République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 30 novembre 2012 à 17h
57e législature - 4e année - 2e session - 8e séance
IN 151-B
Suite du débat
Le président. Nous poursuivons notre débat avec Mme la députée Serdaly Morgan.
Mme Christine Serdaly Morgan (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, quand la «Tribune de Genève» demande au député Aumeunier pourquoi lui et son parti prônent l'invalidation totale, il répond, je cite: «Parce que le contrôle était le coeur de l'initiative, l'enlever vide l'initiative de son sens, les autres éléments sont bien moins importants.» La stratégie est claire. Que veut le PLR qui tente ce coup de force ? Les accords bilatéraux sans contrôle en refusant l'entrée en matière sur l'initiative 151 ? La droite ignorerait donc qu'il y a sous-enchère salariale, elle ignorerait que 65% des emplois ne sont pas couverts par une CCT, elle ignorerait encore que, même lorsqu'il y a des CCT, plus de 80% des commissions paritaires n'effectuent aucun contrôle. Il n'y a donc aucun problème. Mais quand 13 000 personnes signent une initiative, c'est précisément qu'elles signalent un problème. C'est ce à quoi sert une initiative. Et c'est précisément le travail du Grand Conseil d'en analyser le fond. Alors de quoi avez-vous peur ? La solution ne vous plaît pas, vous la trouvez trop unilatérale ? Mesdames et Messieurs les députés du parti libéral, il est en votre pouvoir de proposer un contre-projet. Vous reconnaîtriez alors qu'il y a des améliorations notables à amener au système de contrôle du travail. L'initiative ouvre la porte à la réflexion; saisissons cette occasion de montrer que la situation du monde du travail importe au monde politique. Et, en cas de doute, rappelons-nous que ce doute doit profiter au peuple.
Enfin, pour la minute financière et pour le député Cuendet, j'aimerais peut-être encore ajouter qu'en investissant dans plus de contrôle, on génère de meilleurs salaires; et avec de meilleurs salaires, on augmente les rentrées fiscales... (Brouhaha.) C'est un cercle vertueux auquel vous invite l'initiative 151, je vous remercie d'en accepter la validation totale. (Applaudissements.)
M. Melik Özden (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le rapport du Conseil d'Etat souffre d'un défaut majeur: il s'appuie essentiellement sur le droit supérieur pour recommander au Grand Conseil d'invalider partiellement l'IN 151. Le rapport de la majorité suit le même raisonnement. Si certains arguments sur la conformité de l'IN 151 au droit supérieur sont sujets à caution, curieusement, pour les auteurs de ces deux rapports, le droit supérieur s'arrête à Berne. Autant le rapport du Conseil d'Etat que celui de la majorité omettent que, au-dessus de Berne, il y a des conventions de l'ONU et de l'OIT qui consacrent le droit du travail et les libertés syndicales. Et elles sont cruciales pour notre débat d'aujourd'hui. J'ai de la peine à croire que le Conseil d'Etat et le patronat puissent ignorer l'existence de ces conventions, étant donné que le siège de l'OIT se trouve à Genève et que le patronat genevois est représenté dans la délégation suisse lors des conférences de l'OIT.
La Suisse a ratifié à ce jour 48 conventions de l'OIT qui sont toujours en vigueur. Trois d'entre elles sont particulièrement pertinentes pour notre débat. Il s'agit de la convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, de la convention n° 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective, et de la convention n° 81 sur l'inspection du travail. L'article 10 de cette dernière porte sur le nombre d'inspecteurs à nommer et précise que, je cite, «Le nombre des inspecteurs du travail sera suffisant pour permettre d'assurer l'exercice efficace des fonctions du service d'inspection [...].» Fin de citation. C'est justement ce que réclament les syndicats par le biais de l'IN 151. Selon eux, il n'y a pas assez d'inspecteurs, et le fonctionnement des commissions tripartites n'est pas si idyllique que le Conseil d'Etat le prétend.
L'IN 151, si elle est acceptée par le peuple, permettrait aux syndicats de mener des enquêtes, sur une base légale, auprès des entreprises qui fraudent. C'est un élément capital étant donné que les syndicats ne jouissent pas, dans ce pays, des droits et des protections pourtant reconnus au niveau international et ratifiés par le Conseil fédéral.
A ce propos, savez-vous que l'OIT a épinglé plusieurs fois la Suisse pour des pratiques anti-syndicales ? Est-ce que cela vous fait plaisir que la Suisse soit mise aux bancs des accusés dans des instances internationales, au même titre que des pays tels que la Birmanie ? Cela ne dérange peut-être pas certains membres de ce parlement, mais nous oui.
En conclusion, il faut non seulement soumettre l'IN 151 au vote populaire en la validant intégralement, mais ce parlement devrait également prendre des mesures afin de renforcer la protection des activités syndicales au sein des entreprises genevoises.
Le président. Je salue, à la tribune, notre ancienne collègue Françoise Schenk-Gottret. (Applaudissements.)
M. Sandro Pistis (MCG). L'initiative qui nous est proposée aujourd'hui laisse quand même le MCG perplexe. En effet, elle comporte de nombreux défauts. La structure bureaucratique qu'elle prévoit, téléguidée par des syndicats de gauche qui représentent une minorité de travailleurs, sera peu efficace. Je tenais également à relever le passage de cette initiative, que vous trouvez à la page 25 du rapport, qui dit, et je cite: «La teneur de l'initiative, contrairement à ce que laisse croire les discours populistes et xénophobes, ce ne sont pas les frontaliers, ni les étrangers qui sont responsables tant des licenciements que des pressions sur les salaires. Ce sont les patrons qui veulent et imposent de tout temps et surtout en période de crise des salaires à moindre prix et des conditions de travail toujours plus précaires.» Alors moi je me pose valablement la question de savoir si le fait de stigmatiser tous les patrons, de dire qu'ils veulent et imposent en tout temps des salaires et des conditions de travail tels que décrits plus haut, ce n'est pas faire du populisme. Voilà ! Quoi qu'il en soit, comme l'a dit mon préopinant, nous soutiendrons cette initiative, car nous partons du principe que le peuple est adulte, que le citoyen genevois peut voter et c'est à lui de devoir se prononcer par rapport à cette initiative. Merci !
