République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1262-A
17. Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition concernant la prise en charge des enfants sourds à Genève. ( -)P1262
Rapport de Mme Caroline Dallèves-Romaneschi (Ve), commission des pétitions

La Commission des pétitions a examiné cet objet lors de 7 séances, les 1er, 15, 22 et 29 novembre, les 6 et 20 décembre 1999, et le 24 janvier 2000, sous les présidences successives de M. Louis Serex et de Mme Louïza Mottaz. Mme Pauline Schaefer a pris les notes de séance, qu'elle en soit ici remerciée.

La Commission des pétitions a consacré un nombre de séances relativement considérable à cet objet. Cela démontre l'importance que les commissaires y ont attachée. Ils ont eu à coeur de se faire une opinion aussi objective que possible sur un problème qui touche profondément la sensibilité des personnes concernées, soit les parents d'enfants sourds ou malentendants, les professionnels et les sourds eux-mêmes.

Auditions

Audition des pétitionnaires : Mmes Bourquin, de Candolle, Kos et Rolle.

Mme de Candolle, mère de deux enfants sourds, explique que, face au problème de la surdité, se dessinent deux options. La première est celle de la langue des signes, grâce à laquelle il pourra assez facilement communiquer. Mme de Candolle précise, toutefois, que la langue des signes est difficile à apprendre en raison de sa complexité. La pétitionnaire ajoute, à cet égard, que certains parents rencontrent des difficultés à intégrer ce langage, et plus particulièrement les pères et la fratrie.

La deuxième option, enchaîne l'intervenante, consiste en une langue orale (lecture sur les lèvres) qui nécessite également un suivi en logopédie pour apprendre à produire des sons, former des mots. Il faut cependant compléter cette méthode par des gestes que fait une traductrice, certains phonèmes (exemple : /P/, /B/, /M/) présentant une structure identique sur les lèvres. On parle alors de Langage Parlé Complété (LPC). L'enfant est ainsi familiarisé avec un maximum de sons et ce procédé permet d'accroître l'apport d'informations.

Pour la pétitionnaire, la deuxième approche est essentielle car elle estime que c'est la seule façon d'offrir aux sourds et malentendants une communication semblable à celles des autres personnes, de leur donner les moyens d'apprendre un métier et, au premier chef, d'être en mesure de le choisir. De plus, ajoute-t-elle, il est précieux pour les familles de pouvoir entrer au mieux en relation avec leurs enfants.

Malheureusement, signale Mme de Candolle, les parents ne sont pas tenus au courant de l'éventail des possibilités en la matière et doivent souvent « partir à la pêche à l'information ». Quant à l'école pour enfants sourds de Montbrillant, ajoute-t-elle, celle-ci met surtout l'accent sur la langue des signes. C'est pourquoi les pétitionnaires préfèrent que leurs enfants soient intégrés dans une école « normale ».

Elle précise, d'ailleurs, que certaines écoles privées, comme l'Ecole moderne, acceptent sans problème et intègrent les enfants sourds.

Mme de Candolle signale encore un autre problème : pour apprendre à parler, explique-t-elle, une méthode spéciale, soit l'orthophonie, joue un rôle prépondérant. Elle précise, à ce stade, que chaque mot qu'un enfant sourd prononce, il l'a appris. Et d'ajouter qu'on sait, à l'heure actuelle, que beaucoup de sourds profonds peuvent accéder au langage par le biais de l'orthophonie. Or, le problème, constate la pétitionnaire, réside dans le fait que personne n'est compétent à Genève pour démutiser les enfants, c'est-à-dire leur apprendre à parler, et que les parents sont obligés de se rendre chez un spécialiste en France voisine.

Mme Bourquin, mère d'un enfant sourd et présidente de l'Association genevoise des parents d'enfants déficients auditifs, en vient aux questions d'ordre pratique. A Genève, explique-t-elle, la plupart des familles ayant un enfant sourd ou malentendant n'ont guère le choix : ellent doivent accepter de l'envoyer au Centre pour enfants sourds de Montbrillant. A ses yeux, l'école en question présente, au préalable, le défaut de fournir une information très fragmentaire sur son enseignement et sa ligne d'orientation. Or, ce que l'oratrice constate à Montbrillant, c'est une bonne maîtrise de la langue des signes et une assez mauvaise maîtrise du français. Mme Bourquin ne veut pas dire qu'une méthode est meilleure que l'autre ; elle dénonce, en revanche, le fait que notre ville privilégie la gestuelle et néglige l'aspect oraliste.

Les parents qui réussissent à intégrer leurs enfants à l'école publique fait ensuite observer Mme Bourquin, ne sont pas légion. Rien n'est fait pour faciliter l'intégration. Et les pétitionnaires de citer plusieurs exemples, de maîtresses qui auraient eu une attitude négative, ou d'enfants mis dans des classes à double degré.

Mme Bourquin explique que, si les parents ne font pas opposition, les enfants sont intégrés, dès l'âge de 2 ans et demi, en milieu spécialisé, ce qui relève d'une décision du DIP.

Mme Rolle, en sa qualité de secrétaire générale de l'Association genevoise des malentendants, représente une association qui offre un service social pour les sourds de naissance. Dans l'exercice de sa fonction, en effet, Mme Rolle doit avouer son impuissance : il ne lui est tout simplement pas possible de communiquer avec eux. L'oratrice parle de « niveau déplorable », tout en constatant que la plupart des personnes qu'elle est censée assister écrivent de « manière illisible ».

Mme Kos, chef de clinique en ORL. Lorsqu'on parle de malentendance, explique-t-elle, on veut dire qu'une oreille fonctionne mal. Equipées d'une prothèse auditive, les quelque 6000 personnes, à Genève, souffrant de ce handicap, se débrouillent relativement bien et peuvent parfaitement fréquenter l'école « normale ».

