République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1239-A
11. Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition contre l'expulsion définitive de Suisse (d'ici au 15 avril 1999) d'une élève iranienne ainsi que de toute sa famille. ( -) P1239
Rapport de M. Alberto Velasco (S), commission des pétitions

La Commission des pétitions, sous la présidence de Mme Louïza Mottaz, s'est réunie le 19 avril 1999, pour examiner la pétition 1239, déposé le 24 mars 1999 auprès du Grand Conseil qui la transmise à notre commission. Le procès-verbal a été tenu par Mme Schaefer Pauline.

Introduction

La pétition, qui a recueilli 2775 signatures, demande aux autorités genevoises et fédérales de reconsidérer, d'un point de vue humanitaire, la décision de renvoi définitif de la famille Moghadam-Panah résidant dans notre république depuis 1990 et dont les enfants suivent depuis lors leur scolarité au sein de l'école publique genevoise. En outre, la pétition sollicite l'octroi, pour la famille Moghadam-Panah, de permis humanitaires afin qu'ils puissent vivre au sein de la communauté genevoise.

La décision de renvoi devant intervenir le 15 avril 1999, le délai a été prolongé par les autorités genevoises jusqu'au 15 mai, mais étant donné la scolarité des enfants elle le sera jusqu'au 30 juin.

Mesdames etMessieurs les députés,

Les soussignés, mineurs ou majeurs, élèves ou enseignants, parents ou amis, citoyens suisses ou étrangers, habitants de Genève, demandent respectueusement aux autorités genevoises et fédérales de reconsidérer d'un point de vue humanitaire la décision de renvoi définitif d'ici au 15 avril 1999 de la famille Moghadam-Panah, dont les 4 enfants suivent leur scolarité ici depuis 1990 et se trouvent actuellement :

A l'Ecole primaire de Vernier, au Cycle d'orientation du Renard, à l'ECG Henry-Dunant et au Collège Voltaire.

Cette décision, survenue soudainement après un recours de 1993, a causé un immense émoi, une profonde détresse et des pleurs car l'incompréhension règne devant une telle négation de l'intégration de toute cette famille dans notre canton. La présente pétition se veut un rappel aux valeurs d'humanité et de liberté inhérentes à l'idéal démocratique. Valeurs dont nous restons persuadés qu'elles sont plus que des paroles aux yeux de nos autorités, puisque toute règle de droit n'existe que par son exception.

Pour toutes ces raisons, les soussignés sollicitent l'annulation de la décision de renvoi et l'octroi pour la famille Moghadam-Panah de permis humanitaires pour rester vivre en Suisse, à Genève, parmi nous.

N.B. : 2775 signatures

Centre social protestant, M. Roberton Sbrissa,

14, rue du Village-Suisse, Case postale, 1211 Genève 8

Dans un souci d'information, les documents suivants sont annexés à ce rapport :

la lettre des élèves de l'ECG Henry-Dunant ;

lettre de la Ligue Suisse des Droits de L'Homme.

Travaux de la commission

Auditions

Première audition

Audition des pétitionnaires : Mme France von Allmen, conseillère juridique/Centre social protestant ; M. Roberto Sbrissa, conseiller social/Cycle du Renard, accompagné d'une jeune personne faisant un stage dans son service ; M. Olivier Duchosal, enseignant/ECG Henry-Dunant, entouré de quatre camarades de classe de Mahboubeh Moghadam ; Sonia Arena ; Jessica Fux ; Olivia Perrenoud et Eliane Praplan.

Les pétitionnaires remettent un dossier contenant des signatures supplémentaires dans le cadre de la pétition contre l'expulsion définitive de Suisse de la famille iranienne Moghadam-Panah.

Les camarades de classe font part à la commission, à travers la lecture d'une lettre (annexée au procès-verbal), de l'émotion qui les étreint et de l'injustice que constitue ce renvoi, « ce d'autant que Mahboubeh est parfaitement intégrée dans le contexte où elle évolue ».

M. Sbrissa, qui s'occupe de Mohamad Reza, troisième enfant des Moghadam, âgé de 13 ans, évoque l'émotion qui a régné au sein du quartier. Il parle même de tristesse, voire de souffrance. La question sur toutes les lèvres était de savoir ce que l'on pourrait bien entreprendre pour éviter que cette mesure ne prenne réellement son effet. Cela étant, l'accent est mis sur le fait que la famille en question est parfaitement bien intégrée à Genève. Ainsi, il en ressort que tant Morteza, 11 ans, que Mohamad Reza, 13 ans, Mahboubeh, 18 ans et Mona Sadat, 19 ans, sont parfaitement insérés dans le contexte genevois. En effet, pour M. Sbrissa le problème majeur consiste à redouter un échec quant à la reconstruction de leurs individualités respectives lorsque la famille Moghadam sera de retour en Iran. Pour preuve, le cadet ayant passé la majorité de sa vie en Suisse, le retour dans son pays constitue sans conteste un traumatisme très important ; il en va de même pour l'aînée, en train de forger son devenir d'adulte à Genève, et qui risque d'être confrontée à des difficultés d'adaptation sur sa terre d'origine.

