République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1392
8. Proposition de motion de Mmes et MM. Françoise Schenk-Gottret, Christian Brunier, Luc Gilly, Fabienne Bugnon, Pierre Marti et Jeannine de Haller : «Ne renvoyons pas en Bosnie les survivants de Srebrenica !» ( )M1392

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les documents du Tribunal pénal international présentent la chute de Srebrenica comme « l'événement le plus répugnant de la guerre de Bosnie » et parlent à ce propos de « scènes de cauchemar d'une cruauté inimaginable, qui comptent parmi les plus noires de l'humanité » (décision du 16.11.96 du juge Riad concernant l'acte d'accusation de MM. Karadzic et Mladic).

Des femmes et des hommes sont parvenus à s'échapper de cet enfer et ils vivent aujourd'hui parmi nous, non sans rester profondément marqués au fond d'eux-mêmes par le traumatisme subi.

Ceux qui sont arrivés en Suisse avant la fin de la guerre ont tous obtenu l'asile en vertu d'une jurisprudence de la Commission de recours en matière d'asile (CRA) qui reconnaissait que « tout retour » était « inexigible » pour les rescapés de cette tragédie (JICRA 1997/14).

D'autres sont arrivés en Suisse ces dernières années, après avoir désespérément tenté de trouver une solution en Bosnie même. Bien qu'ils aient vécu le même drame que les autres et que leurs nuits restent hantées par les mêmes cauchemars, ils n'ont plus droit à l'asile en raison de motifs juridiques formels tenant à l'exigence d'un lien de causalité temporelle entre les persécutions et la fuite.

Pour eux, les autorités compétentes en matière d'asile peuvent toutefois encore accorder une admission provisoire, en raison de critères humanitaires qui permettent de reconnaître le caractère « raisonnablement inexigible » de l'exécution du renvoi.

En pratique, certains survivants de Srebrenica font l'objet d'une telle décision, mais d'autres n'en bénéficient pas, sans qu'on en discerne les raisons. Et c'est là que se pose la question : notre pays va-t-il renvoyer de force les victimes de crimes contre l'humanité, alors même qu'il célèbre le cinquantenaire du HCR et de la Convention de Genève sur les réfugiés ?

Face à cette question, les autorités de ce canton, interpellées par l'Association des survivant(e)s de la Drina-Srebrenica et par la Coordination Asile, doivent tout faire pour que la réponse soit négative, afin de ne pas avoir à exécuter des mesures de renvoi inconciliables avec la Genève « Cité du Refuge ».

Plus concrètement, il s'agit aussi de faire en sorte que notre pays, qui est engagé dans la reconstruction de la Bosnie à travers l'OSCE, ne vienne pas cautionner l'épuration ethnique en officialisant le principe du rapatriement dans les zones majoritaires. Les accords de Dayton prévoient d'ailleurs le droit au retour, et le HCR lui-même demande aux pays d'accueil de ne pas forcer les réfugiés au retour lorsqu'ils ne peuvent pas rejoindre leur lieu d'origine.

Renvoyer aujourd'hui des survivants de Srebrenica reviendrait à les forcer à s'établir loin de chez eux, la Republika Srpska n'autorisant pas leur réinstallation. De surcroît, les informations les plus récentes montrent que les personnes déplacées à l'intérieur de la Bosnie vivent dans des conditions toujours plus intenables en raison du recul de l'aide internationale, du retour en trop grand nombre des réfugiés partis à l'étranger, et de la récupération par leurs propriétaires d'avant-guerre des maisons provisoirement occupées par les personnes déplacées. En outre, selon de nombreuses sources concordantes, les grands traumatisés de guerre ne trouvent pas sur place les structures d'aide psychothérapeutique adaptées à leur situation.

Depuis peu, les changements politiques intervenus à Belgrade laissent entrevoir l'espoir d'une évolution en Bosnie même. L'étau se resserre peu à peu sur les criminels de guerre toujours en liberté et il faudra bien, tôt ou tard, que la Bosnie-Herzégovine retrouve une paix véritable autorisant le retour de ceux qui ont été chassés par l'épuration ethnique.

En attendant, rien ne justifie de renvoyer les survivants de Srebrenica à une situation sans issue, et cela d'autant moins que leur association ne revendique pas un séjour définitif, mais une admission provisoire qui devrait être doublée d'un programme de soutien psychothérapeutique et de formation qui prépare le retour au lieu d'origine.

