République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 28 août 2008 à 8h
56e législature - 3e année - 10e session - 58e séance
PL 10013-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, avant de donner la parole aux rapporteuses de majorité et de minorité, je prie Mme la secrétaire de procéder à la lecture des courriers 2520 et 2631 qui concernent ces projets de lois. Madame la secrétaire, nous vous écoutons.
Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse de majorité. Vous le savez tous, l'acte de voter représente l'un des fondements essentiels d'une démocratie, ce qui signifie que le débat d'aujourd'hui n'a rien d'anodin et que nous devrons examiner très attentivement le bien-fondé de l'introduction du vote électronique. Permet-il de renforcer la démocratie ou, au contraire, est-il un moyen de la dévoyer ? Cette question, les députés de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil se la sont posée durant pas moins de quinze séances, entre décembre 2006 et mai 2007. Les discussions ont montré que le clivage gauche/droite n'était pas de mise dans ce débat et que les députés d'un même parti pouvaient être divisés sur cette question. C'est ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, que la position que je vais défendre ici ne correspond pas à celle de l'ensemble du groupe socialiste, mais bien à celle de la majorité de la commission des droits politiques.
Quoi qu'il en soit, la commission dans son ensemble a estimé que l'introduction du vote électronique ne pourrait se concevoir sans que son principe n'ait été approuvé en votation populaire. Effectivement, la force d'une démocratie repose sur la confiance que les citoyens et les citoyennes ont dans le système proposé. En d'autres termes, on doit s'assurer que la manière de faire ne suscite pas de méfiance particulière et que le peuple adhère au système. C'est pourquoi nous aurons également à nous prononcer ce matin sur un projet de loi constitutionnelle qui, en cas d'acceptation, sera ensuite soumis à votation populaire. C'est à cette condition seulement que le vote électronique pourrait éventuellement ensuite être introduit à Genève.
Ce projet inscrit dans la constitution la possibilité du vote électronique et institue également une commission électorale centrale de contrôle, commission qui manque cruellement aujourd'hui, même sans le vote par internet.
Dans la mesure où mon temps de parole est limité, j'aborderai dans cette première intervention les questions plus politiques, pour revenir ultérieurement aux questions de fonctionnement et de sécurité.
Rappelons tout d'abord que le projet genevois de vote électronique s'inscrit dans le cadre d'une démarche, prévue en plusieurs étapes, introduite par la Confédération, et dont à Genève nous ne sommes qu'au début, puisque nous allons proposer uniquement l'introduction du vote électronique et non pas, par exemple, la possibilité d'élire des députés par ce moyen. Mais sachez, Mesdames et Messieurs les députés, que cette démarche en plusieurs étapes de la Confédération pourrait comporter la possibilité de faire signer des initiatives et des référendums par voie électronique, ce qui, à mon sens, permettrait peut-être à ceux qui s'inquiètent du manque de démocratie que pourrait induire le vote électronique de se dire que, au contraire, l'utilisation de l'électronique permettra peut-être de renforcer la démocratie directe.
Quoi qu'il en soit, quel est l'intérêt du projet genevois ? L'un de ses objectifs essentiels est bien sûr d'augmenter la participation, en attirant des électeurs qui, aujourd'hui, votent peu ou pas du tout. Dans une étude réalisée en 2001, le professeur Andreas Auer a même estimé que la progression de la participation pourrait être de neuf points. Il y a plusieurs explications à cela: on sait que 40% des électeurs genevois votent systématiquement, 20% ne votent jamais et 40% irrégulièrement. Or toutes les expériences et tous les tests qui ont été effectués à Genève en matière de vote électronique ont montré que les personnes qui utilisaient ce procédé étaient essentiellement des électeurs occasionnels. En d'autres termes, on peut espérer que l'introduction du vote électronique permettra d'augmenter la participation en attirant ces électeurs occasionnels de manière beaucoup plus systématique.