Quant aux sourds profonds, poursuit Mme Kos, leur situation est radicalement différente, dans la mesure où il n'est pas possible de les appareiller. Empêchés de communiquer oralement, ils doivent apprendre la langue des signes. Environ 150 personnes en Suisse romande sont touchées par une surdité profonde.

Depuis les années 1990, poursuit Mme Kos, la technologie permet de faire passer certains types de surdités dans la catégorie des malentendances. C'est ainsi que l'on a la possibilité de pratiquer un implant cochléaire. La décision d'implanter un enfant revient aux parents. Il s'agit de microchirurgie et l'on a affaire à une technique opérante délicate. Quinze enfants ont été implantés en Romandie.

Selon l'intervenante, les méthodes (langage des signes et oralisme) s'excluent si l'on a affaire à une personne appareillée ou implantée ; car il est indispensable à une personne implantée d'être confrontée continuellement au monde sonore « comme un enfant normal ». Or, Montbrillant constitue le seul centre pour Genève, et le langage oral n'y est pas prioritaire ; aussi, les enfants pris en charge par Montbrillant, évoluant dans le silence, ne jouissent pas du « bain de langage » qui serait nécessaire pour leur épanouissement.

Audition de Mme Martine Brunschwigb Graf, chef du Département de l'instruction publique (DIP) et de M. Maurice Dandelot, directeur du secteur spécialisé, directeur adjoint du Service médico-pédagogique (SMP), responsable du Centre pour enfants sourds de Montbrillant.

Mme Brunschwig Graf précise que la surdité et les nombreux inconvénients qui en découlent représentent un problème récurrent au sein de son département. D'une manière générale, indique-t-elle, se pose la délicate question de la limite de la prise en charge que l'on peut accepter au-delà de ce que le Département, respectivement le Centre de Montbrillant, peuvent développer et encourager.

A ce propos, l'intervenante souligne à quel point les demandes des pétitionnaires sont très spécialisées et nécessiteraient quasiment une approche individuelle, au cas par cas. Le DIP est tenu, quant à lui, de proposer des solutions générales dans la problématique des sourds. Or, force est d'admettre que la capacité de base de communication passe par la langue des signes, soutient Mme Brunschwig Graf, bien qu'elle sache pertinemment que les débats tournent souvent autour de la question de l'interférence supposée négative entre la langue des signes et la lecture labiale.

Pour ce qui a trait à l'intégration dans une classe ordinaire, ajoute Mme Brunschwig Graf, il est important de ne pas occulter l'importance de son bon déroulement : l'intégration, d'une part, et le travail des élèves dans leur ensemble, d'autre part, sont tous deux à prendre en compte.

M. Dandelot explique que l'option prise par l'Institution remonte à 1981 et repose sur le constat d'échec de la tradition « tout oraliste ». Jusqu'à cette date, déclare l'intervenant, les enfants étaient accueillis dans des écoles spécialisées à Genève et, mettant l'accent sur le développement de la langue orale à l'école, les sourds ne pouvaient pas signer.

Or, révèle M. Dandelot, les conséquences de cet état de fait furent particulièrement défavorables pour les élèves concernés, pour ne pas dire catastrophiques. On s'est notamment aperçu que ceux-ci n'avaient pas développé de moyens précoces de communication, avec, à la clef, des comportements de type caractériel marqués. En revanche, précise-t-il, une telle tendance ne s'observe pas lorsqu'on pratique le bilinguisme.

L'idée maîtresse, en l'occurrence, a consisté à permettre aux enfants sourds profonds, notamment, de vivre l'expérience précoce des interactions avec le monde et à les placer dans un milieu pratiquant la langue des signes. Les spécialistes se sont alors rendu compte que les enfants sourds n'avaient pas, a priori, de problèmes de communication. On peut même avancer qu'ils ne souffraient pas de retard de langage, même s'il ne leur était pas possible de parler.

Dans notre canton, admet M. Dandelot, les parents reprochent au Département, en choisissant de mettre l'accent sur la langue des signes, de ne pas assez stimuler leurs enfants dans le cadre de la langue orale. Pourtant, précise l'orateur, rien ne prouve cette assertion et l'apprentissage de la langue des signes s'avère extrêmement favorable au développement des enfants. Elle permet, en outre, aux spécialistes de négocier avec les enfants sourds, en leur expliquant, par exemple, les raisons du traitement qu'ils subissent.

M. Dandelot tient en outre à souligner que, depuis 1994, Montbrillant a connu beaucoup d'améliorations, visant, entre autres, à encourager la création de groupes intégrés à l'extérieur et à favoriser les contacts avec les autres enfants. On peut dès lors parler d'un réaménagement important des méthodes pédagogiques. A ce stade, l'orateur fait savoir que, à l'origine, Montbrillant avait été conçu pour accueillir 60 à 80 enfants, alors qu'aujourd'hui, il en compte 25. Cette information permet de mesurer à quel point Montbrillant a su jouer la carte de l'intégration. Et de donner le chiffre d'une centaine d'enfants appareillés qui sont intégrés à l'école, dont une dizaine suivent les classes à l'école privée.

M. Dandelot explique que ce sont les inspecteurs qui prennent la décision d'envoyer les enfants à l'école ordinaire ou dans le secteur spécialisé. Si un élève a de grosses difficultés dans l'école ordinaire, l'inspecteur de l'enseignement ordinaire demande à son collègue du spécialisé s'il est d'accord d'accueillir cet enfant dans son secteur. Après étude du cas, l'inspecteur du secteur spécialisé donne, le cas échéant, son aval pour que l'enfant en question puisse être transféré.

