République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1825
Proposition de motion de Mmes et MM. Alberto Velasco, Françoise Schenk-Gottret, Lydia Schneider Hausser, Roger Deneys, Virginie Keller, Pablo Garcia, Christian Brunier, Véronique Pürro, Alain Etienne, Laurence Fehlmann Rielle, Mariane Grobet-Wellner : Pour une véritable politique de promotion du vélo

Débat

Le président. Nous sommes au point 17 avec la motion 1825, laquelle figure à notre ordre du jour depuis dix-neuf sessions. J'espère que nous aurons le temps de la traiter en entier ce soir ! Je passe la parole non pas à M. Velasco, qui nous a quittés pour un autre destin, mais à Mme Schneider Hausser.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Oui, à vélo on va lentement: dix-neuf séances pour y arriver, et nous y voici ! En tant que cyclistes, in fine, ce qui nous est reproché, au terme d'un processus pervers de renversement des valeurs, c'est notre silence. Dans ce monde urbain, bruissant d'agressions sonores, notre déplacement silencieux fait de nous des dangers publics. Notre ami piéton, nullement alerté par le grondement d'un moteur, n'a même pas jugé utile de jeter un coup d'oeil préventif bilatéral. Il s'est engagé benoîtement sur la chaussée, tout à sa certitude que, sans bruit, nulle présence. C'est bien là que s'est logée la perversion. Dans l'espace urbain, le critère de l'existence est désormais proportionnel à la nuisance sonore. Je fais du bruit, donc je suis.» Voilà un petit passage du «Traité de vélosophie» de Didier Tronchet pour introduire ce sujet. En effet, à Genève, la plupart des pistes cyclables existantes ont été étudiées sur le principe de la coexistence entre voitures et vélos. Il est donc temps de passer à l'étude de ce qui peut se faire pour que coexistent piétons et vélos, en particulier en ville, où cette coexistence est encore très faible. Dans la campagne, il y a quelques pistes cyclables où nous partageons en tant que cyclistes le même espace que les piétons.

D'autres centres urbains ont privilégié cette relation, non pas pour donner plus de place aux voitures, mais pour inciter davantage de cyclistes à oser s'élancer sur la chaussée. Voilà donc l'une des grandes parties des invites de cette proposition de motion, que nous vous recommandons chaleureusement de renvoyer... Selon nous, il faudrait la renvoyer au Conseil d'Etat, pour que ça aille plus vite et pour faire une piqûre de rappel de vaccination importante et nécessaire afin de ne pas s'endormir en matière de pistes cyclables et d'espaces réservés aux vélos. Cependant, si une majorité de ce parlement a peur de renvoyer cette proposition de motion directement au Conseil d'Etat, nous serons également d'accord de la renvoyer en commission pour que l'on étudie plus spécifiquement ce qui peut se faire. (Applaudissements.)

M. Daniel Zaugg (L). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion part d'un constat réel: circuler à vélo sur les axes principaux est une activité dangereuse pour les cyclistes. Et le titre me plaît: «Pour une véritable politique de promotion du vélo». J'y suis favorable ! Le vélo, c'est bien, c'est écologique, c'est bon pour la santé, et c'est souvent plus rapide que la voiture, j'en ai fait l'expérience cet été. Malheureusement, le titre de cette proposition de motion est totalement trompeur: sur les six invites qu'elle comporte, quatre concernent exclusivement la possibilité pour les vélos de circuler sur les trottoirs. Cette proposition de motion propose donc de menacer les piétons pour protéger les cyclistes, et là, je ne suis plus d'accord ! La justification est carrément surréaliste: dans l'exposé des motifs, on nous dit que les cyclistes sont dépourvus de carapace, qu'ils ne sont pas agressifs pour les piétons; on nous parle d'harmonie, de complicité même avec les piétons... Moi je vous assure que lors d'une collision entre un cycliste et un piéton, il y a une différence de vitesse qui provoque de sacrés dégâts, et un vélo est équipé d'un tas d'éléments durs et anguleux qui peuvent causer de nombreuses blessures. Je ne pense donc pas qu'il y ait de la complicité !

Sur la route et sur les pistes cyclables, on signale les changements de direction par un signe de la main ou avec les clignotants, alors je me pose la question suivante: est-ce qu'à l'avenir les piétons devront eux aussi signaler leurs changements de direction ? Devront-ils être équipés de rétroviseurs pour se méfier du cycliste qui arrive derrière eux ? Et quid des aveugles, des enfants en bas âge, des chiens en laisse ? Ils ont aussi le droit de circuler ! On me souffle cette question: est-ce que les piétons devront mettre un casque ? Effectivement !