M. Pierre Weiss (L). Mesdames et Messieurs les députés, dans un débat parlementaire il y a toujours une part convenue et une part surprenante. La part convenue c'est, par exemple, quand, s'agissant de la défense des droits des travailleurs, le parti socialiste se mobilise, avec son absence de sens critique traditionnel, pour défendre ce qu'il croit être sa voie et accuser ceux qui ne sont pas d'accord avec lui comme il l'a fait aujourd'hui, d'être les auteurs d'un putsch - le mot a été prononcé - ou d'un coup de force. Mon collègue Cuendet a fort bien répondu à ceux qui parlent de putsch qu'ils sont en contact avec des auteurs potentiels de séquestration de vous-même, Monsieur le président, de membres du Conseil d'Etat ou de députés présents dans cette salle. Donc, des leçons de morale, ils en donneront à d'autres mais pas à nous.
Il y a aussi une part de surprise quand une initiative venant de la gauche propose la création de milices privées. Des milices privées qui iraient dans les entreprises pour vérifier si les conditions de travail sont à leur goût et qui seraient payées, qui plus est, par leurs ennemis de classe. C'est quand même paradoxal que les entreprises paient des impôts qui devraient servir à rémunérer ceux qui vont les condamner de façon apodictique, a priori. Voilà quelque chose que l'on peut trouver un petit fort de tabac. Sur le plan formel, des arguments ont également été avancés, comme par exemple celui de dire que les organisations patronales ont exprimé leur accord ou auraient été, en tout cas, consultées avant le dépôt de ce texte. C'est une pure contre-vérité, pour utiliser un terme qui est accepté comme politiquement correct et courtois. Bref, de ce côté de la salle, on a affaire à des gens qui défendent simplement leurs idées mais qui verront bien que, si par hasard l'invalidation n'était pas acceptée par ce parlement, ils se retrouveront avec un recours au Tribunal fédéral - démarche dont ils usent d'ailleurs eux-mêmes, d'habitude - c'est la voie normale des choses.
Mais il y a également une autre surprise. L'autre surprise c'est de voir qu'aujourd'hui nous avons affaire, comme parfois à Berne, à un parti UDC divisé en deux ailes. Une aile économique, que nous connaissons pour être très attachée à la qualité des rapports avec les partenaires sociaux, qui comprend des chefs d'entreprise et qui sait ce qu'est l'entreprise. Et puis il y a ceux qui en ont une connaissance très lointaine, qui n'y travaillent pas, ou en tout cas pas dans des entreprises privées. Et on voit qu'aujourd'hui cette deuxième aile aurait pris l'ascendant sur la première et donnerait, à propos de cette initiative, dans le discours des bancs d'en face. J'aimerais simplement dire qu'aujourd'hui, sur la recevabilité totale ou partielle de cette initiative, leur divergence peut certes se manifester, mais demain, sur d'autres initiatives, par exemple pour la traversée de la rade, au hasard, on risquerait d'avoir une initiative du genre «pont d'Avignon» ! Avec une recevabilité partielle seulement ! La traversée commencerait mais ne finirait pas ! Voilà ce qui pourrait se passer... (Protestations.) Ce qui pourrait se passer avec d'autres initiatives comme la traversée de la rade... (Le président agite la cloche.) Donc je conseille vivement... (Brouhaha.) Je conseille vivement...
Le président. Revenez à l'initiative, Monsieur le député.
M. Pierre Weiss. Je conseille vivement à nos amis de l'UDC qui représentent l'aile économique de ne pas oublier que l'économie est une, et qu'elle ne doit pas être divisée par des arguments qu'on peut considérer comme peu dignes du parti de ceux qui les ont énoncés aujourd'hui... (Protestations.) Par conséquent réfléchissez à votre position. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, les propos du préopinant libéral sont assez surprenants vu à quel point l'esprit critique est développé dans son groupe. La preuve, c'est que parmi les intervenants il y avait en particulier un salarié de la Fédération des entreprises romandes, le directeur de la Chambre de commerce et un employé des Banquiers privés. C'est dire si l'esprit d'indépendance règne au sein du PLR pour étudier cette initiative... (Remarque.) Et c'est bien ça le problème. En réalité, quand on lit les pages 11 et 12 de ce rapport de majorité, on voit que M. Rufener, de la FMB, représentant de l'UAPG, indique que les mesures prévues par l'initiative ne sont pas nécessaires et qu'elles ne sont pas proportionnelles. M. Rufener ne considère pas que la situation est aussi catastrophique que le laissent entendre les initiants, c'est bien ça ? La vérité, c'est que certains milieux patronaux minimisent complètement la réalité des problèmes de sous-enchère à Genève. C'est ça le problème. C'est que des personnes comme M. Weiss, comme M. Jeannerat, comme M. Cuendet...
Le président. Monsieur le député, vous vous adressez au président, s'il vous plaît.
M. Roger Deneys. ...ne sont pas des patrons, ne sont pas non plus des petits patrons, ne connaissent rien à la réalité économique, mais sont des employés du patronat...
