République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 12284-A
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Alberto Velasco, Nicole Valiquer Grecuccio, Christian Frey, Jocelyne Haller, Irène Buche modifiant la loi sur les indemnités et les aides financières (LIAF) (D 1 11) (Fin des faveurs et servitudes pour les élus)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 11 et 12 mai 2020.
Rapport de majorité de M. Jean-Marc Guinchard (PDC)
Rapport de minorité de Mme Helena Verissimo de Freitas (S)

Premier débat

Le président. Nous poursuivons avec le PL 12284-A qui est classé en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité est de M. Jean-Marc Guinchard, à qui je passe la parole.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le traitement du projet de loi 12284 et l'audition de l'Association des communes genevoises ont mis en avant deux problèmes qui, au final, se sont révélés des obstacles incontournables.

En premier lieu, il y a le fait de modifier une loi cantonale, la LIAF, dont l'application et les conséquences n'impliquent en principe que le canton, à l'exclusion des communes. La disposition proposée imposerait aux communes genevoises, pourtant non concernées, une obligation nouvelle et non constitutionnelle particulièrement difficile à appliquer dans les faits. Certes, celles-ci n'ont que peu de compétences, contrairement à la situation prévalant dans les autres cantons, mais faut-il réellement les soumettre à une nouvelle obligation alors que l'audition de l'ACG a clairement démontré qu'elles étaient opposées à ce texte ? A cet égard, la majorité de la commission a estimé que la situation du canton et de la Ville de Genève ne devait pas forcément constituer la seule référence en matière de servitudes ou d'avantages pour les élus.

Le second écueil est plus politique: le PS ayant refusé d'étendre l'interdiction des cadeaux aux députés dans le cadre du projet de loi visant à les limiter pour les conseillers d'Etat, comment justifier cette différence de traitement ? Selon la gauche de notre Grand Conseil, cette position serait légitimée par le fait que les conseillers d'Etat sont des professionnels tandis que les députés, eux, sont des miliciens. Or cet argument ne résiste pas à une analyse critique: un député dispose d'un certain pouvoir, limité certes, mais non négligeable compte tenu des groupes de pression qu'il représente à droite, au centre ou à gauche de notre parlement.

De plus, toujours selon l'ACG, les dons visés par ce projet représentent des montants financiers modestes, peu susceptibles de corrompre des députés, conseillers administratifs ou municipaux: ces derniers sont généralement invités à assister à des spectacles culturels ou à des manifestations sportives que leur statut d'élus locaux leur impose parfois de fréquenter afin de créer ou d'entretenir des contacts de proximité avec les sociétés locales, qu'elles soient culturelles ou sportives. (Brouhaha. Un instant s'écoule.)

En conclusion, la majorité de la commission considère que la démarche proposée par ce projet de loi d'une part ne fait pas sens, d'autre part ne tient pas compte de la loi sur la répartition des tâches entre les communes et le canton. A ses yeux, le seul exemple invoqué, c'est-à-dire celui du Grand Théâtre, n'est pas pertinent en la matière. Sur cette base, je vous recommande de suivre l'avis exprimé par la majorité de la commission et de refuser cet objet. Merci.

Présidence de M. Diego Esteban, premier vice-président

Mme Helena Verissimo de Freitas (S), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, l'idée de ce projet de loi est assez simple: pas d'avantages automatiques pour les élues et les élus dont le peuple ne pourrait bénéficier, par égalité de traitement, mais également parce que nous votons des subventions et que cela doit se faire indépendamment des places offertes ou de toute autre faveur.

Ce n'est pas la verrée après un spectacle ou une présentation qui pose problème, mais bien la systématique des cadeaux. Il ne faut pas confondre protocole et entrées gratuites: si un match de foot international a lieu à Genève, notre magistrate chargée des sports y aura bien entendu sa place sans la payer, cela relève du protocole.

C'est bien sur le fond que ce projet de loi doit être compris; évidemment que la LIAF ne régit pas les communes, il n'y aura pas d'impact sur leurs pratiques. Par contre, on devrait s'interroger pour tous les élus et à tous les niveaux - communal, cantonal, national - quant à ce que nous pouvons accepter ou pas.

Afin de mettre un terme à l'opacité et à certains privilèges, la minorité de la commission des droits politiques vous invite, Mesdames les députées, Messieurs les députés, à adopter ce projet de loi. Je vous remercie.

Une voix. Bravo !

