République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 15 octobre 2010 à 20h30
57e législature - 1re année - 12e session - 65e séance
M 1856-A
Débat
M. Edouard Cuendet (L), rapporteur de majorité. On reste un peu dans le même sujet et je crois qu'il est important de prendre cette motion 1856 dans son contexte général. Elle fait partie d'un bouquet de trois motions déposées par des députés de gauche, dont notre ancien collègue et ami Didier Bonny. Ce bouquet a déjà perdu un de ses pétales, soit la motion 1858 - d'ailleurs, le rapporteur de minorité porte une cravate avec des marguerites, ce qui convient bien à la notion de bouquet ! (Commentaires.) Donc, ce bouquet a perdu l'un de ses pétales car la motion 1858 a été retirée, les motionnaires s'étant rendu compte de son côté inepte puisque le Conseil d'Etat avait déjà répondu à la demande formulée.
Restent donc les motions 1856 et 1857 qui ne sont malheureusement pas traitées ensemble, ce qui fait qu'elles le sont hors contexte, ce que je regrette. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à la motion 1856 que l'on pourrait qualifier de «monde à l'envers». En effet, j'ai été mis, en tant que rapporteur de majorité, dans une situation assez étrange. J'ai dû me battre très vigoureusement pour protéger la fonction publique contre les attaques perfides de la gauche et ses critiques extrêmement virulentes contre la politique d'achats et d'adjudications du Conseil d'Etat. C'est intéressant, parce qu'on a vu durant les débats que la politique du Conseil d'Etat était beaucoup moins critiquable que ne voulaient le faire croire les motionnaires, et cela a pu être démontré durant les auditions. Nous avons notamment auditionné la responsable de la centrale d'achats, et M. Muller vient de citer les règlements et les normes très strictes existant au sein de l'administration pour les adjudications et les achats. On voit que les critères environnementaux, sociaux et économiques - heureusement d'ailleurs - sont pris en compte de manière tout à fait satisfaisante dans les règlements. Et, contrairement à ce que laisse entendre cette motion, l'Etat ne se comporte pas du tout de manière sauvage, mais tout à fait responsable en matière sociale et environnementale.
Alors, dans leur grande sagesse, les motionnaires nous ont amené une seule personne à auditionner, un représentant de l'Oeuvre suisse d'entraide ouvrière, qui a reconnu expressément qu'il ne connaissait pas le dossier genevois, qu'il ne connaissait pas la pratique genevoise et qu'il n'avait pas d'exemple concret à donner établissant que le canton violait les règles de l'OIT ou avait un comportement cavalier en la matière. Il s'est borné à répéter plusieurs fois que des cantons et villes suisses avaient renoncé à acheter des pavés sur le marché asiatique. Cette référence répétée aux pavés avait un côté assez inquiétant: peut-être s'agissait-il d'une réminiscence de l'année 68.
Cette motion n'était au fond qu'un procès d'intention contre la politique du Conseil d'Etat et l'on peut dire qu'on pouvait ressentir du côté de l'administration une certaine frustration de voir ses alliés objectifs et traditionnels l'attaquer de manière aussi virulente durant les travaux. Voilà pourquoi je vous invite à rejeter cette motion.
On nous a déposé un amendement, et je pense que la signature du PDC s'explique par le fait que la motion initiale était aussi signée par un PDC de gauche ! (Commentaires.) Oui, un PDC de gauche ! Je pense que c'est la raison pour laquelle ils ont voulu essayer de sauver cette motion par un amendement...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le rapporteur.
M. Edouard Cuendet. ...mais n'oublions jamais qu'un amendement sur une invite ne change rien à l'état d'esprit d'une motion et ne change rien au fait que celle-ci fait partie d'un bouquet de motions qui est absolument inacceptable. Je vous invite donc à refuser tant la motion que l'amendement !
