République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 19 novembre 2010 à 17h05
57e législature - 2e année - 1re session - 4e séance
M 1981
Débat
Le président. Je serais reconnaissant aux personnes qui sont debout de bien vouloir s'asseoir, afin que nos débats se déroulent sereinement. La parole est à l'auteur de cette motion, à savoir M. Dandrès.
M. Christian Dandrès (S). Je vous remercie, Monsieur le président. (Brouhaha.) Pourrait-on avoir un peu de calme ? (Le président agite fortement la cloche.)
Le président. Mesdames et Messieurs, veuillez, je vous prie, vous asseoir ! Ou allez visiter la buvette !
M. Christian Dandrès. Merci, Monsieur le président. Je souhaiterais tout d'abord saluer les salariés de DHL qui sont dans le public ce soir et qui écoutent nos débats. (Brouhaha.)
J'en viens à la motion. Mesdames et Messieurs les députés, le texte qui vous est soumis dénonce la politique intolérable qui est menée par certaines entreprises qui profitent de leur taille pour se soustraire à toute forme de responsabilité sociale. (Brouhaha.) Monsieur le président, je crois que le brouhaha vient du fond de la salle... (Le président agite légèrement la cloche.) Je vous remercie ! Ces sociétés, disais-je, considèrent notre pays comme leur terrain de jeu, et leurs employés comme de vulgaires pions ! C'est le cas de DHL, Mesdames et Messieurs les députés, qui a annoncé un bénéfice de 500 millions d'euros pour l'année 2010 et qui congédie purement et simplement 48 de ses salariés à Genève, et cela pour une simple raison: cette société souhaite délocaliser au Costa Rica, en Malaisie et en Allemagne.
Dans le cadre des discussions préalables qui ont eu lieu, les représentants de DHL ont eu le culot d'affirmer que si l'entreprise avait choisi de fermer en Suisse, c'est parce que notre pays n'oblige pas les entreprises à conclure des plans sociaux, contrairement à ce qui se passe ailleurs en Europe. Et ce soir encore, Monsieur le président, M. Erni, responsable des ressources humaines de l'entreprise, a adressé un courrier aux représentants des syndicats, dont je cite un extrait qui me semble assez éloquent: «Après avoir examiné la situation... (Brouhaha. L'orateur s'interrompt un instant.) Monsieur le président, s'il vous plaît ! (Le président agite la cloche.)
Le président. Adressez-vous à moi, Monsieur le député... Parlez-moi ! (Rires.)
M. Christian Dandrès. Oui, je vous parle ! (Rires.) Mais j'aimerais quand même être entendu par le reste de mes collègues ! Je reprends donc ma citation: «Après avoir examiné la situation de fait et de droit, nous estimons qu'il n'y a pas d'obligation juridique de négocier officiellement avec les syndicats au sujet d'un plan social. Pour cette raison, nous n'allons pas ouvrir de négociations officielles avec vous, au sujet d'un plan social, mais poursuivre notre projet comme prévu.»
Monsieur le président, en Suisse, la seule obligation, en cas de licenciement collectif, c'est de consulter le personnel et d'informer l'office cantonal de l'emploi pour tenter de sauver les postes ou de limiter le nombre des licenciements. Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, DHL ne respecte même pas cette procédure qui est pourtant peu contraignante ! La direction de cette entreprise refuse toute négociation - vous l'avez entendu - avec les salariés et avec le syndicat. Elle dénie même - c'est un véritable scandale ! - à ses employés le droit de se faire représenter par le syndicat de leur choix. Et c'est pourtant ce qu'exigent les conventions internationales conclues et ratifiées par la Suisse.
Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le président, DHL s'assied sur nos lois ! DHL refuse le partenariat social et DHL se moque de notre pays, puisqu'elle ne veut rien de moins que faire payer ses bénéfices à l'assurance-chômage !
Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat a prouvé que son action politique pouvait attirer à Genève bon nombre de sociétés multinationales. A lui maintenant de démontrer ce qu'il peut faire pour défendre l'emploi. Et je lui suggère de commencer par les trois invites de la motion qui rentrent pleinement dans son champ de compétences.
J'aimerais à cet égard rappeler le discours de St-Pierre où le Conseil d'Etat avait déclaré vouloir préparer l'avenir et garantir la sécurité...
Le président. Il faut songer à finir, Monsieur le député !
M. Christian Dandrès. Oui, j'arrive au bout, mais on m'a beaucoup dérangé ! Préparer l'avenir, Mesdames et Messieurs les députés, et garantir la sécurité, c'est rappeler ce soir à DHL ses obligations et les principes les plus élémentaires de responsabilité, de dialogue et de bonne foi. C'est la raison pour laquelle je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de faire bon accueil à cette motion et d'accepter de la renvoyer au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)
Mme Christina Meissner (UDC). Beaucoup de choses ont été dites... J'aimerais cependant ajouter que l'UDC - cela vous surprendra peut-être - soutient cette motion.
L'UDC est le parti de l'économie, oui, mais quand les entreprises respectent nos lois ! Car l'UDC est aussi le parti du peuple. Le peuple qui travaille durement et qui a aussi droit au respect. Attirer des entreprises à coups de conditions favorables, notamment au niveau fiscal, laisser ces entreprises engranger des bénéfices, engager du personnel venu d'ailleurs, pour fermer boutique ensuite, larguer les amarres et lâcher les travailleurs sur le pavé est indigne de notre canton. Genève n'a pas besoin de multinationales qui engrangent le blé, puis larguent les amarres et ceux qui bossent avec !
Privatiser les bénéfices et socialiser les pertes se fait, en général, sur le dos des contribuables, c'est-à-dire nous. Ce sont des méthodes, j'ose le dire, de bandits. Les multinationales qui les pratiquent sont tout aussi inacceptables que les étrangers qui ne respectent pas nos lois et n'ont pas leur place chez nous. C'est pourquoi nous vous suggérons, et même fortement, de soutenir cette motion. (Applaudissements.)
M. Gabriel Barrillier (R). Normalement, l'Etat doit intervenir après les partenaires sociaux, de façon subsidiaire: cela a été rappelé à plusieurs reprises dans cette enceinte.
En l'occurrence, il semble tout de même que l'entreprise en question a utilisé des méthodes assez brutales. Et, vous le savez, entre le laisser-faire absolu et l'interventionnisme de l'Etat, il y a un juste milieu, dont l'objectif est de préserver la paix sociale et le rôle actif des partenaires sociaux. Cette politique-là, cette philosophie-là, c'est celle du parti radical, et c'est la raison pour laquelle nous vous proposons de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, en espérant qu'il la traitera aussi rapidement que les services de l'entreprise en question. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Le président. Je rappelle aux personnes se trouvant à la tribune qu'aucune manifestation de quelque sorte que ce soit n'est autorisée. Merci ! Monsieur Eric Stauffer, je vous donne la parole.
M. Eric Stauffer (MCG). Il est piquant de constater que cette motion reprend une des thématiques du Mouvement Citoyens Genevois, mouvement qui vous explique depuis cinq ans qu'il faut se méfier de l'ouverture sur l'Europe, de la concurrence qui pousse à tirer les prix toujours plus bas.
A cet égard, j'aimerais juste lire un passage de l'exposé des motifs de cette motion: «D'aucuns soutiendront que, face à un marché globalisé, les entreprises sont soumises à une concurrence accrue et n'ont d'autre choix que de chercher continuellement à faire baisser leurs coûts.» Eh oui ! C'est la thématique que nous connaissons: 320 millions de travailleurs de l'Union européenne, des résidents genevois, une concurrence accrue, des entreprises ayant bien compris comment tout cela fonctionne qui viennent ponctionner tout ce qu'il y a à prendre ici et partent quand il n'y a plus rien !
