République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 19 novembre 2010 à 20h30
57e législature - 2e année - 1re session - 5e séance
M 1898
Débat
Le président. J'ai peine à croire que ce parlement puisse traiter avec légèreté d'un sujet aussi important. Je cède donc la parole à un des auteurs de cette motion, M. Bavarel.
M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je vais citer, d'une manière quelque peu apocryphe - néanmoins, quant au sens, on n'est pas très loin - un grand chef amérindien: «Ce n'est pas tant la sauvegarde du condor qui nous importe. Mais c'est les qualités morales qu'il faut pour sauvegarder le condor qui nous permettra de sauver l'humanité.»
Cette motion, certes, nous l'avons déposée pour attirer l'attention. Et parce que le sujet - nous en convenons - n'est pas celui qui changera la face de la République, nous l'avons rédigé sur un ton léger. Cependant, la problématique est réelle: vous avez aujourd'hui des écrevisses qui envahissent le lac et, depuis dix ans, avancent tranquillement à l'intérieur de celui-ci. De plus, nous avons une foison législative totalement délirante que nous vous demandons d'alléger.
Nous avions songé, lors de l'élaboration de nos considérants, à tous, chacun et chacune dans cette salle. Le premier considérant, soit «l'envahissement de notre lac par des écrevisses exotiques et la destruction de la piscifaune indigène qui s'en suit» permettra à l'UDC et au MCG de venir avec nous. (Rires.) Les qualités gustatives desdites écrevisses concernent avant tout mon groupe qu'il fallait aussi convaincre. Vous savez bien qu'il vaut mieux être un bon vivant qu'un mauvais mort, c'est chez les Verts qu'il faut absolument convaincre de ce sujet-là. Quant au «plaisir des masses laborieuses à se prélasser au bord du lac et à consommer des produits issus de ce dernier», bien évidemment, nos camarades socialistes ne peuvent pas être insensibles à ce type d'argumentaire. Et «l'importance de marier les excellents vins blancs du terroir genevois avec un plat du terroir», que ce soit du côté des radicaux ou du PDC, ce sont des arguments qui me semblent être de poids. Bien évidemment, les libéraux, nous ne vous avons pas oubliés.
Des voix. Ah !
M. Christian Bavarel. Lorsque l'on parle - quand même ! - du «foisonnement législatif entravant la libre entreprise du secteur de la pêche aux écrevisses»... (Rires.) ...vous conviendrez qu'avec des arguments aussi oecuméniques l'ensemble de ce parlement ne peut être que d'accord ! Cela d'autant plus que les invites ont l'avantage d'être brèves mais claires: diminuer la restriction limitant la pêche des écrevisses exotiques dans le lac Léman et promouvoir leur consommation locale comme nouveau produit du terroir.
Depuis que nous avons déposé cette motion, j'ai eu l'occasion de pouvoir déguster quelques écrevisses ici, à Genève - du lac, bien évidemment - mais aussi du côté de Seyssel. Celles qui étaient réputées n'être qu'à Thonon sont descendues doucement sur le Petit-Lac, et nous les retrouvons actuellement dans le Rhône. Il y a donc urgence à ce que l'on puisse manger correctement, ensemble, des plats de qualité.
C'est pour cela que je vous invite tous à renvoyer ce sujet d'importance directement au Conseil d'Etat, et nous irons tous en déguster au café Papon qui se trouve juste en-dessous et qui, de temps en temps, en cuisine de manière remarquable ! (Rires. Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Lorsque je vous écoute, je me dis que Bossuet est parmi nous. La parole est à M. le député Frédéric Hohl.
M. Frédéric Hohl (R). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je croyais que la revue des députés avait lieu une fois tous les quatre ans. Mais, apparemment, on a eu droit à un sketch...
Il y a deux cas de figure - je m'en suis ouvert tout à l'heure au député Bavarel - à savoir si c'était un gag, une plaisanterie, ou si c'était réellement un sujet sérieux. Je comprends aujourd'hui que c'est un sujet sérieux. C'est vrai que vous avez déposé cette motion le 27 août 2009; je ne sais pas comment on a pu faire jusqu'à aujourd'hui pour ne pas traiter ce sujet, il est tellement important ! Moi, ça me rappelle la longeole genevoise, la fricassée genevoise, et je ne crois pas que le Conseil d'Etat est à même de traiter un sujet pareil.
