République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9951-A
Rapport de la commission législative chargée d'étudier le projet de loi constitutionnelle de Mme et MM. Michel Halpérin, Jacques Baudit, Caroline Bartl Winterhalter, Thierry Cerutti modifiant la constitution de la République et canton de Genève (A 2 00) (Indépendance du Pouvoir judiciaire)
PL 9952-A
Rapport de la commission législative chargée d'étudier le projet de loi de Mme et MM. Michel Halpérin, Jacques Baudit, Caroline Bartl Winterhalter, Thierry Cerutti relative à l'indépendance du Pouvoir judiciaire
M 1246-A
Rapport de la commission législative chargée d'étudier la proposition de motion de MM. Luc Barthassat, Roger Beer, René Koechlin, René Longet, Jean Spielmann sur les relations entre le Pouvoir législatif et le Pouvoir judiciaire

Suite du premier débat

Le président. Puisque nous avons fait une rocade avec le point 14, nous passons au point 15, soit les rapports PL 9951-A, PL 9952-A et M 1246-A. Je vous rappelle que nous poursuivons notre premier débat et que sont annoncés sur une liste à présent close Mmes et MM. Bolay, Wasmer, Flamand, Barazzone, Mettan, Stauffer, Jornot et le conseiller d'Etat Moutinot. La parole est à Mme Bolay.

Mme Loly Bolay (S). Il est extrêmement difficile - mais vous n'y pouvez rien, Monsieur le président - de reprendre la suite d'un débat qui a déjà été expliqué, en partie en tout cas, il y a plusieurs semaines. J'étais la première de liste et m'en réjouis, Monsieur le président, j'irai donc droit au but.

Mesdames et Messieurs les députés, je pense que tout le monde a en mémoire ce débat extrêmement intéressant. De quoi s'agit-il ? Ce projet de loi prévoit de donner plus d'indépendance à la justice. Au départ, même pour la majorité de la commission, il était totalement irrecevable. Nous nous en sommes réjouis. Il n'empêche que ce projet de loi, tel qu'il ressort de nos travaux de commission, est totalement inacceptable pour le parti socialiste. En effet, Monsieur le président, la majorité de la commission veut donner plus d'indépendance au pouvoir judiciaire. Et pour cette dernière, cette indépendance concerne aussi la gestion du personnel. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, est-ce cela que signifie l'indépendance de la justice ? Avons-nous élu les juges pour que ces mêmes juges gèrent leur propre personnel, décident de leur rémunération, de leur qualification et de leur classe salariale ? Va-t-on, via ce projet de loi, créer une nouvelle catégorie d'employés ? Est-ce bien de cela qu'il s'agit lorsque l'on parle de l'indépendance de la justice ? Mesdames et Messieurs les députés, les directives européennes en la matière nous indiquent que la vraie indépendance de la justice est celle qui garantit l'indépendance dans le travail des magistrats. Voilà où se situe la véritable indépendance du pouvoir judiciaire.

J'aimerais faire un bref historique et vous dire que, depuis dix ans déjà, l'autonomie du pouvoir judiciaire est une réalité ! Tout le monde sait que le procureur général défend le budget du Palais de justice à la commission des finances - c'est une indépendance - et que la commission de gestion a de nombreuses prérogatives qui lui ont été données par ce parlement. La justice, Mesdames et Messieurs les députés, est débordée dans tous les pays, y compris en France - et je salue nos amis français. Mais qu'ils se rassurent: chez nous, c'est pareil ! La justice est débordée, même si on lui a accordé beaucoup de moyens, via ce parlement, en lui donnant des juges supplémentaires, ce qui était une très bonne chose. Les postes ont été augmentés dans diverses juridictions. Mais c'est sans parler, Mesdames et Messieurs les députés, du bouleversement que va vivre la justice en 2011. Vous le savez, la justice pénale, civile et administrative va totalement changer - nous en reparlerons prochainement - parce que l'on n'aura plus de juges d'instruction, mais seulement des procureurs. Un bouleversement total du fonctionnement de la justice va donc se produire.

Alors dites-moi: est-ce vraiment à ce moment charnière, où la justice a mieux à faire que de s'occuper de problèmes d'intendance et de la gestion du personnel, qu'on va lui donner la possibilité de gérer son propre personnel ? Sans parler, Mesdames et Messieurs les députés, du coût - faramineux ! Aujourd'hui, l'office du personnel de l'Etat gère parfaitement bien tous les fonctionnaires de la fonction publique. Et n'oublions pas la question de la partialité. Lorsqu'il y aura un conflit de travail entre un juge et son employé, qui ce dernier va-t-il aller voir ? Si l'employé s'attaque à son employeur, qui va décider quoi ? De plus, il y a le problème de la limitation de la mobilité à l'intérieur même du pouvoir judiciaire. Jusqu'à maintenant, les fonctionnaires qui ne veulent plus travailler au Palais de justice peuvent choisir d'aller dans un autre département. Mais s'ils sont uniquement des employés du pouvoir judiciaire, comment vont-ils faire ?

Mesdames et Messieurs les députés, c'est pour toutes ces raisons - et d'autres encore que je développerai tout à l'heure lorsque l'on abordera les amendements que le parti socialiste a déposés - que je vous demande de refuser ce projet de loi. (Applaudissements.)

M. Olivier Wasmer (UDC). J'ai entendu dans la bouche de Mme Bolay des propos selon lesquels la justice était indépendante parce que les magistrats étaient indépendants. Il faut savoir que ce qui se nomme aujourd'hui «département des institutions» s'appelait il y a quelques années encore «département de justice et police», et l'on pouvait se demander - et beaucoup de gens s'étonnaient à l'époque - pourquoi «de justice et police» ? En effet, pourquoi un département de justice et police, alors que dans notre système démocratique les trois piliers de la démocratie, comme vous le savez, sont le législatif, l'exécutif et le judiciaire ? Parce que, à l'époque et jusqu'à aujourd'hui, c'était le département des institutions, donc le Conseil d'Etat, qui se chargeait de l'intendance de la justice. Mesdames et Messieurs les députés, alors que l'on a donné les pleins pouvoirs à Mme le sautier pour gérer le personnel du Grand Conseil, trouvez-vous que la justice doit être à la solde de l'Etat, à la solde du Conseil d'Etat ?