Le plus piquant, c'est que le propriétaire de cette entreprise n'est autre qu'une régie publique allemande ! Je vous rappelle que les Allemands nous ont bien montrés du doigt, nous autres petits Suisses, pour les conditions fiscales que nous offrons ! Mais nous n'allons pas refaire tout le débat des fameuses listes qui se sont baladées entre la France, l'Allemagne et dieu sait où encore ! Résultat des courses: voilà ce que vous défendez, Mesdames et Messieurs, lorsque vous plébiscitez l'Europe à tout prix !
Laissez-moi vous donner un autre exemple, bien plus dramatique que celui des employés licenciés par DHL. Je pense à l'entreprise Dell - les computers - localisée en Irlande. Pourquoi cette entreprise est-elle allée s'installer en Irlande ? Parce que l'Europe a subventionné l'Irlande à coups de dizaines de millions d'euros. Et, un jour, l'Europe a décrété que l'Irlande était développée et que, donc, on allait affecter des subventions à l'Europe de l'Est... Qu'a fait l'entreprise Dell ? Elle a licencié 3500 personnes et est allée s'établir en Pologne ! Merci l'Europe ! Vous voulez demander maintenant aux Irlandais ce qu'ils pensent de l'Europe ? Je vous l'assure, vous seriez surpris des réponses !
Alors oui, Mesdames et Messieurs les socialistes, le MCG va soutenir sans réserve votre motion, pour protéger ces travailleurs qui ont bien besoin d'aide ! Et nous présentons aussi un carton rouge au gouvernement ! Parce que, s'il persiste à ne pas mettre de garde-fou, de tels dérapages se produiront de plus en plus fréquemment. Et notre rôle - comme le vôtre, d'après ce que j'ai entendu ce soir - est de défendre à l'unisson les intérêts des travailleurs genevois. (Applaudissements.)
Mme Anne-Marie von Arx-Vernon (PDC). Monsieur le président, vous ne serez pas étonné que le parti démocrate-chrétien ne veuille pas mettre de l'huile sur le feu... (Commentaires.) Ce n'est pas l'Europe qu'il faut critiquer, mais les agissements de ceux qui ne respectent pas la loi, et il peut malheureusement y avoir des dérives ! L'Europe est indispensable ! L'Europe est notre avenir ! Et il est important de le répéter. Nous devons juste être attentifs lorsqu'il y a des risques de dérapages.
Nous, nous faisons confiance au Conseil d'Etat, nous faisons confiance aux partenaires sociaux, et nous estimons normal, dans ces cas-là, de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
Mme Brigitte Schneider-Bidaux (Ve). On est en train de recevoir en «live» une leçon de libéralisme, de loi du marché... La liberté du marché a des limites, et il faut les fixer, certes. Mais ce n'est pas parce que l'on fixe des limites que l'on est forcément anti-Européens ou anti-je-ne-sais-quoi ! Non, nous ne devons pas nous replier sur nous-mêmes, ce n'est pas une solution !
Par contre, avoir des lois générales - et que les lois des pays et des cantons soient respectées - me semble être une bonne chose. Je vous encourage donc vivement à soutenir cette motion et à la renvoyer au Conseil d'Etat, comme demandé.
M. Pierre Weiss (L). En matière de licenciements collectifs comme en matière de respect des états étrangers, il est des règles à respecter. Dans cette affaire, apparemment, il semblerait que la société dont il est question - la société DHL - n'ait pas respecté les règles en vigueur. Par conséquent, il faut absolument vérifier ce qu'il en est, comme l'a indiqué mon collègue Barrillier tout à l'heure. Il faut examiner la situation, et c'est le Conseil d'Etat qui en a la compétence. C'est la raison pour laquelle nous, libéraux, nous nous associons à la proposition de renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.
