République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 6 novembre 2009 à 17h
57e législature - 1re année - 1re session - 2e séance
M 1767-A
Débat
Mme Beatriz de Candolle (L), rapporteuse de majorité ad interim. Tout d'abord, j'aimerais relever la qualité de l'excellent rapport de notre ancienne collègue, Christiane Favre. J'aimerais aussi rappeler que, si cette motion a été jugée irréaliste par le chef du département et par la majorité des commissaires au fil des auditions, elle a permis d'ouvrir le débat. La réflexion issue de nos travaux a abouti au projet de loi 10320 du Conseil d'Etat, qui modifiait la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire et qui a été voté par notre parlement le 20 février dernier. Cette loi a augmenté non seulement le nombre de membres de la commission pour l'aménagement du territoire, mais elle a aussi élargi son champ d'action au projet d'agglomération. Nous la considérons aujourd'hui comme satisfaisante.
M. Michel Ducret (R), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe radical a bien compris les difficultés à mettre en place immédiatement l'institution qu'il souhaitait au travers de cette proposition de motion. Il a également salué les efforts du chef du département pour instituer une plus grande ouverture au niveau de la commission pour l'aménagement du territoire. Nous en avons salué l'initiative et y participons avec satisfaction. Toutefois, cela ne répond pas... (Brouhaha.) Monsieur le président, on se croirait dans un poulailler ! (Le président agite la cloche.)
Le président. Vous avez raison, Monsieur le rapporteur.
M. Michel Ducret. Merci, Monsieur le président. Je reprends. Toutefois, cela ne répond pas à la demande fondamentale de la motion, et nous avons estimé que nous n'étions pas suffisamment satisfaits, même si nous acceptons le fait que la mise en place d'un conseil démocratique pour notre région n'est pas possible dans l'immédiat. Par contre, nous avons voulu maintenir cette proposition et faire un rapport de minorité pour dire que Genève se doit de préparer l'avenir, avec la possibilité d'avoir un véritable conseil démocratique pour notre région, et que cela doit se faire dans le cadre qui sera fixé au niveau des institutions européennes pour les régions transfrontalières - tout cela existe, ces problèmes ne sont pas propres à Genève, mais existent ailleurs en Europe. C'est une nécessité pour l'avenir.
Nous avons donc fait déposer sur vos bureaux, Mesdames et Messieurs, l'amendement que vous trouvez également à la fin de mon rapport de minorité et qui modifie l'invite initiale, essentiellement pour dire non pas de constituer immédiatement, mais de «préparer [...] la constitution à terme d'un Haut-Conseil du Genevois» - ou le nom que l'on voudra bien lui donner à ce moment-là - en collaboration avec nos partenaires, et de faire en sorte que cette nouvelle institution soit en accord avec la pratique européenne, afin de ne pas consacrer une nouvelle «genevoiserie». Nous savons que ce n'est pas pour tout de suite, que les institutions tant en Europe que chez nous devront évoluer pour que cela soit possible. Ce doit être, à terme, un but à satisfaire pour Genève, parce que cela correspond à une demande, Mesdames et Messieurs.
Et ce n'est pas qu'une demande des radicaux. On s'amusera d'ailleurs, Mesdames et Messieurs, de constater que, par exemple, dans un article paru dans le «Courrier», le conseiller d'Etat Mark Muller - libéral, je crois - souhaite également un Conseil du Genevois ou quelque chose d'équivalent, une institution plus démocratique. Dans un autre journal, qui s'appelle «Le Matin», le conseiller administratif Manuel Tornare - socialiste, je crois - conclut en rappelant qu'il se bat depuis longtemps pour une assemblée consultative de la région élue au suffrage universel. Mesdames et Messieurs, j'ai également entendu, lors d'une réunion de la Constituante ouverte au public, une représentante des Verts demander le même genre d'institution. Je m'étonne donc particulièrement que tous ces groupes qui, en dehors de notre Grand Conseil, où l'on a vraiment le pouvoir de faire quelque chose, demandent la création d'une telle institution, en viennent à la refuser lorsqu'on la leur propose ! Je ne vois qu'une explication à cette attitude: cela ne vient pas de leur propre bord, alors ils trouvent peut-être que ce n'est pas assez bien.
