République et canton de Genève

Grand Conseil

GR 144-1
a) Mme B. A.-M.( -)GR144
Rapport de Mme Erica Deuber-Pauli (AG), commission de grâce
GR 145-1
b) M. D. F.( -)GR145
Rapport de Mme Janine Berberat (L), commission de grâce
GR 146-1
c) M. D. S. M.( -)GR146
Rapport de M. Nicolas Brunschwig (L), commission de grâce
GR 147-1
d) M. M. R.( -)GR147
Rapport de M. Michel Balestra (L), commission de grâce

9. Rapports de la commission de grâce chargée d'étudier les dossiers des personnes suivantes :

Mme B. A.-M. , 1959, France, secrétaire, recourt contre le solde de la peine d'emprisonnement.

Mme Erica Deuber-Pauli (AdG), rapporteuse. Mme B. A.-M. est née en 1959; elle a donc 37 ans. Elle est française et réside à Ferney-Voltaire. Elle est employée comme secrétaire dans l'entreprise DISACO et est célibataire. Elle gagne actuellement 13 000 FF par mois.

Elle a été condamnée le 5 avril 1995 pour abus de confiance au détriment de Laminor SA, son employeur. Elle s'est en fait servie dans la caisse; après avoir encaissé une certaine somme, elle en a prélevé 10 000 F pour acquitter une dette personnelle.

Mme B. A.-M. a été libérée d'autres chefs d'inculpation, notamment de celui d'escroquerie commise aux dépens des CFF, en empruntant la carte de crédit d'une amie non couverte pour un billet de train Genève/Paris.

La peine infligée a été de deux mois d'emprisonnement dont sept jours en préventive et cinq ans d'expulsion du territoire suisse. Mme B. A.-M. travaille dans les milieux de la voyance et de l'astrologie. Elle n'en est pas à sa première condamnation. Ses antécédents sont assez lourds : plusieurs condamnations du Tribunal de grande instance de Lyon. En 1985, elle a écopé de trois ans de prison et en 1987 d'une année, pour escroqueries, usage frauduleux de faux nom ou de fausse qualité. En 1990, elle a été inculpée de vol, de contrefaçon et de falsification de chèque, de faux et d'usage de faux en écriture. Une peine de quatre ans lui a alors été infligée.

Le préavis du procureur est négatif. Aucun motif valable ou inconvénient majeur ne sont invoqués. Elle recourt contre le solde de la peine d'emprisonnement et contre la peine d'expulsion en arguant, notamment, la nécessité pour elle de se rendre en Suisse pour les secours qu'elle apporte à un certain nombre de personnes.

A l'unanimité, la commission vous propose le rejet de ce recours, et je vous suggère de vous rallier à ce préavis.

Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.

M. D. F. , 1955, Tunisie, maître de sport, ne recourt que contre le solde de la peine d'expulsion judiciaire.

Mme Janine Berberat (L), rapporteuse. M. D. F. est né le 5 août 1955. Originaire de Tunisie, il est maître de sport dans la ville de Freiburg-en-Brisgau, où il vit avec sa femme et ses deux fillettes, âgées respectivement de cinq ans et un an et demi.

Il a été condamné pour bigamie le 31 octobre 1994 à trois mois d'emprisonnement ferme, dont dix-neuf jours subis et cinq ans d'expulsion du territoire, et le 28 juin 1996 pour rupture de ban à dix jours d'emprisonnement ferme dont un jour subi.

Il recourt contre le solde de la peine d'expulsion judiciaire, qui prendra fin le 24 mars 2004.

Le 16 avril 1991, M. D. F. prend pour épouse une ressortissante genevoise, dont il a fait connaissance à son arrivée à Genève, deux mois auparavant. Il s'est présenté à elle et à l'officier d'état civil comme étant célibataire. Très vite, Mme D. a des doutes et se demande si son mariage n'est pas plus un alibi pour une autorisation de séjour en Suisse qu'une réelle construction de vie à deux.

Des documents trouvés dans les affaires personnelles de son mari et une enquête effectuée par un privé en juillet 1992 lui révéleront que M. D. F. n'était pas aussi célibataire qu'il le prétendait le jour du mariage !