M. Pierre Weiss. Parce que toi tu la connais, hein !
M. Roger Deneys. Ils sont des employés du patronat, et c'est ça le problème, ils ne savent pas ce que les entreprises, les petites entreprise et les indépendants connaissent du terrain ! Ils ne sont pas représentatifs. Et quand on lit, à la page 31 du rapport, les chiffres qui évoquent le nombre de contrôle qui ont été faits, et que ça ne concerne que quelque 4% des entreprises, c'est tout simplement ridicule ! Ce n'est pas avec ce nombre de contrôles qu'on va pouvoir lutter contre la sous-enchère ! Alors il faut être pragmatique, Mesdames et Messieurs les députés, aujourd'hui les représentants des milieux patronaux ne défendent pas les intérêts des entreprises. Ils défendent les intérêts d'un certain nombre de propriétaires qui se fichent complètement des conditions de vie des PME genevoises. Et ça, Mesdames et Messieurs, je crois que c'est très clair, les socialistes ne peuvent l'accepter, ni pour les patrons, ni pour les salariés. Au demeurant, je fais partie d'un groupement des entrepreneurs et indépendants progressistes, petit groupement, mais qui soutient totalement cette initiative... (Remarque.) ...parce que ces petits patrons connaissent la réalité du terrain, ce ne sont pas des lobbyistes professionnels... (Remarque.) Ce sont des gens qui s'engagent pour avoir des conditions de vie décentes pour eux, comme patrons, et pour leurs employés. Et pour cette simple raison, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons à soutenir cette initiative.
Concernant la délégation envisagée à ces inspecteurs, je crois qu'il n'y a aucun problème. On le voit sur les questions d'assurance-chômage, des délégations au secteur privé ont aussi été faites. D'ailleurs M. Jeannerat a eu l'occasion d'évoquer qu'il a travaillé pour une fondation qui s'appelle Hestia, à qui on a délégué des formations de chômeurs. Est-ce que c'était tripartite ? Est-ce que c'était objectif ? Est-ce que c'était raisonnable ? Il n'y avait peut-être que des représentants des patrons là-dedans, mais ça n'a pas empêché le PLR d'accepter le dispositif, ni le Conseil d'Etat de le valider, donc c'est clair, il y a deux poids deux mesures. Je pense que les représentants des salariés sont les mieux outillés pour connaître la réalité des problèmes des employés dans les entreprises. A partir du moment où c'est contrôlé et validé par d'autres structures, ça ne pose aucun problème. Donc, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons à valider entièrement cette initiative. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Madame la rapporteure de minorité, est-ce que vous voulez parler plus à la fin ou est-ce que vous voulez prendre votre tour de parole ?
Mme Loly Bolay. Comme vous voulez, Monsieur le président, pourvu que j'aie mon temps de parole !
Le président. Mais vous l'aurez ! Alors je vous donnerai la parole un peu plus tard, si vous êtes d'accord. Merci. La parole est maintenant à Mme la députée Dominique Rolle.
Mme Dominique Rolle (MCG). Je ne vais pas revenir sur ce qui a été dit précédemment, mais j'aimerais rappeler qu'il y a de nombreux syndicats et pas uniquement parmi la gauche. A Genève il en existe une grande variété, en plus de ceux que nous connaissons déjà bien. Nous avons par exemple les syndicats des employés genevois, les syndicats des employés de commerce... Et c'est vrai que si j'ai quelques réserves, tous comme mes collègues, sur la mainmise syndicale dans le cadre de cette initiative, j'aimerais quand même revenir sur les dumpings salariaux et la sous-traitance. Ces dumpings salariaux ont créé un climat économique malsain, puisque cela prive des artisans et des petites entreprises de marchés locaux qui sont précieux à leur survie. C'est donc pour ça que je vous invite, comme mes collègues, à soutenir cette initiative. C'est le peuple qui doit décider, in fine, s'il l'accepte ou s'il la refuse, et le rôle de l'Etat sera de trouver les solutions pour l'adapter au mieux. Je vous remercie.
M. Roger Golay (MCG). Tout d'abord, je peux comprendre l'effroi de la classe économique de ce parti par rapport à cette initiative. C'est clair que lorsqu'on a des choses à se reprocher, on va tout faire pour essayer de les balayer. Je pense qu'aujourd'hui on a pu constater, et ça depuis un certain temps, que certains patrons - pas l'ensemble - ont perdu totalement le sens civique pour le sens du profit. Ça va de l'affaire des frontaliers, où on n'engage plus de jeunes de chez nous, car on leur demande partout trois ans, cinq ans d'expérience, à la sous-enchère salariale qui fait qu'on laisse, disons un chèque en blanc, aux entrepreneurs malsains - pas tous puisqu'on ne peut pas généraliser. Malheureusement il y en a beaucoup dans ce canton, et je pense qu'aujourd'hui, lorsqu'on voit ce qui s'est passé jusqu'à maintenant, et je fais référence, comme l'a fait M. Gander, à la motion qu'on avait déposée l'année passée qui était intitulée «contre la sous-enchère salariale venue de l'Europe et pour un meilleur contrôle des régies publiques autonomes», c'est simplement un foutage de gueule ! Le Conseil d'Etat n'a engagé que deux contrôleurs pour 300 000 emplois ! Je ne sais pas si vous vous imaginez, c'est vraiment un grain de sable sur la plage. Voilà ce qu'on a eu comme réponse à nos cris par rapport à ce qui se passait sur le canton de Genève.
