République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 janvier 2012 à 20h35
57e législature - 3e année - 4e session - 22e séance
M 2021
Débat
Le président. Je donne la parole à la première motionnaire, Mme Marie Salima Moyard. Il s'agit d'un débat de catégorie II, trente minutes, soit trois minutes par groupe.
Mme Marie Salima Moyard (S). Merci, Monsieur le président. Pour changer un peu des débats que nous avons eus jusqu'à présent, revenons à un domaine trop délaissé du DSPE au goût des socialistes, la question énergétique. Améliorer la veille antinucléaire du canton de Genève, en particulier sur les questions du dépôt de déchets nucléaires du Bugey et du démantèlement de Creys-Malville, tel est le but de la motion que le groupe socialiste propose.
Je ne pense pas avoir besoin de vous rappeler le combat historique antinucléaire contre Superphénix, le réacteur de Creys-Malville, ayant abouti à l'adoption par le peuple du fameux article 160E de la constitution en 1986, que je sais bien que chacun connaît par coeur, spécialement son alinéa 5. En voici la première phrase: «Les autorités cantonales s'opposent par tous les moyens juridiques et politiques à leur disposition à l'installation de centrales nucléaires, de dépôts de déchets hautement et moyennement radioactifs et d'usines de retraitement sur le territoire du canton et au voisinage de celui-ci.»
La question qui s'est posée au groupe socialiste est la suivante: le gouvernement fait-il ce travail en particulier auprès de la France, voisine très proche et énorme productrice nucléaire ? En effet, le groupe a appris par voie de presse en mai 2011 - et il avait demandé à cette époque l'urgence, laquelle n'avait pas été acceptée par ce plénum - la construction d'un centre d'entreposage de déchets radioactifs dans le Bugey, à 70 kilomètres à vol d'oiseau de Genève, non loin du tristement fameux Creys-Malville et de la fort problématique centrale vieillissante du Bugey - donc dans le voisinage de celui-ci, «nucléairement» parlant. La question a été posée dans l'IUE 1213: le gouvernement était-il au courant de cela ? Est-ce qu'il s'y est opposé ? Réponse - je vous invite à la lire, c'est joli: il ne savait pas; il n'en a pas été informé; il regarde comment se joindre à des recours existants vu que les délais de recours sont passés. Je vous laisse apprécier.
Cela montre un déficit flagrant de communication entre la Suisse et la France, entre Genève et la région frontalière française, à l'heure pourtant où l'on parle avec grande raison de la construction d'une région franco-valdo-genevoise. Voilà donc quelques mots pour vous expliquer l'origine du texte que vous avez sous les yeux.
Si maintenant je synthétise rapidement les invites, que vous propose le groupe socialiste ? Parce que certes, que le groupe socialiste apprenne des choses pareilles par voie de presse, cela passe encore, mais que ce soit aussi le cas du gouvernement, c'est quand même un peu plus gênant, vous en conviendrez. Cela ne doit donc pas se reproduire. Dès lors, l'idée est d'instaurer - rien de très révolutionnaire, rassurez-vous - une veille beaucoup plus étroite de la part du gouvernement en lien avec les autorités fédérales et françaises, car la population genevoise est premièrement concernée, deuxièmement exposée au premier chef, et troisièmement a résolument refusé d'être mise en danger.
Ensuite, la motion demande une information au Grand Conseil extrêmement rapidement - d'où encore une fois la demande d'urgence; certes, nous sommes quelques mois plus tard ! - sur les recours et les actions juridiques annoncées dans la réponse à l'IUE 1213. Finalement est demandée une information sur un sujet qui bénéficie du silence assourdissant du Conseil d'Etat: le démantèlement de Creys-Malville, entamé il y a plusieurs années et sur lequel, malgré les risques extrêmement élevés, comme je le disais, nous n'avons absolument aucun renseignement.
C'est pourquoi le groupe socialiste vous demande de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat pour obtenir des réponses ou au moins, à défaut, à la commission de l'énergie, afin que nous puissions y étudier ce dossier, ce d'autant que la commission de l'énergie n'a rien à son ordre du jour. Nous serions ainsi ravis de pouvoir traiter ce sujet. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. François Lefort (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, que dit la première phrase de l'alinéa 5 de l'article 160E de la constitution ? Elle stipule ceci: «Les autorités cantonales s'opposent par tous les moyens juridiques et politiques à leur disposition à l'installation de centrales nucléaires, de dépôts de déchets hautement et moyennement radioactifs et d'usines de retraitement sur le territoire du canton et au voisinage de celui-ci.»