En effet, il s'est déjà marié deux fois en Allemagne. La première fois en 1986, suivie, peu après, d'un divorce. Depuis 1988, il est l'époux de Mme A. D. C., sa femme actuelle, mère de ses deux enfants, dont le premier est né, précisément, six mois après son mariage en Suisse.

Le 21 juillet 1992, plainte est déposée par l'épouse suisse pour bigamie, ainsi qu'une demande d'annulation en mariage. Un premier jugement est prononcé par défaut, le 2 février 1993, par le Tribunal de police et M. D. F. est condamné à six mois d'emprisonnement ferme et à sept ans d'expulsion. Il recourt plusieurs fois contre ce jugement, définitivement confirmé le 31 octobre 1994 par la Chambre pénale.

Tous les chefs d'accusation sont retenus, mais la peine est réduite à trois mois fermes et cinq ans d'expulsion. Dans les faits, M. D. F. ne conteste pas son mariage allemand, mais dit avoir déposé, le 10 octobre 1990, à Bizerte, sa ville d'origine, une requête en divorce restée sans réponse. Ce n'est qu'en octobre 1992, après deux autres demandes déposées alors qu'il est marié en Suisse depuis un an et demi, qu'il se retrouvera légalement monogame.

Si on peut admettre que les méandres administratifs d'un divorce se compliquent d'autant plus qu'il y a une mer à traverser et une autre culture à respecter...

(Le président tente de faire cesser les discussions.) Les messieurs ne sont pas intéressés, ce que je comprends, car en Suisse la bigamie n'est pas autorisée !

...pour la justice genevoise, rien n'interdisait à M. D. F. de jouer franc-jeu avec son épouse suisse et de patienter un peu, afin de respecter les lois en vigueur dans notre pays.

D'autre part, il a fallu tenir compte de ses antécédents judiciaires en Allemagne dont une peine d'emprisonnement de deux ans, terminée moins de cinq ans avant le mariage litigieux, ce qui explique la sévérité du jugement et l'absence de sursis.

Dès l'annulation de son mariage suisse, M. D. F. est retourné vivre en Allemagne où son divorce d'avec C. A. a été rétracté, et une deuxième petite fille est née.

Le 28 juin 1996, M. D. F. vient à Genève, pensant que l'expulsion judiciaire n'est plus en vigueur, alors même qu'il n'a répondu à aucune des trois convocations pour effectuer sa peine. Il est aussitôt arrêté et condamné à dix jours d'emprisonnement pour rupture de ban.

Le 18 juillet 1996, il dépose conjointement une demande d'ordonnance d'interruption de peine et un recours en grâce pour l'expulsion judiciaire. L'ordonnance d'interruption de peine est accordée le 22 juillet par le procureur général pour le motif suivant : M. D. F. a un contrat jusqu'au 31 décembre 1997. Il est entraîneur d'une équipe de football du Freiburg FC et de différentes formations juniors. Son absence entraînerait automatiquement la perte de son emploi. Il lui est donc proposé de subir sa peine à raison d'un mois, du 15 décembre 1996 au 15 janvier 1997, puis un autre mois aux mêmes dates l'année suivante. Il doit également déposer une garantie de 10 000 DM.

Le Grand Conseil doit se prononcer aujourd'hui sur la mesure d'expulsion. Pour la majorité des commissaires, l'ordonnance d'interruption tient déjà bien compte des intérêts de M. D. F. en lui réaménageant une peine selon son confort. Entrer en matière pour un nouveau recours, alors qu'il n'a pas encore exécuté son premier acompte paraît prématuré.

De plus, il faut noter qu'aucune attache ne le retient en Suisse. La commission vous propose donc le rejet de ce recours et le procureur général également.

Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.

M. D. S. M. , 1960, Italie, monteur-électricien, recourt pour une réduction de huit mois de la peine initiale.

M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur. M. D. S. M. est né en 1960. Originaire d'Italie, il est monteur-électricien de profession. Il est marié et père d'une fille de 8 ans, née d'un premier mariage.

Sa situation pécuniaire n'est pas très claire, et il a été condamné pour infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants pour un trafic portant sur 159 kilos de hachisch.

La peine infligée était initialement de trente-six mois et diminuée, suite à un recours, à vingt-quatre mois. Un deuxième recours a suivi ce jugement, mais le Tribunal fédéral a confirmé celui-ci.