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je passe la parole à M. Deneys.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il faut bien voir de quoi nous parlons ici. Il s'agit de nous assurer que l'Etat, lorsqu'il attribue des marchés, se préoccupe des conditions sociales dans lesquelles les entreprises exercent leur activité en exigeant d'elles qu'elles respectent les conventions de l'Organisation internationale du travail, notamment les points précis concernant le travail des enfants, le droit à un salaire décent, les horaires de travail, l'interdiction du travail forcé, la liberté d'association, le droit à la négociation collective et le droit à des mesures de protection pour la santé et la sécurité au travail. En fait, c'est bien de cela que nous parlons.
Certes, aujourd'hui, l'Etat se préoccupe des conditions sociales et environnementales, lorsqu'il attribue des marchés. Il n'empêche que cette préoccupation reste lacunaire. Et cette motion n'est pas une attaque contre l'administration publique, elle est simplement le reflet de notre société qui se préoccupe de temps en temps de ce qui se passe ailleurs sur terre. D'ailleurs, ça me rappelle les propos tenus hier par Elie Wiesel, parce que je pense que le principal souci est, comme il l'a évoqué, cette question de l'indifférence. Dans notre monde surinformé et extrêmement riche, dans lequel nous consommons à longueur de journée, dans ce monde où nous passons nos journées sur Internet, sur Facebook ou au téléphone, à acheter ci ou à acheter ça, nous nous préoccupons rarement de ce qui se passe plus loin, ailleurs, là où les produits que nous consommons sont réalisés. Eh bien, nous pourrions nous poser la question suivante: est-ce que nous pouvons avoir des certitudes que les conditions exprimées par le Conseil d'Etat, le gouvernement, la République ou les communes sont suffisantes pour que les normes de l'OIT soient respectées par les fournisseurs ? N'ayons pas d'aprioris ! Peut-être que c'est le cas pour certains marchés, peut-être que ce n'est pas le cas pour d'autres. Alors, soyons pragmatiques et regardons ce que les associations actives dans tel ou tel domaine ont à nous dire sur tel ou tel produit.
Je vais évoquer trois campagnes qui sont d'actualité et qui ne sont pas menées par des organisations spécialement gauchistes ou cryptocommunistes. La première, c'est la campagne de Pain pour le prochain et d'Action de carême: elle concerne les conditions de production des ordinateurs. Aujourd'hui, ces conditions de production sont extrêmement problématiques, parce que les salaires des ouvriers s'élèvent à moins de 50 centimes de l'heure et que leurs journées de travail durent plus de douze heures, cela sept jours sur sept, parce qu'on ne va tout de même pas ralentir les cadences pour un jour de congé ! C'est une réalité qu'Action de carême et Pain pour le prochain évoquent dans un communiqué de presse daté du 12 octobre 2010. Ils relèvent par exemple les promesses non tenues par Foxconn, un fournisseur et sous-traitant d'Apple qui exploite ses ouvriers de façon particulièrement dramatique, au point d'avoir provoqué une vague de suicides au sein de l'entreprise ! Je ne pense pas que nous puissions rester indifférents aux conditions de production des ordinateurs aujourd'hui. Alors, de nouveau, n'ayons pas d'aprioris ! Est-ce que l'Etat de Genève semble remplir les conditions exprimées par ces associations qui se préoccupent du sort de ces travailleurs lointains ?
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Roger Deneys. Malheureusement, la réponse est non, parce que le canton de Genève ne figure pas dans la liste des communes et cantons suisses qui remplissent ces conditions ! Manifestement, le problème subsiste.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je passe la parole à Mme Engelberts.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). N'ayant pas pu prendre la parole tout à l'heure, je pense être un peu hors sujet, mais je voudrais quand même donner une précision, car Mme Loly Bolay nous a habitués, au MCG, à sortir un scoop à chaque séance. Alors j'ai compris la stratégie, c'est intéressant, parfois c'est drôle. Je voulais donc seulement donner l'information suivante à Mme Bolay, si elle souhaite l'entendre, pour lui dire que le «Journal du MCG» est édité au 11, rue des Rois par Edipresse, qui, jusqu'à présent, édite des journaux comme la «Tribune de Genève» et «Le Matin». J'en profite pour souhaiter une bonne et fructueuse lecture de notre journal à Mme Bolay !
