République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1013-A
14. Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition concernant Ridwan Dogru. ( -)P1013
Rapport de Mme Janine Hagmann (L), commission des pétitions

Le 18 novembre 1993, le Grand Conseil a reçu une pétition signée de M. Trachsel, représentant les établissements Trachsel, dont voici le texte:

PÉTITION

Affaire Dogru

Monsieur le président,

Nous vous remettons sous ce pli une coupure de journal concernant une affaire dont vous avez eu à vous occuper, celle de M. Dogru Ridwan, indiqué comme apatride de Crimée, condamné à dix ans d'expulsion, gracié par votre Haute Autorité, autorisé à séjouner dans notre pays et à y travailler.

A la suite d'une annonce d'offre d'emploi que nous avons fait paraître, nous avons engagé cette personne, en juillet 1992, un peu rapidement, par nécessité et tout semblait aller bien, au début. Très rapidement, elle nous a offert de reprendre l'entreprise, ce que nous cherchions effectivement, en faisant état de multiples contacts, en particulier fi nanciers, dans de nombreux pays! Nous ne l'avons pas prise au sérieux, mais elle a tellement insisté, tous les jours, que nous avons fini par nous dire, après, tout, cela pourrait être vrai et nous avons signé avec elle un accord préalable, stipulant que rien ne pouvait être fait avant le versement initial prévu par elle-même!

Cela a marqué le début d'ennuis de toutes sortes, car, contrairement à ce qui était prévu, M. Dogru a engagé illicitement du personnel, pris des contacts avec des fournisseurs, fait des propositions «abracadabrantes» et irréalisables à nos clients, qui nous connaissent depuis plus de quarante ans et apprécient notre matériel, sur du papier à lettre photocopié.

Dès que nous avons eu connaissance de ces faits, nous avons eu un entretien avec M. Dogru, et avons fait des réserves sur notre accord, car nous y croyions encore, il avait engagé un directeur, qui devait participer avec un montant important et nous avait présenté quelques financiers!!!

Sans y être pour rien, nous avions été confrontés à de multiples problèmes depuis neuf mois et, en plus, nous avons constaté que les travaux qu'il nous avait indiqué comme exécutés, ne l'étaient pas en réalité, ce qui signifie que nous l'avons payé pour rien et que nous devons les refaire.

Cela nous amène à nous demander si la grande clémence dont vous avez fait preuve était bien justifiée, car nous nous sommes basés là-dessus et l'administration qui délivre les autorisations, consultée, Contrôle de l'habitant, n'a fait aucune réserve.

Ce n'est que plus tard que nous avons appris que M. Dogru avait un dossier assez éloquent pour justifier son expulsion, qu'une autorisation ne lui avait été accordée que pour n'être plus à la charge de l'Hospice général et l'on nous a demandé finalement de déposer plainte contre lui. Naturellement que si nous avions été renseignés plus tôt, nous n'aurions rien traité avec ce personnage.

En tant que citoyen suisse, de vieille souche, le soussigné aimerait profiter de l'occasion pour vous exposer d'autres problèmes sans doute au moins aussi intéressants concernant notre entreprise, étant donné qu'il est beaucoup question en ce moment d'industrie, d'économie, d'énergie et autres:

1. Depuis 1981, en plus, nous avons eu des ennuis avec du personnel étranger à plusieurs reprises, liés au fait que nous avons eu à faire face à des exigences administratives, non uniformes, sans rapport avec la réalité et accompagné de faits curieux. Ce qui nous a mis depuis dans une situation intolérable et inadmissible, avec, en prime, de graves ennuis de santé.

2. Lorsque nous avons eu l'occasion de remettre l'entreprise, il y a quelques années, à des frontaliers, il nous a été spécifié que ces derniers ne pouvaient acquérir plus de 40% du capital à deux, alors qu'ils ont pu monter une société anonyme, ce qui n'est pas un cas isolé.

3. Plus en arrière, puisqu'il s'agit de la période de la Deuxième Guerre mondiale, le soussigné a assuré, comme seul décideur, de combler le déficit d'approvisionnement de l'Hôpital cantonal, 7000 tonnes par an, plus gros consommateur du canton et prioritaire à notre avis, après le refus du département de l'énergie, de toute attribution supplémentaire, au détriment de ses intérêts, car il aurait eu la possibilité et le droit d'écouler cette marchandise sur le marché parallèle à de tout autres conditions, ceci grâce à des efforts assez exceptionnels, il n'est pas exagéré de le dire.

De même, l'approvisionnement normal de 75% des boulangers de la place, qui n'était pas assuré.

Plus le fonctionnement de nombreuses entreprises industrielles et commerciales de la place et à l'extérieur, grâce à une idée originale qui a toujours cours.

Peut-être tout cela n'est-il pas tout à fait clair, mais l'ensemble du sujet est assez difficile à expliquer, c'est pourquoi nous restons à votre disposition si nécessaire. Il y a encore d'autres aspects qui ont été laissés volontairement de côté, pour ne pas trop allonger.

Veuillez recevoir, Monsieur le président, nos sincères salutations.