Vous avez entendu tout à l'heure la lecture d'une lettre du président de l'Organisation des Suisses de l'étranger. A ce propos, je vais vous donner un seul chiffre, qui illustre la situation. Lors des dernières votations cantonales et fédérales le 1er juin 2008, la participation du canton a été de 52,6%, alors que celle des Suisses de l'étranger n'était que de 39,6%, c'est-à-dire treize points de moins. La participation des personnes qui vivent en dehors de nos frontières devrait donc s'en trouver favorisée. La majorité de la commission est donc persuadée, Mesdames et Messieurs les députés, que l'introduction du vote électronique renforcera la participation et, par là même, la démocratie.
Reste toutefois posée la question de la transparence du processus démocratique, que Mme Flamand a d'ailleurs à juste titre soulevée dans son rapport. Alors permettez-moi d'insister, Mesdames et Messieurs les députés, en vous rappelant que la mise en place d'une commission électorale centrale, ainsi que l'ouverture de ce que l'on appelle le «code source» du système sont apparues à la majorité de la commission comme des éléments permettant d'améliorer cette transparence. De plus, rappelons qu'en réalité, aujourd'hui déjà, lors des votations, le dépouillement de 95% des bulletins - c'est-à-dire de ceux qui sont envoyés par correspondance - se fait en dehors des locaux de vote et de manière totalement informatisée. En d'autres termes, le fameux dépouillement du dimanche matin, dont Mme Flamand parle dans son rapport, ne concerne en réalité que 5% des bulletins de vote !
Malgré tout, Mesdames et Messieurs les députés, si 95% des électeurs choisissent le vote par correspondance, c'est bien qu'ils ont confiance dans cette pratique et qu'ils estiment que les risques d'un tel mode de scrutin sont acceptables. C'est pourquoi la commission a jugé qu'il était indispensable que ce soit le peuple qui ait in fine le dernier mot et qui décide s'il veut ou non du vote par internet.
En conclusion - provisoire, en tout cas - permettez-moi, en tant qu'historienne, d'opérer un petit retour en arrière. Dans cette même salle, en mars 1979, à l'occasion d'un débat portant sur l'utilisation de l'estampille versus l'enveloppe de vote, le conseiller d'Etat Jaques Vernet s'exclamait: «[...] chaque fois qu'un parlement débat d'un problème de ce type, il y en a pour 100 pages au Mémorial.» Et, de fait, Mesdames et Messieurs les députés, depuis 1847 - et vous m'avez souvent vue, dans la salle du Mémorial, feuilleter les anciens débats - chaque fois qu'il a été question de modifier la manière de voter à Genève, les mêmes débats ont eu lieu et les mêmes craintes se sont exprimées.
Mme Flamand conclut son rapport en affirmant ceci: «Les nombreux risques décrits [...] ne nous paraissent pas raisonnables ou justifiables en regard des faibles gains potentiels. Si l'on avait pu - nous dit-elle - nous démontrer une augmentation spectaculaire du taux de participation, un regain d'intérêt de la population pour la politique, ou encore des économies considérables dans le fonctionnement du vote, nous aurions certainement pu relativiser ces risques. Cela n'a pas été le cas.» Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, je trouve dans ces propos une résonance certaine avec ceux de Jean Spielmann, qui affirmait, lors du débat sur le vote par correspondance en octobre 1994: «Le fait de libéraliser ce droit de vote par correspondance - je ne parle pas des coûts et de la modification fondamentale de la manière d'exprimer le vote - engendre forcément des pertes de bulletins, puisque des dizaines de milliers de bulletins de vote sont expédiés à tous les citoyens. Si cela augmentait la participation [...] nous ne pourrions que soutenir ce mode de faire, mais ce n'est pas le cas !» Contrairement à ce que pensait Jean Spielmann, le vote par correspondance a permis à la participation électorale d'augmenter de manière spectaculaire: de vingt points, en moyenne ! Aujourd'hui, la majorité d'entre nous ne saurait s'en passer, puisque ce mode de faire est choisi par 95% des votants.