Honnêtement, je pense que nous devons - et c'est urgent - renvoyer cela immédiatement à la commission de l'environnement et de l'agriculture. (Exclamations.) Oui, Mesdames et Messieurs ! Ce n'est pas pour l'examiner durant dix séances, pas du tout ! Soit c'est un sujet sérieux, et l'on y consacre une séance de commission, on en parle sérieusement, et puis on ramène cela ici, soit c'est une boutade et vous retirez cette motion. Formellement, je vous demande le renvoi à la commission de l'environnement et de l'agriculture.
Le président. Merci, Monsieur le député, je vois que vous en pincez pour ce sujet. (Brouhaha.) La parole est à M. le député Fabien Delaloye.
M. Fabien Delaloye (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la proposition de motion 1898, «Vous aimez les écrevisses ? Nous aussi !», est intéressante. Chers collègues, enfin un sujet récréatif qui allie une dynamique de régulation et de protection de notre bord du lac ! Je pourrais ajouter que les pêcheurs professionnels apprécieront de pouvoir les pêcher rapidement, car ces écrevisses causent actuellement d'énormes dégâts aux filets de pêche... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...de notre corporation de pêcheurs. (Remarque de M. Frédéric Hohl. Brouhaha.) Par ailleurs, la carte des mets de nos artisans restaurateurs pourra effectivement s'enrichir d'un nouveau produit du terroir d'origine américaine. Le groupe MCG soutiendra ce projet de motion fort intéressant. Et bon appétit ! (Rires.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Dans la mesure où c'est une motion, Monsieur le député Hohl, nous voterons sur le renvoi à la fin. Il y a encore d'autres intervenants au menu de ce soir. La parole est à Mme Christina Meissner.
Mme Christina Meissner (UDC). Merci, Monsieur le président. Nous sommes saisis d'un sujet extrêmement important, effectivement, concernant la protection des écrevisses, à savoir que la motion nous invite à diminuer la restriction limitant la pêche des écrevisses exotiques dans le Léman. Il faut savoir que cette invite est inutile, car la Commission consultative internationale de la pêche dans le Léman est déjà extrêmement large quant à la pêche des écrevisses exotiques. En l'occurrence, on peut déjà la pêcher quasiment quand on veut.
La deuxième invite appelle à promouvoir la consommation locale des écrevisses exotiques comme nouveau produit du terroir. (Remarque.) Un appel à consommer un produit, oui; mais, du terroir, certainement pas ! Ne confondons pas les sangliers - chers à notre député Pierre Weiss - avec les écrevisses exotiques ! J'encourage les Verts à consulter la clé d'identification des écrevisses pour éviter de confondre l'écrevisse exotique avec l'écrevisse autochtone. (Exclamations.) Vous savez à quel point l'UDC est attachée aux populations indigènes... (Rires.) ...en l'occurrence, les écrevisses à pattes blanches !
Des voix. Ah !
Mme Christina Meissner. Et ce n'est pas moi qui l'invente ! (Commentaires.) Or, les écrevisses à pattes blanches, contrairement à ce que vous pensez, Messieurs et Mesdames les Verts, ne sont pas présentes dans le lac mais dans les petits ruisseaux et dans les petites rivières, où elles bénéficient déjà d'une belle protection. Et ça n'est pas votre motion qui leur permettra d'éviter la peste venue d'ailleurs, notamment des exotiques !
Des voix. Ah !
Mme Christina Meissner. Et l'envahisseur exotique est nombreux ! Je vous ferai juste un petit résumé de cette clé d'identification...
Des voix. Non, non ! (Exclamations. Rires.)