Aujourd'hui, je pense que si un patron est intègre et correct, il n'a aucune inquiétude à avoir ! Que ce soit un syndicaliste ou quelqu'un de l'OCIRT qui débarque dans son entreprise, il n'a pas de souci à se faire. C'est un peu comme, Messieurs de la droite, les caméras de surveillance sur la voie publique. Vous le disiez assez, si on a rien à se reprocher on n'a pas à craindre d'en avoir. C'est pareil. Je pense que ce sont des moyens qui permettront de mettre une épée de Damoclès sur la tête des employeurs qui ne jouent simplement pas le jeu. Et qui de mieux que les syndicalistes pour le faire ? Je pense qu'il n y a personne d'autre, parce que le partenariat social, Monsieur Jeannerat, on veut bien, mais jusqu'à aujourd'hui on n'a jamais entendu le patronat de ce canton s'élever contre toute cette sous-enchère. Et les sous-traitants bénéficient justement de ce type d'infractions, on a pu le voir dans divers milieux comme les SIG, et on le verra certainement avec le CEVA; il y aura énormément de sous-traitance puisque la plupart des entreprises sont déjà étrangères. Alors on n'ose pas imaginer ce qui va se passer par rapport à la sous-enchère dans ces milieux-là. Nous, nous allons soutenir cette initiative, on n'a pas d'autre alternative aujourd'hui. Simplement pour vous donner une idée: actuellement il y a quinze inspecteurs en poste. Il faut savoir que pour la circulation, il y a un agent pour 350 véhicules. Si ce type de comparaison n'est pas quelque chose qui doit vous inquiéter, alors moi je ne comprends plus ce qu'il faut faire dans ce canton pour préserver l'emploi des Genevois. Ce qui nous importe, au MCG, c'est simplement qu'on protège le travailleur genevois en premier lieu, et c'est tout. Et cette initiative va dans ce sens.
M. René Desbaillets (L). Est-ce que vous permettez qu'un petit patron s'exprime sur ce grand sujet ? Parce qu'on est souvent mis en cause...
Le président. Je vous en prie, Monsieur le député.
M. René Desbaillets. Alors voilà, je parle en tant que représentant des vrais petits patrons, c'est-à-dire les petits patrons qui donnent de l'emploi, même 80% des emplois en Suisse. Alors ici le parti socialiste s'offusque au sujet des grandes sociétés, etc., mais en réalité qui va être embêté ? Ce sont les petits patrons, les honnêtes patrons, les patrons qui se battent, parce qu'ils sont confrontés à l'ouverture des frontières. Si on les oblige encore à faire de la paperasse supplémentaire, qu'est-ce que ça voudra dire pour eux ? Il faudra engager une secrétaire ! Mais on va diviser son salaire sur le nombre des autres employés, il n'y a pas de miracle. Alors je m'étonne de l'attitude du parti socialiste, qui est pro-européen, qui dit qu'il faut faire tout comme les Européens, que c'est magnifique, qu'il faut ouvrir les frontières, et tout, puisque du reste on a 160km de frontière avec la France.
Mais regardez ce qu'il se passe en France, Messieurs les socialistes ! Nous on a des contacts avec les viticulteurs français, qui vous disent comme première chose: «Surtout n'entrez pas dans l'Europe !» Je me rappelle qu'en 1992, quand nous, les paysans, étions contre l'Europe, il y avait eu un sondage de la Tribune qui disait que ceux qui n'avaient pas fait l'université étaient les seuls à voter non à l'Europe, parce qu'ils n'avaient pas compris de quoi on parlait. Je constate que, maintenant, il y a beaucoup d'universitaires qui ont quand même suivi notre raisonnement, n'est-ce pas Mesdames et Messieurs les socialistes qui voulaient être dans l'Europe. Prenez un viticulteur français en Champagne, là où les raisins sont les plus chers du monde, avec un délégué syndical pour dix employés. Qu'est-ce que ça donne ? Ça donne des salaires qui sont trois fois inférieurs aux salaires qu'on a en Suisse pour des employés dans la viticulture. J'ai des employés français, des chauffeurs de tracteurs, qui viennent de Cognac. Quand vous voyez le prix d'une bouteille de cognac, vous pensez que les employés sont bien payés. J'en ai un qui est venu ici et il a trois fois plus de salaire que quand il était à Cognac. Alors si vous voulez la faire à la française, tout contrôler etc., il faudra diluer !
Le vrai problème de la sous-enchère, à l'heure actuelle, on en parle aujourd'hui dans la Tribune avec les enquêtes de la Migros: entre 10 000 et 20 000 emplois vont disparaître en raison de la baisse des achats des Suisses. Bien souvent je regarde les plaques des voitures, et je vois les gens, des couples d'enseignants notamment, qui manifestent mais qui après vont aller faire leurs courses en France. Elle est là, la vraie concurrence ! On ouvre les frontières pour tout mais, ma foi, les salaires il faut les adapter aussi à l'Europe ! Alors réfléchissons tous un petit peu, chaque fois qu'on fait un achat, à ce qu'on achète, où on l'achète, et là on aura le maintien des salaires sans avoir besoin de contrôle des syndicats. Personnellement ça fait 35 ans que je suis patron, et j'ai eu une fois un problème avec le syndicat. Vous savez comment ça a fini ? Je ne vais pas citer le nom du délégué syndical, parce qu'il n'a même pas un nom suisse - il arrivait quand même à s'exprimer en français - bref, il s'est pris 100 F d'amende pour attaque abusive ! Si c'est comme ça que vous voulez faire entrer des ronds dans l'Etat vous pouvez y aller ! Merci ! (Applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, plus le débat avance, plus j'admets, je reconnais - mais ce n'est pas le débat de ce soir - que les arguments présentés d'un banc à l'autre sont tous pertinents, ont tous leur raison d'être. Mais justement, ce sont des arguments qu'on présente lors de la discussion de la politique de fond. Ce n'est pas le moment ce soir ! Non, Monsieur le président du Conseil d'Etat, non Madame la chancelière, le juridisme ne doit pas supplanter le débat politique. (Commentaires.) La chancelière est sous les ordres du président du Conseil d'Etat, on ne va pas revenir sur ce qu'on a dit hier soir. Mesdames et Messieurs les députés... (Brouhaha.) Notre rôle est d'orienter les citoyens... (Le président agite la cloche.) Notre rôle est d'orienter, selon nos aspirations politiques, les chemins qu'ils doivent prendre et les réflexions qu'ils doivent avoir. Notre rôle n'est pas de les empêcher de voter ! Parce que ce soir on nous laisse entendre que si on n'invalide pas cette initiative, les foudres vont nous tomber sur la tête. Ce n'est pas vrai !