Et pourtant, certains d'entre vous se rappelleront sans doute les longs débats qui avaient agité ce parlement dans les années 90, lorsqu'il avait été question de sa généralisation. Que n'avait-on pas dit alors sur le secret du vote qui n'aurait plus été garanti ou sur les risques d'abus ! Le vote par correspondance ayant nécessité l'introduction de la carte de vote au détriment du biffage des électeurs sur les registres électoraux, quel ne fut pas l'émoi de certains de nos parlementaires lorsque, à la première votation fonctionnant de cette manière, certains électeurs ne purent voter au local, car ils avaient oublié leur carte de vote ! Et, à ce sujet, un certain Laurent Moutinot se souviendra peut-être avoir signé en 1995 une motion interpartis demandant la réintroduction du contrôle de vote avec les registres électoraux.
Et puis, souvenons-nous...
La présidente. Madame la rapporteure, excusez-moi, vous devez conclure !
Mme Anne Emery-Torracinta. Oui, Madame la présidente, juste une minute ! Et puis, souvenons-nous de la fin des années 1970 lorsque, pour des raisons liées à l'application de la loi fédérale, il avait été question de supprimer l'estampille au profit de l'enveloppe ! Dans cette rocambolesque affaire, les rebondissements furent nombreux. L'estampille fut d'abord supprimée et deux scrutins eurent lieu sans problème. Puis, des irrégularités ayant été constatées lors d'une votation en 1979, le résultat fut cassé par le Tribunal administratif et le Grand Conseil décida de revenir en arrière, à cette bonne vieille estampille, qui avait fait ses preuves depuis plus d'une centaine d'années.
Et je pourrais aussi vous signaler, Mesdames et Messieurs les députés, que l'introduction de l'estampille, en 1870, a généré de très longs débats. On avait dit alors que la solution résiderait plutôt dans le timbre humide. Et un député de l'époque, sous forme de boutade, s'était écrié qu'il ne servait à rien d'obliger l'électeur à se déplacer au local, alors qu'il pourrait aussi bien jeter son bulletin comme une lettre à la poste...
On dit parfois - et je terminerai ainsi, Mesdames et Messieurs les députés - que l'Histoire se répète. Vous l'aurez compris, le débat que nous aurons ce matin a, au fond, déjà eu lieu dans ces murs. Et je ne sais d'ailleurs si ceci explique cela, mais il faut savoir qu'en 1870...
La présidente. Je suis désolée, Madame la rapporteure, mais cela fait déjà...
Mme Anne Emery-Torracinta. C'est la dernière phrase !
La présidente. ...neuf minutes et trente secondes que vous parlez !
Mme Anne Emery-Torracinta. ...on trouvait déjà dans cette enceinte des députés nommés Aubert, Baud, Charbonnier, Ducret, Falquet, Fontanet, Gautier, Golay, Gottret et Gros !
La présidente. Merci ! Je vous rappelle que le rapporteur dispose d'un temps de parole de sept minutes, mais qu'il peut intervenir autant de fois qu'il le souhaite, contrairement aux autres députés qui ne peuvent pas reprendre la parole plus de trois fois. Je suis obligée d'appliquer le règlement pour tout un chacun ! Madame la rapporteure de minorité, c'est à vous.
Mme Emilie Flamand (Ve), rapporteuse de minorité. Merci, Madame la présidente. Je vais revenir sur les points saillants de mon rapport, sans entrer dans tous les détails, dans la mesure où l'étude de ces deux projets de lois par la commission des droits politiques a été extrêmement longue et précise.
Notre première crainte quant à l'introduction du vote électronique concerne la sécurité et la confidentialité, car ce système - cela nous a été dit - comporte plusieurs points faibles. Le premier, c'est l'ordinateur du votant. En effet, avec les évolutions techniques extrêmement rapides, il est très difficile de garantir la sécurité des ordinateurs au niveau des citoyens. Le deuxième point faible, c'est l'urne électronique. Il s'agit d'une boite noire, qui ne confirme pas le vote enregistré. Le vote est en quelque sorte dématérialisé, ce qui fait qu'il est extrêmement difficile de savoir ce qui se passe dans cette boîte noire: on sait à peu près ce qui entre, ce qui sort, mais on ignore ce qui se passe à l'intérieur.
