République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8432
36. Projet de loi de Mmes et MM. Rémy Pagani, Christine Sayegh, Françoise Schenk-Gottret, Bernard Lescaze, David Hiler et Etienne Membrez modifiant la loi de procédure civile (E 3 05) (droit de l'enfant d'exprimer librement son opinion sur toutes les questions l'intéressant dans le cadre de l'ensemble des procédures judiciaires dans lesquelles il est impliqué). ( )PL8432

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article unique

La loi de procédure civile, du 10 avril 1987, est modifiée comme suit :

Art. 361, al. 2 (nouveau, les alinéas 2 et 3 anciens devenant 3 et 4)

2 Si les époux ont un enfant mineur, une copie de la requête est adressée par le greffe au Service de protection de la jeunesse (ci-après : SPDJ), en vue de l'établissement d'un rapport d'évaluation.

Art. 364, al. 2 et 3 (nouvelle teneur)

2 Toutefois, s'il l'estime nécessaire, il peut ordonner la production de pièces ou l'audition de témoins.

3 Si une requête déploie des effets à l'égard d'enfants mineurs, le juge doit procéder à leur audition. Les articles 387A à 387D sont applicables par analogie.

Art. 368B, al. 4 et 5 (nouveaux)

4 S'il décide d'entendre le mineur, les articles 387A à 387D sont applicables par analogie.

5 Le Tribunal peut également charger le SPDJ d'établir un rapport d'évaluation.

Art. 372, al. 3 (nouvelle teneur)

3 Le Tribunal tutélaire entend le mineur intéressé, à moins que son âge ou d'autres motifs importants ne s'opposent à son audition. Les articles 387A à 387D sont applicables par analogie.

Art. 380, al. 3 (nouveau, l'alinéa 3 ancien devenant 4)

3 Le juge peut d'emblée, le cas échéant dans la suite de la procédure, décider de confier une expertise psychologique soit de la situation de l'enfant, soit du fonctionnement familial, à un psychologue ou pédopsychiatre ayant la formation et l'expérience professionnelle requises.

Art. 385 (abrogé)

Art. 387A Avis aux parents (nouveau)

Si une requête commune ou une demande déploie des effets à l'égard d'enfants mineurs, le Tribunal doit aviser les parents de l'enfant des droits de ce dernier et des modalités de son audition par le juge.

Art. 387B Audition par le juge (nouveau)

1 Le juge doit entendre l'enfant, à moins que son âge ou d'autres motifs importants ne s'opposent à son audition.

2 Il procède à l'audition en dehors de la présence des parents et de leurs avocats.

3 Lorsque les conjoints ont la charge de plusieurs enfants, ceux-ci sont entendus séparément; au besoin, ils peuvent être entendus ultérieurement ensemble.

4 Lorsque le juge a délégué l'audition de l'enfant à un tiers (art. 387C), il décide, après avoir pris connaissance de la déclaration de l'enfant, le cas échéant de l'expertise psychologique ordonnée en application de l'article 380, alinéa 3, s'il estime nécessaire de l'entendre personnellement. Il est tenu d'écouter l'enfant si celui-ci en fait la demande.

5 Le juge consigne les déclarations de l'enfant ou un résumé de celles-ci dans un procès-verbal. Au préalable, il doit informer l'enfant que ses parents pourront en prendre connaissance et qu'il n'y consignera aucune déclaration sans son accord.

Art. 387C Audition déléguée (nouveau)

1 Lorsque le juge renonce à entendre lui-même l'enfant, il peut déléguer l'audition au Service de protection de la jeunesse (ci-après : SPDJ) ou à une tierce personne ayant la formation et l'expérience professionnelles requises.

2 En cas d'audition déléguée au SPDJ, ce service est tenu, dans le cadre de la mission conférée par le juge :

3 Lorsque le juge délègue l'audition de l'enfant à une tierce personne, l'alinéa 2 est applicable par analogie.

Art. 387D Procédure en cas d'appel (nouveau)

En cas d'appel contre le jugement portant sur des décisions touchant l'enfant, la Cour de justice charge le SPDJ d'en informer ce dernier, ainsi que de la réouverture d'une nouvelle procédure qui sera soumise aux mêmes règles que la procédure devant le juge de première instance, les articles 387A à 387C étant applicables par analogie.