Voilà, Mesdames et Messieurs, la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. J'invite donc les groupes dont des représentants se manifestent partout pour créer à terme une institution plus démocratique au niveau régional, à se prononcer en faveur de notre proposition, plutôt que de la rejeter sèchement comme cela a été fait au niveau de la commission.
M. Eric Leyvraz (UDC). La CACRI - la commission des affaires communales, régionales et internationales - s'est penchée avec beaucoup d'attention sur cette proposition de motion, parce que le développement de notre région transfrontalière est évidemment l'un des points les plus importants pour la Genève de demain. Nous avons le CRFG - le Comité régional franco-genevois - qui, lui, n'a pas de pouvoir décisionnel et dans lequel les députés, même s'ils en font partie, n'ont pas grand-chose à dire. On ressent là un certain déficit démocratique. Ces problèmes internationaux reviennent au Conseil d'Etat, qui peut discuter avec la France voisine. Cependant, la députation elle-même se sent un peu dépossédée de ces développements transfrontaliers.
Il n'y a pas, actuellement, de possibilité de créer un Conseil du Genevois. C'est impossible. Il s'agirait de passer au-dessus des lois de deux Etats et de leur constitution, ce qui est évidemment impensable. Mais il faut que la CACRI se penche, maintenant et beaucoup plus, sur ce sujet important. Quand je pense que nous avons passé sept ou huit séances à discuter du matériel des pompiers... Ce n'est pas le rôle de cette CACRI. Elle doit s'occuper maintenant des questions les plus importantes et prendre en main cette problématique transfrontalière. Chers camarades qui serez aussi membres de la CACRI, voilà donc notre rôle ces quatre prochaines années. Ce n'est pas de s'occuper du matériel des pompiers, mais de sujets qui importent pour la république.
C'est dans ce contexte que je dis que cette motion est malheureusement inapplicable. Nous ne pouvons donc tout simplement pas l'accepter, parce que si nous l'acceptons, elle n'a aucune possibilité de se réaliser. Ce n'est pas pour autant qu'il faut en oublier l'idée. Et l'amendement proposé par notre collègue n'est pas non plus valable, parce que la formule «à terme» ne signifie rien. «A terme», c'est peut-être dans vingt ans. Alors si l'on veut battre le record de la motion la plus ancienne que l'on ressortira des tiroirs, on pourra le faire en acceptant cet amendement. Donc malheureusement, il ne nous reste qu'à refuser cette motion.
M. Gabriel Barrillier (R). Mesdames et Messieurs les députés, j'avoue être l'auteur de cette proposition de motion, qui est née... d'un mouvement de mauvaise humeur. Pourquoi ? Parce que nous étions - et d'ailleurs, cette procédure n'est pas terminée - en pleine discussion et consultation au sujet du projet d'agglomération franco-valdo-genevois. Vous vous souvenez du reste que, entre 2006 et 2007, nous avions déposé une résolution, tous ensemble, pour demander que le Conseil d'Etat, ici présent, nous prenne au sérieux et essaie de combler le déficit démocratique que nous vivons dans la procédure de consultation, d'ailleurs engagée depuis plusieurs années. Donc le Conseil d'Etat devait organiser une séance d'information - peut-être vous en souvenez-vous - seulement d'information. Mais dans le processus engagé, les parlements, notamment le nôtre, n'ont aucune compétence pour donner leur avis, pour donner quittance aux orientations prises. D'ailleurs, tous mes préopinants l'ont reconnu, en particulier mon excellent collègue Eric Leyvraz. Vous auriez pu terminer en disant: «Nous allons voter l'amendement.» En effet, ce que vous avez dit est un plaidoyer qui reconnaît le mauvais fonctionnement des institutions de cette région.
