République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 10 mai 2012 à 17h
57e législature - 3e année - 8e session - 42e séance
M 2065
Débat
Le président. Nous sommes au point 15, traité en catégorie II: trente minutes, soit trois minutes par groupe. Monsieur le premier motionnaire Antoine Bertschy, vous avez la parole.
M. Antoine Bertschy (UDC). Monsieur le président, je vous remercie. L'UDC a déposé cette proposition de motion suite à un cas réel, celui d'un hôtelier qui ne reçoit pas la liste des individus recherchés. Je vous rappelle que la liste des individus recherchés est transmise à l'association faîtière des hôteliers. Mais il se trouve - et nos amis libéraux comprendront bien cela - qu'il y a certains hôteliers qui aiment leur liberté et ne font pas partie d'une association faîtière, tout comme il y a des employés qui aiment leur liberté et ne sont pas membres d'un syndicat. Au sein de l'UDC, nous trouvons donc étrange que certains hôteliers reçoivent cette liste et que d'autres, parce qu'ils ne seraient pas affiliés à une association faîtière, ne la reçoivent pas. De plus, cela fait un trou dans le filet de sécurité ! Nous ne sommes pas très favorables à ce que des noms soient publiés sur des placards, comme «Wanted: tel individu recherché pour 100 000 dollars», cependant, si des informations sont communiquées à certains hôteliers, pourquoi ne pas les transmettre aussi à d'autres ? D'où l'objet de cette proposition de motion.
Quelques personnes ont relevé que cela pourrait soulever des problèmes au niveau de la transmission de données d'individus... L'UDC n'est absolument pas opposée à ce que nous en discutions en commission, par exemple en commission judiciaire et de la police, et si une autre idée, plus intelligente, se dessine, nous l'accepterons volontiers.
Néanmoins, nous vous prions de réserver un bon accueil à cette proposition de motion, pour les hôteliers qui ne sont pas membres de l'association faîtière.
M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, tout d'abord, il est évident que cette proposition de motion, surtout l'invite figurant dans ce texte, pose des problèmes de confidentialité. Accéder à certaines données par des tiers et par des privés serait contraire à certaines lois fédérales en matière de renseignements obtenus par les systèmes informatiques. Il faut savoir que dans le système SIS, c'est-à-dire le système de renseignement informatique européen, il y a 27 millions de données et environ 1,5 million de personnes recherchées... De ce fait, je ne vois pas quel logiciel informatique d'un hôtelier pourrait permettre de saisir qu'un de ses clients est recherché. En plus de cela, en dehors de toutes ces données - ce 1,5 million de renseignements de personnes recherchées - il y a encore tout le système au niveau fédéral, où nous retrouvons des personnes qui sont recherchées simplement pour des amendes converties en jours d'arrêts pour infraction à la LCR.
Il faut donc être très prudent par rapport à ce texte et ne pas voter cette proposition de motion les yeux fermés. La police a des moyens... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...pour connaître les personnes recherchées - par le biais, peut-être, de certains passages à Genève. Par contre, il serait intéressant de renvoyer cette proposition de motion à la commission judiciaire et de la police, afin que le département puisse nous fournir les renseignements nécessaires et nous éclairer sur la façon dont fonctionne le système policier quant à la recherche de personnes. Voilà pourquoi renvoyer cet objet à la commission que je viens de citer me semble la meilleure des choses.
Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, le parti socialiste a une lecture toute autre de cette proposition de motion. Tout d'abord, cette dernière ignore deux choses évidentes: la présomption d'innocence, d'une part, et la loi sur la protection des données, d'autre part. Je sais qu'il y a des pays - et pas des moindres, nous l'avons souvent entendu - comme l'Angleterre, où l'on placarde sur les murs, un peu partout, la photo de personnes soupçonnées - alors qu'elles n'ont pas été condamnées... Il y a eu des drames atroces. Quelqu'un qui ressemblait à un pédophile - pour prendre cet exemple - a eu sa vie complètement brisée parce qu'on l'a confondu avec une autre personne... Là, véritablement, c'est la chasse aux sorcières.