Le système peut paraître lourd, concède l'intervenant, mais il est précisément mis en place pour éviter tout dérapage, soit que l'école ordinaire se débarrasse un peu hâtivement d'un élève qui lui pose des problèmes. Si l'on en croit les statistiques, cette procédure s'avère particulièrement payante puisque le pourcentage d'enfants placés en milieu spécialisé, soit 2,4 % d'enfants à Genève, représente la moitié du pourcentage helvétique.

Cela étant, M. Dandelot, évoquant les enfants scolarisés dans l'oralisme à l'école ordinaire, soutient que la démarche reste hasardeuse et ambitieuse, dans la mesure où l'on part du principe que l'enfant sera à même de maîtriser des situations pourtant très complexes, ce d'autant qu'il n'a pas toujours développé le langage oral. Lui-même a constaté que, dans de nombreux cas, le codeur s'aperçoit que l'enfant qu'il accompagne est en difficulté et il doit dès lors signer pour lui fournir des informations complémentaires et l'aider à effectuer son travail.

Une députée a compris, les parents demandaient la prise en charge du codage dans les écoles. Peut-on lui apporter des précisions à ce sujet et lui faire savoir, au surplus, dans quelle proportion il serait éventuellement possible d'améliorer ladite prise en charge ?

M. Dandelot fait référence à des négociations avec l'assurance-invalidité. Il ajoute que cela montre, en conséquence, qu'il s'agit d'une alternative à un équipement technique. Une personne a d'ailleurs été mandatée aux fins d'évaluer jusqu'à combien d'heures il était pertinent d'offrir des heures de codage.

La difficulté, estime l'orateur, provient du fait que les pétitionnaires souhaiteraient qu'on prenne en charge le surplus d'heures, et ce sans limite. La question du libre choix des parents se situe d'ailleurs au centre du débat, souligne le Directeur du secteur spécialisé, ces derniers voulant que l'on maintienne, sans évaluation, leurs enfants à l'école ordinaire aussi longtemps qu'ils le désirent. Or, indique-t-il, il est clair que les autorités doivent se déterminer à partir d'une évaluation.

Audition de Mme Catherine Haus Schneuwly, responsable pédagogique au Centre pour enfants sourds de Montbrillant

Mme Haus Schneuwly évoque une collaboration établie depuis deux ans avec l'école ordinaire. Une classe vient une fois par semaine pour y faire des activités créatrices et, en retour, les jeunes se rendent aux cours de gymnastique. Ce choix, précise Mme Haus Schneuwly, découle d'une commodité au niveau des horaires, mais il est prévu d'élargir la formule aux cours de mathématiques. Au niveau primaire, on dénote l'existence d'une classe à Sécheron, après que Cologny ait cessé son expérience pilote en la matière, à cause de son éloignement. Les enfants s'y rendent seuls ou accompagnés par un enseignant spécialisé, si l'on estime que cela est préférable qu'il bénéficie de l'appui de la langue des signes.

Montbrillant occupe des enseignants sourds et Mme Haus Schneuwly souligne combien il est important pour les jeunes sourds qu'ils aient un modèle d'adulte sourd devant les yeux. Au surplus, et depuis cette année, le personnel de Montbrillant utilise le LPC, un code qui est bien accepté par les parents et que les maîtres emploient lorsqu'ils parlent en français aux enfants.

Cela étant, l'enseignante spécialisée fait savoir qu'il est extrêmement important que les sourds développent, dès leurs premières années de scolarité, la langue des signes qui doit s'acquérir de manière naturelle. A cet égard, Mme Haus Schneuwly parle « d'expérience de communication la plus spontanée possible ». Le langage des signes, précise Mme Haus Schneuwly reste le moyen le plus facilement accessible pour « parler ».

Pour les enfants qui ont terminé l'école primaire, poursuit l'intervenante, il faut savoir que, depuis deux ans maintenant, le Centre de Montbrillant a une classe intégrée au CO de Budé qui accueille trois élèves actuellement avec un interprète. Les élèves participent à toutes les activités, à l'exception de l'enseignement du français pour lequel ils disposent d'un enseignement spécialisé. Les résultats sont jugés bons par Mme Haus Schneuwly qui indique que les enfants ont d'ailleurs été promus au premier trimestre de cette année.

Audition de M. Roland Junod, directeur de l'Ecole moderne et de Mme Florence Nydegger, codeuse.

M. Junod indique que l'Ecole accueille une soixantaine d'élèves, dont quatre enfants sourds. Il en suit personnellement trois dans le double degré (5e/6e) où il enseigne. Il s'agit d'une nouvelle expérience positive pour l'école qui n'avait jamais reçu de malentendants auparavant. L'Ecole moderne s'est dotée d'une codeuse en français puis d'une codeuse en anglais et en allemand. Elles sont présentes à l'école tous les matins, entre 08 h 45 et 11 h 30, de même qu'un après-midi complet. On pratique le LPC, poursuit l'intervenant, un outil de communication qui s'apprend assez rapidement par les enfants ayant tous suivis un petit cours dispensé par les codeuses, aux fins de permettre et de développer les interactions entre sourds et entendants au sein même de l'Ecole. Ainsi, résume M. Junod, la codeuse traduit-elle systématiquement tout ce qui se dit entre les enfants.

Il est vrai de dire, concède M. Junod, que cette expérience a demandé une prise de conscience de la part de l'enseignant qui a dû modifier ses habitudes (exemple : parler systématiquement en face de l'enfant). La formule adoptée à l'Ecole moderne nécessite, au surplus, une collaboration étroite avec les codeuses, même si elles n'interviennent pas au niveau pédagogique.

Audition de M. Pierre Lutz, père d'une enfant sourde.