A la suite des informations données par Mme von Allmen, il apparaît que Mme Nayereh Moghadam est arrivée en Suisse en novembre 1990, accompagnée de ses quatre enfants. Elle précise qu'elle était séparée de son mari, Hady Moghadam, ce dernier vivant dans la clandestinité. Six mois plus tard, soit en juin 1991, ce père de famille rejoignait pourtant ses proches et à partir de 1991, tous ses membres ont exprimé le désir et la volonté de reconstruire la cellule familiale et de tisser des liens avec l'extérieur.

En octobre 1993, la demande d'asile était rejetée par l'Office fédéral des réfugiés, signant ainsi le retour en Iran de ces six personnes. Il a été décidé de déposer un recours, resté sans réponse jusqu'au 22 décembre 1998. Cinq ans de silence se sont donc écoulés entre le rejet de la demande d'asile et le refus, au final, d'accorder l'asile à cette famille. Mme von Allmen explique que, lorsque l'on a affaire à une situation où la procédure traîne tellement en longueur, le canton peut demander un permis humanitaire. Or, dans le cas d'espèce, une telle démarche n'a pas été entreprise, pour la raison que M. Moghadham, chauffeur de poids lourds, ayant perdu (au même titre que d'autres) son emploi dans le cadre d'un licenciement technique, la demande n'était pas possible. Il n'a malheureusement pas retrouvé de travail depuis lors et s'est retrouvé au chômage. Voilà pourquoi ce permis spécifique n'a pu être invoqué, la procédure se clôturant ainsi sans que l'on se soucie le moins du monde de savoir ce qu'il adviendrait précisément de la situation des enfants.

Dans sa réponse, la Commission de recours du mois de décembre 1998 se déclare « consciente que la famille Moghadam, et plus particulièrement les enfants, se sont bien implantés dans leur pays d'accueil », mais invoque « les conditions minimales pour une vie humainement décente en Iran sont relevées en l'espèce ». Il semble que, fondamentalement, la décision est motivée par le fait que les parents sont au bénéfice d'une bonne formation professionnelle et qu'ils sont encore assez jeunes pour élever leurs enfants. Tout en précisant que les enfants ont reçu une éducation laïque, Mme von Allmen évoque l'obligation pour les jeunes filles de porter le voile et plus généralement la loi islamique en vigueur dans ce pays et les perspectives éventuelles d'emprisonnement, voire de flagellation à laquelle ces personnes pourraient être soumises si elles retournaient dans leur terre d'origine.

Ces affirmations sont plausibles car bien qu'à leur arrivée en Iran il ne devrait, en principe, rien se passer, surtout si l'on tient compte du fait que les autorités iraniennes sont actuellement désireuses de conserver de bonnes relations avec le monde occidental, cependant, on ne peut exclure d'emblée le risque d'une éventuelle arrestation. En d'autres termes, « c'est l'inconnue ». Selon les indications fournies par Mme von Allmen, M. Moghadam, militaire de carrière, a fait de la prison à plusieurs reprises dans son pays et Madame a fait l'objet de flagellations parce qu'elle avait couvert son mari.

En réponse à une série de questions des commissaires, Mme von Allmen indique qu'une des difficultés de ce dossier réside dans le fait qu'au sens juridique strict, il est tout sauf évident de faire des pronostics quant à la solution qui sera proposée. Les voies légales traditionnelles n'existant pas l'intervention du canton est impérative, répète-t-elle en conclusion.

M. Duchosal informe la commission de la mobilisation que cette affaire a suscitée dans son établissement. Il parle, à cet égard, d'un incroyable effet « boule de neige ». Ainsi, en date du 26 janvier, le texte fut élaboré et quatre jours après, on était déjà en possession de 1000 signatures, puis de 1700 en date du 6 février. On voit bien à quel point tout est allé très vite, la preuve d'un engagement extrêmement significatif. « Les jeunes nous relancent » explique-t-il à l'appui. « On attend une décision avec impatience ».

Deuxième audition

Audition de M. Bernard Ducrest, adjoint de direction à l'Office cantonal de la population.

Ducrest informe la commission qu'en matière d'asile, les autorités cantonales ont une marge de manoeuvre réduite. Ainsi, lorsqu'on se trouve devant un rejet, la procédure se résume à organiser le retour dans le pays d'origine. Dans le cas présent, il énonce clairement que l'on fait face à une situation très délicate, dans la mesure où elle n'a guère d'issue par rapport à la loi.

