République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8193
36. Projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi générale sur les contributions publiques (D 3 05) (contreprojet du Conseil d'Etat à l'initiative populaire 110 «Pour la suppression partielle du droit des pauvres»). ( )PL8193

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article unique

La loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887, est modifiée comme suit :

Art. 445 Taux (nouvelle teneur)

1 Sous réserve des alinéas 2 à 4, le taux ordinaire de la taxe s'élève à 10 % de la recette brute versée par l'ensemble des clients, spectateurs, auditeurs ou autres participants. La taxe sur les loteries nationales et intercantonales, qui est perçue en sus des enjeux auprès des joueurs, s'élève également à 10 %.

2 La taxe sur le produit brut des appareils à sous servant aux jeux de hasard et des jeux de table des casinos B (soit la différence entre les mises des joueurs et les gains qui leur sont versés) est calculée en fonction de l'impôt fédéral sur les maisons de jeu, conformément à l'article 43 de la loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeu, du 18 décembre 1998. Elle est fixée au maximum admis par l'article 43, alinéa 2, de ladite loi (soit à 40 % de l'impôt fédéral).

3 La taxe est réduite à 5 % pour les spectacles ou manifestations organisés par les sociétés locales sans but lucratif, pour autant que ces spectacles ou manifestations ne comportent pas, à un titre quelconque, l'exercice d'une activité professionnelle ou commerciale, même accessoire, soit au profit de la société elle-même, soit de ses membres, soit encore d'autres personnes. Pour bénéficier de la réduction, les sociétés doivent avoir leur siège à Genève, être constituées depuis deux ans au moins et produire des statuts qui établissent clairement qu'elles n'ont pas un but lucratif.

4 Les spectacles, manifestations ou fêtes dont le produit net est intégralement versé à des oeuvres de bienfaisance sont exonérés totalement de la taxe. Toutefois, si le produit net n'atteint pas le 50 % de la recette brute, l'exonération totale n'est pas accordée et c'est le taux réduit à 5 % qui s'applique.

Art. 446 (abrogé)

Art. 447 Forfait (nouvelle teneur)

Pour les installations foraines, ou lorsqu'il n'est pas délivré de billets d'entrée permettant un contrôle exact des recettes, la taxe peut être convertie par le Département de justice et police et des transports en une somme fixe payée par jour, par semaine ou par mois. Ce forfait est calculé sur la base de 1 à 5 % de la recette brute (TVA déduite). Les personnes physiques ou morales soumises à la taxe forfaitaire sont tenues de produire les renseignements et comptes demandés par le département.

EXPOSÉ DES MOTIFS

I. Introduction

L'initiative populaire « pour la suppression partielle du droit des pauvres » (ci-après : l'initiative) remet en question une taxe instituée le 8 décembre 1845, soit voici plus de 150 ans, et qui a depuis lors bénéficié d'un consensus politique permanent autour de sa pérennité, en dépit de plusieurs attaques.

La Commission ad hoc des jeux (ci-après : la commission) chargée d'étudier l'initiative a procédé à de nombreuses auditions, soit M. Alain Vaissade, conseiller administratif chargé des affaires culturelles de la Ville de Genève, le comité d'initiative pour la suppression partielle du droits des pauvres (représenté par M. Pierre Kunz, président, M. Jean-Marie Revaz, vice-président d'Orgexpo et de Palexpo, M. Willy Wachtl, président du Groupement des cinémas genevois, M. Michael Drieberg, organisateur de spectacles, M. Daniel Perroud, organisateur de manifestations sportives, Mme Nicole Codourey, représentante de l'Association genevoise des cabarets-dancings, M. Jean-Luc Vincent, directeur du Salon des inventions, M. Fernand Moennat, représentant de la corporation des forains et M. Raymond Walther (président de l'Association genevoise des sports), de M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat chargé du Département de justice et police et des transports, et de M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat chargé du Département de l'action sociale et de la santé.

Après avoir procédé à un large tour d'horizon et s'être prononcée sur les principaux thèmes pouvant faire l'objet d'une révision législative afin de réformer et de moderniser la taxe du droit des pauvres, la commission a proposé, dans son rapport du 7 juin 1999 :

par 9 oui contre 2 non, de rejeter l'initiative, estimant que son intitulé « pour la suppression partielle du droit des pauvres » était à la limite de l'honnêteté dès lors qu'elle visait en réalité la suppression totale du droit des pauvres en caressant l'illusion d'une augmentation des recettes par le biais des casinos ;

par 9 oui avec 2 abstentions, d'accepter le principe d'un contre-projet en fonction des options prises par la commission.