Je vous dirai, Mesdames et Messieurs les députés, que la justice, pour qu'elle puisse travailler en toute sérénité - contrairement à ce que l'on a encore entendu dans la bouche de Mme Bolay - doit gérer elle-même ses troupes, comme le Conseil d'Etat gère les siennes et comme le Grand Conseil, par son secrétariat, gère lui-même les siennes. Seule cette indépendance permet de connaître les réels besoins de l'institution. C'est pour cela que le projet de loi 9952, qu'il conviendra de soutenir en temps utile, nous dit très clairement quel va être le fonctionnement de la justice aujourd'hui.

Madame Bolay, comme vous le savez, je vous apprécie beaucoup. Mais même si vous présidez avec grand brio la commission ad hoc Justice 2011, vous n'êtes pas tous les jours dans les instances judiciaires, ni au Tribunal de première instance, ni à la Cour de justice, ni au Tribunal administratif. Si vous y étiez comme moi depuis vingt-cinq ans, vous entendriez tous les magistrats, de quelque bord politique qu'ils soient, se plaindre depuis des années des dysfonctionnements de la justice, pas au niveau judiciaire, mais au niveau administratif. Il manque une fois des greffiers, une fois des minutières; une autre fois, on ne peut pas engager de greffiers-juristes... Et voilà pourquoi la justice, dont certains ici pensent qu'elle est mal rendue et mal faite à Genève, a parfois des couacs: simplement parce que la justice n'arrive pas à s'administrer elle-même, puisqu'elle dépend du budget du Conseil d'Etat.

Le projet de loi qui vous est soumis va régler en très grande partie la question. Il permettra en effet à la commission de gestion, composée de cinq membres et présidée par le procureur général - qui, je le rappelle, est non seulement représentant du ministère public, mais aussi le responsable du pouvoir judiciaire - d'engager, sous la responsabilité de la justice, le personnel nécessaire pour l'administration de la justice, devant toutes les juridictions. Je n'ai pas besoin de vous énumérer maintenant le nombre de juridictions que comporte le pouvoir judiciaire, mais je peux vous dire qu'il en existe énormément. Il y a la justice en conciliation, le Tribunal tutélaire, la Justice de paix, le Tribunal administratif, etc. Sous l'égide de cette commission de gestion, qui connaît elle-même les besoins de la justice, on pourra savoir quels genres de collaborateurs on peut engager sous la direction du procureur général et, pour ceux qui s'en inquiéteraient, des magistrats de juridictions, qui connaissent le mieux leurs besoins, et d'un représentant des employés du pouvoir judiciaire.

Cela étant, tous les garde-fous ont été instaurés pour permettre une bonne gestion du personnel de l'Etat. Le procureur général, avec la commission de gestion, gérera ce personnel, surtout pour répondre aux besoins de l'administration de la justice dans les plus brefs délais, ce qui, malheureusement, est totalement impossible aujourd'hui. Et je crois, Mesdames et Messieurs les députés, que si vous fréquentez un tant soit peu les juridictions - même si je n'en vois pas tellement la raison, à moins d'un procès ou d'une action en justice - vous constaterez malheureusement des dysfonctionnements, dus précisément au fonctionnement que l'on a connu jusqu'à aujourd'hui.

On a entendu toutes les autorités concernées lors des séances de commission, qu'il s'agisse de l'Ordre des avocats, du procureur général ou du représentant du département des institutions. Toutes ces personnes sont unanimes, du moins la plus grande majorité d'entre elles, pour dire que cette commission de gestion est utile. Bien évidemment, le procureur général ne viendra pas devant le Grand Conseil défendre son budget. Cela a été refusé, et pour cause, car on voit mal le procureur général en personne, ici, vous demander des crédits pour telle ou telle affaire. Mais dans l'ensemble, cette loi est extrêmement bonne. Je vous recommande donc - il faudra faire très attention - d'approuver le PL 9952 et de rejeter le PL 9951.

Mme Emilie Flamand (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, ces deux projets de lois ont été rédigés et déposés dans un climat de tension et de conflit, conditions qui n'étaient donc pas les meilleures pour légiférer de façon raisonnable. D'ailleurs, le projet de loi initial était inacceptable, tout le monde était d'accord sur ce point. Il faisait du procureur général un huitième conseiller d'Etat, lui permettait de défendre son budget en plénière du Grand Conseil et de répondre à des interpellations urgentes, ce qui aurait politisé et décrédibilisé la justice, à notre avis. Le consensus a vite été atteint pour rejeter ces propositions à la commission législative.

Restaient les questions d'organisation interne, notamment la composition de la commission de gestion, et celle, plus épineuse, du statut du personnel du pouvoir judiciaire. La commission a effectué un long travail, a procédé à de nombreuses auditions et est arrivée à une solution raisonnable. Nous avons établi un parallélisme avec le statut du personnel du secrétariat général du Grand Conseil, qui représente lui aussi un pouvoir distinct de celui de l'exécutif. Si nous votons ce projet de loi 9952, le personnel du pouvoir judiciaire sera soumis à la LPAC, la loi sur le personnel de l'Etat, qui va d'ailleurs changer de nom pour y intégrer le personnel du pouvoir judiciaire. Ainsi, il ne sera pas livré à l'arbitraire de la commission de gestion. Par ailleurs, une délégation est prévue à l'office du personnel de l'Etat pour gérer tous les points de vue administratifs. Par conséquent, dans les faits, pas grand-chose ne va changer.

J'aimerais saluer le travail de synthèse du rapporteur, car les travaux ont été longs et il y a souvent eu des retours en arrière dans cette commission. Je voudrais aussi saluer le travail de la commission qui, d'un objet au départ très polémique, a réussi à tirer une réforme, sans doute pas historique - je ne pense pas qu'elle aurait bouleversé Montesquieu - mais que nous considérons comme positive. Je vous encourage donc à refuser le projet de loi constitutionnelle et à dire oui au projet de loi 9952. (Applaudissements.)