Cela étant, il convient de ne pas formuler des généralisations abusives dans lesquelles certains se complaisent pour des motifs évidents de dénigrement de ce qui a fait la richesse de ce pays. Si ce pays ne s'était pas ouvert, depuis plus d'un siècle, tant aux populations de l'étranger qu'aux entreprises de l'étranger, pour exporter nos biens, pour nous y installer, le cas échéant, notamment lorsque nous étions pauvres, pour permettre à des étrangers de venir chez nous, jamais il n'aurait connu la richesse qui est la sienne aujourd'hui. Que des entreprises faillent à leurs nécessaires obligations, c'est une chose: elles sont une minorité, comme les citoyens qui ne respectent pas les règles édictées par l'Etat de droit. En revanche, une majorité d'entreprises respectent parfaitement les règles, y compris des entreprises étrangères multinationales établies à Genève. C'est à elles que nous devons une grande partie de notre prospérité, et il faut les saluer. (Applaudissements.)
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Je vous invite à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, car il y a, dans l'affaire des licenciements intervenus dans la société DHL, un certain nombre de faits troublants. Les entreprises qui considèrent qu'il faut opérer des licenciements collectifs peuvent bénéficier de certaines règles, mais elles ont aussi des devoirs. Et, manifestement, à première vue, ces devoirs n'ont pas été respectés.
Par exemple, elle aurait dû donner la possibilité aux salariés de proposer des solutions alternatives: cela n'a, semble-t-il, pas été respecté. De la même manière, les licenciements collectifs ont certes été annoncés sur les formulaires idoines - le département de la solidarité et de l'emploi les a reçus avant-hier - mais ils étaient rédigés en allemand. Nous acceptons, bien sûr, de travailler dans cette langue, mais cela démontre que les choses ont été faites d'une manière un peu curieuse. En outre et surtout, nous avons constaté qu'un certain nombre de cas de licenciements méritaient un examen attentif de la part des autorités.
C'est la raison pour laquelle nous avons convenu avec mon collègue M. Pierre-François Unger, en charge de l'économie, et votre serviteur, en charge des questions de l'emploi, de rencontrer les responsables de DHL. Mais, là aussi, les choses ne sont pas si simples. Parmi les signataires de l'annonce de licenciements collectifs se trouve une personne qui a elle-même été licenciée. Il paraît donc difficile de pouvoir négocier avec. De plus, la direction et l'organigramme de cette société paraissent complexes. Nous avons de la peine à saisir qui en est le responsable et le directeur opérationnel.
C'est la raison pour laquelle je vous prierai de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, pour que nous puissions, avec l'appui du parlement et en tenant compte des différentes sensibilités exprimées ici, signaler à cette entreprise que certaines pratiques ne sont pas acceptables et faire en sorte qu'elles soient corrigées.
J'aimerais enfin indiquer, puisqu'il y a eu quelques débats sur la promotion économique - mon collègue Pierre-François Unger m'a prié de le faire - que DHL est une entreprise traditionnelle. Elle est installée depuis longtemps à Genève. Parmi les personnes licenciées, certaines totalisent vingt-quatre années de fidélité. DHL n'a pas bénéficié d'actions particulières de la promotion économique. Cela ne doit pas la dispenser de respecter les règles et de faire preuve d'humanité, comme toute entreprise doit le faire envers ses collaborateurs et collaboratrices qui travaillent depuis des années.
J'ajouterai que c'est, du point de vue de l'emploi à Genève, une très mauvaise nouvelle. Il s'agit d'emplois précieux dans la mesure où ils peuvent être exercés par un certain nombre de résidents et de demandeurs d'emploi.
C'est la raison pour laquelle je vous invite, avec mon collègue M. Pierre-François Unger - qui est maintenant de retour - à nous renvoyer cette motion, pour que nous puissions faire les démarches nécessaires et vous répondre, Monsieur le député Barrillier, dans les délais les plus brefs.
Mise aux voix, la motion 1981 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 87 oui et 1 abstention. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)