Nous sommes en plein dans l'actualité ! Cette région se construit, avec 800 000 habitants, dont 450 000 dans le canton de Genève. Et la périphérie, à côté, sera bientôt en majorité. Or si nous ne travaillons pas à la construction de cette région dans la bonne ambiance et dans la cohérence, chers collègues, c'est la périphérie qui va devenir majoritaire par rapport à nous ! Donc nous avons dressé un constat: le Comité régional franco-genevois - on a aussi parlé du Conseil du Léman, qui est plus large - est une institution qui a rendu de bons services. Mais maintenant, elle est à bout de souffle. Vous l'avez dit, dans les commissions spécialisées, on tourne en rond, on n'a pas l'impression de faire avancer certains dossiers très importants: la main-d'oeuvre, les soins, la mobilité, etc.
Donc nous devons arriver maintenant - et gouverner, c'est prévoir - à imaginer avec nos collègues, avec nos interlocuteurs du pays de Vaud et de la France voisine, la création et l'émergence d'institutions plus démocratiques - ce sera un processus assez long, il faut le reconnaître - qui permettent aux populations de s'exprimer. Je crois que, sur les bancs de ce Grand Conseil, tout le monde estime avec raison représenter le peuple. Certains pensent qu'ils le représentent plus que d'autres, mais c'est une autre histoire... Nous devons absolument ajouter un peu plus de démocratie dans la construction de la région. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé cette motion.
Je suis personnellement déçu par une certaine frilosité - presque de l'autisme - exprimée par la commission. J'ai assisté, quand j'ai présenté cette motion, à des réactions assez prudentes, pour ne pas dire plus. Un peu d'audace, chers collègues ! Pour prévoir l'avenir ! C'est la raison pour laquelle, même s'il y a peut-être des précisions historiques qui ne sont pas tout à fait exactes - mais vous savez, je suis vaudois d'origine, bourgeois de Cossonay, donc je ne peux pas connaître l'histoire de la république jusqu'au XVIe siècle... Enfin, mis à part ces imprécisions historiques, je souhaiterais que, en tout cas, vous puissiez voter l'amendement. En effet, comme l'expliquera mon excellent collègue, cet amendement permet au Conseil d'Etat de reprendre en main ce processus régional et de démontrer à nos voisins français et vaudois que nous avons envie de construire cette région - ensemble.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Le Bureau a décidé de clore la liste. Sont inscrits: Mme et MM. Claude Aubert, Anne-Marie von Arx-Vernon, Thierry Cerutti, Roberto Broggini, Mauro Poggia et Manuel Tornare, ainsi que les rapporteurs et M. le conseiller d'Etat. La parole est à M. Aubert.
M. Claude Aubert (L). Monsieur le président, Mesdames les députées et Messieurs les députés, le rapporteur de minorité a fait un tour d'horizon de la presse. Il a oublié un excellent journal, «Le Temps», lequel a publié ce matin un article-opinion donnant une image très importante de l'état d'esprit qui règne probablement à Genève au sujet de la région. Il est question des blocages ferroviaires - mais nous n'aborderons évidemment pas le thème du CEVA - et les auteurs, MM. Duc et Perroux, indiquent que «dans l'esprit de nombre de Genevois, la conscience d'appartenance à une région dépassant les frontières politiques du canton n'existe pas.» Oui, le constat est là: l'agglomération, la région genevoise existe, certes. Nous avons déjà - et cela a été cité - le Comité régional franco-genevois, le CRFG, dont les nouveaux députés entendront certainement parler, le comité de pilotage du projet d'agglomération franco-valdo-genevois, le Conseil du Léman et notre honorable commission des affaires communales, régionales et internationales - et j'ajoute souvent «intersidérales».
Les orateurs précédents n'ont pas rappelé que nous avons un interlocuteur de taille: la France. Nous avons eu une audition avec énormément d'humour et de retenue, à l'occasion de laquelle M. Gaud, président de la Communauté de communes du Genevois et ancien président, français, de l'ARC, l'Association régionale de coopération des collectivités du Genevois - parce que nous avons quand même à savoir comment cela se passe en France avant de lui dire ce qu'il faut faire - nous disait, je cite: «La France connaît une multitude d'autorités par rapport à la Suisse et si le périmètre transfrontalier est simple pour Genève, tel n'est pas le cas pour la France voisine.» Il demande que nous respections les autorités françaises, et plus particulièrement les préfets, parce que nous ne savons probablement pas que la France n'est pas construite comme la Suisse. De plus, «il rappelle en l'occurrence la proximité du parlement genevois - par rapport à sa région - et la centralisation du pouvoir en France voisine.» Et il conclut ainsi, je le cite: «Ne pas tenir compte de ces principes juridiques relèverait de l'angélisme.»