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. Stauffer, à qui il reste trois minutes. (Brouhaha.) Monsieur Stauffer ?
M. Eric Stauffer (MCG). Combien ?
Le président. Trois minutes vingt ! (Brouhaha.)
M. Eric Stauffer. Deux minutes vingt ? Trois minutes vingt ! Vous savez, il y a un peu de bruit ! Mais on a pris l'habitude, quand on cause...
Le président. Je vous en prie, Monsieur le député, veuillez parler, votre temps de parole s'écoule.
M. Eric Stauffer. Mais vous savez, ce n'est qu'un détail, le temps ! D'abord, qu'est-ce que le temps ? Ça change tout le temps ! Alors finalement, ce n'est pas bien grave...
Mesdames et Messieurs, deuxième motion sur les offres de marchés publics - une fois encore - mais cette fois l'estocade vient du parti socialiste. Eh bien, pour attribuer des marchés publics, il vous faudra respecter telle règle, telle règle et telle règle... Vous ne savez plus quoi inventer pour faire en sorte que les marchés n'échappent pas aux entreprises genevoises. Mais il fallait vous poser la question avant, Mesdames et Messieurs ! Quand vous veniez prôner l'ouverture à l'Europe, quand vous veniez dire que c'est scandaleux, ce parti, qui en a toujours après les frontaliers ! Nous, on n'en a pas après les frontaliers: on veut juste préserver la qualité de vie des résidents genevois ! Vous allez finir par l'imprimer, cela fait cinq ans qu'on vous le répète !
Finalement, par des moyens détournés, vous essayez de faire la politique du MCG ! Ce qui est bien, et l'on vous soutiendra ! Mais, en l'occurrence, cette motion ne sert strictement à rien, puisqu'il y a des dispositions fédérales et internationales dans le cadre des accords que la Suisse a signés avec d'autres pays, dont l'Union européenne. Vous ne faites qu'enfoncer une porte ouverte ! Puisque, dans le cadre d'un marché public, on ne pourrait pas octroyer d'adjudication à une entreprise qui exploiterait, par exemple, de la main-d'oeuvre enfantine, ne respectant ainsi pas les minima légaux. Finalement, votre motion ne sert strictement à rien, comme la plupart des choses que vous avez proposées ce soir.
Ce qui en revanche aurait été intelligent, sur le texte d'avant qui concernait aussi les AIMP, ç'aurait été de soutenir vos cousins germains les Verts, pour des AIMP avec une fibre écologique. Mais il est vrai que, finalement, vous n'êtes plus la vraie gauche: vous êtes cette gauche caviar embourgeoisée, et les problèmes écologiques ne vous intéressent plus, si ce n'est pour brasser du vent et faire de l'électoralisme avant les élections !
Le groupe MCG s'opposera donc à votre texte, puisqu'il ne sert à rien et qu'il encombre l'ordre du jour du parlement.
Mme Christine Serdaly Morgan (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, cette motion n'est évidemment pas sans lien avec la précédente - M 1712-B - et son rapport. Et les réponses du Conseil d'Etat mettent en évidence une évolution récente - rapide aussi - des pratiques autour des lignes tracées par l'Agenda 21.
Que demande alors cette motion de plus ou de différent ? Le respect de huit normes fondatrices de l'Organisation internationale du travail, l'OIT. Et que sont ces normes internationales ? Un ensemble de lignes directrices qui promeuvent notamment un travail décent, soit la liberté d'association, la négociation collective, l'abolition du travail forcé et du travail des enfants, la protection des enfants et des adolescents en matière de santé et de sécurité au travail.