M. Lutz précise qu'il est père d'une enfant déficiente auditive qui est âgée de 18 ans. Sourde profonde de naissance, la jeune fille évolue dans une famille qui, par tradition, a toujours pratiqué le bilinguisme. Ainsi, explique-t-il, tant sa femme que lui-même parlent deux langues couramment. L'intervenant enchaîne sur la Maison de Montbrillant au sujet de laquelle il avoue avoir été impressionné par l'accueil et le fait que les petits enfants sourds jouaient entre eux, construisant ainsi les prémisses d'une vie sociale. Outre cette rencontre avec l'institution genevoise, M. Lutz pense qu'il est important de trouver une école qui soit d'accord de participer à ce mouvement général, pour que l'enfant déficient auditif ne souffre pas des carences dues à sa séparation d'avec le quartier.

On sait aussi qu'un enfant déficient auditif rencontre des problèmes dans la structure même de sa pensée, indique M. Lutz, conduisant à des difficultés dans la prononciation et la démutisation. Pourtant, déplore l'orateur, personne, logopédiste ou orthophoniste, n'ose avouer, sur la place de Genève, qu'il est d'accord de suivre un enfant sourd sur la voie oraliste et intégrée.

Pour conclure, M. Lutz fait part à la commission de son idée de créer un centre de compétences spécialisé. Il le concevrait de sorte à pouvoir offrir un appui spécialisé aux enfants déficients auditifs et que sa compétence lui permette de se doter d'une bonne crédibilité lorsqu'il annoncerait la présence de telle ou telle difficulté.

Audition de personnes déficientes auditives : Mmes Monique Aubonney et Benedetta Vine et MM. Giovanni et Philippe Palama.

Interprète : Mme Claire Dunant-Sauvin

Mme Aubonney est née entendante, mais est devenue sourde à l'âge de 4 ans. Elle enseigne également à Montbrillant, à mi-temps, et travaille aussi à l'émission « Signes ».Elle relève que le contenu de la pétition n'est pas exact lorsque le texte rapporte qu'« aujourd'hui à Genève, la malentendance et la surdité, en particulier chez les enfants en âge de scolarité, n'est abordée que par une éducation dite bilingue qui comprend l'apprentissage de la langue des signes et du français écrit. »

A Montbrillant, en effet, précise cette intervenante, on enseigne aussi le français parlé. Depuis le mois de septembre, poursuit Mme Aubonney, l'école pratique le Langage Parlé Complété (LPC), mais auparavant, le Centre utilisait un autre code. Comme le LPC s'est beaucoup développé, il a changé de méthode.

Les élèves bénéficient, en outre, de séances quotidiennes de logopédie, auxquelles s'ajoutent des « situations d'apprentissage » du français, c'est-à-dire en situation bilingue aux fins d'apprendre le français. Dans ce contexte, l'enseignante entendante parle et utilise le code, tandis que Mme Aubonney signe pour permettre aux enfants de comprendre ce qui se dit, notamment pour bien saisir le sens d'un texte.

Cela étant précisé, l'oratrice admet que les revendications des parents signataires de la pétition sont compréhensibles et qu'il est vrai de dire que leur souffrance est immense : « C'est long pour accepter cette situation », reconnaît-elle.

A l'hôpital, ajoute l'enseignante, on leur propose des implants ou un appareillage et on insiste souvent sur l'importance de placer leur enfant dans un contexte d'entraînement intensif à la parole. Or, le point de vue médical, estime Mme Aubonney, prend surtout en compte l'oreille en tant que telle, tandis que le Centre de Montbrillant vise la globalité du problème. S'il est bénéfique que l'enfant apprenne à parler et à lire afin qu'il soit intégré par la suite, il n'empêche qu'il est sourd et qu'il faut le respecter, respecter son identité.

L'intervenante explique que les sourds qui vivent dans le monde des entendants ont besoin de pouvoir se construire, un projet auquel Montbrillant adhère, notamment par le biais de l'apprentissage de la langue des signes que Mme Aubonney qualifie de moyen de communication solide. En conclusion, elle pense que « l'hôpital fait un peu rêver les parents » qui ont envie de pallier à la différence de leur enfant.

Mme Vine est malentendante. Elle explique qu'elle a d'abord fait l'école primaire ordinaire, puis a obtenu une maturité scientifique au Collège de Genève. Ce n'est qu'à l'âge de 20 ans que Mme Vine a appris la langue des signes. Actuellement, elle est maîtresse pour les petits à Montbrillant.

Lorsqu'elle était petite, elle a été en intégration et ce jusqu'au collège. A l'époque, précise l'oratrice, elle était la seule élève déficiente auditive dans la classe qu'elle fréquentait.

Mme Vine se souvient qu'elle avait le sentiment que les enseignants ne connaissaient pas tellement le problème de la surdité. Ainsi, évoque-t-elle, la maîtresse ne pouvait pas toujours avoir à l'esprit de faire en sorte qu'elle puisse lire sur ses lèvres et se place bien en face d'elle car elle donnait son cours pour le reste de la classe.

Pourtant, explique Mme Vine, il ne lui était pas toujours possible d'avouer qu'elle n'avait pas compris. Dans ce contexte, elle a largement développé la technique du « faire semblant », en raison du fait qu'elle ressentait de l'humiliation à être différente des autres enfants. Durant sa scolarité, elle s'est attachée à élaborer diverses stratégies afin de masquer son incompréhension. Pour être sûre d'échapper à l'interrogation de l'enseignant, par exemple, raconte Mme Vine, elle en était réduite à prétendre qu'elle ramassait une gomme par terre pour que son regard ne croise pas celui de la maîtresse.