Nos amis radicaux, pour ne pas dire nos frères, voire nos cousins, se veulent probablement prophétiques. Personnellement, je pense que cette motion n'est ni angélique, ni prophétique, mais bucolique, et qu'il s'agit maintenant - les vacances sont finies - de reprendre pied sur la réalité: on ne peut pas demander à la France de changer sa constitution pour nous. Ce n'est pas possible, il y a encore beaucoup de trajet à faire. On me dit: «Pourquoi ne pas changer la Constitution française ?» A l'époque, nous avions envoyé Jean-Jacques Rousseau, qui a fait un excellent travail. Je ne sais pas si, actuellement, quelqu'un d'autre pourrait le faire...
En conclusion, les libéraux ne soutiendront pas cette motion, et l'amendement non plus. En effet, en lisant le texte de l'amendement, je pense au sketch de Fernand Raynaud - vous vous en souvenez peut-être - intitulé «Avec deux croissants...». Le client disait: «Je voudrais un café-crème avec deux croissants.» Le barman répond: «Ah, je m'excuse, Monsieur, mais nous n'avons plus de croissants pour le moment.» Et l'autre répond: «Alors cela ne fait rien, je prendrai autre chose. Vous avez... je ne sais pas... du thé ? Donnez-moi du thé, alors... avec deux croissants !» L'amendement reprend mot pour mot tout ce qui ne va pas. Et je citerai uniquement le fait qu'il faudrait une «institution transfrontalière élue - élue ! - par les habitantes et les habitants de la région...» Expliquez-nous, Messieurs les radicaux, comment vous obtiendrez de la France que les communes régionales puissent élire des gens dans le cadre transfrontalier ! Alors si vous voulez rêver, rêvez; si vous voulez être bucoliques, soyez bucoliques. Nous, les libéraux, serons raisonnables... (Exclamations.) ...même si nous savons rêver !
Mme Anne-Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, voilà une proposition de motion que le parti démocrate-chrétien aurait aimé soutenir. (Exclamations.) Mais oui, parce qu'elle paraît effectivement audacieuse... (Remarque.) Mais bien sûr, l'audace nous plaît beaucoup, Monsieur Barrillier, vous le savez. Mais cette motion est simplement irréaliste en l'état. Alors oui, nous reconnaissons qu'elle est visionnaire, mais inapplicable.
Nous avons quand même envie d'être pragmatiques. Si, aujourd'hui, nous sommes obligés de faire preuve d'une certaine prudence, c'est pour toutes les raisons qui ont été si bien évoquées par ceux qui se sont exprimés précédemment. C'est donc à contre-coeur, Monsieur le président, que nous devons effectivement refuser cette motion. Mais nous affirmons très clairement que le parti démocrate-chrétien reste absolument disposé à continuer de travailler avec ceux qui sont conscients que l'avenir est franco-valdo-genevois et que nous voulons participer en permanence à des projets qui permettent d'affirmer cet engagement en faveur du développement du Genevois, qu'il soit genevois, français ou vaudois. Donc nous refusons, à contre-coeur, mais nous restons à vos côtés aptes à continuer de rêver pour que les rêves d'aujourd'hui soient le pragmatisme de demain.
M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, comme l'ont déclaré mes différents préopinants, qu'ils soient PDC ou libéraux, le MCG aurait également soutenu cette proposition de motion, parce que cela relève effectivement du bon sens de se dire que, demain, Genève se fait avec nos amis vaudois et français. Simplement, cette motion est inapplicable. La commission des affaires communales, régionales et internationales a siégé à sept reprises dans le cadre de cette motion. Nous avons auditionné les autorités françaises et vaudoises, qui nous ont clairement dit que, légalement, cautionner cette motion n'était pas possible.