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe MCG soutiendra ce projet de loi, dont il est l'un des signataires par l'intermédiaire de M. Cerutti. Je dirai simplement que plusieurs points, depuis ces quatre dernières années, nous ont effectivement choqués dans le cadre des activités du pouvoir judiciaire. Le MCG a toujours été en faveur d'une indépendance complète et totale du pouvoir judiciaire, tant il est vrai que, certaines fois, le mélange et les interactions qu'il peut y avoir entre la politique et le pouvoir judiciaire sont préjudiciables aux citoyens de notre canton.

Je citerai deux exemples, en commençant par la Banque cantonale de Genève. Nous savons d'ores et déjà que cette affaire coûtera plus de 2 milliards aux contribuables genevois. Or, presque dix ans plus tard, il n'y a toujours pas de procès diligenté, ni aucun coupable, mais il y a un payeur: le contribuable. Je ne vais pas m'étendre - il est bientôt 17h et nous siégeons depuis 8h ce matin - mais chacun comprendra où je veux en venir.

Voici la deuxième affaire dont j'aimerais vous parler. Il est vrai que le MCG, ce groupe parlementaire que j'ai l'honneur de présider, dérange le Landerneau politique genevois. Nous mettons des coups de pied dans la fourmilière et disons tout haut ce que beaucoup de citoyens pensent tout bas. Nous avons aussi notre légitimité, comme vous tous, dans les votes, dans les urnes. Or un clash s'est produit dans la commune de Vernier. Pourquoi aimerais-je revenir sur ce dossier ? Parce que, de nouveau, l'indépendance du pouvoir judiciaire a démontré les limites du système qu'elle est capable d'appliquer. Un juge d'instruction socialiste a inculpé notre collègue de fraude électorale. Ce dossier a été classé. (Commentaires. Le président agite la cloche.) Le juge du Tribunal civil - nous le dirons ainsi - était un autre socialiste. Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, cette élection a réussi à être annulée. Notre collègue a été blanchi de toutes les accusations... (Brouhaha.) ...à son encontre et a gagné brillamment au troisième tour son poste de magistrat, qu'il assume pleinement, à la satisfaction de toutes les Verniolanes et de tous les Verniolans. (Commentaires.)

Cela pour vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que l'indépendance de la justice devrait être non seulement inscrite dans la constitution... (Brouhaha.) ...mais aussi appliquée à la lettre, tant il est vrai que, lorsque le politique se mêle des affaires judiciaires, c'est préjudiciable aux habitants de notre canton.

M. Olivier Jornot (L), rapporteur. Mesdames et Messieurs, chers collègues, Mme Flamand, il y a un instant, a bien résumé les enjeux de ce projet de loi, en rappelant les deux points essentiels que la commission législative, après un travail nourri, a retenus. Elle a également eu la sagacité de citer le statut du personnel du Grand Conseil, et j'aimerais vous lire un extrait, mot à mot, pour que vous puissiez comparer avec ce que vous allez voter dans un instant. Si vous prenez l'article 40, alinéa 1, de la loi portant règlement du Grand Conseil, vous y lisez: «Le bureau du Grand Conseil décide de l'engagement du personnel du secrétariat général du Grand Conseil et le choisit. Le personnel du Grand Conseil est rattaché hiérarchiquement au bureau et ne peut recevoir de mandat que de ce dernier. Il est géré administrativement par l'office du personnel de l'Etat sur délégation du bureau. Il lui est appliqué, par analogie, le statut de la fonction publique...»

Mesdames et Messieurs, si l'on écoute les représentants du groupe socialiste, il est urgent de faire intervenir immédiatement dans cette salle l'OIT, l'OCIRT et tous les syndicats, parce que nous avons du personnel brimé et soumis à un statut parfaitement et invraisemblablement inique ! Vous pouvez bien imaginer que ce n'est pas le cas et que, si l'on souhaite précisément calquer le statut du personnel du pouvoir judiciaire sur celui du personnel du secrétariat général du Grand Conseil, c'est parce qu'il y a là un modèle parfaitement applicable, en termes d'indépendance des pouvoirs comme en termes de respect de ce même personnel.

Il faut dire que le groupe socialiste a tout de suite été contre ce projet de loi, d'entrée de cause. Quand je dis «d'entrée de cause», ce n'est pas tout à fait exact. Il y a d'abord eu les auditions, au cours desquelles tous les représentants du pouvoir judiciaire, ceux qui au jour le jour doivent gérer ces problématiques, sont venus implorer la commission de résoudre leurs problèmes, de les sortir des griffes kafkaïennes dans lesquelles ils se trouvent aujourd'hui, en étant soumis au Conseil d'Etat pour la gestion du personnel. Aussitôt ces représentants du pouvoir judiciaire partis, les représentants du groupe socialiste à la commission législative ont dit: «Il faut rejeter ce projet de loi, qui est dangereux pour le pouvoir judiciaire.» Autrement dit...

Le président. Veuillez m'excuser de vous interrompre, Monsieur Jornot. Pas de photos à la tribune, Monsieur... S'il vous plaît ! Pas de photos, merci.

M. Olivier Jornot. Il s'agit en quelque sorte de protéger le pouvoir judiciaire contre lui-même. Eh bien non, Mesdames et Messieurs, la commission législative, elle, a choisi d'écouter le pouvoir judiciaire et ses besoins en matière de gestion.

J'aimerais vous dire un mot des craintes exprimées par un certain nombre de membres de ce personnel du pouvoir judiciaire. Ces craintes, Mesdames et Messieurs, sont infondées pour les raisons suivantes. D'abord parce que, s'agissant du statut, il a été confirmé non seulement que le personnel du pouvoir judiciaire resterait soumis à la loi sur le personnel de l'administration - la LPAC - mais qu'en outre, à la différence, précisément, du personnel du Grand Conseil, cette loi serait applicable directement et non pas par analogie. Quant à la deuxième crainte, à savoir celle que le pouvoir judiciaire ne délègue pas, en quelque sorte, la gestion du personnel à l'office du personnel de l'Etat, nous avons été plus loin, là aussi, que dans la situation qui prévaut pour le Grand Conseil, puisque nous avons imaginé et inscrit dans la loi une obligation de négociations et d'entente entre le Conseil d'Etat et le pouvoir judiciaire, s'agissant de régler cette délégation.