Que manque-t-il alors aux pratiques actuelles ? Heureusement, de ce point de vue, rien sur notre marché local ! Mais au travers des politiques publiques d'achat, il s'agit de rappeler et de promouvoir l'application de l'ensemble de ces huit normes, en particulier la protection des enfants et des adolescents, et les règles de base autour du droit du travail. Briques, crayons chinois, vélos, ordinateurs produits à létranger, invitons à nous assurer où et comment ils auront été produits !
En acceptant cette motion, c'est le soutien à la poursuite de la voie choisie par notre canton que nous souhaitons; c'est accentuer encore nos politiques locales et régionales d'achat; c'est soutenir notre économie locale, régionale, et européenne oui, Monsieur le député Stauffer ! - en ne la soumettant pas à des prix concurrentiels obtenus par des pratiques limites du point de vue des conditions de travail; c'est, enfin, contribuer à faire évoluer la démocratie dans un monde globalisé.
Parce que nous sommes bien, déjà ici, dans la voie promue par l'OIT, et parce qu'une politique d'encouragement incitative a plus de chances que toute contrainte, nous vous présentons un amendement modifiant l'invite au Conseil d'Etat de la manière suivante: «à promouvoir auprès des entreprises, fournisseurs et prestataires de services, le respect des conventions de l'OIT dans lexécution du mandat qui leur est adjugé dans une procédure de marché public». Nous vous remercions, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, de faire bon accueil à l'amendement proposé par le groupe socialiste et de le soutenir. (Applaudissements.)
Mme Jacqueline Roiz (Ve). Je voudrais revenir sur les propos du rapporteur de majorité. Je ne considère pas que cette motion soit un texte de droite ou de gauche. C'est une motion qui fait appel aux conventions de l'OIT. Je rappelle que l'Organisation internationale du travail est un organisme tripartite qui prend en compte le gouvernement, les employeurs et les employés. De plus, cette motion se base aussi sur l'idée que la paix - la paix universelle - est aussi fondée sur la paix du travail. Voilà, ça c'était pour l'aspect gauche-droite.
Ensuite, cette motion demande que ces conventions soient prises en compte et que l'on attribue de manière plus exigeante un marché public à un fournisseur ou à un prestataire de services. Lorsque l'Etat achète divers matériaux ou services, on doit s'assurer au mieux qu'il n'y a pas eu de travail d'enfants dans le processus de production, qu'il n'y a pas eu de discriminations ou de travail forcé - et j'en passe, les critères ayant déjà été évoqués - et qu'il y ait la liberté syndicale ou le respect de la réglementation sur les horaires de travail.
Certes, Genève est membre de la Communauté d'intérêt écologie et marchés suisses - CIEM - et du Partenariat des achats informatiques romands - PAIR. La procédure d'appel d'offres de l'AIMP permet d'imposer certaines exigences sur le plan social, mais on n'en a aucune certitude. Je prends pour exemple la directive d'achat en matière de développement durable. En informatique, lorsqu'on parle de l'exigence de la certification SA 8000 ou de la norme OHSAS 18001, ces certificats constituent une norme qualité qui indiquent simplement qu'il existe un système de gestion permettant d'avoir un contrôle sur les mesures décidées. Dans le cas de la norme OHSAS 18001, il s'agit d'avoir l'assurance que les mesures décidées en termes de sécurité et de santé au travail sont contrôlées par l'entreprise productrice. En Suisse, il y a une réglementation étendue dans ce domaine, avec les directives de la Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail - CFST - et la loi sur le travail.
Par contre, en ce qui concerne les produits informatiques, on les achète à l'étranger, loin d'ici, et là on ne peut pas du tout être sûr que les normes de sécurité et de santé au travail soient vraiment respectées; ce n'est donc pas un gage suffisant. C'est la même chose pour le mobilier, avec la norme ISO 14001. C'est la même norme qualité qui exige aussi un système de contrôle des mesures en termes d'environnement, mais ce n'est pas un gage suffisant que les mesures environnementales soient vraiment respectées - il ne s'agit que de mesures de réglementation dans le pays concerné.