En contrepartie, notre conseiller d'Etat, M. Robert Cramer, nous a proposé une demi-commission, qui pourrait rendre réponse à cette motion: la CAT, la commission pour l'aménagement du territoire, qui regroupe notamment les partis politiques et les associations civiles. Cette commission travaille extrêmement bien dans cette dynamique de la motion du parti radical.
Malheureusement, le Mouvement Citoyens Genevois doit donc également refuser cette motion, bien que l'avenir soit effectivement la région franco-valdo-genevoise. Mais en l'état, nous ne pouvons pas accepter cette motion, parce qu'elle n'est tout simplement pas légitime.
M. Roberto Broggini (Ve). Si cet objet a été renvoyé à la CACRI, la commission des affaires communales, régionales et internationales, c'est bien parce qu'il y avait un intérêt pour cette proposition. Et bien sûr, nous devons construire non seulement la Genève de demain, mais également la région de demain, le Genevois. Cependant, à cinq ans de l'anniversaire des deux cents ans du traité de Vienne, qui a fixé les limites de notre canton pour des raisons historiques, religieuses, militaires et autres, bien sûr, nous en sommes bien loin. Et je pense bien que M. Pictet de Rochemont, ambassadeur plénipotentiaire à Vienne, réagirait certainement différemment s'il devait négocier aujourd'hui ce traité.
Le grand avantage de cette motion est d'avoir sensibilisé les membres de la CACRI à la région, et je remercie les radicaux de l'avoir déposée. Les différentes auditions qui ont été menées, que ce soit celle de M. Gaud, ancien président de l'ARC - l'Association régionale de coopération des collectivités du Genevois - de M. Romanens, président du Conseil régional du district de Nyon, de M. Cramer, bien entendu, ou du professeur Nicolas Levrat, ont permis de nous donner la dimension et les contraintes de notre région.
Malheureusement, aujourd'hui, nous ne pourrons suivre la demande d'amendement des radicaux. Nous ne pouvons contraindre nos voisins à élire un conseil. Il conviendra de trouver des solutions alternatives qui vont dans un sens participatif, bien entendu, des citoyens ou des élus de la région, dans le sens d'une construction commune. Mais cette motion, malheureusement, ne peut aujourd'hui être acceptée.
M. Mauro Poggia (MCG). Afin de compléter par quelques mots ce que vient de dire mon collègue Thierry Cerutti, je voudrais souligner certains points. En tant que nouveau député, lorsque j'entends les débats sur ce sujet, j'ai l'impression que les ordres du jour font défaut à ce parlement.
Les intentions de ceux qui sont à l'origine de cette proposition de motion semblent louables - et le MCG soutient aussi, évidemment, la région franco-valdo-genevoise, qui est une réalité économique et avant cela géographique, mais qui est également une illusion juridique et politique. Je me méfie par contre des réelles intentions de ceux qui ont déposé cette motion. En effet, si je lis le texte, le but n'est pas de travailler avec nos amis français et vaudois, mais de conserver la suprématie, puisqu'il y a, je cite: «le risque de voir Genève, qui compte 444 000 habitants être dépossédée de son rôle historique dans une région qui en compte 780 000.» Donc le but, si je comprends bien, n'est pas de travailler ensemble, mais de garder le pouvoir de contrôle.
Au-delà de cette considération, notre parlement n'est évidemment pas désoeuvré. Il existe un Comité régional franco-genevois, qui est là pour aborder ces questions. Et je m'étonne, effectivement, pour reprendre les propos de mon collègue M. Aubert, que l'on passe d'une invite «à constituer...» à une invite «à préparer [...] la constitution à terme...». Et bientôt, on va nous inviter ou inviter le Conseil d'Etat à préparer la préparation d'une constitution à terme ! Donc si nous voulons effectivement travailler ensemble - et si nous avons tous cette volonté dans ce parlement - pour la construction d'une région de demain, il faut le faire de manière réaliste, en ayant conscience des obstacles juridiques actuels, malheureusement insurmontables pour un parlement cantonal.
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Weiss, la liste était close, donc il va falloir renoncer à votre intervention. La parole est à M. Tornare.
