République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1821-A
Rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Olivier Jornot, Nathalie Fontanet, Francis Walpen, Marcel Borloz, Beatriz de Candolle, Christiane Favre, Fabienne Gautier, Ivan Slatkine, Daniel Zaugg : Protection des ambassades : n'affaiblissons pas la sécurité des Genevois !

Débat

Le président. Nous sommes au point 136 de notre ordre du jour. Le rapport est de Mme Buche, à qui je passe la parole. (Quelques instants s'écoulent. Bruit de micro. )

Une voix. Ah, c'était très bien ! (Brouhaha.)

Le président. Il faut réappuyer sur le bouton, je crois. (Bruit de micro.)

Des voix. Ah !

Mme Irène Buche (S), rapporteuse. Ça fonctionne ? (Commentaires.) Mesdames et Messieurs les députés, après avoir assuré la protection des ambassades et représentations étrangères à Genève pendant plusieurs années, l'armée suisse s'est retirée partiellement de cette mission le 1er janvier 2010. Elle n'a laissé à la disposition du canton que cinquante militaires professionnels pour assurer ces tâches de planton, lesquelles consistent pour l'essentiel à assurer une présence, surveiller et alarmer si nécessaire. (Brouhaha.) Les plantons assurant cette mission n'ont pas de pouvoirs de police, leur seule compétence étant précisément de l'appeler. Le canton de Genève a donc dû prendre la relève en remplaçant les militaires par des membres de la police de sécurité internationale - PSI.

La crainte des signataires de la motion 1821 était que l'affectation de forces de la PSI à ces tâches de planton représente un important gaspillage de compétences et affaiblisse de surcroît la sécurité des quartiers dans lesquels sont implantées les organisations internationales et les représentations étrangères. En effet, cela diminuerait le nombre de membres de la PSI en patrouille dans la rue.

Les motionnaires ont donc demandé que le Conseil d'Etat renonce à affecter des forces de police à la garde des représentations étrangères et qu'il délègue les missions de planton à des agents privés. La majorité des membres de la commission a toutefois estimé que cette délégation de tâches à des agents privés ne pouvait être que provisoire, en attendant la formation et l'engagement d'assistants de sécurité pouvant assumer ces dernières. On sait qu'une première volée d'assistants de sécurité est en cours de formation et pourra entrer en fonction d'ici à quelques mois; ce processus va se poursuivre ensuite avec d'autres volées. La commission a donc décidé que ce n'est qu'à titre tout à fait provisoire que l'Etat pouvait être autorisé à faire appel à une ou plusieurs entreprises de sécurité privées, sous la supervision de la police, en attendant l'engagement d'assistants de sécurité au sein de la PSI, engagement qui lui permettra d'assurer seule cette mission. C'est donc la motion amendée dans ce sens que je vous propose de voter ce soir. Je vous remercie.

