Je passe la parole à M. le député Marc Falquet. (Un instant s'écoule.) Vous la voulez ? (Un instant s'écoule.)

M. Marc Falquet (UDC). C'est à moi, Monsieur le président ?

Le président. Oui, c'est à vous !

M. Marc Falquet. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, déjà, si on accepte que des étrangers viennent commettre des délits chez nous à Genève, c'est un manque d'estime de soi-même. Excusez-moi, mais quand je vais à l'étranger, je ne commets pas de délit ! (Rires. Commentaires.) Je n'accepte pas que des étrangers viennent commettre des délits. (Commentaires.) Dans la plupart des pays étrangers, si vous avez votre visa échu d'un seul jour, vous vous faites expulser manu militari. Chez nous... M. Bayenet dit que les statistiques montrent que, prétendument, la majorité des étrangers ne commettraient pas de délit. Mais à Champ-Dollon, il y a 92% d'étrangers ! Comment se fait-il qu'on accepte ça ? Je ne comprends pas ! C'est une question d'estime de soi. Quelqu'un qui vient chez nous doit respecter les règles et respecter les lois. C'est ça qu'il faut leur apprendre, plutôt que d'essayer de dissimuler les statistiques ! Et c'est vrai que certaines ethnies sont complètement mises au ban, et à juste titre, Mesdames et Messieurs, à juste titre, quand vous regardez la composition de la prison de Champ-Dollon ! Les membres de ces ethnies, c'est à eux aussi d'aller expliquer aux gens que lorsqu'ils sont en Suisse et qu'ils y sont invités, ils doivent respecter nos lois. C'est ça ! Nous n'avons pas d'estime de nous-mêmes, c'est pour ça que nous acceptons ça. Je trouve que c'est intolérable. Il ne devrait pas y avoir un seul étranger qui commette un délit à Genève ! Merci.

Le président. Merci. Je passe la parole à M. le député Patrick Dimier pour cinquante-cinq secondes.

M. Patrick Dimier (MCG). Merci, Monsieur le président. J'aimerais juste rappeler l'article 28, alinéa 1 de notre constitution qui garantit le droit à l'information. Que vaut cette garantie si elle est partielle ? Bien évidemment que l'information ne signifie pas la stigmatisation. Ne nous privons pas, lorsque c'est nécessaire - c'est la pratique en cours - de bien dire la vérité, de la donner en complément et de la donner de manière totalement complète et transparente !

M. Marc Fuhrmann (UDC), rapporteur de minorité. J'ai entendu ici qu'il ne fallait pas publier ces informations parce que ce n'est pas une variable pertinente dans les causes du crime. Mais il ne s'agit pas du tout de trouver des variables pertinentes dans la cause du crime: il s'agit simplement de relater une réalité telle qu'elle existe, non pas d'essayer de se cacher derrière un monde qui n'existe pas.

J'entends encore qu'il ne s'agit pas d'une information apportant une plus-value. Mais on s'en fiche de la plus-value de l'information ! C'est juste de la transparence ! Il s'agit de savoir dans quel monde on vit, de ne pas être dans le noir ou, comme je l'ai dit tout à l'heure déjà, dans un monde de type communiste où on vous cache la réalité et où l'Etat n'ose pas vous la montrer, parce qu'il en a peur. Voilà, donc votez contre ce texte, merci !

Mme Paloma Tschudi (Ve), rapporteuse de majorité ad interim. Je me permettrai de répondre à tous les députés qui ont parlé de censure qu'il ne s'agit évidemment pas de censurer mais de mettre un cadre. Je les encourage à relire l'invite: elle précise que cette information peut être communiquée si elle est pertinente. Je leur rappellerai aussi qu'autrefois, dans les faits divers, la presse indiquait l'ensemble des renseignements concernant une personne: le nom, le prénom, le métier, l'adresse. La presse a-t-elle perdu pour autant de sa qualité, de sa liberté et de sa transparence en supprimant ces informations ? Non !

Je rappellerai également que ce n'est que depuis 2000 que la presse communique la nationalité des présumées délinquantes et des présumés délinquants, et ce en raison de la place qu'a prise la question des étrangers et étrangères dans le débat public ! Par ailleurs, on nous dit que nous avons des préoccupations de riches: je vous inviterai, Monsieur le président, à transmettre à M. Murat qu'il devrait aller dire à toutes les personnes qui vivent constamment des situations et des actes de xénophobie que c'est un problème de riches ! (Commentaires.) Il a d'ailleurs l'habitude des problèmes de riches ! (Rires. L'oratrice rit. Applaudissements. Protestations.)

J'ajoute qu'il ne s'agit pas d'interdire les statistiques, puisque la police pourra toujours en recueillir et que la population pourra toujours, si elle le souhaite, aller consulter ces chiffres et connaître la nationalité des présumées délinquantes et des présumés délinquants. Enfin, je rappellerai que si la prison de Champ-Dollon est remplie en partie d'étrangers, c'est parce qu'il s'agit de jeunes personnes, de jeunes hommes, de niveau socio-économique modeste... (Commentaires.) ...et j'invite les députés UDC, s'ils veulent réduire la criminalité, à soutenir le regroupement familial ainsi que des actions sociales et éducatives. En attendant, je vous demande de soutenir et de voter cette motion. Merci. (Applaudissements. Huées.)