Donc, le commerce équitable n'est pas suffisamment pris en compte, en tout cas pas de manière certaine, notamment pour le textile et les aliments. Des commissaires ont exprimé des doutes ou rejeté cette motion en disant que l'Etat en faisait assez et que le contrôle ne pouvait pas être effectué à tous les stades de la production... Effectivement, le contrôle ne peut être total, pourtant il y a quand même une marge de progression. Le poids d'un mandat d'achat par la collectivité publique est très important: nous avons donc un moyen de négocier beaucoup plus ce genre de normes, mais l'Etat peut encore progresser...
Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée.
Mme Jacqueline Roiz. Alors, je dois... Je dois aller vite, là ! (Rires.)
Le président. Il vous faut donner votre conclusion, tout simplement !
Mme Jacqueline Roiz. Voilà ! Le groupe des Verts est attaché... (L'oratrice accélère le rythme de son intervention.) ...à l'économie durable et respectueuse de l'humain, aussi de l'environnement, comme vous le savez, et la Genève internationale a une vocation humanitaire. Elle doit donc s'efforcer d'appliquer au plus près les critères de l'OIT dans l'attribution des marchés publics. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. Zaugg.
M. Daniel Zaugg (L). Merci, Monsieur le président. De mon côté, ce débat m'inspire une histoire.
Une voix. Ah !
M. Daniel Zaugg. J'aimerais vous raconter la mésaventure d'un ami, entrepreneur du bâtiment à Fribourg. Cet entrepreneur avait créé une entreprise tout à fait exemplaire, une entreprise dans laquelle il a réussi à insuffler une culture de l'excellence. C'était une entreprise orientée vers la qualité: les salaires des collaborateurs y étaient au-dessus de la moyenne, les collaborateurs y étaient motivés. L'entreprise elle-même était «éco-consciente», une politique de gestion des déchets avait été instaurée. Un beau jour, le patron s'est dit que, puisque cette entreprise était tellement performante, il fallait la certifier. Alors il s'est lancé dans la certification qualité, ISO 9000; puis dans la certification environnementale, ISO 14000. Il a donc multiplié les contrôles internes. Mais la crise est arrivée en l'an 2009. Où retrouve-t-on alors cette entreprise ? On la retrouve au bord de la faillite. Parce qu'on y avait multiplié les couches de contrôles ! Des couches finalement inutiles, étant donné que l'entreprise faisait déjà bien les choses avant. Mais mon histoire finit bien !
Des voix. Ah !
M. Daniel Zaugg. Elle finit bien, car mon ami s'est rendu compte assez rapidement qu'il avait perdu de vue sa mission de base et ce que demandent ses clients. Ses clients veulent des installations de qualité à un bon prix, ils ne veulent pas des certifications !
Alors, pour moi, cette motion, c'est un peu la même chose. A Genève, arrêtez avec les conventions de l'OIT ! Le travail des enfants, il n'y en a pas ! La liberté syndicale, elle existe, à Genève ! Oui, bien sûr, on peut étendre les choses ! Les auditions à la commission de l'économie nous ont montré qu'on avait déjà une directive d'achat pour le développement durable. Et, dans le rapport de minorité, de quoi nous parle-t-on ? On nous parle des conditions de travail des travailleuses chinoises. C'est un vrai combat, c'est très important, mais moi je vous demande une chose: est-ce le rôle du parlement genevois ?
Des voix. Oui !
M. Daniel Zaugg. Est-ce la mission que nous ont donnée nos électeurs, de faire ce développement durable-là ? (Commentaires.) Pour moi, le développement durable, c'est le développement durable régional ! (Commentaires.) Vous avez vos réponses à ces questions: nous avons les nôtres ! Je ne pense pas que ce soit notre rôle de résoudre tous les problèmes de la planète. Nous avons à être exemplaires au niveau régional. Le développement durable, oui, mais, au niveau planétaire, ce n'est pas notre rôle !