Lorsqu'elle était avec ses camarades, elle ne pouvait pas non plus tout saisir de leurs conversations, mais, ne voulant pas laisser apparaître sa différence, elle ne leur avouait pas qu'elle ne les comprenait pas toujours. Jusqu'au collège, rapporte cette intervenante, elle n'a ainsi pas eu de contacts avec les sourds.

Si Mme Vine est heureuse d'avoir obtenu une maturité et sait que sa réussite constitue un espoir pour beaucoup de déficients auditifs, et surtout pour leurs parents, elle fait aussi savoir combien son parcours a été très difficile.

Mme Vine estime qu'elle s'est construite une fausse identité en raison de ce fameux « faire semblant » jusqu'à ce qu'elle découvre, à l'âge de 20 ans, la langue des signes Elle réalise alors combien ce moyen de communication lui facilite la vie, mais parle également de choc lorsqu'elle a précisément compris qu'elle s'était d'abord forgé une fausse identité.

Pour sa part, l'apprentissage de la langue des signes lui a permis de s'exprimer puis de s'épanouir et elle reconnaît la richesse que constitue son appartenance aux deux communautés. Elle répète qu'à son avis, l'intégration représente un défi de taille et explique combien il est fatigant de lire toujours sur les lèvres.

Si sa scolarité était à refaire, Mme Vine opterait pour la formule du langage des signes au début, enseigné dans une école bilingue comme le Centre de Montbrillant au sein duquel on pratique le bilinguisme. Ainsi, estime cette intervenante, aurait-elle pu acquérir les bases essentielles à son épanouissement, sans être contrainte à masquer ses difficultés. A son avis, un tel départ permet ensuite une intégration facilitée du fait que l'enfant est soutenu dans son cursus, tandis que se sentir isolé dans la classe et s'astreindre à des séances de logopédie lui apparaît comme particulièrement contraignant pour un enfant.

Mme Vine constate, à ce stade : « Je parle, mais à quel prix ? Cela, je ne pourrais pas le revivre. ». Mme Vine, revenant sur la pétition, avoue que son contenu la fait réagir parce que l'on y lit des informations qui ne sont pas correctes. Aussi, lorsqu'elle rencontre des parents qui ont envie d'avoir un enfant intégré, comme ce fut son cas, Mme Vine avoue qu'elle a de la peine pour lui car il se retrouve tout seul. « On fait semblant, c'est facile et après on souffre », répète cette intervenante, non sans admettre que cela n'est pas évident à admettre pour les parents.

Mme Aubonney explique que le Centre prévoit justement des projets pédagogiques personnalisés, en fonction des diverses situations et possibilités. Aussi, certains élèves peuvent être intégrés à 50 % par exemple dans une classe ordinaire, mais il est impératif que les enseignants restent à leurs côtés précisément pour éviter ce « faire semblant » dont parle Mme Vine.

D'une manière générale, Mme Aubonney, se référant aux revendications des parents pétitionnaires, relève que les gens ne connaissent pas grand-chose de la vie des sourds et notamment les médecins qui encouragent les implants, l'intégration et l'entraînement intensif. Il faut pourtant admettre que le corps médical s'avance trop quand il affirme qu'il n'y a aucun problème avec les implants cochléaires. « Les problèmes sont toujours là au contraire », précise Mme Aubonney, en ajoutant qu'il convient de faire savoir à quel point il n'est pas aisé pour les sourds de comprendre, et la souffrance qu'ils peuvent ressentir.

M. Philippe Palama est sourd de naissance et cordonnier indépendant.

Il explique que, lorsqu'il fréquentait Montbrillant, l'école pratiquait l'oralisme : « Je comprenais des mots, j'en ai appris, mais je ne comprenais pas le sens de l'ensemble », rapporte cet intervenant qui estime que son taux de compréhension est maintenant supérieur avec la langue des signes.

Au surplus, et dans l'exercice de sa profession, M. Palama utilise largement l'écrit, notamment s'il ne saisit pas ce que son client veut lui dire. Le cordonnier explique que la situation s'apparente à celle de deux personnes étrangères mettant en oeuvre des stratégies qui leur permettent de communiquer entre elles malgré la barrière de la langue.

M. Palama rapporte ensuite qu'en situation d'examen, il apprenait les questions et les réponses, de sorte qu'il maîtrisait relativement la situation, mais il avoue qu'il n'était pas en mesure d'appréhender l'intégralité des phrases qu'il avait sous les yeux.

M. Giovanni Palama est sourd de naissance et travaille comme enseignant au Centre pour enfants sourds de Montbrillant. Il collabore, en outre, à l'émission mensuelle pour les sourds « Signes » de la Télévision suisse romande.

Il expose que la plupart des sourds travaillent dans le monde des entendants, mais qu'ils sont seuls. Il faut admettre que les gens sont gentils avec eux et parlent de choses simples. M. Palama parle, à ce propos, de « conversations d'ascenseur » où l'on échange sur le foot à la télévision, mais que cela ne va pas au-delà. Dans ces conditions, la communauté des sourds s'avère précieuse pour discuter en profondeur, raison pour laquelle M. Palama n'est pas d'accord qu'on utilise la notion de ghetto quand d'aucuns évoquent la communauté des sourds.

A l'heure actuelle, ajoute l'intervenant, un nombre croissant d'entendants s'intéressent d'ailleurs à la langue des signes et souhaitent l'acquérir, une démarche qui conduit à une ouverture des deux mondes réciproquement.

Pour terminer, les auditionnés remercient les commissaires. Il n'est, en effet, pas fréquent de donner la possibilité à des adultes sourds de s'exprimer sur une question qui les touche directement, disent-ils.

Audition de Mlle Selina Lutz.

