République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 18 juin 2010 à 17h15
57e législature - 1re année - 9e session - 44e séance
M 1927
Débat
Le président. Nous sommes au point 33 de notre ordre du jour. Je passe la parole à M. Falquet. (Brouhaha.)
M. Marc Falquet (UDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés... Allô ? Ça marche ? (Commentaires. Brouhaha.) Ça fait plaisir de... Allô ? Ça fait plaisir d'entendre que tout le monde est pour la sécurité. En théorie, c'est exact; dans la réalité des faits, c'est tout à fait différent, les victimes pourront vous le confirmer - il y en a de plus en plus à Genève. Et lorsqu'on veut voter des motions pour renforcer les contrôles aux frontières, il n'y a plus personne pour la sécurité ! Je trouve cela un peu dommage.
En ce qui concerne cette motion, elle est consécutive à la suppression des contrôles aux frontières et, également, à la non-application de la loi sur les étrangers. A Genève, les étrangers en situation irrégulière sont comme chez eux... Je vous rappelle que, lorsque nous nous rendons dans un pays étranger, nous avons l'honneur de respecter ses lois. Je pense que nous devons exiger la réciprocité de la part des gens qui viennent chez nous, c'est la moindre des choses. C'est une question de respect de nous-mêmes: charité bien ordonnée commence par soi-même.
Je ne vais pas m'étendre plus longuement concernant cette motion, parce qu'apparemment elle a du succès - j'ai vu qu'il n'y en a plus un exemplaire dans les cases, là-bas, donc chacun a le texte sur son bureau. Je suggère donc que cette motion soit renvoyée à la commission judiciaire. Je n'ajouterai rien, sinon que c'est à nouveau une action pour renforcer la sécurité des citoyens.
M. Guillaume Barazzone (PDC). Au départ, le groupe démocrate-chrétien était assez réticent à l'idée d'étudier ce texte, dans la mesure où nous avons déjà parlé à plusieurs reprises, dans ce parlement, de la détention administrative. Les radicaux demandent depuis un certain temps, avec d'autres, une augmentation de la capacité de détention administrative - cette thématique-là a déjà été traitée à de nombreuses reprises.
La motion demande - et mélange, je dirai - deux choses: la question de l'application de l'accord et celle de la capacité en locaux permettant d'accueillir des détenus administratifs. Je crois que cette motion a un mérite: elle nous permettra, en commission, de déterminer avec plus de précision la pratique actuelle du département et du Conseil d'Etat, et éventuellement des autorités fédérales, s'agissant de l'accord précis entre la France et la Suisse mentionné en annexe de la motion.
Cette motion nous permettra aussi et plus particulièrement de faire un point de situation sur les accords de réadmission, tout en précisant ce qu'on a déjà dit depuis longtemps: la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral nous laisse une marge de manoeuvre réduite quant à notre possibilité de détenir administrativement des gens en vue de l'expulsion. Comme vous le savez, la jurisprudence précise qu'il faut que l'expulsion soit envisageable pour pouvoir détenir des ressortissants illégaux dans un centre de détention administrative.
Je crois donc qu'il est important d'étudier ce texte, mais il s'agira véritablement, en commission, de déblayer les thématiques qui sont mélangées dans les invites ainsi que dans l'exposé des motifs. Je vous demanderai donc, au nom du parti démocrate-chrétien, un renvoi à la commission judiciaire. Je vous remercie.
M. Mauro Poggia (MCG). Chers collègues, le groupe MCG, comme le PDC, soutiendra cette proposition de motion, qui entre évidemment dans un sujet plus large, celui de la détention administrative des personnes devant être renvoyées de Suisse mais dont on ne sait pas encore si elle pourront l'être, ni dans quelle direction. En fait, il s'agit de personnes qui viendraient dans notre pays à travers la frontière que nous avons avec la France et qui ne seraient évidemment pas titulaires d'un visa Schengen. Il s'agit donc d'établir que ces personnes ont traversé la France avant de venir chez nous, pour pouvoir les renvoyer en France dans le cadre de cet accord entre la Suisse et cette dernière. Et pendant cette période d'examen, nous devons évidemment pouvoir retenir ces personnes quelque part, et non pas les lâcher dans la nature.
Nous considérons qu'effectivement cette motion touche un sujet méritant d'être abordé, puisqu'il s'inscrit dans un cadre plus large auquel le MCG est évidemment sensible. Nous soutenons cette proposition de motion, et il conviendra de la renvoyer à la commission judiciaire et de police. Je vous remercie.
M. Eric Bertinat (UDC). J'aimerais compléter, par un exemple pratique, la rapide explication que vous a donnée mon collègue Falquet. Vous avez peut-être lu récemment dans «Le Temps», c'était le 14 juin, donc il y a quelques jours, le problème que nous posent les Nigérians. Voilà un cas pratique dans lequel un centre de rétention serait utile. Le directeur de l'ODM explique lui-même, je cite: «Deux tiers des Nigérians refoulés peuvent l'être vers d'autres pays de l'espace Schengen où ils ont déposé une première demande d'asile, mais le faire n'est pas simple en pratique.» Pourquoi est-ce que ce n'est pas simple en pratique ? Eh bien, prenons l'exemple de Genève, sans centre de rétention: les Nigérians, une fois arrêtés, on ne sait pas trop quoi en faire; ils sont relâchés dans la nature et disparaissent. Et ils disparaissent où ? Le plus souvent, ils restent ici, en Suisse, et continuent à commettre des délits.