Art. 394, al. 1, première phrase (nouvelle teneur, la seconde phrase demeurant inchangée)

1 Les jugements prononçant ou refusant le divorce, la séparation de corps et l'annulation du mariage, les jugements sur mesures provisoires, ainsi que la décision du juge en matière de curatelle de représentation de l'enfant, sont susceptibles d'appel dans un délai de trente jours dès leur notification.

En décembre 1999, notre parlement adoptait la nouvelle loi d'application cantonale sur le divorce (PL 8094-2 modifiant la loi de procédure civile (E 3 05)). Ce texte consacrait, au niveau cantonal, les réelles avancées fédérales dans les domaines sociaux et juridiques touchant au droit de la famille et notamment celui de la reconnaissance de la parole de l'enfant.

Le texte que nous devions voter alors, définissant l'ensemble de la procédure garantissant à l'enfant le droit d'être entendu, était des plus succincts et surtout des plus expéditifs. En effet, en son article 385 Audition de l'enfant (nouvel intitulé et nouvelle teneur) on pouvait lire :

1 Pour régler le sort de l'enfant, le juge ou un tiers nommé à cet effet l'entend personnellement, de manière appropriée, pour autant que son âge ou d'autres motifs importants ne s'opposent pas à l'audition.

2 L'audition a lieu en principe hors de la présence des époux et de leurs avocats.

3 L'enfant est avisé des motifs de son audition, de ce qu'il peut refuser de répondre et qu'il peut s'opposer à ce qu'un procès-verbal de ses dires soit dressé. Dans ce cas, le juge peut verser au dossier un résumé de l'entretien, dont il donne connaissance au mineur.

Il est intéressant de confronter ce texte à l'article 12 de la Convention de l'ONU sur le droit de l'enfant qui prévoit que l'enfant a le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, mais surtout que ses opinions doivent être dûment prises en compte eu égard à son âge et à son degré de maturité.

En conséquence, Rémy Pagani avait, en séance plénière, proposé un amendement qui imposait qu'un protocole soit établi concernant les conditions dans lesquelles devraient se dérouler l'audition de l'enfant.

L'auteur de cet amendement pensait qu'il n'était pas adéquat qu'on laisse à la jurisprudence le soin de régler « le sort » de l'enfant. L'exemple récent d'un père qui a dû recourir jusqu'au Tribunal fédéral pour que ses enfants soient auditionnés par un juge grison qui s'y refusait, est édifiant. L'amendement proposé avait la teneur suivante :

« Art 385 Audition de l'enfant

1 Pour préserver l'avenir de l'enfant, le juge l'entend personnellement s'il en fait la demande et systématiquement dès l'âge de 13 ans. Les enfants en dessous de 7 ans ne seront entendus qu'en cas de gros problèmes et seulement par un pédopsychiatre. Les enfants de 7 à 13 ans seront entendus par un employé (travailleuses ou travailleurs sociaux) du Service de la protection de la jeunesse. Tous les enfants pourront être dispensés de cette audition si des motifs importants s'y opposent. »

Après une discussion nourrie, la majorité de notre parlement ne voulant pas retarder l'adoption des dispositions de la loi de procédure civile qui devaient entrer en vigueur simultanément aux nouvelles dispositions du droit de divorce, donna comme mandat à la Commission législative de traiter cet amendement et de revenir par-devant elle pour, le cas échéant, procéder à une nouvelle modification de cette loi. L'amendement fut alors retiré et le texte expéditif voté.

La Commission législative a alors mis la question à son ordre du jour et a consacré plus de dix séances à la rédaction du présent texte légal.

Une recherche rapide nous confirme que la doctrine actuelle relative à la prise en compte de l'âge de l'enfant est en tous les cas plus détaillée que le texte actuel de la loi, et s'énonce en ces termes :

«  L'on ne peut renoncer à l'audition qu'en raison de l'âge de l'enfant ou lorsque d'autres motifs importants s'y opposent.

A juste titre, la loi ne fixe aucun âge minimum.

- Jusqu'à l'âge de trois ans environ, une audition est exclue au regard du développement psychologique de l'enfant. Si les parents d'un enfant en bas âge sont en désaccord sur la réglementation de leurs droits, et s'il y a doute quant aux aptitudes de l'un ou l'autre des deux parents à élever l'enfant, il convient de consulter des experts ou de solliciter un rapport officiel. Il en va de même lorsqu'on envisage des mesures de protection de l'enfant parce qu'il est en danger.