J'aimerais - car j'ai pris contact avec la police pour savoir comment cela se passe concrètement aujourd'hui - vous indiquer ceci: la police fournit déjà une information à tous les commerçants. Ces derniers reçoivent un bulletin des commerçants, comportant les délits criminels qui se sont produits; donc cette information, déjà, est distribuée aux commerçants. C'est pourquoi je trouve que demander de donner aux restaurants et aux hôtels la liste des individus recherchés, c'est aller un peu trop loin. En conclusion, le parti socialiste ne votera pas cette proposition de motion.
M. Frédéric Hohl (R). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai eu le plaisir de diriger deux hôtels à Genève pendant neuf ans, donc je connais assez bien ce système. A l'époque, ça fonctionnait par fax, on pouvait s'envoyer des informations d'hôtel à hôtel; aujourd'hui, c'est par le biais d'une liste d'adresses e-mail. Alors je rejoins les propos de Mme Bolay, mais ce n'est pas du tout utilisé dans cette voie-là. Les hôteliers reçoivent dans leur boîte e-mail, par exemple, une photo, la photo de quelqu'un ayant commis une filouterie d'auberge - c'est souvent lié à cela - ou alors, il peut s'agir d'un hôtelier qui vient de subir une filouterie d'auberge et qui envoie à tous ses collègues un message: «Attention, un individu habillé en rouge, avec un chapeau melon, est parti sans payer»... Voilà l'utilité de cette liste.
Maintenant, je remercie l'UDC d'avoir déposé cette proposition. Je me suis renseigné à la police, brigade de criminalité, auprès de la personne en charge de cela - tous les hôteliers la connaissent: effectivement, tous les hôtels affiliés à la Société des hôteliers genevois figurent dans la liste en question, mais les autres le peuvent également. Le brigadier m'a confirmé cela. J'ai eu une longue conversation téléphonique avec lui, il m'a dit: «Pour moi, il n'y a aucun problème; si un hôtelier me téléphone, me signale que tels et tels hôtels ne font pas partie de la Société des hôteliers et me demande de les y ajouter, je réponds: "Oui, bien sûr". J'ajoute ces noms et suis très heureux que l'on complète ma liste.» Donc il suffit qu'un hôtelier - on en connaissait un qui était chez vous auparavant - prenne la peine de téléphoner en donnant les noms des hôtels, et ces noms seront ajoutés dans la liste !
Ainsi, je trouve qu'il serait dommage de faire perdre du temps au département et de renvoyer cet objet dans une commission alors que, franchement, cela peut être réglé en deux temps trois mouvements ! J'ai testé, cela m'a été confirmé, donc je peux vous le dire - et c'est un ancien hôtelier qui vous le dit ! Raison pour laquelle nous allons refuser cette proposition de motion. Car je peux vous assurer que les choses vont bien fonctionner !
M. Vincent Maitre (PDC). En ce qui concerne le groupe PDC, nous sommes également très sceptiques quant à la légalité de cette proposition de motion, notamment au regard de la protection des données, donc de la protection de la personnalité et de la sphère privée. Nous doutons également de son effectivité pratique. En effet - cela a été dit tout à l'heure par M. Golay - par rapport à quelles données, quel tri et quelles infractions l'hôtelier qui est au bénéfice de ce genre d'informations devra-t-il procéder ?
Enfin, philosophiquement - et c'est probablement là que, à titre personnel, j'y vois le plus gros problème - cette proposition de motion incitera très probablement voire fortement à créer une sorte d'état généralisé de la suspicion, où chaque passant, chaque client possible d'un hôtel sera presque instinctivement perçu comme potentiellement suspect d'une quelconque infraction. Ce n'est pas ce que je souhaite pour ma ville ni pour mon canton, et ce n'est pas dans ce genre de société-là, où l'on est systématiquement observé, presque - après avoir été suspecté en premier - que je souhaite vivre.
Vous l'aurez compris, le PDC refusera également cette proposition de motion.