Le prochain débat se fera en commission, et ce même Grand Conseil pourra tout à fait se prononcer sur cette initiative, la refuser purement et simplement ou proposer un contre-projet. Nous n'en sommes qu'au début ! Mesdames et Messieurs les députés, c'est navrant d'entendre le chantage venant des rangs de mon préopinant libéral. Mais oui, Monsieur, oui je suis fier et oui je vous dis: certes, nous avons une politique qui est assez orientée vers les milieux économiques, mais oui, notre principal souci, et vous vous plaisez tellement à le décrier, est de défendre le peuple. Et quand le peuple a envie de s'exprimer, même si ce n'est pas celui qui vote pour nous, nous le soutiendrons. Et nous combattrons lors des différentes campagnes, quand nous exprimerons notre opinion. Ce soir je ne suis pas en train de vous dire que l'UDC mettra un oui massif sur les panneaux lorsqu'il y aura la votation, mais je vous enjoins à accepter intégralement cette initiative 151. (Applaudissements.)
M. Alain Meylan (L). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai résisté jusqu'au bout à prendre la parole sur le fond par rapport à cette initiative, qui naturellement est irrecevable, en tous les cas partiellement. Mais je ne peux pas laisser passer certaines explications ou affirmations qui ont été faites dans ce parlement, et j'aimerais juste les rectifier avec quelques points de constat. Vous transmettrez, Monsieur le président, que oui, je travaille à la Fédération des entreprises romandes, en faveur des entreprises, et j'en suis fier. J'ai quand même été élu par le peuple, et j'aimerais qu'on arrête d'invectiver sans cesse les gens quant à leur profession dans cette enceinte... (Commentaires.) Je crois que ce n'est pas le lieu. Cela dit, je suis quand même fier de mon activité et j'ajoute, comme ça les choses sont claires, que ça fait plus de dix ans que je siège à la Commission de surveillance des marchés de l'emploi à titre professionnel, que je sais comment ça se passait avant les accords bilatéraux, que je sais comment ça s'est passé après et comment ça se passe pendant, c'est-à-dire maintenant.
Donc tout ça pour vous dire qu'il y a un certain nombre de choses que je tiens à préciser. Et je vais vous surprendre, Monsieur Deneys, on ne minimise pas les problèmes. Les problèmes il y en probablement, il y en a même assurément, mais ce qui est mis en place fonctionne. Cela peut probablement être amélioré mais ça fonctionne. Certes, il n'y a que 40% ou 50% des travailleurs et des entreprises de ce canton qui sont soumis aux conventions collectives, et donc soumis au contrôle des commissions paritaires. Et c'est le rôle des personnes qui siègent paritairement dans ces commissions que de les faire fonctionner. Là aussi, je pourrais faire un long discours pour vous expliquer pourquoi dans la commission paritaire du commerce de détail ça ne fonctionne pas, ou pourquoi dans la commission paritaire des transports ça ne fonctionne pas, mais je peux vous assurer que ce n'est pas de la faute du patronat. Donc dire qu'on sait comment ça marche alors qu'on ne sait pas faire fonctionner une commission paritaire, ça me paraît dénué de bon sens.
Pour le reste des employeurs et employés du canton qui ne sont pas soumis aux conventions collectives de travail - il y en a un certain nombre - ça ne pose pas de problème dans certains domaines d'activité, vous l'imaginez bien, et dans d'autres on arrive à voir qu'il y a des situations difficiles grâce aux démarches syndicales, qui nous amènent des cas, Madame Bolay. Que fait-on à ce moment-là ? On nomme l'observatoire genevois du marché du travail, qui est composé de l'Université, de l'OCIRT et de l'OCSTAT, qui font une enquête et qui donnent les éléments qui amènent à prendre une décision au sein du Conseil. Et que fait ce Conseil quand il voit, par exemple dans le domaine de l'esthétique, qu'il y a effectivement des problèmes ? Il prend des dispositions liées aux mesures d'accompagnement, à savoir l'édiction d'un contrat type de travail, qui protège l'employé et définit les règles minimales dans ce secteur d'activité. On voit donc que quand le système ne fonctionne pas bien, les mesures sont prises. Alors oui on peut s'améliorer, probablement, très certainement ! Mais ce n'est pas par le biais de milices syndicales qu'on réussira à le faire, puisqu'on voit que celles-ci n'arrivent parfois pas à assumer leur rôle dans les commissions paritaires.