N.B.: 1 signature

Etablissements Trachsel

11, route des Acacias

1211 Genève 24

Les travaux de la commission

La commission des pétitions présidée par M. Bernard Lescaze décide de traiter cette pétition le 13 décembre 1993 bien que, malgré son titre, elle ne ressemble en rien aux pétitions habituelles.

Il semble qu'il s'agit plus d'une malheureuse affaire d'escroquerie relatée longuement par la presse en automne 1993. D'une part, M. Trachsel cherche à faire partager son amertume et sa déception, d'autre part, il a été soulagé par l'attention de la commission.

Déroulement des faits

M. Ridwan Dogru né le 10 décembre 1946, ressortissant turc, est entré illégalement en Suisse et y a commis plusieurs délits. Il est connu du département de justice et police et des transports dès 1983.

Après moult épisodes qui lui valent une interdiction d'entrée en Suisse du 27 janvier 1984 au 27 janvier 1989 et plusieurs refus d'asile de différents pays européens, il est condamné le 14 avril 1986 par la Cour correctionnelle de Genève à 20 mois d'emprisonnement et 10 ans d'expulsion.

Libéré le 31 octobre 1986 avec un délai d'épreuve, mais malgré le maintien de la peine d'expulsion, il revient illégalement en Suisse.

Le 12 mars 1992, sur préavis de la commission de grâce, le Grand Conseil lui accorde la remise du solde de sa peine. A la même époque, sa demande d'asile est rejetée. Il obtient cependant une tolérance de séjour, à défaut de papiers d'identité.

En juillet 1992, M. Dogru est engagé, avec l'accord de l'office cantonal de la population dans les établissements Trachsel, en tant que «technicien-dépanneur». Donnant satisfaction à son employeur, qui a 76 ans, il agit de manière très rusée et arrive à lui faire croire qu'il a des appuis financiers.

Il lui propose de racheter son entreprise en lui promettant des versements qui n'arrivent jamais.

Il engage, sans y être autorisé, du personnel, qui, faute d'avoir été réellement engagé, s'adresse au Tribunal des prud'hommes et crée beaucoup d'ennuis financiers et de torts moraux à M. Trachsel.

Après différents faux dans les titres et escroquerie, il est enfin arrêté en avril 1993 et fait 28 jours de prison.

Refoulé vers la Turquie le 21 mai 1993, M. Dogru revient en Suisse en septembre 1993.

Arrêté le 1er novembre 1993, il est en ce moment à Champ-Dollon.

Auditions

La commission a entendu

- le lundi 20 décembre 1993 M. Trachsel pétitionnaire, qui s'est présenté avec son épouse, M. Jean-Pierre Ott, directeur technique de l'Hôtel Intercontinental, et M. Gard, ami de la famille.

Lors de son audition, M. Trachsel a précisé qu'il souhaitait attirer l'attention des autorités concernées pour que M. Dogru ne s'installe pas en Suisse et qu'il ne puisse plus profiter des gens âgés et un peu faibles. Il a longuement raconté la manière dont il s'est fait abuser par M. Dogru qui, en parfait escroc, donnait une impression d'honnêteté. Il a fourni à la commission une abondante documentation sur cette affaire.

Le montant des dommages qu'il a subis est élevé et il a même été condamné à verser une somme à l'un des employés engagés par M. Dogru. Quant à sa réputation de commerçant auprès de ses partenaires, elle s'en est trouvée fortement altérée.

Il a beaucoup de peine, vu son âge, à traverser ces moments difficiles.

- Le lundi 24 janvier 1994, M. Félix Goetz, directeur de l'office cantonal de la population.

M. Goetz a corroboré les faits cités plus haut. Il a expliqué avec précision le cursus de M. Dogru. Du fait que M. Dogru n'avait pas de papier, il était difficile de le refouler. L'office cantonal de la population l'a autorisé à exercer temporairement une activité lucrative afin qu'il ne soit pas à la charge de la collectivité publique. Un permis de travail a effectivement été délivré, malgré les antécédents de M. Dogru, l'aspect humanitaire ayant été pris en compte. M. Goetz a pu établir que M. Dogru n'était pas apatride mais vraiment turc seulement en octobre 1993, date de la réception de son acte de naissance en provenance du Consulat de Turquie.

A ce moment-là de nombreux délits avaient déjà été commis.

M. Dogru est bel et bien un escroc de haut vol qui, même en prison, a essayé d'obtenir de meilleures conditions de détention en promettant 12 000 F à un autre détenu.

Le juge Trembley a demandé une prolongation de détention. Il va faire passer sur le plan pénal le dossier qui est aux mains des Prud'hommes.

Discussion

Dans ce dossier où politiciens, fonctionnaires, journalistes, employeurs ou militants de causes humanitaires ont été abusés, la commission des pétitions ne peut qu'éprouver de la compassion à l'endroit de M. Trachsel.

La suite de cette affaire est du ressort de la Justice.

C'est pourquoi la commission propose de conclure au dépôt de la pétition à titre de renseignement sur le bureau du Grand Conseil.

Vote

Unanimité des 14 membres présents.

Mises aux voix, les conclusions de la commission (dépôt sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.