Victimes d'une tragédie dans laquelle la communauté internationale porte une lourde responsabilité, pour n'avoir pas su tenir sa promesse de défendre la « zone de sécurité » qu'elle s'était engagée à protéger après l'avoir démilitarisée, les survivants de Srebrenica ne doivent pas aujourd'hui avoir le sentiment que les autorités du pays dans lequel ils vivent temporairement vont les abandonner à leur sort.

C'est là le sens de cette motion. Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir lui donner votre approbation.

Débat

Mme Françoise Schenk-Gottret (S). Cette proposition de motion s'adresse au Conseil d'Etat et je regrette que son président ne soit plus parmi nous, car nous comptions sur lui pour relayer notre message auprès de Berne, plus particulièrement auprès des autorités compétentes en matière d'asile.

Il est fort dommage que le titulaire des dossiers d'asile ne soit pas plus réceptif aux causes que nous défendons, en faveur des réfugiés. Il ne s'en cache d'ailleurs pas et nous n'avons jamais pu compter sur lui pour faire suivre nos prises de position à Berne, où il s'aligne sur Mme Metzler, qui est connue pour son peu de générosité en matière de politique d'asile.

Mesdames et Messieurs, vous savez ce qui s'est passé à Srebrenica : la faim, la peur, les bombes et les exactions, tout au long du siège, subies par ses habitants; puis l'assaut, la cruauté gratuite et les massacres commis par les troupes serbes; enfin la fuite désespérée, au cours de laquelle la majorité devait mourir dans des conditions indicibles.

La commission de recours en matière d'asile a su dire ce qui s'est passé à Srebrenica avec la plus grande clarté. Dans une décision de principe du 28 mai 1997, appuyée sur une large documentation, elle a souligné le caractère abominable des violations des droits de l'homme commises à cette occasion. Elle a reconnu que tous ceux qui avaient survécu à cet enfer s'en trouvaient marqués à vie d'un traumatisme tellement grave qu'il rendait, je cite, «tout renvoi inexigible».

Ainsi, les survivants de Srebrenica arrivés en Suisse avant la fin de la guerre ont obtenu l'asile. D'autres sont arrivés en Suisse après avoir en vain tenté de trouver une solution en Bosnie même. Ils n'ont donc plus droit à l'asile en raison de motifs juridiques formels qui veulent qu'un lien de causalité temporel existe entre les persécutions et la fuite. En pratique, certains survivants de Srebrenica font l'objet d'une décision de non-renvoi, mais d'autres n'en bénéficient pas, sans que l'on sache vraiment pourquoi.

Notre pays, qui célèbre le cinquantenaire du HCR et de la Convention de Genève sur les réfugiés, va-t-il renvoyer de force des victimes de crimes contre l'humanité ? Nous savons de source bien informée que l'Office fédéral des réfugiés, l'ODR, n'est pas favorable à ces renvois et espère, attend des démarches comme celle que nous demandons dans cette proposition de motion.

C'est pourquoi nous demandons au Conseil d'Etat d'intervenir auprès des autorités compétentes en matière d'asile à Berne, afin que les survivants de Srebrenica puissent au moins bénéficier d'une admission provisoire, jusqu'à ce qu'un retour dans leur lieu d'origine soit possible.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Durant la guerre qui a ravagé l'ex-Yougoslavie, il est impossible bien sûr de dire que certains ont plus souffert que d'autres, tant cette guerre, accompagnée de l'atroce purification ethnique, a ravagé le pays et engendré de traumatismes, qui marqueront bon nombre de générations. Pourtant une région particulière de Bosnie mérite plus encore notre attention : Srebrenica, la lutte de Srebrenica, symbole d'une région que l'on croyait protégée par les Nations Unies... Sa chute en 1995 avait mis fin à tous les espoirs de la communauté internationale. Cette chute a d'ailleurs été présentée un an plus tard comme l'événement le plus répugnant de la guerre de Bosnie par le Tribunal pénal international. Chacun d'entre nous se rappelle ces images atroces, d'une cruauté inimaginable.

Srebrenica, à l'instar de beaucoup d'autres régions d'ex-Yougoslavie, mais un peu plus encore, car on la croyait protégée, est considérée aujourd'hui comme une région martyre. Les habitants qui ne sont pas morts ont fui vers des destinations incertaines, abandonnant toute une vie. Certains ont pu trouver refuge en Suisse, à Genève, et notre pays a admis l'horreur de ce drame en permettant aux femmes et aux hommes échappés de cet enfer de bénéficier de l'asile.