M. Manuel Tornare (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je crois que cette idée n'est pas neuve. M. Broggini a parlé du traité de Vienne; il fallait parler du traité de Turin. Sortez et regardez le monument de Pictet de Rochemont, vous verrez inscrite sur le socle l'annonce du traité de Turin en 1816 et du traité de Paris. Ces deux traités ont forgé un cordon autour du canton de Genève, un cordon qui s'appelait les zones franches.
En 1932, il y avait 132 kilomètres de voies de tram, allant jusqu'à Douvaine, Saint-Julien, Annemasse, Chancy-Pougny, Gex. C'était le réseau le plus étendu en Europe. Nous en sommes maintenant à peu près à 30 kilomètres dans le canton.
Ces zones franches ont permis, vraiment, une coopération non seulement avec un ancien Etat, qui s'appelait la Savoie et qui a été intégré en 1860 à la France, comme vous le savez, mais aussi sur la rive droite avec la France. Bâle négocie quotidiennement, non pas seulement avec un pays, mais avec deux pays - la France et la Bundesrepublik Deutschland, l'Allemagne - avec des résultats probants; j'ai pu le voir sur place, puisque je m'y suis souvent rendu en tant que conseiller administratif.
Mesdames et Messieurs, que l'on soit du MCG, de l'UDC ou du parti libéral, on n'éludera pas cette question. Les radicaux sont en faveur d'une instance transfrontalière, le PDC l'est plus ou moins, les Verts aussi, de même que nous, les socialistes. Cette question doit trouver une réponse.
Cela dit, le problème est peut-être - je l'ai dit à Gabriel Barrillier - un peu mal posé. Il y a des erreurs historiques, ce n'est pas grave; Bernard Lescaze, malheureusement, n'est plus dans le groupe radical, et David Hiler avait autre chose à faire ce jour-là ! Cette assemblée transfrontalière élue au suffrage universel, on pourra l'appeler comme on veut. Mais un jour, elle sera une nécessité. Si nous voulons construire la région ensemble - vous l'avez toutes et tous dit - et regarder dans la même direction, il faudra l'instituer. Ce faisant, on évitera les sarcasmes, les quolibets et les insultes que l'on a entendus ces derniers temps, et on construira enfin ensemble. Les frontaliers n'auront plus seulement l'impression de travailler pour l'avenir de la région, puisque ce sera le cas dans la réalité quotidienne. Et les Genevoises et Genevois vivront aussi cette réalité en construisant avec les frontaliers un même avenir. Et vous savez que les frontaliers, on l'a dit, sont de plus en plus des Suisses et des Suissesses qui s'installent de l'autre côté de la frontière.
Mesdames et Messieurs, je vous redemande de ne pas éluder cette question. Il convient soit de renvoyer à nouveau cette motion dans une commission que vous choisirez, soit peut-être de voter l'amendement, mais cela ne changera pas grand-chose, Gabriel - Monsieur le président, si vous pouvez transmettre à M. le député... (Rires.) Ou alors il faudrait revoir le texte, parce qu'il est vrai qu'il mériterait tout de même de nouvelles propositions. C'est une bonne idée mal formulée, malheureusement; cela a dû être fait à la hâte. Mille excuses pour ces critiques, mais c'est un constat. Donc allons dans ce sens, c'est en tout cas ce que souhaite le parti socialiste. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Votre recommandation a tout de suite été transmise à M. Barrillier ! Vont encore s'exprimer les deux rapporteurs et M. le conseiller d'Etat. Comme l'heure avance et que nous allons voter avant de clore la séance, je demanderai aux trois derniers intervenants d'être aussi brefs que possible. La parole est à M. Ducret.
