République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1766-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition : Moratoire du projet de restructuration des bibliothèques de l'UNIGE
Rapport de M. Jean Romain (R)

Débat

Le président. Nous sommes en catégorie II: trois minutes par groupe et trois minutes au rapporteur. Monsieur le député Jean Romain, vous avez la parole en tant que rapporteur.

M. Jean Romain (R), rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, cette pétition nous a été envoyée par les bibliothécaires de l'Université de Genève, ainsi que par le syndicat qui les représente. Il s'agit de passer de soixante sites - vous savez qu'il y a une soixantaine de bibliothèques - à cinq sites, qui centraliseront les livres et les périodiques. C'est une difficulté réelle et un changement important. Evidemment, pour certains, ce sera un bouleversement. Le personnel de ces bibliothèques, de ces soixante sites, est inquiet. En effet, d'abord, il n'a pas été associé au projet et il ne comprend pas toujours, voire pas souvent, le bien-fondé de certaines exigences, par exemple le fait de postuler de nouveau à sa propre place. Deuxièmement, le cahier des charges est évidemment bouleversé. Mais ce cahier des charges qu'on lui propose d'accepter n'est pas clair. Enfin, pour faire simple, vous pouvez lire dans mon rapport - ni de majorité, ni de minorité: c'est le seul rapport qu'il y ait eu - que, au fond, la présence d'un consultant autoritaire, qui est là pour aider la modification, le changement, ne connaît rien au monde du livre. Ce consultant parle de stock quand on devrait parler de fonds bibliothécaire.

Alors il y a une inquiétude. Il y a peut-être une urgence à répondre à cette inquiétude. Nous avons auditionné le rectorat de l'Université. Ce dernier admet qu'il y a eu des erreurs dans la communication. Il admet que, malgré bon nombre d'heures d'explications passées sur les sites, tout ne s'est pas déroulé comme cela aurait dû. Il admet aussi que le consultant a été sans doute un peu trop visible. Mais le rectorat demande qu'on lui fasse confiance dans ce changement. C'est un changement majeur préconisé par toute une série de rapports que le rectorat avance pour le justifier.

La commission a auditionné d'une part les représentants des bibliothécaires, d'autre part la représentante du rectorat. Et, à la majorité, à la majorité certaine, il a été fait le sort le meilleur que nous puissions faire à une pétition, c'est-à-dire la transmettre au Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de suivre la majorité - la grande majorité - de la commission dans cette volonté de transmettre cette pétition au Conseil d'Etat.

Le président. Merci, Monsieur le député. Pile trois minutes ! La parole est à Mme la députée Brigitte Schneider-Bidaux.

Mme Brigitte Schneider-Bidaux (hors micro). C'est une erreur.

Le président. Alors la parole est à Mme la députée Anne Mahrer.

Mme Anne Mahrer (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, non, les bibliothécaires de l'Université ne sont pas réfractaires aux changements, ils les vivent au quotidien. Oui, ils sont favorables à une restructuration des bibliothèques, mais pas comme cela. Ce pilotage calamiteux, indigne de l'Université de Genève, a de graves conséquences pour les personnes concernées: démissions, absences pour maladie, retraites anticipées, démotivation, postes vacants. Comment fera l'Université pour restructurer ces bibliothèques ? Si l'on avait voulu faire échouer ce projet, on ne s'y serait pas pris autrement. L'Assemblée de l'Université, hier soir, l'a bien compris, en recommandant au rectorat d'abandonner ce projet, le projet actuel, et d'en élaborer un nouveau, bien entendu avec la collaboration des personnes concernées. L'Université serait bien inspirée de faire appel aux compétences et aux ressources présentes dans cette même Université - il y en a dans les facultés - et de prendre en compte les compétences métier, nombreuses également.

Mesdames et Messieurs les députés, effectivement, il est urgent de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat et il faut espérer que l'Université reviendra sur ce projet et traitera le personnel concerné d'une autre manière et avec le respect qui lui est dû. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Je demande aux personnes qui sont à la tribune de ne pas manifester leurs opinions, qu'elles soient favorables ou défavorables. La parole est à M. le député Jean-Louis Fazio.