M. Pierre Weiss (L). Mesdames et Messieurs les députés, voici tout d'abord une petite correction, si je peux me permettre, à l'égard de Mme Bolay et des informations qu'elle a livrées. En réalité, les informations de police qui sont offertes aux commerçants par le biais d'un bulletin mensuel ne portent aucune indication nominative, aucune ! Donc il n'y a pas de problème de violation de la sphère privée, voilà une précision que je tenais à apporter.
Deuxièmement, parmi les considérants de la proposition de motion de l'UDC, il y en a un en tout cas qui est faux ! C'est celui selon lequel seule une partie des établissements hôteliers reçoit le signalement des individus recherchés. Comme l'a dit mon collègue Frédéric Hohl, ce n'est pas vrai, dans la mesure où tous - tous ! - les hôteliers membres de la Société des hôteliers le reçoivent et où tous ceux qui, n'étant pas membres, demandent néanmoins à obtenir ces indications le reçoivent aussi ! Donc il n'y a aucune exclusion qui est faite d'un système qui n'est pas bureaucratique.
Tout en partageant, sur le fond, les préoccupations des motionnaires, je crois que ce texte propose une invite qui aboutit uniquement à complexifier et à bureaucratiser le système existant actuellement, système ultra-simple. Or je crois que l'UDC est un parti qui est attaché, comme le PLR, à ne pas avoir une vie politique ni des institutions qui fonctionnent de façon bureaucratique, raison pour laquelle ce parti devrait, sinon réfléchir au retrait de cette proposition de motion, en tout cas accepter avec le sourire le fait qu'elle n'obtienne pas une majorité, et en tout cas pas les voix du PLR.
Au surplus, je crois, mais peut-être suis-je mal informé, que l'hôtelier qui se plaint et qui est à la source de cette proposition de motion du côté de l'UDC reçoit, lui, les informations en question. Il les reçoit lui-même, et peut-être a-t-il reçu les informations sur le fait que des individus - ou un individu - peu recommandables se trouvaient dans son établissement. Alors, je ne sais pas s'il les avait contrôlés, c'est une autre histoire ! Quoi qu'il en soit, on a affaire ici à une proposition de motion qui est peut-être basée sur un ressentiment personnel, mais qui n'est pas basée sur des faits, des faits clairs ! C'est pourquoi, tant du côté de la police que du côté des indications qui sont données par la Société des hôteliers, il convient d'en rester à la situation actuelle, qui est satisfaisante.
M. Roberto Broggini (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion interpelle un peu par sa brutalité et par la fonction que l'on veut donner aux hôteliers, qui seraient un bras supplémentaire pour la police. Dans les considérants, il est marqué que les hôteliers souhaitent collaborer de façon plus étroite avec la police; par modestie, je pense qu'il aurait fallu mettre que certains hôteliers, peut-être, le souhaitent. Néanmoins, tous ne le souhaitent pas - je le sais pour avoir interrogé des hôteliers - car ce n'est pas leur travail. Le travail des hôteliers, c'est de remettre une fiche - une fiche d'hôtel ou de police - à tous leurs clients, et ces fiches sont relevées tous les soirs par la gendarmerie. Un gendarme fait le tour des hôtels et des pensions pour, justement, savoir s'il y a des personnes qui sont recherchées, c'est un travail de police. On se rappelle cette affaire, à l'hôtel Rousseau, où les assassins d'un opposant iranien avaient séjourné; la police n'avait pas fait son travail. Ils étaient intervenus dix minutes plus tard ou le lendemain matin. Eh bien, on ne peut pas imputer cela à l'hôtelier, mais bien aux services de police, qui doivent faire leur travail et, peut-être, s'améliorer avec les outils informatiques que nous avons actuellement.
Ainsi, pour nous, cette proposition de motion pose beaucoup d'interrogations sur la protection des données, cela a été relevé, et sur le travail des hôteliers, qui est un travail d'accueil et non pas de surveillance de leurs clients. C'est pour cela que nous n'accepterons pas cette proposition de motion, qui fait en réalité des hôteliers des collaborateurs de la gendarmerie, ce qui n'est absolument pas leur rôle. Leur rôle est bien plus d'accueillir la clientèle.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Stéphane Florey... (Remarque.) Il renonce. La parole est alors à M. Roger Golay.