Et je finirai quand même par dire que quelque chose m'a fortement fâché dans le rapport paritaire ces derniers jours: quand, dans la vente, on a une convention collective de travail, qu'on a utilisé la possibilité des mesures d'accompagnement des accord bilatéraux pour faire en sorte que cette convention collective de travail soit étendue de manière simplifiée - puisqu'on a vu qu'il y avait des problèmes, on a usé pour la première fois en Suisse de cette possibilité là - qui, il n'y a pas plus tard que deux semaines, a refusé de signer cette convention qui nécessite effectivement la signature paritaire ? Les syndicats, ce qui veut dire qu'à mon avis c'est un échec du partenariat paritaire et social, puisqu'on devra probablement faire l'édiction d'un contrat type de travail. Donc je pense qu'il y a un système qui existe, qui fonctionne, qu'on peut certes améliorer, mais pour toutes les raisons que je vous ai données, qui viennent du terrain, du fonctionnement concret, et avec tout ce qui a été dit au niveau de la recevabilité, ce n'est en tout cas pas en adoptant la solution préconisée par l'initiative qu'on y parviendra. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Loly Bolay (S), rapporteuse de minorité. Monsieur le président, je vais d'abord vous charger d'une mission: cette mission est de répondre à M. Cuendet. M. Cuendet citait le cas de syndicats qui ont fait pression sur un restaurant de la place, affaire qui a été au Tribunal fédéral. Eh bien justement, Monsieur le président, vous lui direz qu'avec cette initiative l'inspection des entreprises pourra se faire de manière légale. Pourquoi c'est comme ça aujourd'hui ? Parce que les entreprises... (Brouhaha.) ...ne peuvent pas vérifier. La deuxième remarque, Monsieur le président, et c'est à vous que je m'adresse, concerne toujours M. Cuendet, qui s'est offusqué du fait que les syndicats veulent être payés. Mais écoutez, vous n'êtes pas payé, ici, quand vous venez ? Vous n'êtes pas payé, en commission, avec des jetons de présence ? Les gens qui sont dans les conseils d'administration, dont le Conseil d'Etat vient d'augmenter les jetons à un million par année, ne sont-ils pas payés ? Vous qui avez presque toutes les chaires de présidence des conseils d'administration ? C'est normal, tout travail mérite salaire, Monsieur le président, et il est normal que les syndicats soient payés pour une prestation.
Maintenant, concernant la remarque de M. Weiss qui dit, Monsieur le président, toujours à vous, que l'UAPG n'a pas été consultée, je suis désolée...
Le président. Vous faites semblant de me regarder, chère Madame... (Rires.)
Mme Loly Bolay. Mais j'aime bien vous regarder, Monsieur le président, et je vous aime bien même si vous n'êtes pas d'accord avec moi ce soir ! L'UAPG, Monsieur le président, nie totalement la problématique de l'assurance salariale, elle est venue nous le dire. Et ce qui me frappe ici c'est justement cette méconnaissance. La commission d'évaluation des politiques publiques l'a dit et redit à plusieurs reprises, elle a constaté que 80% des commissions paritaires n'effectuaient aucun contrôle dans les entreprises, soit au total près de 40 000 travailleurs sur 100 000, qui ne sont pas contrôlés. Pourtant, que dit le rapport du Conseil d'Etat à la page 33 ? C'est extrêmement intéressant, il dit: «S'agissant des contrôles effectués par les commissions paritaires et l'Etat, on aboutit au constat que la proportion d'entreprises adoptant des pratiques salariales inadaptées n'a pas progressé depuis une dizaine d'années.» Mais comment peut-on dire ça alors que le rapport de la CEPP dit exactement le contraire ?
Les mêmes remarquent valent pour l'UAPG. L'UAPG est venue nous dire qu'il n'y avait pas de problème, que la sous-enchère salariale n'avait pas l'ampleur catastrophique décrite par les syndicats. Eh bien que dit la CEPP ? C'est intéressant - et pourtant la CEPP ce n'est pas nous, ce n'est pas la gauche, là vous êtes quand même d'accord - la CEPP dit qu'il faut rendre obligatoire les contrôles pour toutes les conventions collectives de travail. Alors moi je vais quand même vous rappeler une chose: il n'y a pas longtemps, j'ai interpellé le Conseil d'Etat sur une problématique qui touchait l'Association genevoise des entreprises de déménagement. Il s'agissait d'une lettre, signée par qui ? Par Michel Balestra, président. Et que disait M. Balestra au Conseil d'Etat ? Je vous le donne en mille: qu'il y a de nombreux problèmes dans le domaine du déménagement, que beaucoup d'entreprises font justement du dumping salarial et que ça ne va pas. Ça aussi vous le niez ou pas ? (Rires.) Non, écoutez, soyons sérieux, cette initiative pose le doigt sur un problème et propose des solutions pour éviter la sous-enchère salariale, donc moi je vous demande d'accepter la validation totale de l'initiative, pour le peuple, car je suis sûre qu'aujourd'hui il en a marre. Vous avez vu que la classe moyenne s'appauvrit justement parce que les salaires ne sont plus décents pour une grande catégorie de travailleurs à Genève. Donc je vous remercie de faire confiance au rapport de minorité et de me suivre dans ses conclusions. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Christophe Aumeunier (L), rapporteur de majorité. J'ai le sentiment d'avoir bien fait, tout à l'heure, de rappeler quelle était notre mission, celle qui nous a été confiée par la constitution et par notre règlement. Je prétends qu'il y a un problème de conformité aux droits fondamentaux, puisque dès lors qu'on a envie de créer une inspection des entreprises qui entrerait librement chez ces dernières et demanderait à avoir accès à des informations, il y a atteinte à la liberté économique. Ainsi, la sphère privée de l'entreprise serait touchée et il faut se poser la question de savoir si c'est possible. Cela ne l'est pas, à mon avis, pour la raison suivante: cela ne respecte pas la condition de la proportionnalité, au regard du fait qu'on peut trouver une autre mesure tout à fait adéquate. Ainsi une inspection des entreprises est une atteinte disproportionnée à la liberté économique. A ceux qui prétendent et qui disent qu'il n'est pas question, ici, d'analyser le problème de la conformité au droit supérieur, et qui sont tentés de valider l'intégralité de cette initiative, parce que cela leur permettrait d'évoquer un contre-projet, je leur dis qu'ils se trompent ! Ils se trompent sur nos missions, ils se trompent sur notre devoir, ils se trompent sur ce que nous devons faire. Parce que la seule chose qui compte, c'est de répondre à la question de savoir si l'initiative est valide, invalide, respectivement si elle est partiellement valide. Rien d'autre. Parce que prendre l'argument d'un contre-projet c'est complètement faux ! Nous avons une chance incroyable, Mesdames et Messieurs les députés, nous avons la possibilité de déposer des projets de lois. Alors si vous avez envie de le faire, faites-le, mais ne venez pas nous dire que vous validez une initiative dont vous savez qu'elle est contraire au droit supérieur parce que vous voulez un contre-projet. S'il vous plaît, ce n'est pas raisonnable.