M. D. S. M. a de nombreux antécédents judiciaires, certes de gravité moins importante que le cas qui nous occupe. Le préavis du procureur général est négatif.

L'argumentation de M. D. S. M. repose sur le fait qu'il a une activité d'indépendant et que son entreprise rencontre des difficultés lorsqu'il est incarcéré. Cela occasionne des effets néfastes pour lui, mais aussi pour sa famille, bien évidemment.

Cependant, la commission a estimé que ce motif n'était, de loin, pas de nature à justifier une réduction de peine, vu l'importance de la sanction. La commission de grâce vous propose donc le rejet de ce recours en grâce.

Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.

M. M. R. , 1939, Etats-Unis d'Amérique, médecin, recourt contre le solde de la peine de réclusion, voire une réduction de la peine initiale.

3e recours en grâce

M. Michel Balestra (L), rapporteur. Trois demandes de grâce ont été déposées par un homme au destin hors du commun : condamné à Genève, mais recevant des distinctions aux Etats-Unis. Critiqué dans notre canton, mais faisant autorité en Ex-Yougoslavie - pays pourtant lésé par ses escroqueries pour lesquelles il a été jugé - et recevant des excuses publiques et par écrit d'anciens ministres yougoslaves qui lui rendent hommage pour l'aide apportée à l'évolution de la médecine dans leur pays, ces dernières années, et pour avoir cédé les droits d'un de ses livres à la Croix-Rouge. Considéré comme un génie de l'oncologie par la majorité des patients qu'il a soignés ou auxquels il a apporté un confort de vie que personne d'autre ne parvenait à offrir, et qui ont témoigné au procès ou écrit à la commission. Qualifié d'opportuniste ambitieux et manipulateur par ses détracteurs. Tout, absolument tout dans la perception de ceux qui l'ont côtoyé, est excessif.

Mesdames et Messieurs les députés, en préambule, la commission de grâce, malgré les avis tranchés des commissaires sur ce dossier, a refusé de revenir sur le procès, le délit, les qualités et les défauts de l'homme. Elle n'a pas souhaité dramatiser ou politiser ce dossier.

En revanche, elle a accepté d'analyser sereinement les conditions de détention et d'exécution de peine. Le condamné doit purger une peine de quatre ans, tout le monde en est convaincu. Il a effectué la totalité de sa demi-peine en avril passé. S'il n'avait pas été expulsé, il aurait pu - comme les autres détenus - bénéficier de la semi-liberté.

La commission de grâce avait refusé le premier recours, pensant qu'à la demi-peine le condamné bénéficierait de cette semi-liberté. Il ne convenait donc pas de revenir sur ce cas, et cette demande avait été vigoureusement rejetée. Mais, le détenu ayant été condamné à une expulsion de dix ans du territoire de la Confédération, la semi-liberté n'a pas été accordée à la demi-peine.

Pour les condamnés expulsés, la semi-liberté peut être accordée une fois les 7/12 de la peine effectués. Le condamné a atteint ce pourcentage au mois d'août 1996, mais la semi-liberté lui a été refusée, notamment parce qu'il n'a pas purgé sa peine dans un établissement idoine du fait d'une maladie cardiaque qui nécessite aujourd'hui une intervention chirurgicale majeure. Sa capacité au travail n'a donc pas pu être évaluée dans un pénitencier, comme celle de tous les autres candidats à la semi-liberté.

Le condamné se trouve donc dans la situation suivante : il ne peut pas bénéficier de la semi-liberté du fait de sa maladie qui ne permet pas son placement dans un établissement idoine. Et il ne peut pas soigner sa maladie dans les meilleures conditions, parce qu'il se voit refuser la semi-liberté.

Mesdames et Messieurs les députés, ce détenu a donc déjà purgé cinq mois de prison ferme de plus qu'un autre détenu, sans avoir eu droit à l'aménagement usuel de la peine. La commission a été sensible à la nécessité de respecter une certaine égalité de traitement dans l'application des peines pour des détenus ne présentant pas de danger réel pour la société. La prison n'est pas une finalité. Elle doit permettre de protéger la société, de faire payer la dette, mais aussi - et surtout - de permettre une réinsertion harmonieuse du condamné.