Le 24 juin 1999, le Grand Conseil a rejeté l'initiative et décidé de lui opposer un contre-projet (mémorial des séances du Grand Conseil du 24 juin 1999, page 5037).

Dans la rédaction du contre-projet, le Conseil d'Etat a tenu compte des options arrêtées par la commission au cours de ses travaux, en retenant l'ensemble de ses suggestions.

II. Rappel des buts poursuivis par l'initiative

 Selon les initiants, l'initiative qui demande la suppression pure et simple du droit des pauvres sur toutes les activités autres que les loteries, les tombolas et les jeux divers, poursuit le but principal de faire baisser le prix des manifestations sportives et des spectacles, et laisse entendre que la taxe actuelle est dissuasive, pénalisante, paralysante, désuète, et qu'elle tue la culture et le sport.

 Le Conseil d'Etat - à l'instar de la commission et du Grand Conseil - estime que les arguments avancés par les initiants à l'appui de leur démarche ne sont pas pertinents.

L'argument selon lequel la suppression partielle du droit des pauvres aurait un effet à la baisse sur le prix de vente et à la hausse sur la fréquentation des manifestations n'est en l'état pas démontré :

les prix d'entrée aux spectacles sont sensiblement les mêmes dans notre canton que dans le canton voisin, tant à Lausanne où il existe une taxe sur les spectacles de 14 %, qu'à Nyon où il n'y a aucune taxe de cette nature ;

la promesse - totalement gratuite - de baisser le prix des manifestations culturelles et sportives doit être prise avec la plus grande réserve, compte tenu de l'expérience faite à propos de l'initiative 26 intitulée « pour des taxis égaux » qui promettait quant à elle des taxis moins chers et qui s'est en réalité concrétisée, dès son approbation par le peuple, non pas par une baisse mais par deux augmentations successives des tarifs. Si l'initiative était acceptée, les personnes qui assistent aux manifestations culturelles et sportives n'auraient strictement aucun moyen de faire en sorte que les promesses précitées soient véritablement respectées de façon durable et les organisateurs auraient beau jeu de respecter leur engagement pendant une brève période avant de remonter les prix sous des prétextes aussi divers que multiples ;

la perception du droit des pauvres n'a pas empêché, ces dernières années, d'enregistrer de bons taux de fréquentation notamment à l'Arena, à Palexpo, au Forum de Meyrin et au nouveau complexe cinématographique Ciné Village à Balexert ;

le droit des pauvres est une taxe qui touche l'usager-client, seul et unique assujetti, et non pas l'organisateur de spectacles, qui n'est en fait qu'un intermédiaire-percepteur.

 2.  L'argument selon lequel la perception de la taxe est un anachronisme n'est pas soutenable, dès lors que notre pays compte encore au moins 12 cantons qui perçoivent des taxes similaires, et qui ont pour la plupart délégué cette compétence aux communes. En outre, plusieurs pays européens prélèvent une taxe sur les spectacles en plus d'une TVA située entre 15 et 25 %.

 3. Quant à l'argument, exprimé de manière plus ou moins sous-entendue par les initiants, selon lequel la suppression partielle du droit des pauvres pourrait être compensée par une augmentation des recettes sur les jeux d'argent, il est totalement illusoire pour la simple et bonne raison que si le canton de Genève sollicite et obtient un grand casino A, il perdra la possibilité de percevoir la taxe du droit des pauvres sur les machines à sous. Même si le canton de Genève n'obtient qu'un casino B, le taux de la taxe cantonale qui pourra continuer à être perçue sur les machines à sous et sur les jeux de table dépendra en réalité de l'impôt fédéral sur le produit brut des jeux. En effet, si les cantons sont autorisés à prélever un « impôt cantonal de même nature », cet impôt ne doit pas représenter plus de 40 % du total de l'impôt sur les maisons de jeu revenant à la Confédération, conformément à l'article 43, alinéa 2, de la loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeu, du 18 décembre 1998.