Mesdames et Messieurs, il y a certainement, comme dans tout projet de loi, des imperfections. Tout à l'heure, on évoquait la question de savoir qui allait traiter, de manière parfaitement impartiale, les recours de ce personnel. Vous savez que, aujourd'hui déjà, le personnel du pouvoir judiciaire s'adresse, lorsqu'il n'est pas content d'une décision du Conseil d'Etat, à une juridiction. Et l'on pourrait en quelque sorte, déjà aujourd'hui, dire que cela n'est pas satisfaisant. Sur cette question, qui finalement est intéressante à étudier, sans remettre en question l'économie du projet, sachez que la commission Justice 2011 fait actuellement des réflexions, de manière à pouvoir, dans la nouvelle organisation judiciaire qui entrera bientôt en vigueur, répondre le cas échéant à cette préoccupation.

En définitive, Montesquieu ne va effectivement pas se retourner dans sa tombe. En revanche, nous allons aujourd'hui marquer une étape importante pour permettre au pouvoir judiciaire de mieux gérer son personnel et, par conséquent, de réussir la mutation extraordinaire que représentera la réforme Justice 2011. Car l'effectif du personnel va augmenter de manière considérable, et il serait inconséquent de laisser le pouvoir judiciaire gérer une telle réforme avec les moyens obsolètes qui sont les siens aujourd'hui. Je vous recommande donc de rejeter le projet de loi constitutionnelle 9951, d'accepter le PL 9952 et de prendre acte de la motion.

Une voix. Bravo !

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il faut toujours relire Montesquieu, parce que l'indépendance du pouvoir judiciaire est évidemment fondamentale dans notre système. Cette indépendance est celle qui lui permet de poursuivre et de juger. Votre indépendance de pouvoir législatif est celle de décider des normes, de voter les lois et le budget, comme vous l'avez fait tout à l'heure. Et le rôle de l'exécutif consiste à gérer au quotidien et à exécuter les décisions de votre Grand Conseil et du pouvoir judiciaire. L'indépendance du pouvoir ne signifie pas que chacun des trois pouvoirs a toutes les compétences dans sa sphère apparente de compétences. En d'autres termes, le pouvoir judiciaire n'a pas la compétence de légiférer pour lui-même ni d'administrer pour lui-même. Et c'est une grave confusion que de donner à un pouvoir d'autres pouvoirs que ceux qu'il a légitimement.

Je peux vous donner un exemple pratique, très représentatif de toute la problématique de Justice 2011. Aujourd'hui, un nombre considérable de magistrats, avec la meilleure volonté du monde, font de la recherche de locaux, du choix d'informatique, de l'organisation administrative, alors qu'ils ont prêté serment de poursuivre les délinquants ou de juger les causes qu'ils seront appelés à connaître. Il faudra d'ailleurs, si ce projet de loi est accepté, modifier le serment des magistrats et rajouter quelque part, dans ce serment, la promesse d'administrer consciencieusement le Palais de justice. Je crois que c'est une confusion qu'il convient absolument d'éviter, précisément pour ne pas placer les juges dans une position difficile, discutable, critiquable ou politique en termes de choix de locaux, de gestion du personnel et de choix budgétaire.

Précisément pour garantir l'indépendance de la justice, il faut deux choses. D'une part, que personne n'ait capacité à l'influencer, mais aussi qu'elle ne sorte pas de son rôle, pour descendre dans une arène politique par exemple, ce que vous avez fort bien compris en refusant l'idée que le procureur général vienne devant vous défendre son budget.

En relisant attentivement le projet qui nous est soumis depuis la dernière fois que nous l'avons traité - et c'est l'avantage des débats un peu longs - il m'apparaît qu'il recoupe pour une assez large part les travaux actuels de la commission Justice 2011. En particulier, effectivement - et le rapporteur l'a bien rappelé - si les employés font l'objet d'une mesure qu'ils entendent contester, ils doivent recourir, mais si possible pas devant leur employeur ! Par conséquent, il faudra prévoir une instance de recours, dont vous savez que, dans les travaux de Justice 2011, elle est extrêmement contestée, puisque la seule qui paraissait ne pas être reliée au monde judiciaire était le Conseil supérieur de la magistrature, qui apparemment n'a qu'un enthousiasme modéré pour cette noble tâche. Je crains, Mesdames et Messieurs les députés, qu'il soit inadéquat de se lancer maintenant dans ce projet - malgré les améliorations, que je reconnais, apportées par les travaux de votre commission.

Votre commission Justice 2011 a décidé de faire un effort considérable pendant cet été, en siégeant à de très nombreuses reprises et durant un nombre d'heures supérieur à... (Remarque.) J'allais dire: «au nombre d'heures d'enseignement». Il faut qu'elle reprenne ce projet de loi dans ses travaux par souci de cohérence: il touche les mêmes lois que celles dont nous discutons dans Justice 2011. C'est la raison pour laquelle, Monsieur le président, je fais la demande formelle d'un renvoi à la commission ad hoc Justice 2011.

Le président. Votre demande concerne-t-elle les trois objets, Monsieur le conseiller d'Etat ? Oui, très bien. La parole est à M. Jornot.

M. Olivier Jornot (L), rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, nous savons depuis le début de nos travaux que le chef du département des institutions n'aime pas ce projet de loi, qu'il considérait - au départ, et on peut le comprendre - comme une sorte de machine de guerre mise au point dans les caves du Palais de justice pour lui nuire à toutes fins utiles.