S'agissant du fond, puisque personne ne s'est privé d'en parler, Monsieur le président, il y a un vrai problème. La majorité est tout à fait préoccupée par le niveau des salaires. Cela a été dit en commission, c'est une réalité, il y a une préoccupation, mais il faut admettre qu'il y a une difficulté à objectiver cette question. Certains ont prétendu ce soir qu'il y a un fort dumping salarial, cela reste des allégués. La CEPP analyse des allégués dans son rapport et elle a toutes les difficultés du monde à prouver une réalité en ce sens. Alors il ne s'agit pas, pour la majorité, de nier ni de minimiser. Il s'agit de dire qu'il est difficile d'objectiver, et de dire en tout cas que mettre à bas le partenariat social est la meilleure façon de se tromper. A ceux - dont le parti socialiste - qui veulent fossoyer le partenariat social, je dis que vous êtes bien naïfs et qu'au fond vous avez une vue trop courte. Pourquoi ? Parce que combien de travailleurs venant de France - pays où on peut entrer dans les entreprises, lorsqu'on est syndicaliste, un peu comme on le veut - combien de travailleurs français viennent travailler à Genève ? Pensez-vous qu'ils viennent ici parce que les salaires sont plus bas ? Pensez-vous qu'ils viennent parce que les conditions de travail sont plus mauvaises à Genève qu'en France ? Eh bien moi je vous l'affirme, mettre à bas le partenariat social c'est mettre à bas notre prospérité et c'est porter atteinte à notre emploi. Vous prétendez défendre l'emploi ? Vous le fossoyez. Voilà... (Remarque.) En définitive, ce que propose la majorité de la commission, c'est d'invalider partiellement cette initiative. Merci Mesdames et Messieurs les députés. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. La parole est maintenant... Alors Monsieur le député Alain Meylan je vous donne la parole avant Mme Rochat, puis ensuite on arrivera au bout.
M. Alain Meylan (L). Merci, Monsieur le président, c'est juste pour demander le vote nominal, s'il vous plaît.
Le président. Très bien. Est-ce que vous êtes soutenu ? (Une grande partie des députés lève la main.) Très très largement... (Remarque.) Oui, on va sonner. Madame la conseillère d'Etat, vous avez la parole.
Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, aux tentatives de putsch j'aimerais opposer une notion. Puisque nous avons tous compris que la discipline imposant de rester sur la forme a été largement bafouée, permettez-moi quand même de rappeler certaines choses. Je vous le disais, au putsch j'aimerais opposer que, depuis 1937, la paix du travail est un élément tout à fait central de notre identité suisse. Cela me semble important, au cours de ces débats, de revenir aux fondamentaux: trouver et maintenir un équilibre, ce fameux équilibre qui a été si difficile à trouver pour ceux qui nous ont précédés dans ce combat social, cet équilibre si difficile entre la compétitivité et la cohésion sociale. Genève, Mesdames et Messieurs, a fait oeuvre de pionnier, et je pense qu'il est important de le rappeler. Un conseiller fédéral, Alain Berset, a parlé très récemment, lorsqu'il fêtait les 75 ans du partenariat social, de la paix du travail en disant qu'il s'agissait d'une formule magique. Cette formule magique, ne la bafouons pas ce soir !
Permettez-moi de revenir sur la forme, puisque nous avons quelque peu perdu le fil au gré de vos différents débats. De quoi parlons-nous ? Nous parlons d'une initiative législative. Cette initiative poursuit deux buts: une dotation minimale d'inspecteurs et également la création d'une inspection des entreprises comprenant exclusivement des représentants des travailleurs. Alors le Conseil d'Etat, et j'en veux pour preuve son rapport, ne nie pas qu'il y a des problèmes. Le Conseil d'Etat ne nie pas qu'il nous faut trouver des solutions. Ces solutions existent, il s'agit de les trouver ensemble, mais il me semble important à ce stade de relever certaines choses. Au-delà de la conformité au droit fédéral, il faut rappeler que le contrôle du marché du travail en Suisse repose largement sur un partenariat social sur lequel nous ne nous somme pas trop arrêtés, mais qu'il est important de mentionner ici. Dans les branches non couvertes par une convention collective étendue, ce sont les commissions tripartites cantonales qui procèdent au contrôle. Ce système dual a montré toute son efficacité. Plus de 10% des 17 000 entreprises genevoises employant du personnel ont été contrôlées en 2011, tant par les commissions paritaires que par l'OCIRT. L'objet n'est pas une bataille de chiffres, et j'ai bien compris que Mme Bolay citait ses références, entre autres les 48 conventions de l'OIT qu'il est important d'évoquer - et je vous remercie de l'avoir fait - mais aussi les conclusions de la CEPP, qu'il n'est pas question de jeter aux orties.