La DGM nous a expliqué à moult reprises qu'elle réalisait des pistes cyclables chaque fois que c'était possible, et c'est une bonne chose, parce qu'il est important de protéger les cyclistes, mais pas au détriment des piétons. Les trottoirs doivent rester un espace de liberté pour les piétons, c'est pourquoi le groupe libéral refusera cette proposition de motion surréaliste.

M. Charles Selleger (R). Quand on lit dans le titre d'une proposition de motion que cette dernière vise à promouvoir le vélo, on se dit que c'est une bonne idée ! En effet, le vélo, c'est respectueux de l'environnement, c'est adapté à la dimension urbaine, c'est de nature à désengorger le trafic et, bien sûr, c'est bon pour la santé. C'est donc une proposition de motion qui a un titre bien accrocheur. Mais lorsqu'on va un peu plus loin dans la lecture de ce texte et que l'on regarde les invites, là, on est franchement déçus. M. Zaugg l'a dit, il y a des invites qui sont de véritables non-sens: «à tracer provisoirement sur les trottoirs des voies destinées aux vélos [...]». Si vous vous êtes déjà promenés sur le quai Wilson par un beau dimanche ensoleillé, vous avez pu constater à quel point circuler à vélo sur le trottoir du quai Wilson est tout simplement impossible. C'est tellement impossible que les cyclistes renoncent à emprunter la partie qui leur est destinée sur ce trottoir et vont divaguer n'importe où sur la zone réservée aux autres usagers, c'est-à-dire les piétons, y compris les enfants, qui ne sont d'ailleurs pas toujours piétons puisqu'ils utilisent parfois des trottinettes ou des tricycles et qui à tout moment peuvent obliquer à droite ou à gauche sans avoir aucune conscience qu'un cycliste qui roulerait à une vitesse normale - soit environ 20 km/h - pourrait non seulement les mettre en danger, mais également se mettre en danger lui-même. Donc tracer des bandes cyclables sur les trottoirs est complètement idiot !

La deuxième invite est la suivante: «à mener une campagne [...] visant à favoriser une meilleure cohabitation entre cyclistes et piétons sur les trottoirs;» Prenons comme exemple le trottoir du pont du Mont-Blanc: là il faudrait qu'il y ait quelque chose de sécurisé pour les cyclistes; s'ils ne sont pas en sécurité sur la voie des voitures, ils le seront encore moins sur la partie trottoir qui est étroite et largement empruntée par une foule compacte de piétons qui seraient eux-mêmes mis en danger par les vélos.

Une autre invite consiste «à multiplier la signalisation qui autorise les cyclistes à utiliser les zones piétonnes et passages piétons à des heures où les cyclistes peuvent cohabiter sans danger avec les piétons;» Dans ce cas, il faudra vraiment définir les heures ! Moi je pense qu'entre minuit et trois heures du matin ce serait pas mal ! Malheureusement, ce ne sont pas les heures auxquelles les cyclistes voudraient emprunter ces passages piétons; ils souhaiteraient justement les utiliser aux heures de pointe, lorsque ces passages piétons sont précisément encombrés de piétons et que les cyclistes sont les plus malvenus.

Autre invite: «à poursuivre une politique répressive uniquement à l'encontre des cyclistes "casse-cou"[...]».

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !

M. Charles Selleger. Alors là je dirai que ce n'est plus un chronomètre qu'il faudra, mais des policiers capables de distinguer les bons comportements cyclistes des mauvais. Et je pourrais rajouter...

Le président. Non, il ne faut pas rajouter, il faut conclure, Monsieur le député !

M. Charles Selleger. Alors pour conclure, Monsieur le président, je dirai que promouvoir le vélo, c'est bien, c'est pourquoi les radicaux soutiendront le renvoi de cette proposition de motion à la commission des transports, mais sans entrer dans les invites contenues dans ce texte.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Meissner. J'en profite pour vous rappeler, Mesdames et Messieurs les députés, que vous n'êtes pas obligés d'utiliser entièrement les trois minutes qui vous sont imparties !

Mme Christina Meissner (UDC). Cette proposition de motion interpelle, parce qu'effectivement la mobilité pour tous, d'accord, mais pas n'importe où et n'importe comment ! «Tracer provisoirement sur les trottoirs des voies destinées aux vélos»... Et les piétons ? On leur tracera des trottoirs sur les voies de bus ? A chacun sa voie, s'il vous plaît ! Sur les trottoirs, ce sont les piétons qui ont la priorité, et cela de nuit comme de jour. Les pistes cyclables se réalisent de manière raisonnable, et la volonté de poursuivre cette politique est certainement totalement acquise avec la nouvelle conseillère d'Etat du DIM. La solution qui nous est proposée tient donc du bricolage, et la proposition de motion est inutile.