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Barrillier.
M. Gabriel Barrillier (R). Monsieur le président, chers collègues, pas grand-chose à rajouter à la belle histoire que nous a contée Daniel Zaugg, qui est d'ailleurs patron d'une entreprise et sait de quoi il parle. Effectivement, si on lit stricto sensu cette motion, les conventions de l'OIT y sont citées. Toutes ces conventions, comme l'a rappelé ma préopinante, ont été ratifiées par la Suisse. Et, effectivement, quand la Suisse ratifie les conventions de l'OIT, en tout cas en ce qui concerne l'intérieur, on les applique. Parce que vous savez qu'à l'OIT un certain nombre de conventions ont été ratifiées par 150 ou 180 pays, mais, dans certains de ces pays, il n'y a même pas d'autorités compétentes pour faire appliquer ces conventions.
Lorsque la Suisse ratifie des conventions, elle les applique ! Maintenant, a-t-elle la possibilité de les faire appliquer à l'extérieur ? Non ! On ne peut pas envoyer des inspecteurs en Chine, en Inde ou en Amérique du Sud ! Alors, il y a des réseaux, il y a des labels, notamment pour toute une série de productions, mais est-ce que ces réseaux sont suffisants pour nous assurer que ce que nous achetons tous les jours n'a pas été produit par des enfants, comme les crayons de tout à l'heure ? Qui peut le prouver ? Et vous-mêmes, chers collègues Verts, lorsque vous achetez un produit, vous considérez quoi ? Vous regardez quoi ? Le prix !
Des voix. La provenance !
M. Gabriel Barrillier. Les 80% d'entre nous regardent le prix ! Alors, il y a eu une prise de conscience, un effort a été fait, mais la grande majorité de la population ne regarde que le prix !
Une voix. Malheureusement ! (Brouhaha.)
M. Gabriel Barrillier. Alors, cette motion, dans son état actuel, notre groupe la refuse ! Elle ne sert à rien ! Maintenant, un amendement est annoncé; on verra et on se prononcera là-dessus. Je vous remercie de votre attention.
M. François Gillet (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais juste rappeler à M. le rapporteur de majorité qu'il n'y a pas de PDC de gauche ou de PDC de droite ! (Commentaires.) Il y a un parti, qui défend ardemment la prospérité économique de ce canton, mais qui assume sa responsabilité environnementale et sa responsabilité sociale. Cela dit, évidemment, notre groupe, notre parti, ne pourra pas soutenir une motion qui va, je dirai, tellement loin dans son texte, au point qu'elle n'est plus en phase avec les accords AIMP que nous défendons à la lettre.
Evidemment, on ne peut pas obliger légalement et contractuellement toutes les entreprises qui travaillent avec l'Etat à respecter les normes de l'OIT. Cela dit, nous sommes convaincus qu'il y a des produits provenant d'autres continents, dont la production implique du travail des enfants ou des conditions de vies - et de travail - qui sont effectivement inacceptables.
Donc, nous ne pourrons pas accepter la motion telle qu'elle est rédigée ce soir. Par contre, nous sommes prêts à soutenir l'amendement proposé et signé par notre chef de groupe ce soir. Si cet amendement est refusé, nous refuserons également la motion.
M. Patrick Lussi (UDC). Le plus difficile, quand on traite ce que l'on pense être deux motions similaires, c'est d'essayer d'être cohérent et de ne pas être dissonant. J'ai quand même l'impression que nous ne sommes pas du tout dans le même sujet que pour la précédente motion. Je me l'explique en ce sens. Comme le disent les motionnaires, on parle des normes de l'OIT. Or, que peut faire la Suisse pour aller contrôler en Chine, au Pakistan, en Inde ou je ne sais où, si les normes OIT sont réellement respectées ?