M. Olivier Jornot (L). Mesdames et Messieurs les députés, en principe, lorsque l'on signe une motion et qu'elle revient avec un rapport qui en recommande l'adoption, on est heureux. Eh bien malheureusement, ce soir, ce n'est pas le cas. Je ne suis pas heureux, parce que je constate que les premières démarches entreprises par les libéraux dans ce dossier datent d'il y a deux ans. C'était en mars 2008 que nous avons commencé, par une interpellation urgente à l'égard du Conseil d'Etat, en signalant exactement les problèmes aujourd'hui mis à jour par le rapport qui vient de vous être présenté. Et on nous a répondu que tout allait bien et qu'en effet, entre les militaires professionnels d'un côté, entre les agents de la PSI de l'autre - qui allaient être divertis de leur mission - et entre les cinquante policiers qu'on allait faire naître par génération spontanée d'ici là, eh bien, on pourrait facilement résoudre le problème du départ de l'armée. Cette réponse était tellement absurde que nous avons immédiatement déposé la motion qui revient aujourd'hui. Et cette motion, cela fait une année et demie qu'elle a commencé d'abord par couler des jours heureux dans notre ordre du jour, avant d'être renvoyée en commission pour que cette dernière, enfin, vous la soumette aujourd'hui. Et pendant ce temps, que s'est-il passé ? Eh bien, strictement rien ! En effet, le chef de département précédent - sur lequel je m'en voudrais de poursuivre l'exercice consistant à lui tirer dessus en permanence, surtout maintenant qu'il n'est plus là - avait personnellement décidé que tant qu'il serait là, il n'y aurait jamais un agent de sécurité privé qui assurerait la tâche de surveillance des ambassades. Et c'est dommage ! Parce que les travaux de commission nous ont permis d'acquérir deux certitudes: d'abord, la première, c'est que tous les acteurs sont favorables à cette solution. Tous, que ce soit la direction de la police et de ses différents services ou que ce soit les membres du personnel que nous avons entendus, tous nous ont dit que ce n'est pas une tâche policière que d'assurer la surveillance statique devant les représentations diplomatiques et que cette tâche pouvait parfaitement être déléguée à des privés. Puis, la deuxième certitude que nous avons acquise, c'est celle que la solution qui consiste, comme aujourd'hui, à avoir cent dix agents de la police de la sécurité internationale s'occupant de la surveillance statique des lieux diplomatiques, eh bien, est un gaspillage éhonté ! Aussi bien de ressources financières que de compétences de la part de ces agents, qui sont même, pour certains, dotés du brevet de policier et que l'on emploie à des tâches n'étant tout simplement pas celles pour lesquelles soit ils ont été formés, soit ils ont été engagés.

Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, même si ce soir nous allons voter cette motion, c'est avec un certain sentiment, un petit goût amer dans la bouche que, en ce qui concerne les libéraux, nous le ferons - ce goût amer laissé par l'attente, l'attente qu'enfin on puisse voter ce texte.

Alors la commission a décidé que, dans le fond, il fallait légèrement amender l'invite de la motion pour que cette solution de recours à des agents privés soit provisoire...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !

M. Olivier Jornot. Oui, je vais immédiatement conclure, Monsieur le président. Nous, les libéraux, nous étions contre le fait que ce soit une solution provisoire, mais comme à Genève les solutions provisoires - on l'a vu par exemple avec certains bâtiments scolaires - durent parfois jusqu'à un siècle, pour ce provisoire-là, nous sommes d'accord et nous voterons la motion. (Commentaires.)

Mme Céline Amaudruz (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe UDC va soutenir cette motion. Nous ne sommes pas certains que c'est elle qui nécessitait l'urgence, néanmoins le groupe UDC tient à la sécurité à Genève, et c'est dans ce sens que nous allons soutenir cette motion. En effet, le fait de devoir confier la protection des représentations étrangères aux forces de police cantonales, en lieu et place de militaires, va poser un grave problème qui est très simple: une diminution inévitable de la présence de la police dans la rue, ce d'autant qu'ils auront pour mission insolente de prendre leur téléphone pour composer un numéro - mais où allons-nous ? Donc, je vous en supplie, accordez l'accès à ces postes à des entreprises de sécurité privées !

Mme Emilie Flamand (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, sur le principe, les Verts sont totalement opposés à l'idée de déléguer une tâche régalienne de l'Etat, telle que le maintien de la sécurité, à des entreprises privées. C'est vrai que dans le maintien de la sécurité il y a des activités plus ou moins palpitantes, mais ça reste un rôle, selon nous, qui doit être étatique. Au début, nous étions donc opposés à cette motion, mais les auditions ont rapidement révélé que la situation était inextricable et que, faute de trouver une solution rapide, il allait falloir retirer du terrain soixante agents de la PSI pour les affecter à la surveillance des ambassades, ce qui n'est évidemment pas souhaitable. Devant ce casse-tête et en attendant l'engagement des assistants de sécurité à qui cette tâche sera finalement confiée, nous avons accepté cette motion avec un amendement précisant que l'engagement d'agents privés ne devait se faire qu'à titre provisoire. Nous insistons sur ce point et nous voterons sans enthousiasme la motion ainsi amendée.