Codeuse : Mme Mareva Lorey de Lacharriere

Mlle Lutz explique qu'elle a toujours vécu à Genève et qu'elle a étudié la langue des signes. Après un passage à l'Ecole de Montbrillant, sa mère l'a retirée du Centre et elle a appris à parler. Dans ce contexte, la jeune fille précise qu'elle a été intégrée avec des entendants et ajoute que « ma mère s'est tuée à me faire parler ».

Mlle Lutz précise encore qu'elle a eu besoin d'heures de codage pour l'aider dans ses études, et que celles-ci lui ont été attribuées parcimonieusement. Actuellement, Mlle Lutz précise qu'elle est en dernière année du collège, mais elle répète qu'elle n'aurait jamais pu y arriver sans ses parents. La jeune fille fait d'ailleurs savoir que sa mère est enseignante au Cycle d'orientation. Cette dernière a sollicité des informations de la part de ses collègues, permettant ainsi à sa fille de compléter son programme scolaire car elle était obligée de rattraper du retard. Elle consacrait d'ailleurs, sous la houlette de sa mère, plusieurs heures à l'étude après l'école.

Audition de M. Stéphane Faustinelli, secrétaire général de la Fédération suisse des sourds. Interprète : Mme Dunant-Sauvin.

M. Faustinelli évoque tout d'abord l'époque où les entendants imposaient leur choix, celui de l'oralisme, aux sourds, et il emploie les termes de « période noire pour les sourds ».

Dans les années 1970/1980, sous l'impulsion des Droits de l'homme, enchaîne l'orateur, la Société des entendants a commencé à s'ouvrir à la problématique des sourds, plus particulièrement lors de l'année internationale de la personne handicapée (1981) décrétée par l'UNESCO, une date à partir de laquelle l'idée d'intégration a fait son chemin.

A partir de ce moment, explicite M. Faustinelli, des cours de langage des signes et des formations d'interprètes pour les sourds ont vu le jour, permettant une nette amélioration du statut des personnes déficientes auditives. De passifs que les sourds étaient par la force des choses, ils ont commencé à profiter des informations grâce aux interprètes justement, et ils ont enfin pu « participer à leur vie ».

Lui-même a été élevé dans l'oralisme, et a vécu plusieurs années de sa vie professionnelle parmi les entendants. A cette période, pourtant, M. Faustinelli explique qu'il a commencé à se poser des questions. Il avait, certes, bien réussi à l'école et obtenu un diplôme, mais quid au plan social ? L'orateur révèle qu'à ce moment, il s'est demandé ce que signifiait vraiment l'intégration pour un sourd. Avec les entendants, poursuit-il, les échanges restaient tout de même assez superficiels et « souvent dans des réunions, je faisais semblant d'avoir compris, mais je n'avais rien compris ». Dès lors que les gens constataient qu'il parlait bien, ils en déduisaient automatiquement qu'il saisissait parfaitement et lui-même ne s'exprimait pas à ce sujet.

M. Faustinelli insiste particulièrement sur l'apport de l'interprète, faute de quoi il n'aurait pas pu réaliser tout ce qu'il fait aujourd'hui et il n'aurait surtout pas pu s'engager politiquement comme c'est son cas puisqu'il fait partie de diverses commissions dans son village grâce au soutien d'une interprète dont il ne se sépare pas pour ses activités.

Revenant au concept d'intégration, M. Faustinelli reconnaît que cette notion est aujourd'hui à la mode. Pourtant, avertit le secrétaire général de la Fédération, il ne faut pas se leurrer car il y a bel et bien des limites à l'intégration. Selon lui, une vraie intégration est une intégration sociale, même si la réussite scolaire est importante aussi. « La vie, résume-t-il, ce n'est pas que cela ».

Pour lui, une intégration réussie passe par la possibilité de pouvoir débattre et, relève encore l'intervenant, de vingt à septante ans, la vie est longue. Si bien qu'il est crucial de se sentir à l'aise et de posséder une identité personnelle solide.

M. Faustinelli insiste sur le besoin qu'ont les sourds de pouvoir discuter entre eux et d'avoir des échanges. S'il est normal de travailler, concède l'orateur, il est tout aussi important de cultiver un équilibre entre les deux mondes car, parmi les entendants, il est fréquent que les sourds se sentent démunis, raison pour laquelle des contacts nourris avec les sourds constituent un apport essentiel à leur développement.

En venant au cas de Genève, M. Faustinelli fait savoir que la Fédération ne conteste pas l'intégration scolaire, mais qu'elle s'oppose à une intégration totale. L'enfant doit par ailleurs être suivi par des personnes compétentes et ne pas être soumis à une intégration sauvage. A ses yeux, il est primordial que le petit sourd intégré soit épaulé dans son cursus scolaire, comme c'est le cas avec la formule élaborée entre le Centre de Montbrillant et l'Ecole de Sécheron.

M. Faustinelli se montre relativement dubitatif quant à la qualité de l'avenir d'un enfant sourd qui est tout seul dans une classe ou un village. Il est d'autant plus fondé à douter que l'expérience a déjà révélé que l'intégration totale soulève des problèmes psychosociaux non négligeables, en raison du fait qu'un enfant sourd placé sous ce régime n'appartient véritablement à aucune des deux communautés.

Enfin, interrogé au sujet de la formation d'interprète et de codeur (ou codeuse), M. Faustinelli apporte les précisions suivantes :

Il faut environ quatre ans pour maîtriser la langue des signes, mais cela ne suffit pas pour exercer ce métier car il faut aussi vivre avec les sourds pour bien l'apprendre. Une fois ces compétences acquises, on peut s'inscrire à L'Ecole de traduction et d'interprétation (ETI) à l'Université de Genève pour une formation de trois ans. Une première formation a eu lieu entre 1983 et 1985 et son niveau est identique à celui de l'apprentissage des autres langues étrangères. Une deuxième volée a suivi en 1993 et il est prévu d'en organiser une en 2000/2001.