Genève a véritablement besoin de ce centre sur notre territoire, centre qui sera très utile et permettra de donner un signal clair. Et, contrairement à ceux... Peut-être pas contrairement à ce qu'a dit M. Barazzone, mais en complément de ce qu'il a dit: l'expulsion n'est envisageable qu'une fois que nous avons la personne entre les mains. Si elle disparaît, eh bien, elle disparaît, elle se balade, elle vagabonde. Ce centre est justement bienvenu pour avoir un lieu où l'on sait que ces personnes se trouvent. Elles sont quand même coupables d'infractions très claires et elles ont un délai pour repartir. Durant ce délai, il nous faut absolument pouvoir, géographiquement, les situer.
Je vous invite donc à soutenir cette motion et à l'étudier en commission. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Falquet.
M. Marc Falquet. Je renonce.
Le président. Merci. Je donne la parole à M. Lefort.
Des voix. La cravate ! (Commentaires. Un député fait signe à M. François Lefort de rajuster sa cravate.)
M. François Lefort (Ve). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, être sans documents d'identité, vous le savez, n'est pas un délit pénal. Pour les Verts, ce n'en est pas un. Ce n'est donc pas un motif d'emprisonnement. Avouez que cette rétention administrative ressemble beaucoup à de la prison ! Et sans motif valable. Cela étant dit, les Verts vous demandent raisonnablement de rejeter cette motion. Et ils la refuseront !
M. Frédéric Hohl (R). Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes heureux de voir qu'aujourd'hui de nombreux partis rejoignent les idées du parti radical - je vous rappelle que ça fait plus de quatre ans que nous parlons de la détention administrative. Tous les partis nous rejoignent, donc on voit bien que c'est une solution.
Bien évidemment, nous allons soutenir la demande de renvoi à la commission judiciaire. Je rappelle à nos amis Verts que la détention administrative, ce n'est pas de la prison, c'est une préparation au départ. (Rire.) Eh oui ! Et l'on se réjouit, en commission judiciaire, de traiter de ce sujet.
M. Gabriel Barrillier. Excellent !
M. Olivier Jornot (L). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai le sentiment qu'on a un peu organisé un concours de celui qui crache le noyau de cerise le plus loin en matière de sécurité: «Je suis plus sécuritaire que toi !», «Je suis plus régalien que toi !», etc., j'en passe et des meilleures.
Mesdames et Messieurs, il existe à Genève un centre de rétention administrative, il s'appelle Frambois. Il est trop petit, tout le monde le sait, mais il existe, alors ne venez pas nous dire qu'il est indispensable de créer un centre de rétention. La rétention administrative n'est d'ailleurs pas seulement prévue dans l'accord que vous avez évoqué avec érudition, elle l'est également dans la loi fédérale sur les étrangers et dans la loi cantonale d'application que ce parlement a votée il y a un peu plus d'une année. Il n'y a donc strictement rien de nouveau sous le soleil.
Ce qui intéressant, d'un point de vue politique, c'est qu'il faudra bien, à un moment donné, que ce parlement décide ce qu'il pense de la détention administrative ! Jusqu'à présent, il y a eu énormément de propositions dans tous les sens - si on les avait empilées, on aurait probablement pu créer des milliers de places, d'ailleurs. Et il serait temps, un beau jour, que l'on décide quelle est notre position. Est-ce que nous sommes, comme certains, partisans de construire des centaines de places, dans l'idée que cela va résoudre l'ensemble des problèmes de délinquance à Genève ? Est-ce que, comme d'autres, nous considérons que c'est en soi totalement intolérable que d'enfermer des gens n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation pénale ? Est-ce que, comme d'autres encore, on considère que le centre de détention de Frambois est suffisant et qu'il répond à toutes sortes de normes de qualité de détention ? Est-ce que, comme les libéraux, on estime qu'il est nécessaire d'augmenter la capacité, qu'il est nécessaire d'améliorer la qualité de la détention à Frambois, qu'il est nécessaire d'avoir un centre dans le périmètre de l'aéroport ? Parce que c'est là que se situe la problématique. Il est nécessaire de convaincre nos partenaires au concordat de la nécessité d'augmenter le nombre de places; en revanche, on est convaincus qu'il n'est en effet pas sérieux, dans un Etat de droit, de prétendre que l'ensemble des délinquants doit être en permanence en détention administrative et qu'il convient par conséquent de manipuler avec beaucoup de précaution ce concept et ne l'utiliser que lorsque c'est absolument indispensable.