Il est clair que dans la base - et ce n'est peut-être pas un UDC qui parle - que vous préconisez, nous devons avoir confiance. Vous savez ce que dit le boa dans le «Livre de la jungle»: «Aie confiance !»... Eh bien, dans un cas comme ça, est-ce aux gouvernements ou aux adjudicataires de ne pas faire confiance ? Je crois en l'occurrence que c'est très difficile.
Ensuite, il est vrai qu'il y a peut-être une impossibilité, parce que, quand on parle des «Chinois du textile»... J'allais faire un mauvais jeu de mots. Vous vous souvenez que, dernièrement, une chanteuse pop s'est présentée à New York, vêtue de cuir - enfin, de peaux ! Parce que dans le textile, Mesdames... (Brouhaha.) ...il n'y a plus grand-chose qui se fait ici. Sans cette production, nous serions presque tout nus ou vêtus de peau ! Nous n'aurions plus de lumière non plus, puisque j'ai appris récemment que, pour les ampoules, il n'y avait plus de fabriques en Europe et que les ampoules étaient toutes fabriquées ailleurs. Il y a donc un réel problème, oui !
Mais est-ce par le biais de cette motion et par l'action du gouvernement qu'on peut résoudre la situation ? Fondamentalement, et sans être incohérent, le groupe UDC ne pourra pas soutenir cette motion et se joindra à ceux qui la rejettent.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Jeanneret, à qui il reste une minute.
M. Claude Jeanneret (MCG). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, voilà une motion qui, à première vue, est idéaliste. C'est bien, mais elle ne tient pas très bien la route vis-à-vis de ce que l'on institue ici pour les achats. Ils sont déjà réglementés par les normes AIMP, on a une centrale d'achats constituée justement pour tenter d'améliorer les choix, simplifier le travail et rationaliser les commandes... Or, que veut cette motion ? A la place de rationaliser les commandes, on veut commencer par faire une enquête totale sur chaque objet que l'on veut acheter ! Mais j'aimerais vous dire une chose: pour une chemise faite en Europe, je ne peux pas dire si le fil utilisé vient de chez nous ou d'ailleurs ! On ne le sait pas ! Parce que si l'on considère ne serait-ce que la confection, même dans les capitales européennes de la mode, les 90% du travail sont effectués dans des usines à l'étranger, et l'on ne fait revenir la chemise chez le grand couturier que quand il reste les boutons à coudre. On fait du «made in France» en ayant seulement cousu les boutons sur une chemise ! Si l'on voulait mener une enquête totale à ce sujet, les résultats seraient aberrants !
Alors, on a des normes, la Suisse a reconnu les normes OIT, Genève aussi. On doit donc avoir une certaine confiance, on ne peut pas mettre des enquêteurs derrière tous les objets ! C'est impossible ! Et je crois qu'il y a une priorité dans nos achats: c'est le développement durable de notre région ! Alors, que l'on fasse véritablement de notre centrale d'achats une centrale qui s'approvisionne - au maximum - avec nos produits régionaux, notre production nationale, voire une production européenne ! Mais on ne pourra pas éviter, dans certains cas, de passer des commandes ailleurs, là où l'on sera en mesure de nous fournir !
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur Jeanneret.
M. Claude Jeanneret. Oui, Monsieur le président. C'est donc une motion qui est totalement irréaliste, qui n'est pas applicable du tout, et nous avons actuellement à l'Etat des gens qui font bien leur travail, donc nous refuserons cette motion !
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme Schneider Hausser, à qui il reste une minute également.
Mme Lydia Schneider Hausser (S). J'aimerais vous dire que l'amendement déposé va justement dans le sens d'une modification de la motion, tout en gardant l'intention de fond de ce texte. La réaction suscitée par cet objet est significative du climat actuel à Genève face à la planète: chacun pour soi ! Bien sûr, le parti socialiste ne reproche pas à l'administration genevoise et à sa centrale d'achats de ne pas faire comme il faut le travail qu'on lui demande, mais le désir de cette motion et de l'amendement c'est d'aller dans un sens et de changer la pratique actuelle en l'améliorant.