En Suisse, on manque d'ailleurs d'interprètes, poursuit M. Faustinelli, sachant que la Romandie n'en a que dix-huit actuellement. Or, la demande croît chaque année d'environ 30 à 40 %, précise le secrétaire général de la Fédération, non sans ajouter que cet organisme a mis sur pied un service romand d'interprètes chargé de recruter des professionnels.

Discussion et vote

La discussion a été relativement longue, ceci étant partiellement dû au fait que les commissaires ne comprenaient pas tous de la même manière l'invite de la pétition, qui n'est pas très précise dans les termes : « Le but de cette pétition est de demander l'ouverture des prestations du Département de l'instruction publique aux autres formes reconnues de prise en charge de l'enfant à déficience auditive. » Comment fallait-il interpréter cette invite ? Par le libre choix des parents d'intégrer leur enfant à l'école publique, nonobstant l'avis des professionnels ? Par la prise en charge des coûts de codage, d'orthophonie et de formation des professeurs ? Par une modification des pratiques d'enseignement à Montbrillant ?

L'ensemble des commissaires s'est toutefois prononcé pour le renvoi au Conseil d'Etat. En effet, cette pétition a interpellé l'ensemble des commissaires et les a aussi mis un peu dans l'embarras. Les commissaires ont très bien compris les difficultés rencontrées par les parents, et seraient désireux de leur apporter un soulagement. Le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat est un message de compréhension et d'encouragement, une demande de mettre en oeuvre ce qui est possible et raisonnable pour aider les parents d'enfants sourds.

Toutefois, les commissaires ne veulent pas prendre position pour une méthode contre une autre.

En ce qui concerne le Centre de Montbrillant, les députés s'accordent à constater qu'il offre beaucoup de prestations, puisque désormais, on y enseigne aussi bien la langue des signes que le langage parlé, et que le code LPC y est également utilisé. L'intégration partielle à l'Ecole primaire de Sécheron doit également être saluée. Dans ce sens, on ne peut affirmer que le Département exclue la méthode oraliste. Au final, les commissaires ont constaté que le Centre de Montbrillant, dans sa nouvelle orientation, semblait faire de l'excellent travail, et il convient de préciser que cette nouvelle orientation doit être encouragée.

En outre, les député(e)s ont été fortement impressionnés par l'audition des personnes sourdes qui se sont exprimées sur la question. Ils ont notamment été sensibles au message que les personnes déficientes auditives doivent pouvoir continuer à pratiquer la langue des signes pour communiquer pleinement entre eux, et que l'intégration dans les classes « normales » pouvait être mal vécue par certains enfants sourds.

En ce qui concerne l'intégration à l'école publique, une majorité de députés pense que le cas de chaque enfant doit être considéré en soi ; il s'agit d'une problématique très individuelle, qui doit entraîner une discussion approfondie avec les parents. Ensuite de quoi, estime la majorité des commissaires, c'est aux professionnels de décider si telle intégration est souhaitable, sachant que, dans certains cas, elle ne l'est pas.

Cela étant précisé, sur une centaine d'enfants appareillés, seule une dizaine fréquente l'école privée, ce qui signifie que beaucoup d'enfants déficients auditifs suivent l'école ordinaire. Quant on apprend que Montbrillant a démarré avec soixante élèves et n'en compte plus que vingt-cinq à l'heure actuelle, on peut estimer que des efforts d'intégration ont été consentis.

Quant au codage, une députée pense que l'Etat devrait prendre en charge les heures qui ne sont pas assumées par l'AI.

Un député pense que, sans critiquer ce qui se fait, si l'on compare le nombre d'élèves et le nombre d'enseignants au Centre de Montbrillant, ce dernier est une institution coûteuse et qu'il ne reviendrait pas plus cher d'assumer les frais de codeurs à l'école publique.

Les autres commissaires craignent toutefois que, nonobstant les coûts qui sont difficiles à évaluer, si Montbrillant venait à disparaître et si tous les enfants étaient pris en charge par l'école publique, certains enfants sourds seraient nettement défavorisés, leurs parents ne pouvant s'investir suffisamment ni assumer les charges très lourdes que cela entraînerait pour eux.

L'ensemble des commissaires regrettent en outre que Genève ne semble pas compter un nombre suffisant de logopédistes formés en ce domaine, et se demandent si le Département pourrait encourager une telle formation. On a effectivement vu que les sourds ont besoin d'interprètes et de codeurs. Les étudiants sont-ils au courant de cette possibilité ? L'information circule-t-elle bien ?

En conclusion, l'ensemble des commissaires s'accordent pour renvoyer la pétition au Conseil d'Etat, en lui recommandant de maintenir un esprit d'ouverture et de dialogue avec toutes les personnes concernées, et en encourageant la formation d'interprètes et de codeurs.

La proposition de renvoyer la pétition 1262 au Conseil d'Etat est acceptée à l'unanimité (2 AdG, 2 S, 2 Ve, 2 R, 3 L).

Pétition(1262)

concernant la prise en charge des enfants sourds à Genève

Mesdames etMessieurs les députés,

Aujourd'hui à Genève, la malentendance et la surdité, en particulier chez les enfants en âge de scolarité, n'est abordée que par une éducation dite bilingue qui comprend l'apprentissage de la langue des signes et du français écrit.

Le Centre pour enfants Sourds de Montbrillant (CESM) utilise exclusivement cette approche depuis les années 80. Aucun autre choix n'est proposé dans ce milieu spécialisé. Pourtant d'autres stratégies d'éducation se font avec succès en milieu ordinaire. Grâce à l'apprentissage du français parlé, écrit, lu et de la lecture labiale, l'intégration de ces enfants est optimalisée.