III. Principales caractéristiques du contre-projet

 1. Contrairement à l'initiative, le contre-projet :

 a) maintient le principe général selon lequel la taxe est due sur tous genres de spectacles, sur toutes manifestations artistiques, littéraires, musicales ou sportives, sur les conférences, expositions, exhibitions, fêtes, dont l'entrée est payante de quelque manière que ce soit, sur les bals et dancings, la musique dans les établissements publics et en général tous les divertissements quelconques (cf. Art. 444 de la loi qui n'est pas modifié par le contre-projet) ;

 b) abaisse, sous réserve d'exception, le taux ordinaire de la taxe de 13 à 10 % de la recette brute, versée par l'ensemble des clients, spectateurs, auditeurs ou autres participants ;

 c) maintient au taux de 10 % la taxe sur les loteries nationales et intercantonales ;

 d) prévoit que la taxe sur le produit brut des appareils à sous servant aux jeux de hasard et des jeux de table des casinos B est calculée en fonction de l'impôt fédéral sur les maisons de jeu, conformément à l'article 43 de la loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeu, du 18 décembre 1998, tout en précisant qu'elle correspond au maximum admis par l'article 43, alinéa 2, de la loi précitée (soit à 40 % de l'impôt fédéral) ;

 e) abaisse de 10 à 5 % le taux de la taxe pour les spectacles ou manifestations organisés par les sociétés locales sans but lucratif ;

 f) maintient le principe de la taxe forfaitaire prévue à l'article 447 de la loi tout en abaissant le taux qui n'est plus calculé sur la base de 10 à 13 % de la recette brute, mais de 1 à 5 % de la recette brute (TVA déduite).

 a) exonère totalement de la taxe les spectacles, manifestations, fêtes, dont le produit net est intégralement versé à des oeuvres de bienfaisance ;

 b) supprime la taxe sur les entrées de faveur (abrogation de l'article 446 de la loi).

IV.  Commentaires du contre-projet, article par article

Article 445 Taux

 Compte tenu des buts poursuivis par le contre-projet, la rédaction de l'article 445 a dû être entièrement revue.

 L'alinéa 1 précise que le taux ordinaire de la taxe s'élève à 10 % (au lieu de 13 % actuellement) de la recette brute versée par l'ensemble des clients, spectateurs, auditeurs ou autres participants. Cet abaissement du taux ordinaire de la taxe vise à donner un signe clair en faveur de l'ensemble des assujettis et à faire en sorte que le contre-projet ne se limite pas à quelques propositions de nature purement cosmétique qui ne concerneraient que les taux spéciaux.

 A noter que le taux de 10 % correspond au taux pratiqué par la majorité des cantons ou communes qui connaissent une taxe analogue, et que la diminution de 3 % correspond au taux réel net de la TVA qui frappe essentiellement les grands salons et les expositions commerciales.

 L'alinéa 1 précise en outre expressément que la taxe sur les loteries nationales et intercantonales, qui est perçue en sus des enjeux auprès des joueurs, s'élève également à 10 % comme c'est le cas actuellement.

 L'acceptation de la proposition des initiants d'augmenter la taxe de 10 à 13 % pour les loteries nationales et intercantonales soulèverait une forte opposition et poserait en outre des problèmes de perception au niveau des petits commerces (calcul du 13 % au lieu du 10 % actuel), la taxe étant perçue en sus des mises auprès des joueurs.

 L'abaissement du taux ordinaire de 13 à 10 % devrait entraîner une diminution des recettes de 2'845'000 F (chiffres 1999).

 Contrairement à l'article 445 proposé par l'initiative, l'alinéa 2, qui concerne la taxe que les cantons sont autorisés à percevoir sur les jeux de hasard et les jeux de table des casinos B, a été rédigé conformément à l'article 43 de la loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeu, du 18 décembre 1998, qui empêche pratiquement les cantons de fixer eux-mêmes leur propre taux d'impôt. La rédaction proposée prévoit simplement que la taxe cantonale correspond au maximum admis par l'article 43, alinéa 2, de la loi fédérale précitée. Si le canton de Genève obtient un casino A, la taxe ne pourra plus être perçue du tout, d'où une diminution de recette de l'ordre de 2'200'000 F (chiffres 1999). Si le canton de Genève obtient un casino B, la taxe cantonale, qui pourra continuer à être perçue dans les limites précitées, risque néanmoins de procurer des recettes moins élevées que les 2'200'000 F actuels.

 L'alinéa 3 concerne l'abaissement du taux de 10 à 5 % pour les sociétés locales sans but lucratif.

 Il s'agit-là d'un geste important en faveur des sociétés précitées qui, pour bénéficier du taux réduit, devront avoir leur siège à Genève, être constituées depuis deux ans au moins et produire des statuts qui établissent clairement qu'elles n'ont pas un but lucratif.

 Ainsi, les matches, championnats, concours, courses, exhibitions, festivités, expositions ou autres manifestations analogues organisés par des sociétés locales sans but lucratif bénéficieront de la réduction du taux de 10 à 5 %.