Je crois que la commission législative a accompli un travail suffisamment approfondi sur ce projet pour que, en quelque sorte, on ne puisse pratiquement plus reconnaître le projet de départ et pour qu'elle ait pu, au fil et au terme de ses travaux, s'approprier les deux réformes essentielles que contient le projet, de manière à les faire siennes et à ne plus se prêter à une sorte de guéguerre entre les pouvoirs. Il en résulte donc un projet parfaitement construit et parfaitement équilibré, contenant des réformes qui n'ont rien à voir - rien à voir ! - avec Justice 2011. C'est-à-dire qu'elles n'ont rien à voir avec les exigences du nouveau droit fédéral qui s'appliquera à partir de 2011. Le fait, par exemple, d'avoir une commission de gestion du pouvoir judiciaire réduite à cinq membres plutôt qu'un immense phalanstère comme aujourd'hui n'a rien à voir avec le droit fédéral. Cela permettra, notamment, de mieux travailler, de mieux gérer et de mieux se préparer à l'entrée en vigueur de Justice 2011. Imaginez la situation: si l'on réformait le fonctionnement de la direction du pouvoir judiciaire en même temps qu'on lui amenait des dizaines de nouveaux juges et des centaines de nouveaux employés, cela n'aurait tout simplement aucun sens.

Mesdames et Messieurs, la commission a travaillé de manière approfondie. Le projet, tel qu'il est sorti de ces travaux, est prêt à être adopté et à entrer en vigueur à brève échéance. Je vous demande donc de refuser cette demande de renvoi en commission.

Le président. Merci, Monsieur le député. Nous allons nous prononcer sur la demande dont nous sommes saisis: le renvoi de ces trois objets à la commission ad hoc Justice 2011.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 9951 et 9952 et sur la proposition de motion 1246 à la commission ad hoc Justice 2011 est rejeté par 63 non contre 15 oui.

Le président. Nous passons maintenant à la prise en considération du projet de loi 9951.

Mis aux voix, le projet de loi 9951 est rejeté en premier débat par 80 non (unanimité des votants).

Le président. Nous nous prononçons à présent sur la prise en considération du projet de loi 9952.

Mis aux voix, le projet de loi 9952 est adopté en premier débat par 63 oui contre 14 non et 2 abstentions.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

Le président. Sous l'article 1 (souligné), alinéa 1, concernant les modifications à la loi sur l'organisation judiciaire (E 2 05), nous sommes saisis d'un amendement à l'article 56B, alinéa 3 (nouvelle teneur), qui s'énonce comme suit: «Il n'est pas non plus recevable contre les décisions du Conseil d'Etat et du Grand Conseil portant sur la levée du secret de fonction d'un de leurs membres ou anciens membres, en raison de leur caractère politique prépondérant au sens de l'article 86, alinéa 3, de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral.» La parole est à M. Jornot.

M. Olivier Jornot (L), rapporteur. Mesdames et Messieurs, j'ai évoqué cet amendement lors de nos débats à huis clos d'hier soir. A l'article 56B de la loi sur l'organisation judiciaire, il y a aujourd'hui, sur demande du Conseil d'Etat d'ailleurs, une disposition qui exclut le recours contre les décisions portant sur la levée du secret de fonction d'un conseiller d'Etat ou d'un ancien conseiller d'Etat. Or la problématique de la levée du secret de fonction pour les députés ou anciens députés est exactement la même, à savoir qu'il faut préserver la souveraineté de cette assemblée dans ce contexte, reconnaître le caractère politique prépondérant des décisions de ce type et, par conséquent, exclure le recours. C'est le seul et unique objet de cet amendement.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat soutient cet amendement, qu'il avait d'ailleurs dans ses petits papiers mais que M. le rapporteur a promptement déposé.

Le président. Nous allons donc nous prononcer sur l'amendement à l'article 56B, alinéa 3, tel que je l'ai lu précédemment.

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 73 oui (unanimité des votants).

Mis aux voix, l'article 56B, alinéa 3 (nouvelle teneur), ainsi amendé est adopté.

Mis aux voix, l'article 75A (nouvelle teneur) est adopté, de même que l'article 75B (nouvelle teneur).

Le président. Toujours sous l'article 1 (souligné), alinéa 1, nous sommes saisis d'une demande d'amendement de Mme Bolay concernant l'article 75C, alinéas 2 à 4. Selon la proposition d'amendement, les alinéas 2 et 3 s'énoncent comme suit: «2 Le personnel des services centraux et des greffes est soumis au statut de la fonction publique et, par délégation du Conseil d'Etat, pour les actes relevant au sein de l'exécutif de la compétence des départements, au pouvoir hiérarchique de la Commission de gestion du pouvoir judiciaire. 3 La gestion administrative du personnel est confiée à l'Office du personnel de l'Etat.» Quant à l'alinéa 4, l'amendement vise à l'abroger. La parole est à Mme Bolay.

Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, la nouvelle LPAC, la loi sur le personnel du 11 novembre 2008, donc assez récente, prévoit que le Conseil d'Etat peut déléguer aux chefs de département la compétence d'engager, de nommer et de fixer le traitement des fonctionnaires, d'entente avec l'office du personnel de l'Etat. Dans le projet de loi dont nous discutons, le PL 9952, la commission de gestion du pouvoir judiciaire peut déléguer cette tâche au secrétaire général du Palais de justice. Mais il y a mieux en ce qui concerne les sanctions disciplinaires, dont le principe est analogue. Actuellement, les suspensions d'augmentation du traitement pendant une durée indéterminée ou les réductions du traitement à l'intérieur de la classe sont décidées par les chefs de département, d'entente avec l'office du personnel de l'Etat. Or ce projet de loi propose que cette compétence soit donnée au secrétaire général du Palais de justice, mais d'entente avec qui ? Avec personne ! Voyez l'article 17, alinéa 3, sous l'article 1 (souligné), alinéa 2: «La Commission de gestion du pouvoir judiciaire peut déléguer cette compétence - c'est-à-dire prononcer la fin de service - au secrétaire général du pouvoir judiciaire.» Mais il y a pire: en cas de révocation, cette compétence aussi, la commission de gestion peut la déléguer au secrétaire général du Palais de justice.