M. Jean-Louis Fazio (S). Mesdames et Messieurs les députés, pourquoi, dans le cadre de la réorganisation des bibliothèques de l'Université, est-il nécessaire de provoquer une telle souffrance ? C'est la question que les socialistes posent au Conseil d'Etat. Bien que l'autonomie de l'Université et la liberté académique doivent être respectées, et que l'alma mater soit presque entièrement financée par les contribuables genevois, les socialistes déplorent l'état d'esprit dans lequel s'effectue cette réorganisation, dans un manque total de communication entre la direction en charge de la réforme des bibliothèques et le personnel concerné.

Entre autres mesures, les employés sont amenés à postuler de nouveau à leur propre poste et sont encouragés à postuler en concurrence sur les mêmes postes que leurs collègues: cela n'a pas manqué de déstabiliser le personnel. De plus, cette réforme onéreuse est menée tambour battant par un consultant extérieur dont on ne connaît les critères qui ont présidé à son choix. Au surplus, a-t-il déjà eu une expérience dans la réorganisation de bibliothèques ? Si oui, quel sont les critères sur lesquels il se fonde ? Autre question: l'Université n'a-t-elle pas les forces internes suffisantes pour mener à bien une réforme de l'ensemble des bibliothèques de l'Université de Genève ? Comme on a pu le constater, cette réorganisation s'effectue dans un climat de tension et engendre une grande souffrance et des démissions en cascade au sein des bibliothèques.

Les socialistes souhaitent que des solutions soient trouvées et qu'elles tiennent compte des compétences et des intentions du personnel. Nous demandons que ces négociations se passent dans le cadre d'un réel dialogue et d'un partenariat social. Nous voterons les conclusions du rapport et son renvoi au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)

Mme Christina Meissner (UDC). Mes préopinants ont déjà largement décrit la situation, le rapporteur aussi.

Il n'y a qu'un rapporteur: c'est bien la preuve que nous sommes tous d'accord, parce que nous avons tous mesuré à quel point cette réforme des bibliothèques n'était pas menée en concertation avec les principaux intéressés. Pour ma part, j'ai été particulièrement impressionnée par le fait que tous les bibliothécaires étaient là, ensemble, pour nous dire à quel point ils n'avaient pas été associés à cette réforme. Pourtant, un mandataire extérieur, on le sait, passe et trépasse, souvent... (Remarque.) Il «rapace», merci ! (Rires.) Mais ceux qui doivent, à un moment donné, véritablement intégrer la réforme, l'associer à leur travail, ce sont les bibliothécaires; or ils se sentaient, par rapport à cela, complètement laissés de côté.

Bibliothécaire, c'est un métier. Ce n'est pas n'importe quel métier. Dans ce sens, il est absolument essentiel d'associer ces bibliothécaires à la réforme, si l'on veut qu'elle aboutisse, puisque l'objectif, si l'objectif est bien compris, est l'amélioration des prestations. En l'occurrence, dans ce cas précis, l'amélioration, la restructuration des bibliothèques, doit se faire en collaboration, en partenariat avec les bibliothécaires. Quand tous les bibliothécaires viennent nous dire que cela ne peut pas se passer comme cela, c'est qu'il y a un problème. On doit les entendre; c'est ce que nous avons fait. Dans ce sens, le groupe UDC vous propose aussi le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat.

M. Pascal Spuhler (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le MCG, évidemment, est favorable à une réforme efficace, améliorant les prestations pour les étudiants et les enseignants. Mais cette réforme paraît tout à fait cavalière - elle a été menée de manière très cavalière, visiblement. «Mauvaise communication», «Consultant autoritaire», voilà ce que l'on peut entendre lorsque l'on écoute les auditionnés.

De plus, on peut tout de même s'étonner, quand on fait appel à une société établie en France, depuis 2008 uniquement, censée avoir beaucoup de références... (Brouhaha.) ...qui nous envoie un consultant à 2000 F par jour et qui travaille depuis une année ! Quelle est la qualité du travail qui est mené, là ?! Alors, évidemment que nous soutiendrons le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous traitons d'un problème important, la réorganisation des bibliothèques de l'Université, qui - cela a été dit par le rapporteur de la commission - est aujourd'hui assez catastrophique du point de vue du service au public. J'aimerais en effet insister en relevant que cette très mauvaise organisation n'est pas le fait, bien entendu, des bibliothécaires, mais d'une absence de vision au niveau universitaire de ce que doit être impérativement un service au public, aux étudiants, aux enseignants, et plus généralement un service également à la recherche.