Le président. Merci. Je passe la parole à Mme Marion Sobanek pour trente secondes, afin qu'elle puisse répondre à sa mise en cause. (Commentaires.)

Une voix. N'importe quoi !

Mme Marion Sobanek (S). Merci, Monsieur le président. En trente secondes, je demanderai à mes collègues de regarder les faits, de lire un peu les statistiques - ce serait bien - de ne pas se cacher derrière ces comparaisons avec des soi-disant villages de Potemkine et de potasser un tout petit peu.

Le président. Merci. Je passe la parole à M. le député Murat Julian Alder pour la même raison et pour trente secondes, pas plus.

M. Murat Julian Alder (PLR). Je vous remercie, Monsieur le président. M. Murat ayant été mis en cause, il va répondre ! (Rires.) On peut se poser toutes sortes de questions: a-t-on des problèmes de riches, de pauvres ? Je n'en sais rien. Simplement, pour ma part, quand je constate que des mouvements s'amusent à déverser des colorants dans certaines rivières dans le canton de Zurich en toute impunité et qu'on ne s'attarde pas à connaître leur nationalité, mais surtout leur identité, je me pose vraiment la question: où est-ce qu'on fixe les priorités dans ce pays ? Visiblement, du côté des Verts, on ne s'y intéresse pas tellement ! (Applaudissements.)

Une voix. Oh là là !

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Edifiant ! J'ai hésité à vous proposer de ne préciser la nationalité que lorsqu'il s'agit d'une personne suisse et de ne pas la préciser dans le cas contraire, mais évidemment, vous comprendrez que le but ne serait pas atteint. Plus sérieusement, Mesdames et Messieurs, aujourd'hui, ce qui se passe est respectueux de l'information qui doit être donnée aux médias. A charge aussi à eux d'assumer une responsabilité: les médias ne sont pas des passe-plats qui diffusent automatiquement dans leurs canaux les informations qui leur sont transmises. La police, elle, ne mentionne plus la nationalité dans ses textes - dans ses communiqués de presse, sur les réseaux sociaux ou sur les pages réservées à la police - pour des faits même banals de circulation routière: elle a constaté que lorsqu'il y avait un accident et que l'on indiquait que le conducteur était, par hypothèse, de nationalité française, cela suscitait tellement de réactions qu'il fallait passer des heures pour pouvoir lire l'ensemble des commentaires et s'assurer d'éliminer tout ce qui n'était pas acceptable. Donc, rien que pour une question pratique et logique, la police a décidé de ne pas communiquer elle-même la nationalité. En revanche, je pense qu'en soutenant qu'elle ne devrait pas le faire s'agissant des médias, vous êtes en train de vous ériger en censeurs, en détenteurs de l'omniscience de ce que peut être l'intérêt public, et pire encore, vous êtes en train de vous substituer au lecteur, à l'auditeur, au téléspectateur, en partant de l'idée qu'il est forcément manipulable et que le seul fait de lui indiquer une nationalité revient à agiter un chiffon rouge devant un taureau. C'est faire peu de cas, à mon avis, de l'intelligence de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

Je rappelle que ce qui est pratiqué actuellement est conforme à ce qui est pratiqué ailleurs, puisque nous avons décidé en septembre 2010 la chose suivante dans le cadre de la Conférence des commandants des polices cantonales de Suisse, et je cite: «Lors d'informations aux médias, l'âge et la nationalité des personnes soupçonnées et des victimes sont communiqués. Il peut être dérogé à cette règle pour des raisons de protection de la personnalité ou s'il y a un risque que la personne puisse être identifiée par ces données. Sur demande» - donc même dans ces conditions - «il est possible de confirmer une origine étrangère.» Nous allons au-delà de ces règles aujourd'hui en maintenant une exclusivité, si j'ose dire, de ces informations pour les médias, qui doivent être informés - qui d'ailleurs, me semble-t-il, pourraient même le demander sur la base des règles de droit général - et qui sont évidemment libres d'apprécier s'il est utile ou non de communiquer cette information. C'est la raison pour laquelle nous considérons que cette motion n'a effectivement pas à être soutenue. Je vous remercie.

Le président. Merci bien. Nous passons au vote de cette proposition de motion. (Commentaires pendant la procédure de vote.)

Une voix. Mais je suis Anne Marie ! Elle avait dit de voter !

Une autre voix. Mais non !

Mise aux voix, la proposition de motion 2434 recueille 42 oui, 42 non et 7 abstentions. (Exclamations et commentaires à l'annonce du résultat.)

Le président. Je tranche en votant non, bien sûr ! (Commentaires.)

La proposition de motion 2434 est donc rejetée par 43 non contre 42 oui et 7 abstentions. (Exclamations et applaudissements à l'annonce du résultat. Commentaires.)

Une voix. Merci le PDC, hein !