- L'audition d'enfants de moins de 6 ans doit être confiée exclusivement à des experts qui ont la formation et l'expérience requises.

- L'audition d'enfants entre 6 et 12 ans est tout à fait possible, même si la valeur probatoire de leurs déclarations est limitée parce qu'à cet âge, les enfants sont encore très influençables. L'appréciation de leurs affirmations nécessite des connaissances en matière de psychologie infantile, et les exigences par rapport à la méthode de l'audition sont élevées.

- Enfin, à partir de l'âge de 12 ans, les enfants devraient toujours être entendus, à moins que des motifs importants ne s'y opposent.

Les mêmes principes s'appliquent à l'audition d'enfants par l'autorité tutélaire en vue de régler les droits de parents non mariés ou d'ordonner des mesures de protection de l'enfant. »

(tiré de : Le nouveau droit du divorce : « Conséquences pour les activités des organes de la tutelle ». Conférence des autorités cantonales de tutelle, septembre 1999, p. 13).

Au regard de ce qui précède, la Commission législative s'est donc mise au travail pour inscrire dans notre loi cantonale une procédure qui garantisse à l'enfant le droit d'exprimer librement son opinion sur toutes les questions l'intéressant dans le cadre de l'ensemble des procédures juridiques dans lesquelles il est impliqué. Dans un premier temps, la commission a auditionné de nombreuses personnalités de notre canton, à savoir :

Mmes Yvette Daoudi Beuchat, juge au Tribunal tutélaire, Renate Pfister-Liechti, juge à la Cour de justice, Jacqueline Horneffer Colquhoun, directrice du Service de protection de la jeunesse. Jean Mirimanoff, juge au Tribunal de première instance, Andreas Bucher, professeur à la Faculté de droit et Philip D. Jaffé, professeur à la Faculté de psychologie et des services de l'éducation.

Qu'ils en soient ici remerciés.

Les personnes auditionnées ont permis à la Commission législative de progresser dans son travail, d'épurer ou de compléter le texte ayant servi de base de travail à l'élaboration du présent projet de loi. Le contenu de leur audition sera repris dans le cadre du rapport final.

Puis, la Commission législative a pris position sur un certain nombre de problèmes :

- elle s'est déclarée favorable à une audition par le juge dans la majorité des cas, même si cette manière de faire devait imposer à ces derniers de suivre d'importants cours de formation ;

- elle a suivi pour l'essentiel la détermination du législateur fédéral en admettant comme règle l'audition de tous les enfants par le juge ;

- elle a établi que seul un protocole serré du cadre juridique concernant l'audition de l'enfant pouvait garantir à ce dernier, à ses parents et plus généralement à tous les protagonistes de ces procédures, l'ensemble de leurs droits ;

- enfin, elle a établi que ce protocole devait aussi régler l'ensemble des auditions d'enfants dans les procédures civiles les concernant.

Dans une deuxième consultation, elle a fait parvenir le fruit de son travail et a recueilli les avis écrits et oraux des spécialistes précédemment consultés, ainsi que de Mmes Antoinette Stalder, présidente de la Cour de justice, Suzanne Cassanelli, présidente du Tribunal de première instance et Fabienne Proz Jeanneret, présidente du Tribunal tutélaire et M. Andreas Zulian, chef de groupe des évaluations sociales au sein du SPDJ. Puis, sur la base de cette nouvelle consultation, elle a achevé son travail.

Pourtant, dans le domaine de l'enfance, l'humilité étant de rigueur, la Commission législative vous propose ce projet de loi en se réservant la possibilité de le préciser encore un peu plus lorsqu'il sera renvoyé formellement devant elle. En effet, par la publication officielle de ce projet de loi de nouveaux avis pourront être exprimés par les personnes et organismes qui ont déjà été auditionnés et, peut-être, d'autres. Le texte ainsi complété fera l'objet d'un rapport final. Et enfin, notre Grand Conseil pourra adopter un nouveau texte de loi en séance plénière sur la base d'un rapport circonstancié et d'un commentaire article par article déjà élaboré mais qui ne manquera pas d'être lui aussi complété.

Ce nouvel alinéa, qui concerne les requêtes en mesures protectrices en matière d'union conjugale, constitue le pendant de l'article 380, alinéa 2, applicable en matière de divorce, séparation de corps et annulation du mariage.