Mesdames et Messieurs les députés, trouvez-vous normal que l'on aille dans cette dérive ?! Encore une fois, le parti socialiste vous demande soit d'accepter cet amendement, soit de renvoyer cet objet à la commission ad hoc Justice 2011, comme le conseiller d'Etat l'a demandé, ou à la commission législative, pour que l'on regarde plus finement cette question, parce que pour nous c'est une dérive manifeste.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Pour remettre un peu les pendules à l'heure, si j'ose dire, c'est le seul point sur lequel le groupe socialiste n'est pas d'accord: la question du personnel. Et j'insiste, M. le chef du département l'a bien dit, ce qui est important, c'est l'indépendance de la justice. Or on ne défendra pas mieux l'indépendance de la justice qu'en laissant les magistrats hors d'un certain nombre de contingences, notamment dans la gestion du personnel. Ce qui est important, c'est que les choses se passent bien, que le pouvoir judiciaire puisse fonctionner de manière adéquate et pratique. Mais fondamentalement, l'employeur doit rester l'Etat, le Conseil d'Etat, pour éviter des problèmes, des conflits de personnel, et le fait que les juges soient parfois juges et parties. Comment, Mesdames et Messieurs les députés, allons-nous faire - et c'est l'un des problèmes sur lesquels nous butons dans le cadre de la commission Justice 2011 - si, un jour, il y a une grève du personnel ? Comment allons-nous faire si, par exemple, un employé du Palais de justice s'oppose à une décision qui le concerne et veut aller en justice ? Ne va-t-on pas dire que le juge est à la fois juge et partie ? Il est donc extrêmement important, à notre sens, pour assurer l'indépendance de la justice, de garantir là une vraie séparation des pouvoirs.

J'aimerais dire que, quand on regarde l'article 75C tel qu'il est rédigé dans le projet de loi qui vous est proposé, on a l'impression que le pouvoir judiciaire - et plus particulièrement la commission de gestion du pouvoir judiciaire - veut le beurre, l'argent du beurre, mais également la laitière, et que cette dernière soit jolie ! (Brouhaha.) A ce moment-là, si véritablement on veut aller aussi loin, alors je vous proposerai, au cas où vous devriez refuser notre premier amendement socialiste, un autre amendement, qui vise à supprimer l'alinéa 3. En effet, si le pouvoir judiciaire veut réellement gérer son personnel, alors il le fera sans l'office du personnel de l'Etat.

Voici une dernière remarque, pour illustrer les problèmes très concrets qui peuvent se poser. Vous aurez peut-être l'occasion de lire l'excellente interpellation urgente que j'ai déposée hier et qui s'intitule: «Le pouvoir judiciaire est-il au-dessus des lois ?» Elle vous montre que, dans le système actuel déjà, le pouvoir judiciaire n'applique pas les lois concernant le personnel de l'Etat. Or, même avec le projet de loi qui vous est proposé, il devrait le faire, puisque vous savez que nous avons voté une loi qui instaure le treizième salaire et que, par rapport à cela, il a fallu imaginer des coulissements pour que ce soit neutre au niveau du personnel. Eh bien la commission de gestion, plus précisément son secrétaire général, a profité de l'occasion pour se dire: «Allez hop, on augmente le traitement des magistrats, on ne respecte pas les règles du jeu concernant le coulissement et on fait autrement !» Voilà vers quoi on va aller, Mesdames et Messieurs les députés. Certes, dans ce sens-là, on peut penser que les personnes concernées ne rouspéteront pas. Mais imaginez que ce soit à l'inverse, vers une baisse des salaires: vous voyez déjà le conflit entre le pouvoir judiciaire et ses employés.

C'est pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, que nous vous encourageons à accepter l'amendement socialiste, de façon à préserver l'indépendance de la justice.

Le président. Merci, Madame Emery-Torracinta. J'ai une question: Mme Bolay nous a dit qu'elle demandait le renvoi en commission en cas de refus de cet amendement. Or vous avez indiqué que vous vouliez proposer un nouvel amendement, mais je ne l'ai pas...

Mme Anne Emery-Torracinta. Si notre amendement est refusé, je vous proposerai alors un nouvel amendement qui consiste, à l'article 75C, à biffer l'alinéa 3.

Le président. Très bien, merci. La parole est à M. Jornot.

M. Olivier Jornot (L), rapporteur. Chers collègues, au XXIe siècle, la justice ne se rend plus comme Saint-Louis sous son chêne, n'est-ce pas ?! Et prétendre que l'indépendance de la justice consiste à avoir des juges tout nus, mais complètement indépendants, n'a aucun sens. L'indépendance de la justice, aujourd'hui, c'est le fait d'avoir des juges indépendants, mais qu'ils aient des outils, du personnel, des spécialistes, des gens dont ils peuvent recourir aux ressources et au talent, et qu'ils ne soient pas, comme aujourd'hui, obligés de passer par cinquante-six canaux administratifs afin de pouvoir simplement décider qu'un spécialiste de tel domaine, on le paie peut-être un tout petit peu plus que la classe 163 que lui offrent les services de l'administration ! Non, Mesdames et Messieurs, il faut se départir de l'idée que l'indépendance de la justice n'a rien à voir avec l'indépendance de la gestion du pouvoir judiciaire.

La preuve est que cela existe dans toutes sortes de collectivités publiques. Le Tribunal fédéral est administré de manière encore bien plus indépendante que ce qui est proposé par ce projet de loi. De nombreux cantons ont un pouvoir judiciaire beaucoup plus indépendant que le pouvoir judiciaire genevois. Et dans de nombreux pays, ce sont les juges qui administrent les tribunaux. L'exemple le plus frappant est, juste à côté de nous, la France, où c'est effectivement le cas et où, je crois, on lit aussi assez souvent Montesquieu !

L'amendement qui nous est proposé, Mesdames et Messieurs, est un amendement de déconstruction. Et je suis étonné que le parti socialiste ne propose pas de changer le titre de la loi - je l'ai dit lors du premier débat - parce que le projet de loi pour l'indépendance du pouvoir judiciaire que l'on a aujourd'hui, l'amendement socialiste en ferait un projet sur la dépendance du pouvoir judiciaire, puisqu'il aggraverait - je dis bien «aggraverait» - la situation par rapport à ce qui existe aujourd'hui dans la loi sur l'organisation judiciaire. Affirmer, dans ce nouvel article, que la commission de gestion a un petit pouvoir hiérarchique, mais par délégation du Conseil d'Etat, cela signifie ni plus ni moins un assujettissement du pouvoir judiciaire à l'exécutif. Or cela, dans une démocratie digne de ce nom, n'existe tout simplement pas, quel que soit l'avis que l'on a sur la manière de gérer le personnel.