M. Michel Ducret (R), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, on dit que la politique, c'est prévoir, c'est être visionnaire et rêver d'un avenir meilleur, mieux organisé, non pas, comme certains le disent, bucolique ou rupestre, mais bien futuriste, dynamique et agréable à vivre pour les gens qui doivent partager cet espace. Or on ne peut que constater un réel déficit démocratique au niveau de notre région; aujourd'hui, chacun des participants de cette région vit dans sa propre réalité politique. Il faut cependant que nous partagions une réalité politique commune pour notre région. Bien entendu, personne ne nie que, en l'état, c'est totalement inapplicable. Mais ce n'est pas ce que demande la motion amendée ! La motion amendée, Mesdames et Messieurs les députés, vous demande très clairement de charger le Conseil d'Etat de préparer l'avenir et de faire qu'un jour cela soit applicable. Voilà ce qui est demandé, très clairement.
Parmi les gens que nous avons auditionnés, certains sont très contents de la situation actuelle; ils n'ont pas dans les jambes de petit parlement à prendre en compte dans la gestion de leur région, de leur petite communauté de communes, etc. On comprend très bien que c'est un confort qu'ils veulent maintenir le plus longtemps possible. Pourtant, Mesdames et Messieurs, si l'on veut une réalité de la région, on ne peut pas simplement se satisfaire de la réponse de ceux qui participent à des institutions d'où la démocratie est quelque peu, en tout cas comme on l'entend en Suisse, écartée. Il s'agit bien, Mesdames et Messieurs, non pas d'inscrire une action immédiate du Conseil d'Etat, mais de fixer un but politique pour notre canton. Et j'insiste - le texte le dit bien - dans le respect des institutions de chacun, donc probablement dans le cadre d'un processus européen. Nous ne sommes pas, je le répète, les seuls à nous trouver dans cette situation transfrontalière. Bien entendu, il existe des institutions régionales. Mais la plupart sont en ce moment en essoufflement, sinon le projet d'agglomération.
On relèvera simplement que le défaitisme du représentant libéral - devant la France, nous n'avons, au final, qu'à nous incliner - n'est pas une attitude satisfaisante. Et tous les intervenants que j'ai entendus jusqu'à maintenant concluent qu'il faudra bien une telle institution, mais que ce n'est pas possible, que ce n'est pas le moment...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le rapporteur.
M. Michel Ducret. Donc, Mesdames et Messieurs les députés, on vous propose de bâcher...
Quel courage, Mesdames et Messieurs les députés ! Ce soir, nous mesurerons l'ampleur de l'ambition politique et la hauteur de la vision des uns et des autres. Je vous remercie d'avance de votre vote positif et de votre attention.
Mme Beatriz de Candolle (L), rapporteuse de majorité ad interim. J'aimerais seulement dire à M. Barrillier que je le suis dans sa volonté d'audace. Mais l'audace doit-elle faire fi de la réalité juridique et politique de la région franco-suisse ? La région franco-valdo-genevoise est une réalité économique et géographique. Mais laissons-la grandir et prendre son envol sans contraintes. Mesdames et Messieurs, je vous invite donc à refuser cet amendement bucolique de nos amis radicaux et à rejeter cette motion.
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Monsieur le président, j'ai compris que vous souhaitiez la brièveté après ce débat de trois quarts d'heure; je m'y efforcerai. Tout d'abord, je dois évidemment rendre hommage tant à Mme la rapporteure, qui a bien voulu prendre au pied levé ce rapport difficile et important, qu'à Mme Favre, qui l'a rédigé. Je vous éclairerai encore sur un ou deux points.
Au fond, tout le monde l'a dit, cette motion porte sur un objet important. Et j'ai été très heureux d'entendre tous les bancs déclarer que l'agglomération franco-valdo-genevoise était une cause importante, qui méritait que l'on s'y intéresse, et ce de la façon la plus participative possible. L'ancien président du Grand Conseil Eric Leyvraz a notamment dit qu'il serait indispensable que, durant la prochaine législature, la commission des affaires régionales - notamment, comme son nom l'indique, mais aussi communales - mette régulièrement ce point à son ordre du jour. J'observe à cet égard, du reste, que cette commission est régulièrement saisie de rapports du gouvernement sur l'état de la coopération transfrontalière, et que l'examen de ces rapports ouvre des débats et devrait être l'occasion, précisément, d'aller de l'avant dans les réflexions. Et si vous souhaitez avoir des rapports plus réguliers, ma foi, c'est bien volontiers que le Conseil d'Etat les fera.