L'objet n'est pas une bataille de chiffres, mais puisqu'on y est il s'agit de présenter les chiffres officiels tel qu'ils apparaissent: 1 354 contrôles effectués sont comptabilisés, selon la définition et la notion du contrôle par le SECO, et ils correspondent au contrôle de 1 166 entreprise dans lesquelles 11 030 travailleuses et travailleurs ont été examinés. Quelles sont les infractions qui ont été constatées ? Sur le total, 64% des entreprises ont été considérées comme en ordre. La sous-enchère salariale - puisqu'on parle de ça depuis un moment et qu'il n'est pas question, encore une fois, de nier cette réalité - représente 9.7%. Et ces chiffres ne comprennent pas les contrôles aléatoires, donc se rapportent uniquement aux contrôles sur base de dénonciation. S'agissant des entreprises suisses, 62.5% sont en ordre, et 6.6% ont fait de la sous-enchère salariale. Vous avez évoqué les sanctions, en disant que nous ne pouvions pas y recourir. Ces sanctions existent, une procédure est en place, et ces sanctions peuvent même aller jusqu'à la suspension d'une entreprise, jusqu'à l'interdiction pour cette dernière de pouvoir participer à un appel d'offres, et je crois que c'est la sanction la plus grave pour une entreprise quelle qu'elle soit, petite ou grande. Donc les sanctions, puisque vous avez dit qu'elles n'existaient pas, je crois qu'il est au contraire important de souligner qu'elles existent.
J'aimerais aussi revenir sur deux choses. Tout d'abord, on reproche au Conseil d'Etat de s'appuyer sur le droit supérieur. Reproche qu'il nous semble quand même devoir réfuter dans la mesure où, vivant dans un Etat de droit, il semble difficile de considérer que le Conseil d'Etat ne le fasse pas.
Ensuite, le Conseil d'Etat, comme je vous l'ai dit, ne nie pas que la situation est difficile. Le contexte économique dans lequel nous vivons est compliqué. Nous devons plus que jamais faire appel à cette paix sociale qui a fait jusqu'à maintenant la fierté de notre pays et de notre canton. Le Conseil d'Etat propose un renforcement du dispositif, et cela a déjà été dit lors de l'adoption de la motion 2033 où nous avons voté deux inspecteurs, qui étaient même au budget. Alors vous pourrez me dire, et cela a été relevé effectivement, que deux inspecteurs ce n'est finalement qu'un grain de sable. On a comparé le nombre d'agents de la circulation par rapport au nombre d'infractions, mais comparaison n'est pas toujours raison, on peut tout comparer, Mesdames et Messieurs. Il est surtout essentiel de se rendre compte que ces contrôles sont faits par une commission, qu'elle soit paritaire, qu'elle soit tripartite, et c'est à notre sens ce qui est le plus important.
J'aimerais enfin rappeler que le Conseil d'Etat, dans son rapport, propose deux axes. Le premier axe est le développement de contrats de prestations sur trois plans différents: les contrats de prestations avec les commissions paritaires doivent être mieux organisés dans le but de déléguer une partie des compétences - une partie des compétences - de contrôle de l'OCIRT, de mieux coordonner leurs activités avec celles de l'OCIRT, et d'instaurer un mode de reporting qui tienne compte en toute transparence de tous les contrôles opérés. Le deuxième axe, et je l'ai dit, est l'engagement de deux inspecteurs supplémentaires.
J'aimerais finalement dire ici, en guise de conclusion, que puisque nous ne devons nous intéresser qu'au fond et pas à la forme, si le Conseil d'Etat, dans son rapport, vous recommande effectivement de valider partiellement cette initiative, c'est par souci de garantir à la Suisse et au canton le fait qu'il soit dépositaire de valeurs, de ces valeurs qui fédèrent notre vie collective, celle de croire au goût de l'effort, celle de croire aux vertus du travail, donc au respect des travailleuses et des travailleurs, et au respect de la parole donnée. Quel autre facteur que la paix du travail pourrait le mieux garantir ces valeurs ? Merci.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. La parole n'étant plus demandée, nous allons procéder au vote sur la prise en compte de cette initiative suivant le canevas de la procédure figurant aux pages 15 et suivantes du rapport. Je vous demande toute votre attention.
Mise aux voix à l'appel nominal, l'unité de la forme de l'initiative 151 est acceptée par 93 oui (unanimité des votants).
Mise aux voix à l'appel nominal, l'unité du genre de l'initiative 151 est acceptée par 92 oui (unanimité des votants).
Mise aux voix à l'appel nominal, l'unité de la matière de l'initiative 151 est acceptée par 93 oui (unanimité des votants).
Mise aux voix à l'appel nominal, la conformité au droit supérieur de l'initiative 151 est acceptée par 53 oui contre 40 non.
Mise aux voix à l'appel nominal, l'exécutabilité de l'initiative 151 est acceptée par 77 oui contre 7 non et 8 abstentions.
Le président. Vote final. L'initiative 151 doit-elle être déclarée valide ?
Mise aux voix à l'appel nominal, la validité totale de l'initiative 151 est acceptée par 53 oui contre 40 non.
L'initiative 151 est donc déclarée valide. (Applaudissements.)
L'initiative 151 est renvoyée à la commission de l'économie.
Le rapport du Conseil d'Etat IN 151-A est renvoyé à la commission de l'économie.
Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 151-B.