M. Frédéric Hohl (R). Mesdames et Messieurs les députés, au parti radical, nous trouvons - comme ma collègue Verte - que la sécurité est une tâche de l'Etat...

M.  Gabriel Barrillier. Ah !

M. Frédéric Hohl. ...mais...

M.  Gabriel Barrillier. «Mais» !

M. Frédéric Hohl. ...mais comme certains d'entre vous, j'ai également fait de l'armée, et...

M. Gabriel Barrillier. Oh !

M. Frédéric Hohl. ...c'est vrai que passer une nuit entière devant une ambassade...

M. Gabriel Barrillier. Mais oui... Oui, oui...

M. Frédéric Hohl. ...ce n'est pas ce qu'il y a de plus... On va dire: sexy.

M. Gabriel Barrillier. Planqué !

M. Frédéric Hohl. On parlait tout à l'heure de la revalorisation du métier de policier: je pense qu'il est très important que le Conseil d'Etat et le département, probablement avec les assistants de sécurité, imaginent d'autres pistes. Et celle qui nous est proposée aujourd'hui - l'engagement d'entreprises de sécurité privées à titre provisoire - ma foi, on verra bien le temps que cela durera.

M. Gabriel Barrillier. Un certain temps !

M.  Frédéric Hohl. C'est une solution pour laquelle nous n'avons pas le choix. Nous adhérons donc à cela et allons voter cette motion.

M. Mauro Poggia (MCG). Le MCG va soutenir cette motion. Et, comme M. le député Jornot, nous avons évidemment regretté que le précédent chef du département ait autant attendu - ou plutôt, il n'a pas attendu, il n'a rien fait pendant des mois - alors que cette échéance du 1er janvier 2010 pour le départ de l'armée était connue. Cela allait impliquer et cela a impliqué provisoirement que des forces de police - qui sont bien plus utiles ailleurs sur le terrain - soient utilisées à des travaux de «sécurisation», dirions-nous, des représentations étrangères.

C'est vrai que la tâche de défendre la société doit incomber avant tout à l'Etat: c'est lui qui est garant de la démocratie, et elle n'existe pas sans sécurité. Alors, le fait de déléguer ces tâches de sécurité, même subalternes, pose un problème de principe. Nous ne pouvons toutefois pas faire autrement et nous devons choisir, aujourd'hui, entre la délégation de ces tâches de sécurité à des entreprises privées et/ou déléguer ces tâches à des agents de l'Etat - des gendarmes en uniforme qui ont bien mieux à faire, vous le savez aussi bien que moi.

Nous allons donc soutenir cette motion, mais que les choses soient claires: nous n'accepterons pas du provisoire qui dure, contrairement à ce qu'a dit M. le député libéral. Les libéraux s'opposent systématiquement à voter des crédits supplémentaires lorsqu'il s'agit de tâches comme celles-là. J'espère qu'ils vont, cette fois-ci, changer de ton en fin d'année, lorsqu'il s'agira de débloquer les fonds nécessaires pour remplacer ces agents de sécurité privés par des agents de la force publique engagés par l'Etat, parce que nous ne voulons pas du provisoire qui dure.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Eric Stauffer à qui il reste une petite minute.

M. Eric Stauffer (MCG). C'est amplement suffisant pour faire un constat et reprendre vos propos, chers collègues. Nous entendons des Verts: «La situation est inextricable.» «Situation chaotique», décrite par les députés libéraux... Eh bien, Mesdames et Messieurs, c'est le constat d'échec de ces gouvernements successifs... (Exclamations.) ...qui n'ont pas su prévoir la sécurité à Genève. Comme l'a dit mon excellent collègue Mauro Poggia, la situation était connue pour le 1er janvier 2010: on savait qu'il n'y aurait plus d'armée. Voilà la sécurité qu'on nous propose !