Une voix. Bravo !

M. Olivier Jornot. En effet, Madame Emery-Torracinta, vous avez cité une excellente interpellation urgente écrite, où vous nous avez resservi un document que votre chef de département vous a soufflé. L'inconvénient est qu'il concerne le traitement des magistrats, non pas celui du personnel, que l'exemple est fort mal choisi, mais qu'il illustre cependant bien une question très intéressante, qui est la suivante: est-ce que l'on peut, depuis les tréfonds de l'administration, traiter les magistrats comme s'ils étaient des fonctionnaires comme les autres ? Votre interpellation répond à cette question. J'espère que le Conseil d'Etat, lorsqu'il vous répondra, vous dira également que c'est un exemple qui démontre que le pouvoir judiciaire doit être traité de manière indépendante.

Je vous propose, Mesdames et Messieurs, de rejeter cet amendement, l'amendement subsidiaire et tous les amendements qui seront ensuite énoncés en cas de refus de l'un ou de l'autre, et de refuser encore une fois le retour en commission, si jamais la demande alternative de Mme Bolay devait être soumise formellement.

Mme Loly Bolay (S). Je serai très brève. Monsieur le député Jornot, vous avez dit que, pour le Palais de justice, il est très difficile d'engager du personnel, que cela traîne et qu'il n'est pas possible d'avoir quelqu'un dans l'urgence. Nous avons entendu l'office du personnel de l'Etat, qui a indiqué qu'il avait effectivement rencontré des problèmes, mais qu'aujourd'hui la situation était totalement assainie. Même le Palais de justice nous a signifié que la situation avait évolué dans le bon sens. Alors ne venez pas dire que la situation ne s'est pas améliorée !

Ce que vous voulez là, c'est une véritable indépendance dans le sens du traitement du personnel. Je vous le dis, Mesdames et Messieurs les députés, c'est une dérive ! Parce que nous allons créer de nouveaux fonctionnaires, d'une autre classe, qui vont être confinés dans le Palais de justice. Je regrette, mais vous avez entendu l'association du personnel du Palais de justice: ils sont tous opposés à ce projet de loi. Je vous demande donc encore une fois d'accepter les amendements du groupe socialiste.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je soutiens cet amendement, dans lequel je reconnais un texte que je crois avoir rédigé - au nom du Conseil d'Etat, je le précise. La question n'est pas un conflit, comme cela pourrait donner l'impression ce soir, entre le parti socialiste et les autres partis représentés au Grand Conseil. La vraie question est celle que M. Jornot a posée: le pouvoir judiciaire doit-il, ou non, s'occuper de son administration, de ses ordinateurs, de ses conflits de travail et de la gestion de ses locaux ? Je prétends, pour sa meilleure indépendance, qu'il ne le doit pas. M. Jornot prétend que, pour sa meilleure indépendance, il le doit. C'est une question de principe qui doit être tranchée. J'espère que M. Jornot a raison, parce que s'il a tort, le texte que vous vous apprêtez à voter va être une source de conflits incessants, permanents, et va nous poser beaucoup plus de problèmes que vous ne prétendez en régler.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous sommes donc saisis d'un amendement à l'article 75C, qui consiste à modifier les alinéas 2 et 3 comme suit: «2 Le personnel des services centraux et des greffes est soumis au statut de la fonction publique et, par délégation du Conseil d'Etat, pour les actes relevant au sein de l'exécutif de la compétence des départements, au pouvoir hiérarchique de la Commission de gestion du pouvoir judiciaire. 3 La gestion administrative du personnel est confiée à l'Office du personnel de l'Etat.». Cet amendement vise en outre à abroger l'alinéa 4.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 50 non contre 12 oui et 3 abstentions.

Le président. Cet amendement ayant été rejeté, nous sommes saisis de l'amendement de Mme Emery-Torracinta, qui vise à abroger l'alinéa 3: «Elle peut, d'entente avec le Conseil d'Etat, déléguer tout ou partie de la gestion administrative du personnel à l'Office du personnel de l'Etat.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 50 non contre 13 oui et 2 abstentions.

Mis aux voix, l'article 75C (nouvelle teneur) est adopté.

Le président. Ces deux amendements ayant été rejetés, nous devons nous prononcer sur la demande de renvoi à la commission ad hoc Justice 2011.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9952 à la commission ad hoc Justice 2011 est rejeté par 52 non contre 13 oui et 1 abstention.

Le président. Nous reprenons donc l'examen article par article du PL 9952.

Mis aux voix, l'article 75D (nouvelle teneur) est adopté.

Le président. A l'article 75E, alinéa 3, lettre a), nous sommes saisis d'un amendement de Mme Bolay, que voici: «a) dans la mesure de la délégation de compétence prévue à l'art. 75C, al. 2, de diriger le personnel du pouvoir judiciaire.» La parole est à Mme Emery-Torracinta.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Monsieur le président, cette modification était liée à l'éventuelle acceptation de notre amendement. A partir du moment où ce dernier n'a pas été accepté, il devient inutile de voter cette modification.

Mis aux voix, l'article 75E (nouveau) est adopté.

Le président. Nous passons à l'article 75F, alinéa 3: «La conférence des présidents de juridiction est chargée...» A la lettre c), M. Jornot propose un amendement qui consiste à ajouter «en leur accordant si nécessaire des décharges à cet effet» à la suite de «de veiller à la formation continue des magistrats du pouvoir judiciaire».

M. Olivier Jornot (L), rapporteur. Il s'agit là de récupérer les bienfaits d'un projet de loi de Mme Loly Bolay, entre autres, sur la formation des magistrats du pouvoir judiciaire. Donc, en son nom, je vous recommande vivement d'adopter cet amendement. (Rires.)

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 62 oui et 1 abstention.

Mis aux voix, l'article 75F (nouveau) ainsi amendé est adopté par 61 oui (unanimité des votants).

Mis aux voix, l'article 75G (nouveau) est adopté.