M. Pierre Conne (PLR). Mesdames et Messieurs, chers collègues, la commission des droits politiques a dû répondre à la question suivante, qui est fort simple: les élus peuvent-ils accepter les invitations formulées par des associations ou institutions subventionnées, par exemple à un spectacle ou à un match de foot ? Sur le fond, la réponse à cette question a été oui, et c'est évidemment le motif le plus important pour rejeter ce projet de loi.

Voici la seconde question qui s'est posée: que propose ce texte comme moyen pour interdire toute acceptation d'avantages ? Eh bien une modification de la loi sur les indemnités et les aides financières, ce qui nous apparaît impropre si tant est qu'il faille répondre non à la première question, et c'est la deuxième raison pour laquelle, sur la forme, nous vous invitons, chers collègues, à refuser cet objet. Je vous remercie de votre attention.

M. Yves de Matteis (Ve). Le groupe des Verts est favorable à ce projet de loi. Certes, on peut comprendre que des conseillères municipales et conseillers municipaux ou des députés puissent bénéficier de certains avantages, mais seulement si ceux-ci sont directement liés à leur fonction. Par exemple, les députés au Grand Conseil reçoivent des abonnements TPG tandis que les élus au niveau fédéral se voient offrir des abonnements généraux CFF, car le fait de se déplacer pour participer aux commissions et plénières est - ou en tout cas était, avant la covid-19 - indissociable de leur mandat. Cette gratuité est justifiable et d'ailleurs aussi pratiquée dans le monde du travail, où les déplacements professionnels sont souvent couverts par l'entreprise. Cela étant, en politique comme dans le privé, c'est l'organisation employeuse qui achète les billets - la société concernée ou, pour les élus, la Confédération ou le canton -, ils ne sont pas payés par les TPG ou les CFF.

De même, on peut éventuellement admettre que des commissaires à la culture obtiennent des entrées pour assister à des spectacles ou des commissaires au sport des places à des événements sportifs si cela fait partie intégrante de leur charge; ils peuvent ainsi vérifier que les prestations sont délivrées correctement. Dans ce cas, c'est aussi intimement lié à leur fonction. Par contre, il ne faudrait pas qu'il s'agisse de gratuités ou de servitudes: comme pour les abonnements de train CFF ou de bus TPG, un budget doit être réservé pour l'acquisition de ces billets de spectacles, d'événements sportifs ou autres prestations.

En dehors de ces cas spéciaux qui ne sont pas visés par le projet de loi, il n'y a aucune raison que les députés et députées ou conseillers municipaux et conseillères municipales bénéficient de privilèges particuliers, car ils et elles sont déjà rétribués pour leur travail. Par ailleurs, comme l'indique Mme Helena Verissimo de Freitas dans son excellent rapport de minorité, «en payant les places, les élu-e-s participent également au soutien de l'entité subventionnée». A titre personnel et au nom de mon groupe parlementaire qui est opposé aux privilèges de manière générale et favorable à ce que les élus contribuent à la bonne santé financière des instances subventionnées, j'accepterai ce projet de loi. Merci, Monsieur le président de séance.

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ce projet de loi a été étudié, ce projet de loi a fait l'objet d'auditions, ce projet de loi a démontré qu'il avait une dimension désagréable, et d'ailleurs son vote l'a montré également. Qu'a-t-il de désagréable ? Eh bien lisez-en déjà le titre: «Fin des faveurs et servitudes pour les élus». C'est comme si nous étions tous corrompus, comme si nous touchions tous des faveurs indues. Voilà qui n'est pas de nature à renforcer notre crédit, déjà bien maigre, auprès de la population !

Mesdames et Messieurs, le rapporteur de majorité l'a bien décrit, nous avons vu ce qu'il en est: d'importants contrôles sont effectués et on ne peut pas dire que des avantages innommables et des servitudes inacceptables se pratiquent dans notre République et canton de Genève. C'est la raison pour laquelle je ne vais pas m'étendre, mais simplement indiquer qu'il s'agit une fois de plus, avec ce texte, d'un clivage gauche-droite. Les élus de droite seraient-ils donc plus corrompus que ceux de gauche ? Je vous proposerai prochainement un projet de loi qui vous prouvera le contraire. Merci. (Rires.)

Une voix. Excellent !

Une autre voix. Bravo !

