République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 janvier 2009 à 15h
56e législature - 4e année - 4e session - 19e séance
RD 647-A
Débat
Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse. Mesdames et Messieurs les députés, en tant que rapporteure de la commission des Droits de l'Homme, je suis très contente que, enfin, presque une année après son dépôt, ce rapport arrive en plénière. Je regrette cependant qu'il soit agendé aux extraits, vu l'importance du sujet.
«Passer d'une vision problématique de l'immigration vers une logique qui pense l'immigration comme un élément fondamental de l'innovation et du futur», tel a été le fil rouge suivi par la commission des Droits de l'Homme pour mener ses travaux. Ces derniers furent conséquents et donnent une photographie précise, pour la période 2007-2008, de l'intégration des étrangers à Genève. Ce travail a été alimenté par des auditions, des visites et la lecture de plusieurs documents importants, tels les rapports Cattacin, Turker, Valloton, ainsi que le rapport du Conseil d'Etat.
Concrètement, de qui et de quoi parlons-nous ? Les 52% de la population totale cantonale, soit 231 600 personnes, étaient recensés comme étant nés étrangers selon le recensement fédéral de 2000. Actuellement, en 2009, 38% de la population résidente, soit 172 000 personnes, proviennent d'un autre pays que la Suisse. Les fondements contenus dans la loi sur l'intégration des étrangers du 28 juin 2001 sont vastes mais, contrairement à la recommandation Cattacin, la commission des Droits de l'Homme vous suggère de garder la loi telle quelle plutôt que de prendre le risque de l'appauvrir en voulant détailler les tâches à mener pour favoriser l'intégration. Du reste, les organes de mise en application de la loi sont presque trop détaillés, sans pour autant avoir garanti un fonctionnement à satisfaction. Au vu de la réorganisation en cours - nouveaux délégués à l'intégration, redynamisation de l'équipe du Bureau de l'intégration, création de l'office des droits humains - la commission vous invite à ne pas faire à ce stade de modifications législatives. Cependant, il est impératif que le Conseil d'Etat définisse et présente une ligne claire de la politique d'intégration des étrangers, en s'appuyant sur les recommandations que la commission a émises dans ce rapport.
La commission a défini trois axes ou pôles indissociables et indispensables à l'intégration des étrangers: l'accueil, l'accompagnement et la non-discrimination. La commission salue les propositions du Conseil d'Etat émises dans son rapport du 25 août 2006, qu'elle a considérées comme une excellente base pour mener sa réflexion. Cependant, elle invite le Conseil d'Etat à inclure les éléments qui sont contenus dans le nouveau rapport posé ce jour. S'agissant de ces trois axes, la commission émet des propositions, sans ordre de priorité. D'abord, au niveau de l'accueil et des nouveaux arrivants, il y a quelques compléments mineurs dans le rapport que l'on pourrait adjoindre pour améliorer ce point. Ensuite, le processus d'accompagnement de l'intégration doit être très concrètement soutenu dans les domaines de l'éducation, de la formation professionnelle, de l'emploi, du logement, de la culture et de la participation démocratique, au travers de la valorisation des associations et des communautés étrangères. L'accompagnement du processus d'intégration n'est possible que dans des mouvements de réciprocité entre Genevois et étrangers ou associations des communautés étrangères.
De plus, de manière listée, on peut relever que la commission propose de renforcer le multilinguisme par l'introduction dans le cursus scolaire d'autres langues que les langues nationales; de permettre l'accès à la formation et à l'apprentissage à tous les enfants étrangers, sans limitation de permis; d'encourager des événements festifs ou créatifs ouverts à tous pour créer des liens et valoriser les apports culturels extérieurs; de soutenir la proximité sociale et culturelle en matière de logement et d'introduire dans les cours de base de français des informations sur le système politique. Enfin, pour lutter contre toutes formes de discrimination - xénophobie, racisme, sexisme, discrimination due à la religion - la commission propose d'être très attentif à ce que toute politique visant l'intégration des étrangers ne se fasse pas au détriment des Suisses, de dénoncer et de lutter contre les inégalités et discriminations directes et indirectes non fondées en droit et, enfin, de mettre sur pied un programme de formation en droits de l'Homme au sein de l'Etat et des communes, et de suivre ces apprentissages. L'intégration des étrangers touche toutes les couches de la population, car elle comprend autant des personnes sans statut légal au bas de l'échelle, que des résidents issus du monde du travail des multinationales, des organisations internationales, voire des ONG internationales.