Que demande la motion ? Elle demande au Conseil d'Etat d'être vigilant sur les activités nucléaires proches de notre territoire, d'informer le Grand Conseil et la population genevoise des actions juridiques et politiques entreprises... (Le micro de l'orateur cesse de fonctionner. Celui-ci continue à s'exprimer hors micro.) ...concernant tous les dépôts de déchets nucléaires du Bugey. Ce sont des demandes raisonnables faites au Conseil d'Etat pour qu'il utilise toute la latitude offerte par la constitution pour défendre l'intérêt vital de notre territoire et de notre population. Bien sûr, récemment, le 6 janvier 2012, EDF a annoncé la suspension des travaux sur le site du Bugey à la suite d'une décision du Tribunal administratif de Lyon, mais ce n'est qu'une décision administrative et qu'une suspension provisoire. Cela implique que la vigilance du canton de Genève ne doit pas baisser sur la question des déchets radioactifs stockables au Bugey.
Comme je l'ai dit, les requêtes de cette motion sont raisonnables; il est donc bien évident que les Verts soutiendront le renvoi de la motion dans un premier temps au Conseil d'Etat et, si ce n'était pas accepté, à la commission de l'énergie. Je vous remercie.
Une voix. Bravo !
Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des invites de la motion présentée par le parti socialiste, nous nous y rallierons absolument. Mon préopinant... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...a rappelé l'alinéa 5 de l'article 160E de la constitution genevoise. Je tiens donc à souligner que la Constituante, lors de sa première lecture - qui en fait est déjà la deuxième - prévoit en l'article 171, «Energie nucléaire», ceci: «Les autorités cantonales s'opposent par tous les moyens à leur disposition et dans la limite de leurs compétences à l'installation de centrales nucléaires, de dépôts de déchets radioactifs et d'usines de retraitement sur le territoire et au voisinage du canton.» Nous avons donc bien la confirmation de l'engagement... (Brouhaha. Un instant s'écoule. Le président agite la cloche.) ...cantonal eu égard à ce qui était mentionné dans la motion présentée par les socialistes. Je vous suggère ainsi de relire très précisément les invites.
J'aimerais encore ajouter que la problématique me semble en fait relever de la nature des accords et des actes administratifs ou juridiques qui se font principalement avec la France. Or la problématique a trait - parce que l'apprendre par la presse s'avère quand même assez gênant - à la communication transfrontalière et aux informations transmises de la part du Conseil d'Etat au Grand Conseil. La question qui peut se poser est de savoir s'il s'agit d'une volonté. J'ignore comment le Conseil d'Etat peut ne pas être informé de ce qui est en train de se passer. Nous soutiendrons donc positivement la motion, soit son renvoi au Conseil d'Etat ou si nécessaire à la commission de l'énergie.
M. René Desbaillets (L). Au sujet de la motion, le PLR va faire du pragmatisme; nous n'allons pas essayer de réinventer la roue et de savoir ce qui se passe chez nos voisins. Le problème qui nous intéresse le plus et qui s'avère le plus important pour l'avenir de notre canton et de ses habitants relève surtout de la dernière invite et consiste donc à savoir ce que les Français vont faire dans le démantèlement de leurs centrales nucléaires, notamment celle de Creys-Malville. En effet, il y a deux solutions: soit on enfouit les déchets, c'est-à-dire que l'on cache tout cela au fond et que l'on attend de voir ce qui va se passer en laissant les générations futures s'en occuper, ou alors on peut stocker les déchets de manière à pouvoir les récupérer lorsque la technologie du futur nous permettra peut-être de les réutiliser ou de les traiter pour les éliminer réellement. Parce que la recherche doit continuer sur le nucléaire, notamment afin de trouver des solutions pour traiter les déchets, que ce soient ceux du carburant ou des centrales nucléaires que nous devons démanteler. En Suisse, il y a des centrales qui devront être démantelées, il faut donc essayer de trouver des moyens pour ne pas simplement cacher la merde au chat, mais afin de déboucher sur des solutions réelles pour que les générations futures n'aient pas à subir les éventuels dégâts qu'on leur transmettrait. Voilà pourquoi nous sommes en faveur du renvoi de cette motion à la commission de l'énergie. Merci.
M. Serge Dal Busco (PDC). Mesdames et Messieurs, chers collègues, le groupe démocrate-chrétien soutiendra le renvoi de cette motion à la commission de l'énergie, malgré - cela a été dit - la récente décision de justice qui, semble-t-il, accorde un sursis. Evidemment, rien n'est certain, surtout lorsque l'on voit la politique de nos voisins français. D'ailleurs, on peut peut-être demander humblement au parti socialiste d'essayer d'influer sur le PS français pour changer cette politique; il semblerait que le candidat à la présidentielle ne prévoie pas de réforme en la matière.