M. Fabiano Forte (PDC). Monsieur le président... (Le micro de l'orateur ne fonctionne pas. Brouhaha.) Ah voilà ! Je pensais, Monsieur le président, que vous m'aviez d'ores et déjà censuré !

Le président. Il n'en est pas question !

M. Fabiano Forte. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe démocrate-chrétien étudie avec la plus grande attention cette proposition de motion. (Commentaires.) Ça nous arrive, oui, chers collègues ! Un certain nombre d'invites ont été citées précédemment, auxquelles nous ne pouvons souscrire. Mais cette proposition de motion mérite d'être examinée à la commission des transports, car actuellement il n'existe aucun plan cantonal de mobilité douce par le vélo. Ce soir, on est en plein débat sur la liberté de choix du mode de transport: on a parlé de la voiture, avec la troisième voie autoroutière et la traversée par le bac, et l'on parle maintenant de vélo. Il faut mettre cette proposition de motion en parallèle avec l'initiative 144 d'actif-trafiC «pour la mobilité douce (initiative des villes)» que nous allons traiter brièvement tout à l'heure sur la forme, sauf erreur de ma part, et il nous paraît tout à fait logique d'étudier cette proposition de motion en commission pour pouvoir éventuellement la modifier et pour que ce canton se dote d'une véritable politique globale du transport et des déplacements à vélo. En effet, aujourd'hui nous vivons une politique patchwork, où certaines communes, et c'est tout à leur honneur, développent des plans de mobilité à vélo - je vois Mme la conseillère d'Etat Isabel Rochat, et l'on peut effectivement citer la commune de Thônex. La commune voisine n'en développe pas, or il faut une certaine homogénéité dans tout cela, raison pour laquelle nous vous demandons de renvoyer cette proposition de motion à la commission des transports.

M. Roberto Broggini (Ve). C'est avec plaisir que j'ai entendu M. Forte dire qu'il souhaitait renvoyer cette proposition de motion à la commission des transports. En effet, à la lecture de ce texte, j'ai eu quelques interrogations sur certaines propositions formulées dans les invites. C'est pour cette raison que nous ne pourrions pas renvoyer cet objet directement au Conseil d'Etat, car il serait très difficilement applicable.

Monsieur Selleger, vous avez commencé à essayer de faire le travail de commission, mais malheureusement le temps qui vous est imparti ne vous a pas permis d'aller jusqu'au bout de votre raisonnement, raison pour laquelle je vous encourage également à renvoyer cette motion à la commission des transports.

J'aimerais juste citer quelques exemples pris dans plusieurs villes de Suisse. Pas plus loin qu'à Lausanne, le trottoir du pont Chauderon est séparé en deux: une bande pour les vélos avec un revêtement d'une couleur et un espace pour les piétons avec un revêtement d'une autre couleur. Cela se fait à Berlin depuis le début du siècle passé ! A Lucerne, sur le pont qui traverse la Reuss, que vous connaissez fort bien, il y a également un espace qui est partagé entre les piétons et les cyclistes. Sur la Limmat, à Zurich, vous trouvez aussi cela. C'est pour dire que ces possibilités existent; elles ne sont certainement pas envisageables sur tous les trottoirs de Genève - et heureusement, car il faut défendre les piétons qui sont les plus faibles de la circulation - mais malheureusement les pistes cyclables sont trop souvent empruntées par d'autres usagers de la route, ce qui contraint les cyclistes - qui sont les deuxièmes plus faibles, si vous voulez - à se réfugier sur un espace plus sécurisé.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer cette proposition de motion à la commission des transports, afin que l'on puisse étudier les invites qui sont acceptables et celles qui peuvent certainement être améliorées.

M. Jean-François Girardet (MCG). Dans une première réaction épidermique, le MCG aurait eu envie de shooter, comme on dit, cette proposition de motion. Toutefois, soyons ouverts: les propositions de renvoi en commission nous permettront d'étudier ce texte et peut-être de l'élargir à toute la problématique de la mobilité douce, comme il l'a été rappelé par mes préopinants. Il faut savoir que le vélo s'est aujourd'hui électrifié et serait plus assimilé aux scooters ou aux deux-roues, quels qu'ils soient, même si les deux-roues vont maintenant eux aussi être électrifiés.