J'aimerais donc insister, Mesdames et Messieurs les députés, sur le bien-fondé d'une réorganisation: l'objectif est de passer de soixante à cinq sites, en réseau, avec un fonctionnement commun, avec des heures d'accessibilité au public définies de façon commune, selon des critères qui doivent être non seulement communs, mais pensés pour le public. Je n'ai pas besoin de reprendre la liste que j'ai évoquée tout à l'heure des critères essentiels au bon fonctionnement des bibliothèques de l'Université.

Le fondement de la réorganisation, Mesdames et Messieurs, a démarré en 1999. Nous sommes donc douze ans après les premiers constats. S'il y a en tout cas un élément que l'on ne peut pas mettre en avant, c'est celui d'une réorganisation qui aurait été au départ déclenchée dans la précipitation.

Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes en réalité saisis aujourd'hui d'un second acte, du point de vue parlementaire, puisque, dans un premier temps, le Conseil d'Etat a répondu à l'interpellation urgente écrite 1106. Je crois que M. le député Fazio l'avait adressée au Conseil d'Etat, se souciant des conditions dans lesquelles était menée ladite réorganisation. Le Conseil d'Etat a alors répondu, je crois en faisant écho à plusieurs des préoccupations contenues dans l'interpellation urgente écrite, en disant notamment qu'il convenait d'assurer des informations de proximité dignes de ce nom, un appui des ressources humaines à titre individuel également digne de ce nom, et surtout une entrée en matière pour qu'une commission paritaire puisse négocier les aspects «emploi», parce qu'il était évident que cela relève également de la négociation.

Mesdames et Messieurs les députés, l'Université, le rectorat, a reconnu certaines maladresses assez évidentes. Je pense qu'il est inacceptable, inadmissible, de demander à un salarié - qu'il ou elle soit du reste de la fonction publique ou qu'il ou elle travaille dans le secteur privé - lorsqu'il s'agit d'une modification d'un cahier des charges, de lui demander de postuler de nouveau. On est aux confins de la provocation lorsque l'on commet de telles maladresses, il faut bien le dire. Cela a non seulement suscité l'émoi des bibliothécaires; j'aimerais aussi dire que, en tant que conseiller d'Etat, je comprends cet émoi. C'était le sens de notre réponse à l'interpellation urgente écrite de M. le député Fazio.

J'aimerais également ajouter que mener un certain nombre de réorganisations est profondément nécessaire dans le service public. Celui-ci doit s'adapter. Je ne vais pas reprendre l'élément d'introduction que j'ai évoqué. Mais, lorsque l'on cherche à aboutir dans une telle réorganisation, il faut bien entendu faire preuve de méthode, de doigté, de dialogue. Or le choix, quelques fois, qui amène à confier une importante réorganisation, de fait, à un consultant ne relève pas très directement de cette préoccupation. Je pense...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le conseiller d'Etat.

M. Charles Beer. Non, j'aimerais répondre correctement. Vous me couperez si vous voulez, mais à travers toutes les préoccupations, je serai bientôt à la fin, Monsieur le président. Je tiens simplement à répondre correctement par rapport aux préoccupations qui m'ont été transmises. J'ai presque terminé, en deux minutes; je vous le promets, Monsieur le président.

J'aimerais dès lors ajouter que, si un consultant ne relève pas de la panacée en matière de réorganisation, il est important, non seulement que vous ayez pu, en commission, auditionner les pétitionnaires - vous l'avez fait - et que vous transmettiez également au Conseil d'Etat votre préoccupation, de sorte que celui-ci, en tant que tutelle de l'Université, malgré la loi sur l'autonomie, puisse faire valoir diverses préoccupations, même s'il n'entend jamais se substituer à l'autorité responsable qu'est l'Université.

Dès lors, je fais bon accueil au renvoi de la pétition au Conseil d'Etat. Evidemment, non seulement nous y répondrons favorablement, mais dans les faits, puisque nous accorderons effectivement le plus grand soin à ce que le dialogue ne froisse pas, ne provoque pas, ne blesse pas inutilement, mais également ne mette pas en cause une réorganisation qui est profondément nécessaire, parce qu'elle est au service de la collectivité en général, de son rayonnement. Je suis persuadé que les bibliothécaires concernés auront également à coeur de participer à des groupes de travail du point de vue de l'aboutissement à rechercher pour une telle réforme. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons passer au vote sur le rapport P 1766-A. Nous nous prononçons sur le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 1766 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 85 oui contre 2 non et 1 abstention. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)