Formulée abruptement, la seule question à laquelle notre Conseil doit répondre est la suivante : un condamné à quarante-huit mois de prison pour escroquerie avec circonstances atténuantes qui ne présente pas de danger pour la société doit-il, s'il est malade et de nationalité américaine, faire neuf mois de prison ferme de plus qu'un condamné pour le même délit, suisse et en bonne santé ?

Suite à ces réflexions, la majorité de la commission, souhaitant une égalité de traitement dans l'application de la peine, vous propose donc de fixer la peine à quarante-quatre mois et demi, au lieu des quarante-huit prévus par les juges. De cette manière, les conditions d'octroi étant remplies, la liberté conditionnelle pourra lui être accordée. Le condamné bénéficiera de la libération conditionnelle - plus de six mois après la prison ferme nécessaire à une semi-liberté normale - et affrontera dans des conditions physiques et psychologiques optimales une nouvelle épreuve du destin : la préparation à une intervention chirurgicale majeure.

La commission vous propose donc à la majorité, et contrairement au préavis du pouvoir judiciaire, de diminuer la peine de quarante-huit mois à quarante-quatre mois et demi.

M. Bénédict Fontanet (PDC). J'ai pris acte du rapport intéressant de M. Balestra, mais je me sens interpellé par la question d'égalité de traitement évoquée, notamment lors de l'examen du dossier T. dans cette enceinte. En matière de semi-liberté, tout le monde n'est pas traité de la même manière selon que l'on réside ou non en Suisse, ou que l'on soit suisse ou non. Mais qu'en est-il pour les autres condamnés qui seraient de nationalité étrangère et résidant à l'étranger ?

En octroyant la grâce de cette façon-là à M. M. R., serions-nous tenus ensuite de le faire de façon systématique dans les mêmes circonstances ? La commission a-t-elle examiné cette question ? J'ai des doutes au sujet de l'aspect médical, car je relève que lors de sa mise en liberté provisoire, il y a une dizaine d'années, M. M. R. était mourant. Cela ne l'a pas empêché de s'enfuir aux Etats-Unis et d'y vivre très bien de nombreuses années ! Mais la problématique de l'égalité de traitement m'interpelle beaucoup plus.

M. Michel Balestra (L), rapporteur. La lettre que la SAPEM avait envoyée à M. M. R. pour refuser la semi-liberté fixait clairement les conditions pour une personne expulsée : «Ainsi un congé, et a fortiori la semi-liberté, ne peut être octroyé avant les 7/12 de la peine à un condamné expulsé primaire. Votre requête est dès lors prématurée au moins pour ce seul motif, puisque vous n'atteindrez cette période que le 20 août 1996.»

Or cette date est dépassée. La possibilité d'obtenir la semi-liberté malgré l'expulsion est atteinte, mais l'évaluation de la qualité au travail et les conditions requises dans l'établissement pénitentiaire idoine ne sont pas réunies, c'est pour cela que la commission a pensé qu'il y avait inégalité de traitement, lorsque l'on est étranger et malade plutôt que suisse et en bonne santé.

M. Claude Blanc (PDC). M. M. R. a d'abord profité de sa qualité de citoyen américain pour tenter d'échapper totalement à la justice de notre pays. Mais à la suite d'une imprudence ou d'une sous-estimation de la vigilance des policiers allemands, il a été rattrapé par notre justice et obligé de purger sa peine.

Il a donc profité de sa qualité d'étranger à l'étranger pour ne pas être extradé des Etats-Unis et pour se plaindre, ensuite, d'être plus maltraité que les citoyens du pays en sa qualité d'étranger ! Il a joué, il a perdu. Qu'il paie !

M. Michel Balestra (L), rapporteur. Je regrette que nous retombions dans les psychodrames immanquablement suscités par la personnalité du détenu, alors que je vous avais demandé d'évaluer la peine. Je répète que les 7/12 ont été dépassés et que le détenu a déjà purgé d'une façon ferme et en prison six mois de plus qu'un Suisse.

Mis aux voix, le préavis de la commission (réduction de la peine d'emprisonnement à quarante-quatre mois et demi; expulsion maintenue) est rejeté.