Pendant l'année de sommeil de ce rapport dans l'ordre du jour du Grand Conseil, les sept recommandations incluses dans le rapport du Conseil d'Etat ont été déclinées en dix-huit actions concrètes planifiées et à charge du Bureau de l'intégration des étrangers - BIE. Lors d'une nouvelle audition de M. André Castella, délégué à l'intégration, que nous avons réalisée en décembre 2008, ce dernier nous a présenté un bilan que la commission a qualifié de positif, qui contenait entre autres des descriptions d'actions menées. La première est la brochure d'accueil et de bienvenue pour tout nouvel arrivant, qu'il soit étranger ou confédéré, dans le canton. Au cas où vous n'auriez pas vu cette brochure, Mesdames et Messieurs les députés, elle se trouve - et je vous propose d'en prendre une - sur la table de la salle des Pas-Perdus; elle est éditée depuis deux jours. Le Bureau de l'intégration a également agi en termes de campagne d'information auprès des employeurs afin de stimuler l'insertion professionnelle de personnes détentrices de permis F, qui sont environ au nombre de 2000 à Genève. Il a aussi travaillé à l'élaboration et la mise en pratique d'un concept cantonal d'apprentissage du français, qui a été reconnu par Berne, et à la mise en place d'une sensibilisation à la pluriculturalité dans l'administration cantonale et communale. Pour Genève, le soin donné à l'intégration des étrangers est primordial, car notre cité est autant étrangère que genevoise, et c'est ce qui fait son atout social et économique, sa renommée et sa prospérité.
Le président. Merci, Madame la députée. Pour avoir assisté pendant une année aux travaux de la commission, je tiens à souligner la qualité de ces derniers ainsi que du rapport. La parole est à M. Bertinat.
M. Eric Bertinat (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je m'associe pleinement aux propos de Mme Lydia Schneider Hausser: il est effectivement regrettable, je le dis franchement, que ce rapport soit traité aux extraits. Du reste, je dois présenter mes excuses, cela m'a échappé, sinon je serais intervenu afin que cet objet soit retiré des extraits et que ce parlement ait véritablement l'occasion de se pencher sur le problème de l'intégration. Rien que sur le mot «intégration», on l'a vu en commission, il y avait autant de définitions que de commissaires ! Il aurait donc été vraiment intéressant d'approfondir la question. Pour Genève, qui comporte un nombre d'étrangers extrêmement élevé, l'intégration est très importante et aurait mérité mieux, comme je viens de le dire, qu'un passage aux extraits.
Le travail a été très important, et il en a résulté des recommandations adressées au Conseil d'Etat. Pour mémoire, je rappelle qu'il y a eu à la base le rapport du professeur Cattacin, extrêmement critique, sur l'application de la loi telle qu'elle existe aujourd'hui sur l'intégration, rapport que ce même Conseil d'Etat a renvoyé à la commission des Droits de l'Homme afin qu'elle l'examine de plus près, ce que les membres de la commission ont fait. Je tiens d'ailleurs à remercier vivement Mme Schneider Hausser pour son travail, qui a été long et parfois assez ardu pour produire ce rapport - non pas qu'il y avait de grands désaccords, mais enfin, on a tout de même relevé quelques sensibilités divergentes.
Encore une fois, je regrette vivement que l'on ne puisse pas en discuter plus à fond, mais je pense que l'on aura quand même l'occasion d'en reparler, puisqu'il comporte des recommandations que le Conseil d'Etat tentera de mettre en pratique.
Mme Janine Hagmann (L). Mesdames et Messieurs les députés, c'est vrai que vingt-deux séances de commission pour aboutir aux extraits, c'est un peu frustrant ! D'autant plus qu'il s'agit d'évoquer un problème de société qui concerne chacun, à savoir l'intégration des étrangers. Du reste, nous sommes plusieurs à prendre la parole quelques minutes, parce que nous estimons que ce sujet est vraiment d'importance.
Je vous le rappelle, Genève est composé grosso modo de 35% de Genevois, de 27% de Confédérés et de 38% d'étrangers et, chaque mois, 5000 personnes entrent et sortent du canton. Selon la conception propre à la Suisse, les droits de l'Homme et le maintien de la démocratie avancent de concert. Une tradition ancrée dans l'histoire de notre pays a permis de sensibiliser l'opinion publique à la tolérance et au respect des minorités.
Alors quelles conclusions, pour faire bref, la commission a-t-elle tirées de son long travail ? Notre canton s'est doté d'une loi sur l'intégration des étrangers et d'un Bureau de l'intégration. Cette loi est basée sur Genève, canton ouvert, dans lequel il est possible de vivre en commun, en acceptant les différences. Cette loi ne comporte pas de lignes d'actions concrètes, ce qui peut parfaitement se concevoir, mais laisse la porte ouverte à d'innombrables acteurs, dont beaucoup de communautés. Notre travail a montré que cette loi n'a pas à être changée dans l'immédiat, mais - et c'est très important - il faudra «passer d'une vision problématique de l'immigration vers une logique qui pense l'immigration comme un élément fondamental de l'innovation et du futur».