M. Roger Golay (MCG). Merci, Monsieur le président. Je pense que certains d'entre vous ont mal interprété l'invite du groupe UDC. Il ne s'agit pas juste de ce fameux petit fichier de renseignements concernant les filatures d'auberge et les personnes qui sont recherchées pour des fugues: ce que veut l'UDC, c'est simplement que les hôteliers possèdent la liste des personnes recherchées pour des cas graves. Vous êtes donc un peu en dehors du sujet.
Je pense qu'il est approprié de renvoyer cette proposition de motion à la commission judiciaire, de sorte que vous puissiez vraiment connaître la pratique de la police en ce domaine et savoir comment elle fonctionne pour interpeller les individus recherchés. Il vous manque pas mal de renseignements, et je vous invite à les obtenir en commission. Pour cela, ce sera un lieu peut-être plus adapté que notre parlement.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je regrette, Monsieur Sauty, votre groupe a épuisé son temps de parole. Je donne la parole à M. Antoine Bertschy, à qui il reste... (Remarque.) ...largement le temps ! (Rires.)
M. Antoine Bertschy (UDC). Monsieur le président, je vous remercie, mais je n'en profiterai pas. J'ai bien entendu les propos de M. Hohl et m'en réjouis. Cela nous a fait réfléchir, nous avons tenu un mini-caucus au sein du groupe UDC et nous allons retirer cette proposition de motion, tout en demandant à Mme la conseillère d'Etat que les hôteliers qui ne sont pas membres de cette association soient au courant qu'ils peuvent obtenir des informations. Si c'est le cas et que, dans six mois, nos contacts nous disent: «OK, c'est en ordre, cela fonctionne», nous ne reviendrons pas sur le sujet - pour nous, ce sera réglé. Aussi, Monsieur le président, l'UDC retire cette proposition de motion. (Applaudissements.)
Le président. Je prends acte que cette proposition de motion est retirée, mais je donne quand même la parole à Mme la conseillère d'Etat Isabel Rochat.
Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, un double merci aux motionnaires, tout d'abord d'avoir mis en lumière cette nécessité pour nos hôteliers de pouvoir disposer d'informations importantes, souvent cruciales, s'agissant de nos hôtes indésirables sur notre territoire.
Alors, que s'est-il passé ? Je confirme simplement tout ce qui a été dit, à savoir que la police ne transmet pas - pour la simple raison que la loi l'interdit - l'identité aux hôteliers ou à quiconque. En revanche, des profils sont donnés d'une façon très régulière. Dès mon entrée en fonction, je me suis préoccupée de ce point; un certain nombre de cas m'ont incitée à rencontrer les hôteliers, pas seulement les hôteliers des grands cinq étoiles, mais aussi la fédération des hôteliers, et nous avons instauré des réunions extrêmement régulières. Vous vous souvenez de ce que, pendant l'été 2009, il y avait eu toute une vague de protestations de touristes moyen-orientaux à cause de l'arnaque au bancomat. A la suite de cette histoire, qui a été montée en épingle - un peu à l'instar de ce qui s'est produit pour le jeune Américain l'été dernier, et il est tout à fait exact que cette histoire avait fait grand bruit auprès de l'Office du tourisme et auprès de nos hôteliers - je me suis dit qu'il fallait instaurer, établir un dialogue avec nos hôteliers, toutes catégories confondues. C'est la raison pour laquelle nous avons mis au point, avec le président de la Société des hôteliers, un certain nombre de réunions. Elles se tiennent deux fois par an, avant les Fêtes de Genève, et on fait le bilan à l'hiver, de façon à pouvoir vraiment établir un contact régulier - c'est la moindre des choses - et surtout un mode opératoire qui permette de tracer les individus indésirables. Alors les profils sont donnés, et je peux considérer les rapports entre les hôteliers et la police comme étant excellents. Je remercie donc les motionnaires d'avoir suscité cet intérêt - les choses sont sous toit - puis d'avoir retiré leur proposition.
Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Le débat est clos.
La proposition de motion 2065 est retirée par ses auteurs.