D'autres femmes et d'autres hommes sont arrivés plus tard, pour de nombreuses raisons qu'il ne nous appartient pas de juger, mais sans doute ont-ils cru pouvoir rentrer chez eux, une fois ce cauchemar terminé. Leurs blessures sont aussi vives que celles des autres, leurs traumatismes sont les mêmes. Mais ces femmes et ces hommes-là ne sont pas traités de manière identique par l'administration. Le poids du formalisme et du juridisme étroit pèse plus lourd que les critères humanitaires. On ne nie pas qu'ils souffrent, mais le lien entre les persécutions et la fuite ne pouvant être établi, ils doivent rentrer chez eux.

Le problème est que, de chez eux, ils n'en ont plus depuis longtemps! Et ce qui les attend sur place, loin de ressembler à une réintégration, s'apparente à un cauchemar en raison des conséquences de l'épuration ethnique, en raison du recul de l'aide internationale et de la trop grande masse de réfugiés renvoyés en même temps de l'étranger. Ces personnes-là, Mesdames et Messieurs les députés, nous devons les accueillir, nous devons les soutenir sur le plan médical et thérapeutique et les aider à préparer un retour futur dans leur lieu d'origine, quand les conditions le permettront, ce qui n'est certes pas le cas aujourd'hui.

Il y a cinq ans, les Nations Unies n'ont pu tenir leur promesse de protéger Srebrenica. C'est irréparable, mais cela ne doit en aucun cas être aggravé. Abandonnés déjà une fois par la communauté internationale, les survivants de Srebrenica doivent aujourd'hui pouvoir s'appuyer sur leur pays d'accueil. Nous invitons donc le Conseil d'Etat, au moment où le canton de Vaud renvoie à tour de bras et sous la contrainte, à faire entendre une fois de plus la voix humanitaire du canton de Genève dans l'obscure administration bernoise, pour que les personnes concernées obtiennent une admission provisoire.

Mme Myriam Sormanni-Lonfat (HP). Mesdames et Messieurs les députés, pour ma part, j'ai signé la pétition et je viens de passer trois jours aux conférences du Tribunal pénal international. J'ai assisté samedi soir au spectacle sur le Rwanda et je peux vous dire qu'il fallait sérieusement s'accrocher. Je ne vous donnerai qu'un exemple, pour essayer de toucher votre sensibilité. A un moment donné, dans la deuxième partie du spectacle, on a montré des gens qui étaient massacrés et notamment une scène où un homme, qui avait la bouche en sang, les yeux crevés, la figure défoncée par les coups de pelle qu'il avait reçus, bougeait encore et essayait de parler... Je peux vous dire que j'ai eu de la peine à rester assise sur mon siège. On a montré d'autres horreurs, c'était très fort, très violent, il fallait vraiment s'accrocher pour résister.

Quand on voit ce que cela a été, ce que les gens ont vécu, on comprend que tant que la justice n'a pas été rendue il n'y a pas de cohabitation ni de réconciliation possibles. De plus, il est évident qu'on ne peut renvoyer des gens dans un pays où ils ne savent pas où s'installer, parce que tout n'est que ruines. Je crois qu'on en appelle vraiment à votre humanité et demande est faite au Conseil d'Etat de soutenir cette motion.

Mme Jeannine de Haller (AdG). Je ne veux rien ajouter à ce qu'ont dit Mmes Schenk-Gottret et Bugnon de la situation que vivent ces personnes actuellement, imaginant un retour qui n'est pas possible et qu'elles craignent de devoir affronter.

Par contre, je voudrais regretter, moi aussi, l'absence de M. Ramseyer, qui m'a dit hier qu'il n'y aurait aucun renvoi de personnes venant de Srebrenica. J'aurais voulu qu'il s'engage devant nous ce soir, formellement, à ce qu'aucune personne ne soit renvoyée, quels qu'aient été son trajet avant d'arriver à Genève et le temps passé entre le moment du drame à Srebrenica et l'arrivée ici. M. Ramseyer n'est pas là, mais je pense qu'il sera mis au courant de nos interventions et qu'il saura tenir les engagements qu'il a pris.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion(1392)« Ne renvoyons pas en Bosnie les survivants de Srebrenica ! »