Finalement, cette motion n'a aucun effet contraignant, donc on l'envoie au Conseil d'Etat en lui disant: «Coucou ! Le parlement aimerait juste que vous puissiez déléguer ceci aux privés.» Et puis, le gouvernement fait exactement ce qu'il veut ! En effet, nous avons appris avec effroi, au MCG, que le gouvernement a donné son autorisation pour engager des auxiliaires de police qui sont des frontaliers, c'est-à-dire des étrangers résidant à l'étranger.

Alors, je vous le dis, Mesdames et Messieurs, dans le calme qui nous caractérise: si, demain, ces gens continuent à être engagés au sein des forces de police, il y aura un soulèvement dans la rue... (Commentaires.) Parce que nous ne sommes pas prêts, Mesdames et Messieurs, à accepter de telles dérives de notre parlement ou de notre gouvernement ! Et j'aimerais, à ce propos, vous rappeler l'article 43 de la constitution genevoise, qui prévoit que devrait perdre ses droits civiques toute personne qui travaille pour une puissance étrangère... Je vous laisse méditer sur cette petite phrase et savoir si vous êtes des élus de la République et canton de Genève ou si vous travaillez pour la France, pour favoriser les Français...

Le président. Il vous faut conclure !

M. Eric Stauffer. ...au détriment des citoyens genevois ! (Commentaires.)

Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe socialiste va évidemment voter cette motion. En effet, c'est lui qui, en commission, avait proposé l'amendement prévoyant que la délégation à des entreprises de sécurité privées ne puisse se faire qu'à titre provisoire - et uniquement provisoire. Le groupe socialiste l'a fait pour deux raisons, Monsieur le président: bien évidemment, depuis que l'armée s'est retirée de Genève, eh bien, les missions diplomatiques, la Genève internationale, doivent bénéficier de cette surveillance. Nous ne voulons pas prétériter la Genève internationale et avons accepté que la sécurité privée puisse venir remplacer, en attendant les assistants de sécurité, les plantons sur ces sites. Cela étant, pour nous, bien sûr que la sécurité est une tâche régalienne de l'Etat, elle doit le demeurer, et c'est bien évidemment à titre très provisoire que nous concevons cette motion.

Cela dit, pour nous aussi, il y avait un problème par rapport à la PSI. Pourquoi ? La PSI a fait un travail admirable dans la Genève internationale, elle fait aussi un travail admirable à l'Aéroport international de Genève; nous avons constaté qu'affecter les forces de la PSI à la surveillance des missions et ambassades dans la Genève internationale était une perte du savoir-faire de cette police. Alors, qu'elle puisse le faire de manière temporaire, d'accord, mais je crois que la PSI doit conserver les tâches qui sont les siennes à l'heure actuelle.

Monsieur le président, comme je l'ai dit tout à l'heure, le groupe socialiste votera cette motion avec cet élément transitoire, pour une période dont nous avons souhaité qu'elle ne se prolonge pas au-delà d'une année.

Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Je vais simplement apporter une petite rectification pour éviter que d'aucuns se soulèvent pour pas grand-chose. S'agissant des aspirants à l'école d'assistant de sécurité, j'aimerais juste apporter la précision suivante: sur 119 candidatures déposées, 52 candidats ont été convoqués aux examens d'admission et 36 d'entre eux ne se sont même pas présentés. Au final, après examen, il reste 20 candidats, je vais vous en donner le détail: il s'agit de 12 Suisses, 4 permis C, 1 permis B et 2 permis G dits «frontaliers». Sur les 20 candidats, un est au chômage; sur les 2 permis frontaliers, il y en a un qui est en voie de régularisation parce que son détenteur va épouser une Suissesse d'ici peu de temps... (Commentaires. Brouhaha.) ...il en reste donc un. Ces demandes sont en cours de validation. Il s'agissait simplement d'apporter cette précision pour éviter qu'il y ait des soulèvements pour, finalement, pas grand-chose. (Brouhaha.)

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. La parole n'étant plus demandée, nous passons au vote.

Mise aux voix, la motion 1821 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 78 oui et 5 abstentions.

Motion 1821