Je pense que la commission des transports devra étudier ce texte et le renvoyer ensuite au Conseil d'Etat avec des amendements, mais en tout cas certaines invites devront être supprimées, car on voit mal comment on pourrait encore densifier la circulation sur les trottoirs alors que ces derniers sont déjà bien largement squattés de manière illicite et dangereuse par les cyclistes.

M. Roger Deneys (S). Ce sujet est évidemment toujours teinté de réactions émotives de la part des uns et des autres. En l'occurrence, j'aimerais vous rappeler que lorsque ce texte a été déposé, M. Velasco, notre ex-collègue, venait précisément de subir un accrochage en circulant à vélo; il était typiquement dans l'un de ces endroits problématiques à Genève, où les itinéraires cyclables sont inexistants.

Le problème aujourd'hui - et je pense que c'était le but essentiel de cette proposition de motion - c'est que certains aménagements cyclables manquent dans des endroits stratégiques: le pont du Mont-Blanc, le pont de la Coulouvrenière, etc. En outre - j'ai encore pu le rappeler dans la presse - la nouvelle ligne de tram qui va à Meyrin a tout à coup une portion de 500 mètres exempte d'itinéraire cyclable, alors qu'il y a sur le reste du parcours une piste cyclable. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que sur ces 500 mètres on ne se préoccupe pas de ce que vont faire les cyclistes.

Mesdames et Messieurs, je remercie les députés MCG, radicaux et PDC de leur ouverture d'esprit, et je pense que le renvoi de ce texte en commission est essentiel. La cohabitation piétons-vélos fonctionne dans de nombreuses villes, y compris d'ailleurs à Genève. En plus de ce qu'a dit M. Broggini, vous avez sur le pont de Saint-Jean ou au boulevard de la Cluse différents endroits où cela fonctionne sans accidents majeurs. Le problème des vélos qui ne respectent pas les signalisations n'est pas spécifiquement lié à la cohabitation marquée au sol, c'est un autre problème. Je pense qu'on peut aborder sereinement ces points en commission, et si l'on parvient à résoudre les problèmes stratégiquement dangereux pour les cyclistes et à éviter des accidents mortels ou des handicaps graves, ce sera un bienfait pour notre république. Je vous remercie donc de renvoyer cette proposition de motion en commission.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Meylan, à qui il reste quarante secondes.

M. Alain Meylan (L). J'aimerais juste rappeler, puisque l'on parle du pont de la Coulouvrenière et du pont du Mont-Blanc, qu'il y a quelques années on a modifié à grands frais un pont qui s'appelle le pont des Bergues, qui est exclusivement et totalement réservé aux cyclistes et qui fait justement que l'on peut...

Une voix. Et aux piétons !

M. Alain Meylan. Il y a deux trottoirs pour les piétons, mais la grande allée centrale du pont des Bergues est réservée exclusivement aux cyclistes et permet justement à ces derniers de passer en toute sécurité d'une rive à l'autre ! On peut certes imaginer créer une voie supplémentaire sur le pont du Mont-Blanc, mais alors, à ce moment-là, rendons le passage du pont des Bergues aux véhicules privés et professionnels qui pourront disposer ainsi d'une nouvelle traversée au centre-ville. (Applaudissements.)

Mme Michèle Künzler, conseillère d'Etat. Je suis très heureuse que l'on renvoie cette proposition de motion en commission; cela nous permettra de vous faire part de l'avancement du plan directeur de la mobilité douce, qui va connaître une grande accélération, comme vous en avez pris la décision. Cela permettra d'avancer non seulement au sujet des pistes cyclables, mais aussi des plans piétons et des chemins de randonnée. En effet, il s'agit d'un ensemble, et nous allons travailler avec les communes et les différents départements - que ce soit l'aménagement, la police... - pour avoir vraiment une vision concertée afin de faire avancer le dossier de la mobilité douce dans ce canton.

Il y a effectivement des problèmes, et cette proposition de motion est du même ordre que celle concernant la troisième voie sur la bande d'arrêt d'urgence, car il s'agit de mesures d'urgence. Maintenant, il faut que l'on passe à des mesures beaucoup plus concrètes, car la mobilité douce a été un peu mise de côté. C'est très bien d'avoir développé les trams, et on le fera encore, car ce sont des éléments structurants et importants, mais en parallèle il faut développer tout ce qui concerne la mobilité douce, qui peut avoir un véritable impact sur notre environnement et sur notre cadre de vie. Comme l'a rappelé M. Forte, c'est aussi l'objectif de l'IN 144, qui a été accueillie très favorablement par le Conseil d'Etat, et c'est pour cela que nous nous réjouissons de traiter cette proposition de motion en commission.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1825 à la commission des transports est adopté par 59 oui contre 26 non.