Mme Christina Meissner. L'écrevisse à pattes grêles de Turquie, eh oui ! L'écrevisse du Pacifique qui, comme son nom l'indique, vient d'outre-mer, en l'occurrence du Pacifique, de Californie - l'écrevisse américaine, encore elle ! L'écrevisse de Louisiane, qui n'a pas encore complètement succombé aux hydrocarbures et vient nous étouffer nos eaux. Je vous ferai grâce de la clé de détermination de toutes ces écrevisses, pour vous dire tout simplement que, contrairement à notre population indigène d'autochtones - celle des écrevisses à pattes blanches, je le rappelle - qui jouit déjà de nombreuses mesures de protection, la pêche des écrevisses américaines est déjà largement autorisée.
Je vous invite à rejeter... Désolée, les Verts que j'aime beaucoup, mais non... (Exclamations.) ...nous ne soutiendrons pas cette motion ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Après Bossuet, on parle de la jouissance des écrevisses et de Camus. Je sens que la fin de la soirée va être intéressante. (Rires.) Pour ce faire, je passe la parole à M. le député Eric Stauffer.
Des voix. Ah !
M. Eric Stauffer (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je trouve juste affligeant ce qui se passe ce soir ! (Rires. Commentaires.) On parle des écrevisses ! L'emploi des Genevois: on s'en fout ! Les problèmes de sécurité: on s'en fout ! Les problèmes de logement: on s'en fout ! Les problèmes de joueurs de Bonneteau qui plument les petites vieilles: on s'en fout ! La circulation: on s'en fout ! (A chaque «On s'en fout!», l'orateur froisse une page et la jette par-dessus son épaule.) (Exclamations.) Et vous parlez des écrevisses... C'est lamentable ! (Applaudissements. Commentaires.)
Le président. Merci, Monsieur le député, de votre apport à la sérénité des débats. Merci aussi de ne pas oublier de ramasser le papier pour le mettre dans la benne à récupération. (Rires.) La parole est à Me Jornot, pour la défense des écrevisses.
M. Olivier Jornot (L). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il fut un temps où les Verts voulaient sauver la planète. (Rires.) Il fut un temps où, à coup de lance-roquettes - dit-on - ils voulaient changer le monde, changer la société. Aujourd'hui, les mêmes - les mêmes ! - font des motions burlesques sur les écrevisses; des motions qui attaquent leurs propres magistrats avec une virulence invraisemblable, et leurs prédécesseurs, en les accusant soit de n'avoir rien fait, soit d'avoir mal fait.
Mesdames et Messieurs les Verts - mis à part le fait que, sans doute, quelques-uns d'entre nous passent ce soir un bon moment - il y a quelque inconfort à se dire que, lorsqu'on vous parle de sécurité, vous nous dites que l'insécurité n'existe pas; lorsqu'on vous parle de mobilité, vous nous expliquez que ne pas bouger fait du bien; lorsqu'on vous parle de logement, vous nous dites qu'il ne faut pas déclasser... Et, ce soir, vous venez avec vos écrevisses - tout juste si vous ne nous demandez pas la constitution d'une commission ad hoc !
Mesdames et Messieurs, certains, tout à l'heure - dans un moment de gaîté - ont pris un ton joyeux. Effectivement, finalement c'est peut-être la meilleure façon de faire face à cet intéressant texte.
J'aimerais vous rappeler qu'il y a quelque temps - il n'y a pas très longtemps d'ailleurs - les Verts nous expliquaient que la meilleure façon de détruire l'herbe, c'était de la fumer ! (Rires.) Aujourd'hui, ils nous disent que la meilleure façon de protéger la faune, c'est de la bouffer ! (Rires.) Eh bien, moi je vous dis que la meilleure façon de nous débarrasser de cette crouille motion, c'est de la voter ! (Rires. Applaudissements.)
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, les socialistes accueillent cette motion avec intérêt, sans pourtant considérer qu'elle méritait l'urgence qui a été demandée à l'occasion pour ce sujet éminemment important, évidemment, qu'est celui des écrevisses. D'ailleurs, il y a eu quelques séances... Dans la liste des griefs qu'on pourrait adresser aux Verts, on pourrait rappeler que, alors qu'une majorité de ce Grand Conseil se préoccupait des oiseaux de nuit - notamment de ceux qui fréquentaient le MOA... (Commentaires.) ...et qu'un certain journaliste de la république était plutôt intéressé par les grenouilles de bénitier pour l'enterrement des évêques dans notre région, eh bien, les Verts, eux, restaient focalisés sur les écrevisses. Pourquoi pas !