Les divers degrés de surdité, les différents types d'appareillages (prothèses auditives, implants cochléaires) ainsi que les capacités des enfants impliquent des projets pédagogiques personnalisés. Les projets d'intégration soutenus par des professionnels reconnus sont découragés ou refusés par le Service Médico-Pédagogique (SMP). lis sont néanmoins souvent mis en place dans le privé, suite au refus du SMP, et s'avèrent moins onéreux que l'école spécialisée. De nombreux parents de Genève ont essayé à plusieurs reprises de sensibiliser le Département de l'instruction Publique à cette question, sans succès à ce jour.

Cette situation est une injustice pour les enfants dont les projets pédagogiques ne peuvent se concrétiser que dans le privé, hors canton ou à l'étranger. Les prestations des professionnels qualifiés ne sont pas prises en charge par l'Assurance Invalidité (AI) si elles se font en dehors de nos frontières. Les coûts sont lourds pour les familles et ne sont pas déductibles des impôts.

Le but de cette pétition est de demander l'ouverture des prestations du Département de l'instruction Publique aux autres formes reconnues de prise en charge de l'enfant à déficience auditive.

Outre les signataires de cette pétition, celle-ci est soutenue par l'Association Genevoise des Malentendants (AGM) et l'Association Genevoise de Parents d'Enfants Déficients Auditifs (AGPEDA).

Débat

Mme Caroline Dallèves-Romaneschi (Ve), rapporteuse. Il est un peu inhabituel que la commission des pétitions s'étende sur une pétition en séance plénière. J'aimerais pourtant parler un peu de celle-ci. En effet, la commission a tout de même consacré sept séances à cet objet, ce qui prouve l'importance qu'elle y a attachée. En deux mots, comme tout le monde n'aura eu la patience de lire mon rapport - qui était un peu long, pardon ! - j'aimerais vous dire rapidement qu'il existe deux écoles de pensée en matière de surdité, l'une étant de dire que la meilleure méthode est d'apprendre aux enfants à lire sur les lèvres - c'est la méthode de l'oralisme - et c'est celle qui est défendue par les parents d'enfants sourds. La deuxième méthode, c'est celle du langage des signes qui est plus particulièrement défendue par les professionnels et surtout par l'école de Montbrillant. Ne peut-on pas combiner les deux méthodes, la lecture labiale et le langage des signes ? C'est ce qui se fait un peu à l'école de Montbrillant pour enfants sourds. Mais d'après certains professionnels et les parents, ces deux méthodes seraient incompatibles, car les enfants, une fois qu'ils ont appris à parler le langage des signes, n'ont plus le courage d'apprendre à lire sur les lèvres et à s'exprimer eux-mêmes oralement. C'est pourquoi les parents d'enfants sourds, du moins les parents qui ont signé cette pétition, aimeraient intégrer leurs enfants dans les écoles et les classes ordinaires et non les placer à l'école de Montbrillant.

Face à ces deux écoles de pensée, les députés, qui ne sont pas des spécialistes en la matière, se sont refusés de trancher et de se prononcer sur la meilleure méthode. Ils ont au contraire tenté une autre approche et essayé de se mettre à la place des parents et des sourds eux-mêmes pour les comprendre. Ils ont finalement décidé de renvoyer la pétition au Conseil d'Etat. Il faut cependant préciser d'emblée que le renvoi au Conseil d'Etat n'est pas un désaveu de l'école de Montbrillant. Bien au contraire ! Les députés ont été très favorablement impressionnés par le travail qui s'y fait, ainsi que par l'évolution qui a eu lieu. En effet, les deux langages y sont maintenant enseignés, ainsi que ce que l'on appelle le LPC, c'est-à-dire le codage. Ils ont aussi été impressionnés par les efforts fournis par l'école de Montbrillant pour intégrer les enfants dans certaines écoles primaires, comme celle de Sécheron. Ils ont enfin été particulièrement touchés, impressionnés et émus par le témoignage des personnes sourdes qui sont venues se faire auditionner devant la commission. Ils ont été très sensibles aux besoins, exprimés par ces personnes, d'avoir, de connaître et de répandre la langue des signes.

C'est ainsi que les députés ont pensé qu'il fallait continuer. L'école de Montbrillant est une nécessité, car l'intégration des écoles n'est pas possible pour tous les parents. L'école de Montbrillant ne doit pas disparaître. Elle doit être disponible pour les enfants qui ne peuvent pas intégrer d'autres écoles. Pourtant, comme vous l'avez vu, la commission a quand même décidé le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat. Il s'agit en effet d'encourager le Conseil d'Etat et surtout l'école de Montbrillant à poursuivre le dialogue avec les parents, à se livrer à une collaboration accrue et à soutenir tous les parents d'enfants sourds dans toute la mesure du possible. 

M. Albert Rodrik (S). Qu'il me soit brièvement permis d'intervenir pour plaider simplement en faveur de l'écoute mutuelle et de la diversité. Il n'y a pas de solution unique, mais autant d'enfants sourds qui ont besoin de temps d'approche dans la compréhension et dans l'affection. Il n'y a pas des endroits où il y a d'un côté des sachants et de l'autre côté des incompétents. Il y a effectivement des sommes de compétences importantes dans les services officiels et dans l'institution officielle. Mais il y a aussi des associations et des parents qui viennent avec un bagage de connaissances provenant de leur vie quotidienne avec des personnes souffrant de surdité. Je connais les pétitionnaires et je voudrais simplement rappeler ici que l'on ne peut pas couper le monde en deux, entre ceux qui savent et ceux qui subissent le savoir. Je plaide donc pour la permanence de la diversité de l'offre et pour l'écoute mutuelle des uns et des autres. 

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition au Conseil d'Etat) sont adoptées.