Al. 2 : il n'est plus fait allusion à l'enquête pouvant être demandée au SPDJ, vu le nouvel alinéa 2 introduit à l'article 361.

Al. 3 : il n'est plus fait référence à l'application de l'article 385 « Audition de l'enfant », abrogé par le présent projet de loi. En lieu et place, la nouvelle teneur de l'alinéa 3 énonce clairement l'obligation pour le juge saisi d'une requête en mesures protectrices de l'union conjugale d'entendre les enfants, en se conformant aux règles applicables en matière de divorce.

Al. 4 : en matière de relations personnelles et d'autorité parentale conjointe, l'opportunité d'entendre le mineur intéressé est laissée à l'appréciation du juge. Si ce dernier décide de procéder à une audition, il devra se conformer aux dispositions applicables à l'audition de l'enfant en matière de divorce.

Al. 5 : il s'agit ici d'énoncer clairement, en complément de l'alinéa 2, qu'en matière de relations personnelles et d'autorité parentale conjointe, le Tribunal tutélaire a la faculté de requérir un rapport d'évaluation du SPDJ s'il le juge utile.

La terminologie de cet alinéa, qui se trouve dans le chapitre consacré aux mesures de protection de l'enfant, est alignée sur celle concernant l'audition de l'enfant dans la procédure de divorce (cf. l'art. 387B, al. 1). Il s'agit, en substance, de la reprise de la règle figurant à l'article 144, alinéa 2, du Code civil suisse.

Ici également, le Tribunal tutélaire procédera à l'audition du mineur intéressé en suivant les règles applicables à l'audition de l'enfant dans le cadre de la procédure de divorce.

L'article 380, alinéa 2, qui figure au début du chapitre traitant du divorce, de la séparation de corps et de l'annulation du mariage, prévoit que si les époux ont un enfant mineur, une copie supplémentaire de la requête ou de la demande est adressée par le greffe du Tribunal au Service de protection de la jeunesse en vue de l'établissement d'un rapport d'évaluation.

A ce stade déjà, tout comme dans la suite de la procédure le cas échéant, il importe de permettre également au juge de confier, s'il l'estime nécessaire, une expertise à un psychologue ou un pédopsychiatre.

Si, dans le cadre de son mandat, ce spécialiste procède à l'audition d'un enfant, il suivra la procédure applicable en la matière (art. 387C, al. 3).

Cette disposition doit être abrogée, car elle est remplacée par une Section 1 bis nouvelle, consacrée à l'audition de l'enfant, comportant les articles 387A à 387D et qui prend place juste après la Section 1 « Dispositions générales ».

Ces dispositions énoncent comment doit se dérouler l'audition de l'enfant dans les diverses procédures judiciaires qui le concernent. Elles sont applicables directement en matière de divorce, de séparation de corps ou d'annulation de mariage et par analogie dans les autres procédures touchant aux intérêts de l'enfant (cf. supra).

Les auditions auxquelles a procédé la Commission législative lui ont en effet permis de constater qu'en matière d'audition des enfants, la pratique des juges variait d'une juridiction à l'autre, voire, au sein du Tribunal de première instance, d'un juge à l'autre. Or, en ce domaine, l'intérêt bien compris de l'enfant, de même que le respect de ses droits, et de ceux de toutes les parties, commandent que les juges ainsi que les tiers qu'ils délèguent pour écouter l'enfant respectent tous un certain nombre de règles essentielles que la Commission législative s'est attachée à établir, à la lumière des principes que ses travaux lui ont permis de dégager.

Si la réglementation proposée peut paraître relativement détaillée, c'est avant tout en regard du caractère pour le moins sommaire et lacunaire du droit actuel. Suffisamment explicites, les articles 387A à 387D n'appellent pas, à ce stade, de plus amples commentaires. Comme indiqué plus haut, ces dispositions seront encore, le cas échéant, précisées ou amendées à l'occasion du renvoi de ce projet de loi en commission, en fonction des ultimes remarques qui seront formulées à leur sujet.

L'article 387 B, alinéa 4 in fine faisant obligation au juge d'écouter l'enfant si celui-ci en fait la demande, un refus du juge n'est plus possible. En conséquence, la référence à l'appel contre une décision du juge refusant l'audition d'un enfant capable de discernement est supprimée.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir réserver un accueil favorable au présent projet de loi.

Ce projet est renvoyé à la commission législative sans débat de préconsultation.