La majorité réagit un peu comme une personne en état de choc. C'est comme si l'on se trouvait dans une voiture tombée dans une rivière, et que l'on reste dans l'habitacle...
Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée.
Mme Lydia Schneider Hausser. Oui, je conclus ! ...que l'on reste dans l'habitacle de la voiture qui en train de couler, cela en continuant d'écouter de la musique sur notre iPod, puisque ce dernier fonctionne encore ! Je vous demande donc de penser un peu plus «global».
Le président. Madame Gauthier, je suis désolé, votre temps de parole est écoulé. Je passe la parole à M. Cuendet et à Deneys. Chacun dispose d'une minute.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Une minute ! Mesdames et Messieurs les députés, ce qui est essentiel ici, c'est la vision globale. Nous ne pouvons pas nous cantonner dans l'idée que nous n'avons rien à faire de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Affirmer que nous sommes attentifs aux conditions de production des ordinateurs ou d'autres produits est fondamental ! Et c'est la base du changement sur le reste de la planète pour que les pratiques s'améliorent aussi ailleurs !
Ici, à l'Etat de Genève, il y a une autre campagne qui me choque particulièrement, qui concerne Nestlé. Nestlé est une multinationale qui se trouve en Suisse, qui a des machines à café implantées partout dans le canton de Genève, notamment à l'Etat de Genève, or Nestlé brime les libertés syndicales, en Indonésie par exemple ! Et une campagne internationale a été lancée contre le comportement de Nestlé. Eh bien, il y a simplement d'autres fournisseurs de café et de machines à café qui sont excellents - comme la «Semeuse», à la Chaux-de-Fonds, que je vous recommande !
Mais on n'est pas obligé de prendre des produits qui ne respectent pas les travailleurs ! Il y a des choix que nous pouvons faire facilement et qui ne coûtent pas cher. Il y a encore du travail !
Le président. Merci, je passe la parole à M. Cuendet.
M. Edouard Cuendet (L), rapporteur de majorité. Je ne participerai pas à la campagne publicitaire de M. Deneys, mais je m'intéresserai surtout à un mot qui est souvent utilisé dans la discussion: le label, la certification. Comme si c'était le sésame absolu qui garantissait une provenance absolument pure ! D'ailleurs, le représentant de l'Oeuvre d'entraide ouvrière qu'on a entendu ne jurait que par les labels Xertifix, Fair Stone, SA 8000, standard IMAP, FLO ou Max Havelaar... Il y a une immense liste de certifications, longue comme le bras ou un jour sans pain - plutôt comme un jour sans pain ! Au fond, c'était intéressant, parce que dans le cas de la discussion à la commission de l'économie, c'est tombé au même moment que plusieurs articles de presse qui ont démontré que, par exemple, le label «bio» utilisé notamment à l'étranger était absolument utilisé à tort et que le miel «bio» venait d'abeilles qui avaient butiné à Tchernobyl, à peu près. (Commentaires.) Donc, ça montrait la limite de l'exercice, et l'un de mes excellents collègues libéraux a souligné les limites, aussi, de ces certifications qui constituent un business comme un autre, avec ses abus et ses dérives. Avoir une foi absolue en ces certifications et labels est une absurdité !
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je vais donc faire voter d'abord l'amendement qui nous a été soumis et, ensuite, la motion elle-même. Voici l'amendement, il s'agit de l'invite (nouvelle teneur): «à promouvoir auprès des entreprises, fournisseurs et prestataires de services, le respect des conventions de lOrganisation internationale du travail (OIT) dans lexécution du mandat qui leur est adjugé dans une procédure de marché public.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 43 oui contre 34 non.
Mise aux voix, la motion 1856 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 42 oui contre 41 non et 2 abstentions. (Applaudissements.)