Le contexte, en deux mots, est le suivant : il est impossible d'entrer en matière sur une demande de permis de séjour car cette famille a été déboutée. M. Ducrest explique immédiatement qu'en phase d'exécution du processus, il a personnellement reçu la famille Moghadam et il admet que leur cas est particulièrement problématique, pour ce qui a trait, principalement, aux enfants. La situation des deux aînées, interpelle M. Ducrest. Il se voit mal, faire du « forcing » pour obtenir le départ de ces deux jeunes filles qui en l'occurrence sont bien intégrées. Et de citer, pour l'anecdote, le « piercing » que porte l'aînée au nez ! « Dans le cas présent, résume-t-il, le renvoi n'est pas raisonnablement exigible. »

En réponse aux diverses questions posées par les commissaires, M. Ducrest indique qu'une porte pourrait s'ouvrir par le truchement, démarche politique consistant à demander la possibilité d'entrer en matière sur un permis humanitaire, car la jurisprudence du TF en la matière, et concrètement les textes lui laissent à penser que, dans le dossier qui occupe la commission aujourd'hui, les conditions sont réunies. C'est ainsi que le CE pourrait interjeter une demande de permis humanitaire à Berne, ce qui aurait pour effet d'aboutir à l'obtention d'un permis « B », puis, ultérieurement, à une naturalisation si tel est leur désir.

Face à de tels cas de lenteur concernant la procédure, M. Ducrest fait ressortir que ce sont ces lenteurs fédérales légendaires qui bloquent toute possibilité de travailler dans de bonnes conditions. De tels procédés ont pour conséquence que ce soient les cantons qui doivent se débattre au milieu de situations inextricables.« Ce n'est plus possible de travailler comme cela », conclut-il.

Discussion et vote

Lors de la discussion, il apparaît que l'ensemble des commissaires sont acquis au renvoi de cette pétition au CE. Les commissaires trouvent tout à fait choquant que la procédure de recours de la famille ait duré cinq ans. On ne peut que s'insurger et s'indigner de ces années de silence, qui ont acculé cette famille à une attente s'assimilant dans la logique à une acceptation de leur demande.

D'autre part, M. Moghadam, étant chauffeur de poids lourds et n'étant pas en possession d'un titre de séjour qui lui permettrait de se déplacer au-delà de la frontière, la possibilité de retrouver un emploi s'avère très difficile.

Certains commissaires ont émis le souhait que M. Moghadam puisse retrouver un emploi en bénéficiant d'une assistance lors de ses recherches ou, le cas échéant, d'une nouvelle formation.

Considérant la difficile condition des femmes là où la loi se fait inhumaine, la nécessité de protéger ces enfants, le degré d'intégration de cette famille, l'abrupte et inhumaine décision des autorités, la commission se prononce à l'unanimité (2 AdG, 2 L, 1 R, 1 DC, 2 S, 2 Ve) pour que la pétition soit renvoyée au Conseil d'Etat.

Nous vous proposons donc, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre les mêmes conclusions.

ANNEXE 1

CSP/ FvA, 19.04.99

Genève, le 16 avril 1999

Nous, élèves de la classe 117 première année de l'ECG Henry-Dunant, sommes choquées par la décision de renvoi dans son pays de notre camarade et amie Mahboubeh. Nous trouvons injuste pour Mahboubeh d'être renvoyée subitement après avoir vécu pendant neuf ans à Genève.

En effet, ces neuf années passées ici, parmi nous, représente plus de la moitié de sa vie et de ses souvenirs. C'est ici qu'elle a ses amis, qu'elle a commencé une formation qu'elle n'a aucune chance de poursuivre en Iran.

Confrontée à une mesure si inhumaine, Mahboubeh de nature joyeuse a été bouleversée. Pourtant malgré sa détresse, Mahboubeh se montre très courageuse, car il reste quand même dans son coeur une parcelle d'espoir : elle ne peut pas croire à l'exécution de ce renvoi et nous non plus.

Nous refusons de nous passer d'elle, et nous demandons instamment l'annulation de ce renvoi.

Elèves de la classe 117

ANNEXE 2

10

Débat

M. Alberto Velasco (S), rapporteur. On se trouve devant un cas, comme le confirmait M. Bernard Ducrest, qui n'est pas unique dans le canton. Il concerne la famille Moghadam-Panah, résidant à Genève depuis novembre 1990 avec ses quatre enfants scolarisés.

La chronologie est la suivante. En 1990, cette famille arrive chez nous et demande l'asile. La demande est rejetée en 1993 et la famille dépose un recours. Ce recours est rejeté en décembre 1998. Une pétition de 2 275 signatures est déposée à notre Grand Conseil le 3 mai 1999, ainsi qu'une prise de position des élèves de la classe 117 de l'ECG Henry-Dunant.

Après huit ans passés à Genève, cette famille se voit refuser le droit d'asile. Un permis humanitaire n'a pas pu lui être octroyé, vu que M. Moghadam s'est retrouvé au chômage, la famille bénéficiant du RMCAS.

Au-delà du problème qui se pose à cette famille, il est inadmissible que l'on ait attendu cinq ans pour lui annoncer que son recours était rejeté.

L'ensemble de la commission s'est prononcée à l'unanimité pour renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. 

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition au Conseil d'Etat) sont adoptées. 

La séance est levée à 16 h 40.