M. Patrick Dimier (MCG). Tout a été dit, et je pense qu'on ne voit pas le monde autrement qu'à travers ses yeux. Dès lors, si on dépose un projet de loi de cette nature, c'est qu'on est soi-même peu sûr de sa propre probité. Pour moi, cela a à faire avec la conscience de chacun d'entre nous, c'est à chacun d'entre nous de déterminer où se trouve la limite entre une faveur indue et le simple geste de politesse. Au MCG, nous ne nous considérons ni taillables ni liges, raison pour laquelle nous nous opposerons à ce texte. Merci.

M. Alberto Velasco (S). Je suis choqué par les propos qui viennent d'être tenus, Monsieur le président, selon lesquels l'auteur de ce projet de loi... (Brouhaha. Les propos de l'orateur sont inaudibles.)

Le président. Monsieur le député, je vous remercie de parler plus près de votre micro...

M. Alberto Velasco. ...l'aurait déposé parce qu'il se pose lui-même des questions sur sa probité. (Brouhaha.)

Le président. ...et l'assistance de bien vouloir respecter la prise de parole de l'orateur. Parlez plus près de votre micro, Monsieur Velasco.

M. Alberto Velasco. Pardon ?

Une voix. Parle plus près de ton micro.

M. Alberto Velasco. Ah, d'accord. Merci, Monsieur le président, mais vous savez, avec le masque... Ce que je voulais dire, c'est que je suis choqué par les propos de M. Dimier - vous transmettrez, Monsieur le président - selon lesquels j'aurais des problèmes avec ma probité et que ce serait pour laver mon honneur que j'aurais déposé ce projet de loi.

Je tiens à dire une chose, chers collègues, Monsieur le président: au Victoria Hall et du Grand Théâtre, il y a entre deux cents et trois cents servitudes ! Mais vous savez, si ces servitudes étaient données à des gens qui ont peu de moyens, à des personnes aux petits revenus, je ne dirais rien ! Le problème, c'est que les bénéficiaires de ces faveurs ont largement les moyens de s'acheter des places ! Cela signifie que le petit peuple qui paie des impôts, ne serait-ce que peu, contribue à financer des abonnements pour des gens qui ont amplement les moyens de se les offrir. C'est scandaleux !

Je ne remets pas en question - vous l'avez compris, même si vous avez avancé ça comme argument - le fait que vous receviez un billet pour un match de football, s'il vous plaît, quand même ! D'accord ? Non, non, non: ce que je remets en cause, ce sont les cadeaux qu'on reçoit en tant qu'élus. Pourquoi ? Parce que le canton verse des millions de subventions à ces entités, et il faut se garantir une majorité lors des votes; mais on n'a pas besoin de ça, Mesdames et Messieurs: les subventions sont versées en fonction de la qualité des prestations, on n'a pas besoin de recevoir de faveurs. Les élus devraient être exemplaires, précisément parce que ce sont des élus, précisément parce qu'on bénéficie d'un certain pouvoir qui nous donne la possibilité de voter ces subventions. C'est justement à cause de ça qu'on ne devrait pas accepter ces... ces... ces «prébendes», entre guillemets ! Voilà !

Et ici, on met en question ma probité parce que j'ai osé dénoncer ça ! Mais moi, Mesdames et Messieurs, j'ai un strapontin au Victoria Hall que je paie 300 balles par année, bon Dieu ! Et je touche une retraite de 2000 francs par mois ! Et ça ne me gêne pas ! Mais je connais des gens qui disposent de beaucoup plus de moyens et qui reçoivent des abonnements ! Alors ne venez pas mettre en question ma probité, Messieurs ! Ces servitudes coûtent des centaines de milliers de francs au Victoria Hall et au Grand Théâtre, voilà la vérité ! Et ces centaines de milliers de francs, ce serait bien si on pouvait les investir plutôt dans les spectacles ou alors inviter la population précarisée !

Le président. C'est terminé, Monsieur le député.

M. Alberto Velasco. Oui, Mesdames et Messieurs, inviter la population précarisée !

Le président. Merci...

M. Alberto Velasco. Voilà ce que je demande !

Le président. C'est fini, Monsieur Velasco...

M. Alberto Velasco. Voilà ce que je demande, Messieurs, et je n'ai pas de problème de probité !

Le président. Merci !

M. Alberto Velasco. Non, non, pas du tout ! Je crois... (Le micro de l'orateur est coupé.)

Le président. Merci. La parole n'étant plus demandée, nous passons au vote.

Mis aux voix, le projet de loi 12284 est rejeté en premier débat par 43 non contre 23 oui et 2 abstentions.

Présidence de M. François Lefort, président