Tout à l'heure, en entendant l'UDC plaider pour sa motion, je me demandais bien comment j'arriverais à la soutenir. En définitive, les intervenants qui ont suivi m'ont convaincu que le renvoi en commission était un bon moyen d'avoir ce premier débat autour de la détention administrative. Avec, ensuite, les autres textes qui seront renvoyés dans cette perspective, nous accepterons de renvoyer cette motion en commission.
Mme Loly Bolay (S). Je partage l'avis de M. Jornot: effectivement, on a oublié qu'il y a Frambois sur notre territoire, même si on peut s'accorder à dire que cet établissement est déjà plein. Cela étant, que dit cette motion ? Elle met en relief que, depuis qu'il y a Schengen, eh bien, les frontières sont des passoires.
Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi de revenir sur certains points. Tout d'abord, l'entrée dans Schengen - que le peuple suisse a acceptée - et l'accord qui va avec favorisent la mobilité des citoyens européens en abolissant les contrôles systématiques des personnes aux frontières. Les contrôles mobiles à l'intérieur des Etats partenaires pour lutter contre le terrorisme et la criminalité sont maintenus, voire renforcés. Comment ? Il y a tout d'abord le système SIS. Quand on a parlé, l'autre jour, d'une motion PDC, nous avons évoqué ce système SIS, qui est d'ailleurs salué comme étant un outil performant, et par les douanes et par la police. En effet, le SIS est l'une des mesures les plus importantes qui viennent compenser l'abandon des contrôles aux frontières. Il a été conçu pour lutter contre la criminalité transfrontalière dans toute l'Europe. Le SIS est un système électronique d'information et de recherche pour les polices, valable dans tous les Etats membres de Schengen. Toutes les polices, à Genève, ont reçu une formation SIS dans le domaine de la coopération. En Suisse, le bureau appelé SIRENE - eh oui, SIRENE - a été constitué, il est l'interlocuteur, l'interface humaine entre les policiers de terrain et le système d'information Schengen.
Il y a un autre système mis en place par l'Union européenne et la Suisse, c'est Eurodac. C'est quoi, Eurodac ? C'est une base de données européenne d'empreintes digitales, un système automatisé d'identification des empreintes digitales. Ce système prévoit des mesures visant à protéger les droits humains et les libertés civiles. Les procédures ont été mises en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme et avec la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Les empreintes sont conservées pendant dix ans puis détruites. Et je rappelle que ces empreintes sont recueillies dans le cadre d'une demande d'asile. C'est suite à la Convention de Dublin que les ministres européens ont mis en place le système Eurodac.
Enfin, pour conclure, en Suisse, il y a encore un garde-fou supplémentaire: le Centre de coopération policière et douanière. Vous le voyez bien, Mesdames et Messieurs les députés, il existe un dispositif performant qui est en place et prévoit tous ces cas de figure. Raison pour laquelle le parti socialiste ne va pas vous suivre sur cette motion et, bien évidemment, la refusera.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Bertinat, à qui il reste une minute.
M. Eric Bertinat (UDC). Merci, Monsieur le président. Permettez-moi d'apporter une petite précision. Je crois que, pour certains députés, vous mélangez centre de détention administrative avec centre de rétention administrative. Ce que demande l'UDC par le biais de sa motion, c'est un centre de rétention, qui découle directement des accords de Schengen. Ce qu'a dit Mme Bolay est tout à fait juste, il n'empêche que les personnes ayant déposé une demande d'asile et dont on sait qu'elles l'ont déjà fait préalablement dans un autre pays doivent, selon les accords de Schengen et Dublin, retourner dans le pays où elles ont déposé leur première demande. Eh bien, pour ces personnes-là, nous demandons un centre de rétention, comme il en existe un à l'aéroport de Zurich et comme il devrait en exister un à l'aéroport de Cointrin. Il n'existe pas, ce qui fait que, alors que l'on devrait remettre ces gens au pays dans lequel ils ont déposé leur première demande d'asile, eh bien, on ne le peut pas, parce qu'ils disparaissent dans la nature. Alors, j'attire simplement votre attention sur cette chose: centre de rétention n'est pas centre de détention administrative, il y a un distinguo à faire. Je vous remercie.
Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Il y a non seulement une confusion de thématiques, mais il m'a bien semblé qu'il y avait également une confusion de genres, dans la mesure où, effectivement, l'article 73, alinéa 1, de la loi fédérale sur les étrangers parle de centre de rétention. Ce dernier est très précisément conçu pour ne pas excéder trois jours ! Il faut donc bien préciser cette différentiation telle qu'elle vient d'être exposée. S'agissant de la rétention, puisqu'on parle de «rétention administrative» et pas de «détention» - ce n'est pas le même régime, ce n'est pas le même article qui s'applique - j'aimerais quand même saluer la plateforme de coopération CCPD qui existe entre la France, la Suisse, le canton de Vaud et les gardes-frontières, et qui est extrêmement performante s'agissant de renvois de citoyens illégaux vers la France. Voilà la précision que je voulais apporter, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous allons maintenant nous prononcer sur le renvoi de cette motion à la commission judiciaire et de la police.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1927 à la commission judiciaire et de la police est adopté par 50 oui contre 22 non.