Ces réformes, nous avons su les engager en Suisse, sous la majorité féminine du Conseil fédéral en mai dernier et sous l'impulsion décisive - tout le monde s'accorde à le reconnaître - de la conseillère fédérale en charge de l'énergie, Doris Leuthard, éminente démocrate-chrétienne. (Commentaires.) En Suisse, nous avons pris cela en considération, nous avons su le faire, et depuis le 11 mars dernier plus rien ne sera jamais comme avant. Dès lors, en plus de ce que nous oblige à faire notre disposition constitutionnelle - dont on se réjouit d'ailleurs que la Constituante ait repris le principe actuel - nous devons prêter une attention vigilante à ce qui se passe à nos frontières, de surcroît lorsque les installations sont très proches et vétustes pour certaines.
De ce fait, instaurer un système de veille et d'information performant en collaboration - et cela pourrait être un bel exemple de coopération transfrontalière pour le projet d'agglomération - s'avère une excellente idée. Des questions techniques sont à vérifier et cela peut être réalisé de manière tout à fait adéquate en commission; c'est la raison pour laquelle je vous invite à voter le renvoi à la commission de l'énergie. Je vous remercie.
Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ce sujet est effectivement d'importance, et il n'y avait pas que le canton qui n'était pas au courant de diverses démarches, mais aussi la Confédération. Je reviens brièvement sur les faits. Concernant les deux premières invites, je copréside le CRFG - le comité transfrontalier des réglementations - et dans ce cadre un certain nombre d'instances ont déjà été saisies à propos de cette affaire. Il y a la commission franco-suisse de sûreté nucléaire, la convention de sûreté nucléaire, ainsi qu'un accord international datant de 1996 entre le Conseil fédéral et le gouvernement français. Il s'agit à présent de faire valoir très précisément nos soucis et nos recommandations dans le cadre de la Convention d'Espoo.
S'agissant de la troisième invite, il existe une commission franco-suisse de sûreté nucléaire; et la Confédération, respectivement Mme Leuthard, a été saisie d'un courrier de ma part pour la rendre attentive au dépôt ICEDA... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...donc au dépôt de déchets radioactifs. C'est vrai que les centrales nucléaires, notamment Creys-Malville qui n'est plus en activité depuis 1998, doivent être démantelées. Il s'agit de se positionner entre la France et la Suisse, cette dernière ayant qualité pour agir. Il faut donc se déterminer sur la façon dont on peut stocker, d'abord de manière transitoire - et c'est le cas d'ICEDA - puis d'une façon plus pérenne, ces déchets issus du démantèlement de centrales nucléaires.
Sur le projet ICEDA mentionné tout à l'heure, j'ai eu l'occasion la semaine dernière encore dans le cadre du CRFG d'en parler avec le préfet Galli, de l'Ain, qui a suivi le recours adressé devant le Tribunal administratif de Lyon. C'est un horticulteur voisin de l'ICEDA qui a fait recours; celui-ci utilise en fait l'eau thermique de cette centrale pour chauffer ses serres qui produisent des palmiers. Cela dit, peu importe, ce M. Roozen a fait recours contre l'ICEDA et, pour des raisons d'urbanisme, il a été accepté et reconnu recevable par le Tribunal administratif de Lyon.
Maintenant la question qui se pose est de savoir si, dans ce cadre, Genève a qualité pour agir en termes de voisinage. Nous avons jusqu'au 25 avril et je suis cela de très près. Nous avons mandaté un avocat français et je propose de venir devant le Conseil d'Etat, car c'est de son ressort, afin d'intervenir dans le cadre du deuxième recours, qui n'est pas directement concerné par la question de l'urbanisme, mais par le fait d'entreposer - transitoirement, c'est sûr - ces fûts, déposés dans un premier temps à 600 mètres de profondeur, pour être ensuite stockés d'une façon définitive dans un autre site. Mais c'est vrai que la proximité permet de s'interroger sur notre qualité pour agir et j'ai pour l'instant mandaté un avocat français; je devrais obtenir les réponses ces prochains jours, de façon à pouvoir saisir le Conseil d'Etat. Ainsi, c'est avec plaisir que l'on pourra en parler dans le cadre de la commission de l'énergie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous allons procéder au vote sur le renvoi de la proposition de motion 2021 à la commission de l'énergie.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2021 à la commission de l'énergie et des Services industriels de Genève est adopté par 69 oui et 1 abstention.