A ce jour, deux exemples précis montrent la pertinence du sujet. Le premier est cantonal. En effet, avant-hier a eu lieu la présentation d'une nouvelle brochure - que vous trouvez toutes et tous à la salle des Pas-Perdus - intitulée «Bienvenue à Genève». Elle comporte toutes les informations générales qui favorisent les démarches nécessaires, indique les aides diverses qui permettent une bonne intégration et stipule quels sont les droits et les devoirs de chacun - soit la responsabilité des étrangers dans leur intégration - comme, par exemple, l'apprentissage de la langue. Le Bureau de l'intégration s'est efforcé de condenser en un seul ouvrage des recommandations pour vivre harmonieusement à Genève; ce dernier est dense, très dense, mais sûrement utile !
Le second exemple est fédéral. Mme Leuthard a lancé il y a une ou deux semaines une vaste consultation pour savoir ce qui se fait à ce jour dans chaque canton au niveau de l'intégration. Alors j'ai un souhait: puissent le travail de la commission et son excellent rapport très complet permettre de participer au vrai défi de l'intégration !
M. Charles Selleger (R). Le renvoi à la commission des Droits de l'Homme du rapport du Conseil d'Etat concernant la loi sur l'intégration des étrangers a occasionné un travail considérable, qui a occupé la commission pendant plus d'une année. De volumineux rapports ont été rendus et de nombreuses auditions effectuées. Il est, bien sûr, impossible de commenter ces travaux dans le temps que nous laisse la discussion de ce rapport dans le cadre des extraits. Je dirai simplement que ces travaux ont permis de réaliser combien nombreuses sont les structures associatives et non gouvernementales qui s'occupent d'une manière ou d'une autre de l'intégration des étrangers à Genève, qu'ils soient de simples ouvriers ou qu'ils appartiennent à ce qu'il est convenu d'appeler la «Genève internationale». Le travail accompli par ces associations doit être encouragé et soutenu. (Brouhaha.) En revanche, le département des institutions doit affermir sa politique en matière d'intégration, cela a été dit avant moi, c'est pourquoi la commission des Droits de l'Homme conclut son rapport par une série de propositions et de recommandations à l'intention du Conseil d'Etat.
En conclusion, le groupe radical prend acte de ce rapport et remercie vivement la commission et son rapporteur pour le travail qu'ils ont accompli.
Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, le parti démocrate-chrétien salue le travail accompli par la commission et la rapporteure, qui en a détaillé les points essentiels. Monsieur le président, vous savez que le parti démocrate-chrétien est artisan depuis près de cinquante ans - avec d'autres partis, bien sûr - de l'intégration des étrangers; nous nous félicitons donc du travail qui a été réalisé par le Conseil d'Etat et remercions tout particulièrement M. Castella, du département des institutions, pour cette excellente et incontournable brochure intitulée «Bienvenue à Genève».
Nous nous permettons d'insister sur des aspects que nous savons importants: concernant l'intégration des étrangers, il s'agit de mettre l'accent sur l'intégration des parents étrangers, afin que les parents puissent continuer à rester les chefs de famille au sein des cellules familiales et que les enfants aient ainsi des références et des valeurs très claires. Pour cela, nous insisterons toujours sur la maîtrise du français par les parents, les mères notamment, afin qu'elles puissent être elles aussi des chefs de famille. En effet, comme nous avons l'habitude de reconnaître l'égalité hommes-femmes à Genève, nous devons l'adapter aux personnes qui s'y intègrent ! En outre, nous devons insister pour que les parents étrangers aient des connaissances sur nos institutions, notamment scolaires, afin que ces parents continuent à être les chefs de famille et que leurs enfants ne leur servent pas de traducteurs ou de référence, car alors on inverse la société, on inverse les valeurs, et c'est extrêmement dangereux.
Monsieur le président, vous savez que nous continuerons, en matière d'intégration des étrangers, à lutter pour leur faire la place qu'ils méritent et à nous battre auprès des parents afin que le principe d'égalité hommes-femmes, le principe de mixité, le principe de laïcité et de la place des mères dans la société soient la référence dont nous avons besoin pour notre Genève.
Le président. Merci, Madame la députée. J'ai été sensible aux arguments avancés par les uns et les autres et je constate qu'il y a une unanimité de la commission; c'est pourquoi je vous propose de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat, de telle manière qu'on ait une réponse et que les quarante-cinq recommandations qui ont été émises soient prises en considération. En effet, si l'on prend seulement acte de ce rapport, il sera simplement placé dans un tiroir. Par conséquent, si vous êtes d'accord, je vais vous faire voter sur le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat. (Commentaires.)
Une voix. Le président ne peut pas formuler une telle demande !
Le président. Si, il le peut !
Mis aux voix, le renvoi du rapport de commission RD 647-A au Conseil d'Etat est adopté par 36 oui contre 2 non.
Le rapport de commission RD 647-A est adopté.