Le président. Toujours sous l'article 1 (souligné), alinéa 1, concernant les modifications à la loi sur l'organisation judiciaire, nous avons un amendement de M. Jornot à l'article 99, alinéa 4.

M. Olivier Jornot (L), rapporteur. Mesdames et Messieurs, les deux amendements qui vous sont proposés maintenant - à savoir celui à l'article 99, alinéa 4, de la loi sur l'organisation judiciaire, et celui qui concernera ensuite une modification à une autre loi - sont des amendements de service après-vente par rapport à la réforme de la juridiction administrative. Ils ont d'ailleurs été rédigés conjointement avec le département.

L'article 99, alinéa 4, concerne les décisions en matière de récusation. Il y a une disposition légale, aujourd'hui, qui exclut le recours contre ces décisions. Cette disposition n'est plus conforme au droit fédéral. Et à partir du moment où nous avons prévu un double degré de juridiction en matière administrative, il est nécessaire que le recours soit ouvert en matière de droit public. C'est l'objet de cet amendement, de nature technique, que je vous recommande d'adopter.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je vous lis l'amendement à l'article 99, alinéa 4, sur lequel nous nous prononçons à présent: «Les décisions sont rendues à huis clos. Elles ne sont pas susceptibles de recours, sauf en matière de droit public.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 59 oui (unanimité des votants).

Mis aux voix, l'article 99, alinéa 4 (nouvelle teneur), ainsi amendé est adopté.

Mis aux voix, l'article 108, alinéa 2 (nouvelle teneur) est adopté, de même que l'article 111 (abrogé).

Le président. Nous sommes maintenant à l'alinéa 2 de l'article 1 (souligné): modifications de la loi B 5 05. Nous sommes saisis d'un amendement de Mme Bolay demandant l'abrogation de cet alinéa... (Remarque.) Il tombe ? Alors on n'en parle plus.

Mis aux voix, l'alinéa 2 (modifications de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux (B 5 05), du 4 décembre 1997) de l'article 1 (souligné) est adopté.

Le président. Nous passons à l'alinéa 3 de l'article 1 (souligné).

Mis aux voix, l'alinéa 3 (modifications de la loi concernant le traitement et les diverses prestations allouées aux membres du personnel de l'Etat et des établissements hospitaliers (B 5 15), du 21 décembre 1973) de l'article 1 (souligné) est adopté.

Le président. Nous sommes à présent à l'alinéa 4 de l'article 1 (souligné).

Mis aux voix, l'alinéa 4 (modifications de la loi sur la surveillance de la gestion administrative et financière et l'évaluation des politiques publiques (D 1 10), du 19 janvier 1995) de l'article 1 (souligné) est adopté.

Le président. Nous sommes saisis d'un amendement de M. Jornot, qui vise à ajouter un alinéa 5 à l'article 1 (souligné): «La loi sur la procédure administrative (E 5 10), du 12 septembre 1985, est modifiée comme suit:

Art. 60, al. 2 (nouveau)

2 Lorsque la loi prévoit plus d'une instance cantonale de recours, l'autorité administrative a qualité pour recourir devant la juridiction administrative supérieure.» La parole est à M. Jornot.

M. Olivier Jornot (L), rapporteur. Monsieur le président, il s'agit là encore d'un complément à la réforme de la juridiction administrative. Aujourd'hui, la question de savoir si l'autorité peut recourir ne se pose pas: un recours de ce type est admis. Avec l'introduction d'un double degré de juridiction lors de la dernière réforme, il est devenu nécessaire de prévoir spécifiquement dans la loi que l'administration a le droit de recourir. C'est l'objet de cet amendement qui, comme je vous l'ai dit il y a un instant, a été rédigé conjointement avec le département.

Le président. Merci, Monsieur le député. Nous nous prononçons donc sur cet amendement visant à créer un alinéa 5 à l'article 1 (souligné).

Mis aux voix, cet amendement (ajout d'un alinéa 5 à l'article 1 souligné) est adopté par 59 oui (unanimité des votants).

Mis aux voix, l'article 1 (souligné) ainsi amendé est adopté.

Le président. Nous sommes maintenant saisis d'un amendement visant à ajouter un article 2 (souligné), relatif à l'entrée en vigueur, dont voici la teneur: «Le Conseil d'Etat fixe l'entrée en vigueur de la présente loi». La parole est à M. Jornot.

M. Olivier Jornot (L), rapporteur. J'aimerais rendre hommage aux auteurs de ce projet de loi, et je ne leur fais pas grief d'avoir oublié de mettre une clause d'entrée en vigueur. Je vous fais une proposition extrêmement gouvernementale, malgré les propos très hostiles de M. Moutinot. J'espère que le Conseil d'Etat mettra cette loi en vigueur dans des délais raisonnables, «d'entente avec» le pouvoir judiciaire, pour reprendre la formule qui figure au nouvel article 75C.

Mis aux voix, cet amendement (ajout d'un article 2 souligné) est adopté par 58 oui (unanimité des votants).

Troisième débat

M. Olivier Jornot (L), rapporteur. J'aimerais simplement signaler que le titre de la loi sur le personnel de l'Etat est modifié par ce projet de loi. Il faudra par conséquent que la chancellerie, sur la base des pouvoirs très étendus dont elle dispose en vertu de la législation, procède à toutes les corrections nécessaires de notre corpus législatif. Il n'était pas indispensable de l'inscrire dans la loi, mais je préfère le dire pour que cela soit clair.

Le président. Merci, Monsieur le député. Madame Emery-Torracinta ?

Mme Anne Emery-Torracinta. Je demande l'appel nominal.

Le président. Etes-vous soutenue ? Oui, largement. Nous allons donc voter à l'appel nominal l'ensemble de ce projet de loi.

La loi 9952 est adoptée article par article en troisième débat.

Mise aux voix à l'appel nominal, la loi 9952 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 46 oui contre 13 non et 1 abstention.

Loi 9952 Appel nominal

Le président. Il nous reste maintenant la motion 1246. Il nous est demandé d'en prendre acte.

Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission M 1246-A par 45 oui et 12 abstentions.