 Quant aux sociétés qui organisent avec ou sans subventions des collectivités publiques des spectacles ou des manifestations comportant, à un titre quelconque, l'exercice d'une activité professionnelle ou commerciale, même accessoire, soit au profit de la société elle-même, soit de ses membres, soit encore d'autres personnes, elles restent soumises au taux ordinaire de 10 %. Il semble en effet impossible, pour des raisons d'égalité de traitement, de ne pas soumettre au taux ordinaire de la taxe les spectacles subventionnés, étant rappelé que ce n'est pas l'organisateur, mais le spectateur qui s'acquitte de la taxe. Il convient par ailleurs de tenir compte du fait que les personnes qui reçoivent des subventions doivent également payer les impôts ordinaires.

 L'abaissement du taux de 10 à 5 % pour les sociétés locales sans but lucratif entraînerait une diminution des recettes de 800'000 F (chiffres 1999).

 L'alinéa 4 concerne l'exonération totale des spectacles, manifestations ou fêtes, dont le produit net est intégralement versé à des oeuvres de bienfaisance.

 L'exonération totale du domaine caritatif, qui est actuellement soumis au taux de 5 %, répond à de nombreuses critiques.

 Il convient toutefois de préciser que si le produit net n'atteint pas le 50 % de la recette brute, l'exonération totale n'est pas accordée et c'est le taux réduit à 5 % qui s'applique.

 L'exonération totale du domaine caritatif entraînerait une diminution des recettes de 126'000 F (chiffres 1999) .

Article 446 Entrées de faveur

 La taxe de 25 centimes sur les billets de faveur gratuits a contribué à donner une image parfois « poussiéreuse » de la taxe, raison pour laquelle il convient d'y renoncer purement et simplement.

 Cette suppression entraînerait une diminution des recettes de 78'000 F (chiffres 1999).

Article 447 Forfait

 Pour des raisons d'égalité de traitement, il semble nécessaire de maintenir le principe de la taxe forfaitaire pour les installations foraines ou lorsqu'il n'est pas délivré de billets d'entrée permettant un contrôle exact des recettes. La fourchette a en revanche été revue à la baisse, conformément d'ailleurs à une pratique constante de l'administration qui n'a en réalité jamais calculé la taxe sur une base de 10 à 13 % de la recette brute, partant du principe qu'à la différence des billets d'entrée, une telle taxe ne pourrait plus être répercutée sur les clients et serait en réalité supportée par les exploitants, contrairement au principe de base de la taxe qui vise le client-spectateur et non l'organisateur-percepteur.

 La taxe forfaitaire doit être calculée sur une base de 1 à 5 % de la recette brute (TVA déduite), et les comptes doivent bien entendu être produits faute de quoi l'administration procède à la taxation d'office (article 448) au taux maximum de 5 %.

 Cette réduction de la taxe forfaitaire entraînerait une diminution des recettes de 176'000 F (chiffres 1998).

V. Conclusion

 Le contre-projet constitue une chance historique de faire en sorte que le droit des pauvres une fois réformé ne soit plus ressenti comme une entrave mais comme une taxe de solidarité dont le produit reste bien entendu versé à raison de 70 % à l'Hospice général et à raison de 30 % à l'Etat (pour être affecté à des activités et des entreprises en faveur de la santé publique et du bien-être social), comme le prévoit l'article 443 de la loi.

 La réforme proposée par le contre-projet (qui comporte non seulement la diminution des taux, mais encore la suppression de la taxe dans le domaine caritatif) constitue un geste important dans le sens préconisé par les initiants tout en conservant un message de solidarité vis-à-vis de l'action sociale, locale et privée.

 Il ne faut pas oublier que cette taxe n'est pas payée par l'organisateur de spectacles ou de manifestations, mais par le spectateur ou le client.

 Compte tenu des incertitudes qui règnent encore au sujet du statut définitif du casino de Genève, l'acceptation du contre-projet entraînerait une diminution des recettes de la taxe du droit des pauvres de l'ordre de 4'025'000 F dans l'hypothèse d'un casino B et de 6'225'000 F dans l'hypothèse d'un casino A.

 En d'autres termes, l'acceptation du contre-projet aurait pour conséquence une diminution du produit de la taxe de 20'856'000 F (actuellement) à 16'831'000 F (avec un casino B) et à 14'631'000 F (avec un casino A), alors que l'acceptation de l'initiative aurait pour conséquence une diminution du produit de la taxe de 20'856'000 F à 8'400'000 F (avec un casino B) et à 6'200'000 F (avec un casino A).

 Telles sont les raisons pour lesquelles le Conseil d'Etat vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter le présent contre-projet.

Ce projet est renvoyé à la commission des jeux sans débat de préconsultation.