Au-delà de cela - et je le dis pour M. le député Tornare, qui n'a pas suivi les débats lors de la dernière législature, et pour cause ! - il faut savoir que cette motion a d'ores et déjà permis d'obtenir un certain nombre de résultats. Ainsi, lorsqu'on en est arrivé au constat que la proposition de la motion, qui consiste à avoir un conseil élu - et que cette proposition soit formulée sous la forme «il faut avoir un conseil élu» ou «il faut étudier un conseil élu», cela revient exactement au même, comme le soulignait M. le député Aubert - était totalement irréaliste, parce qu'elle se heurte à notre constitution cantonale, à notre Constitution fédérale, aux désirs de nos partenaires français et vaudois - ils l'ont dit, tout cela est dans le rapport - et essentiellement au droit qui nous régit les uns et les autres - et cela, c'est un professeur de droit qui nous l'a dit... Bref, lorsqu'on en est arrivé à cette conclusion, on s'est demandé: «Que faut-il faire ?» Et là, une sous-commission de la commission s'est réunie, composée de MM. Barrillier, Cerutti et Ducrot, et, sur mandat de la commission, s'est interrogée sur ce qu'il convenait de faire.
La réponse a été d'élargir la composition de la commission consultative pour l'aménagement du territoire, et très fortement, puisque non seulement cette commission s'occupe dorénavant du projet d'agglomération franco-valdo-genevois, mais elle le fait de surcroît dans une composition très largement élargie aux communes et à la société civile, dont plusieurs composantes ont fait leur entrée dans cette commission, qu'il s'agisse des milieux professionnels, des milieux représentant les travailleurs ou des milieux associatifs. Donc une première réponse, immédiate, a été donnée à cette motion, une réponse possible dans le cadre de notre ordre juridique. Et les débats vont se poursuivre en commission. Demain, peut-être que d'autres propositions viendront, qui, elles, seront applicables. Mais en l'état, quelle que soit la qualité des débats, quel que soit notre désir, à tous - et le Conseil d'Etat s'y est engagé dans son discours de Saint-Pierre et a défendu ce projet durant toute la législature - d'approfondir la coopération franco-valdo-genevoise, cette motion doit être rejetée, parce qu'elle propose simplement une solution inapplicable.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. La liste étant close, nous procédons... Monsieur Droin, vous demandez le vote nominal ? (Commentaires.) Ah non, la liste est close, donc vous ne pouvez pas prendre la parole... (Commentaires.) D'accord, alors nous votons sur le renvoi. A quelle commission ?
Des voix. CACRI !
Le président. A la commission des affaires communales, régionales et internationales, très bien, merci de cette précision. Nous sommes d'abord saisis d'un amendement, sur lequel nous allons... (Remarque.) Nous nous prononçons d'abord sur l'amendement et ensuite sur le renvoi en commission. (Protestations. Commentaires.) Bien, comme vous voudrez ! Le règlement n'étant pas clair à ce sujet, nous pouvons commencer par voter sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1767 à la commission des affaires communales, régionales et internationales est rejeté par 67 non contre 23 oui et 4 abstentions.
Le président. Nous nous prononçons à présent sur l'amendement de M. Ducret. Il s'énonce comme suit: «à préparer - en collaboration avec les autorités du canton de Vaud, des départements de l'Ain et de la Haute-Savoie - la constitution à terme d'un Haut-Conseil du Genevois, en tant qu'institution transfrontalière élue par les habitantes et les habitants de la région franco-valdo-genevoise, et en accord avec les principes institutionnels européens, qui aura pour mandat d'étudier, de préaviser et de proposer toutes mesures visant à faciliter et à encourager les relations interrégionales et à fonctionner comme interlocuteur régional unique dans le cadre de la République française et de la Confédération helvétique lorsque des projets et des questions de principe intéressant et engageant l'ensemble de la région sont en jeu. Ce Haut-Conseil du Genevois se substituera au CRFG.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 69 non contre 23 oui et 3 abstentions.
Mise aux voix, la proposition de motion 1767 est rejetée par 67 non contre 10 oui et 16 abstentions.