Fondamentalement, ces écrevisses sont comestibles, et c'est - je pense - le point de départ d'une réflexion saine et naturelle pour aborder ce sujet. Les socialistes pensent donc que, plutôt que de renvoyer au Conseil d'Etat ou à une commission cet objet, il serait opportun de le renvoyer au Guide Michelin, dans les meilleurs délais, pour que nous puissions avoir un avis éclairé sur le sujet.
M. Philippe Schaller (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe PDC demande de renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat. En effet, comme vous le savez, la pêche dans le Léman est encadrée par un accord sur la pêche dans le lac Léman, entre la France, la Confédération et les cantons de Vaud, de Genève ainsi que du Valais. La pêche aux écrevisses pose effectivement un certain nombre de problèmes. Par ailleurs, ces écrevisses sont réellement délicieuses; moi-même, clandestinement, je vais en chercher deux ou trois fois par année, et je peux vous dire qu'elles sont bonnes.
Le groupe PDC prend au sérieux cette motion et demande qu'elle soit renvoyée au Conseil d'Etat.
Le président. Merci, Monsieur le député. Pour lier la sauce, nous allons écouter maintenant - avec tout le respect qui lui est dû - Mme la conseillère d'Etat Michèle Künzler.
Mme Michèle Künzler, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. Effectivement, cette motion peut paraître drôle ou loufoque. Mais c'est en fait un problème économique, comme on l'a évoqué pour la longeole ou pour d'autres produits de nourriture. Il y a deux ou trois sortes d'écrevisses, et il y en a une en particulier que l'on peut pêcher et qui est pêchée. C'est peut-être intéressant de le savoir, il s'agit de 7 tonnes. Ce n'est donc pas du tout négligeable ! Il faut simplement que les pêcheurs demandent leur permis. Il y a deux pêcheurs sur Genève qui capturent déjà ces écrevisses, d'autres peuvent demander à le faire. La direction générale de la nature et du paysage n'a jamais refusé d'autorisation et ce n'est donc pas un problème pour les pêcheurs professionnels. Là où il y en a un, c'est pour les pêcheurs amateurs, car on craint la transmission des maladies de ces écrevisses du lac à celles des rivières. Et peut-être que, là, il faudrait, pour le permis de pêche, deux ou trois autres conditions.
En tout cas, nous ne sommes pas du tout réticents, au Conseil d'Etat, à la possibilité de pêcher ces écrevisses. Je vous signale que c'est quand même une activité qui pourrait donner du travail à deux ou trois pêcheurs sur le canton de Genève - il y en a déjà une vingtaine. De plus, la pêche n'a jamais été aussi bonne que cette année: ce sont des milliers de perches qui ont été prises. Et je pense que, là, les écrevisses constituent aussi un potentiel qu'il ne faut pas négliger.
Nous accueillerons favorablement cette motion et vous donnerons tous les renseignements nécessaires, même la liste biologique. Madame Meissner, il n'y a pas que les écrevisses à pattes blanches, il y a aussi celles à pattes rouges et à pattes vertes ! Merci de nous renvoyer cette motion. (Commentaires.)
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous sommes soumis à une demande de renvoi à la commission de l'environnement.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1898 à la commission de l'environnement et de l'agriculture est rejeté par 75 non contre 8 oui et 4 abstentions.
Le président. Cette motion n'est pas donc renvoyée à la commission de l'environnement, ce qui prouve qu'il y a au moins huit épicuriens dans cette salle. Nous sommes toujours en phase de vote et allons nous prononcer sur le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.
Mise aux voix, la motion 1898 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 74 oui contre 10 non et 4 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Le président. Nous passons au point 36 de notre ordre du jour, proposition de motion 1910.