République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 29 juin 2012 à 14h
57e législature - 3e année - 10e session - 58e séance
M 2034-A
Débat
Mme Anne Emery-Torracinta (S). Je remercie le Conseil d'Etat de sa réponse, même si, malheureusement, j'aurais souhaité qu'elle soit différente. Voici en quelques mots un rappel de la problématique des allocations familiales. Historiquement, les allocations familiales ont été conçues comme un supplément de salaire pour des personnes qui sont employées, et pas du tout comme une assurance sociale, d'où d'ailleurs le fait qu'elles ne sont pas organisées comme une assurance sociale de manière paritaire employeur-employé, etc. Au départ, donc, c'était réservé à des personnes salariées, employées; puis, petit à petit - je vous passe les détails historiques et les nombreuses décennies qui ont passé - le système est arrivé à l'idée que c'est le principe «une allocation, un enfant», qui va véritablement entrer en vigueur sur le plan fédéral au 1er janvier prochain, puisque, sur le plan fédéral, il y aura l'obligation aussi des allocations familiales pour les indépendants, comme c'était d'ailleurs le cas à Genève.
Le problème se posait très concrètement pour des personnes qui - si on prend le cas de notre canton - ont des contrats à durée déterminée, par exemple, et alternent des périodes de chômage et de travail, etc. En effet, chaque fois qu'elles changent d'employeur ou de situation, qu'elle soit en emploi ou sans emploi, elles vont devoir changer de caisse d'allocations familiales, puisque les caisses sont liées aux employeurs. Cela pose d'énormes problèmes administratifs pour lesdites caisses. Cela pose aussi parfois des problèmes pour que les personnes reçoivent leurs allocations. Il peut arriver des situations où des employeurs ne font pas les démarches, où les personnes elles-mêmes oublient de les faire ou ne comprennent pas très bien et ne les font pas. Du coup, le système est complexe et ne permet pas un versement régulier pour ces personnes-là des allocations familiales.
Donc nous aurions souhaité - comme l'organisation pratique de distribution des allocations familiales relève de la compétence cantonale - que le canton cherche des possibilités de simplification. Pourtant, M. François Longchamp nous répond - en fait à juste titre - que le droit fédéral ne le permet pas. Alors Monsieur le conseiller d'Etat, si vous me permettez une petite remarque personnelle, je dirai ceci. Je viens de vivre, comme vous le savez, deux mois de campagne électorale assez intense; or j'ai entendu notre nouveau conseiller d'Etat dire ceci à plusieurs reprises pendant la campagne, en parlant notamment de la limite des quatre ans pour les enfants nés au mois d'août: «Le droit fédéral: peu importe. Ce qui prime: le bon sens.» Alors j'aurais envie de vous dire, Monsieur le conseiller d'Etat bien en place, que c'est le bon sens qui devrait primer ici.
J'aurais donc souhaité que vous nous donniez quelques pistes d'actions sur le plan fédéral. Alors l'une des propositions que je ferai est peut-être de revenir devant ce parlement avec une résolution à l'adresse de l'Assemblée fédérale pour lui proposer d'envisager éventuellement un autre système à terme. En effet, on butte là sur un problème de société dramatique pour les personnes qui le vivent, complexifiant la vie des employeurs et, en définitive, ne servant l'intérêt ni des uns, ni des autres.
Mme Mathilde Captyn (Ve). Le groupe des Verts a aussi accueilli de manière assez perplexe la réponse à cette motion. Comme l'a dit ma préopinante, même s'il y a effectivement des barrières fédérales, au lieu d'entendre la réponse qui est celle qui est écrite à la page 4 de ce rapport, «Tant le droit fédéral actuel que l'organisation cantonale mise en place ne permettent pas la mise en oeuvre des deux propositions de la motion», le droit fédéral doit être modifié pour respecter le principe «un enfant, une allocation». Eh bien le parlement a des prérogatives pour demander que les choses bougent au niveau fédéral, le Conseil d'Etat aussi, et nous aurions apprécié un élan un peu plus vif sur cette question, car elle est tout de même non négligeable. Elle touche des personnes qui sont en situation professionnelle précaire, notamment dans le domaine culturel et artistique, avec la situation des intermittents du spectacle, que l'on connaît bien, qui ont souvent des contrats très courts et de nombreux contrats différents. Ils courent par conséquent quotidiennement après leurs allocations enfant. Il y a d'autres situations. Je pense par exemple aux professeurs de français langue étrangère, qui eux aussi ou elles aussi ont très régulièrement des contrats de durée déterminée de nombreux employeurs. Ce n'est pas simple.
J'inviterai par conséquent le conseiller d'Etat - je me réjouis de l'entendre sur cette question - à nous donner des réponses un peu plus vives.
M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, j'aurais aimé, Mesdames les députées, vous donner des réponses évidemment plus volontaristes, plus audacieuses. Mais il faut rappeler la construction du système. Le système des allocations familiales - c'est la seule assurance sociale qui est ainsi - n'est pas construite autour d'un système paritaire mais sur une cotisation exclusivement supportée par l'employeur, lequel organise et finance les caisses d'allocations familiales par secteur, branche et canton selon différentes manières qui vous sont bien connues.
Aujourd'hui, on ne peut pas inverser la logique; c'est la réponse qui a été donnée et qui est fondamentalement juste à teneur du droit fédéral. Je vous avais déjà donné cette réponse sur la base d'une recherche sommaire lors du débat d'entrée en matière. Nous ne sommes pas en mesure de changer le système aujourd'hui de cette manière. Nous pourrions faire une réforme - vaste réforme du point de vue fédéral - qui consisterait à changer le système d'allocations familiales pour en faire des cotisations paritaires, au même titre que l'AVS, que le chômage et que l'assurance-invalidité. Pourquoi pas ? Je ne sais pas qui voudra supporter l'idée aujourd'hui de faire porter des cotisations qui deviendraient paritaires à des employés qui, aujourd'hui, ne les paient pas, puisque ce sont les employeurs qui financent la totalité de l'effort en matière d'allocations familiales. Donc, en théorie, cette réforme est tout à fait possible, mais elle suppose des modifications essentielles du droit suisse. Or je tiens à vous dire, pour avoir suivi de près la récente réforme des allocations familiales - et encore la précédente, celle de l'harmonisation fédérale - que les rapports de forces politiques sont en Suisse à des années-lumière de cette modification telle que vous la proposez.
Bien sûr que les cas que vous indiquez sont réels et problématiques. Bien sûr que le système, tel qu'il est construit aujourd'hui est problématique, notamment pour des familles recomposées ou compte tenu du fait qu'il peut y avoir dans la famille deux personnes dont les revenus peuvent varier de mois en mois et que le principe qui veut que les allocations familiales soient payées par la caisse d'allocations familiales de la personne au revenu le plus élevé; cela pose un certain nombre de problèmes. Mais ce que vous proposez là consiste à reconstruire totalement le système, ce qui suppose des modifications non pas de détail, mais profonde, tant de la philosophie que du système qui prévaut en Suisse, puisqu'il ne s'agit que d'une loi fédérale en la matière.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Le député Renaud Gautier désire s'exprimer après le conseiller d'Etat.
M. Renaud Gautier (L). Je m'en excuse, Monsieur le président. Je voulais seulement remercier M. le conseiller d'Etat de relever une fois de plus ici que les constructions des allocations familiales sont effectivement un effort que font les employeurs pour les allocations familiales. C'est une construction particulière, mais qui est en effet tout à la gloire des employeurs. (Commentaires. Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, il est pris acte de ce rapport.
Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2034.