Bien sûr, tout le monde reconnaît, y compris les experts de la chancellerie, que la sécurité à 100% n'existe pas. Il faut donc étudier la notion de «risque raisonnable», et cela, en fonction des enjeux. La sécurité proposée dans ce système suffit peut-être pour des enjeux locaux genevois assez peu importants et pour lesquels on imagine que des hackers n'auraient pas des dizaines de millions de francs à investir. Mais, comme cela nous a été dit à plusieurs reprises, ce système de vote électronique est destiné à être étendu au niveau suisse. Or on doit parfois voter sur des sujets fédéraux de type «achat de matériel militaire», dont les enjeux sont extrêmement stratégiques et nous dépassent quelque peu; les intérêts à rentrer dans le système peuvent alors devenir beaucoup plus intéressants et importants, et l'on peut imaginer que la notion de «risque raisonnable» ne soit plus d'actualité.
La comparaison avec le e-banking a souvent été faite, mais elle n'est pas adéquate pour plusieurs raisons. Premièrement, lorsque vous faites vos paiements sur internet, vous pouvez effectuer une vérification. Vous recevez un relevé de compte et pouvez donc vérifier que l'argent a été débité de votre compte, que les factures ont été payées, etc. Avec le vote électronique, ce n'est pas le cas: vous cliquez sur «OK» pour confirmer votre vote mais, ensuite, vous n'avez aucune confirmation que celui-ci a été enregistré, ni qu'il a bien été enregistré tel que vous le souhaitiez.
Par ailleurs, les banques investissent des dizaines de millions de francs chaque année pour sécuriser leur système bancaire électronique, alors que les coûts du vote électronique pour l'Etat de Genève sont estimés à 200 000 F, voire 300 000 F par année, si l'on compte la sécurité. C'est donc une somme assez ridicule par rapport aux montants dépensés par les banques pour garantir la sécurité de leur système.
Enfin se pose le problème de la confidentialité, comme le relève M. Schmocker dans le courrier qui a été lu tout à l'heure. Il s'agit d'un informaticien qui a pu consulter le code source de l'application du vote électronique et qui a vu quelles sont les opérations effectuées par ce système. Et ce dernier a constaté que le secret du vote n'est pas garanti, ce qui représente une violation de la loi fédérale sur les droits politiques.
On retrouve d'ailleurs cette contradiction dans le rapport ou, plus exactement, dans les arguments de la chancellerie relevés dans le rapport. En effet, d'une part, on nous dit en pages 6 et 7: «Ainsi, il n'est pas possible d'établir un lien entre électeur et vote en exploitant le journal des transactions de la base de données.» Et, d'autre part, en pages 11 et 12, au sujet d'un éventuel recomptage, on nous indique que: «[...] le principe de la constitution d'une urne de contrôle qui permet une grande traçabilité du vote a été accepté (si les votes des contrôleurs peuvent être retrouvés, il est possible de retrouver les autres votes);» Il s'agit donc d'une contradiction dans ce système, et il semblerait que l'on puisse, s'il fallait procéder à un recomptage, remonter à ce journal des transactions, et donc à l'identité des votants.
Le deuxième point qui nous pose problème concerne la transparence du processus démocratique. Aujourd'hui, 99,9% des citoyens peuvent comprendre comment fonctionne le système démocratique. Même si le dépouillement a lieu à la chancellerie ou au service des votations, on sait que ce sont des citoyens qui dépouillent les bulletins, qui ouvrent les enveloppes, et chacun a pu en faire l'expérience un dimanche matin au local de vote. Or, demain, si le système de vote électronique est introduit, seulement 0,1% de la population - c'est-à-dire quelques experts en informatique - pourra effectivement comprendre comment cela fonctionne. Cela n'est pas anodin, puisque la confiance dans les institutions et la compréhension du système utilisé sont les conditions sine qua non de l'acceptation des résultats. Lorsque le résultat d'une votation nous contrarie - parfois, les majorités sont extrêmement faibles, il n'y a que quelques voix de différence ! - nous l'acceptons parce que nous avons confiance dans le système démocratique. Demain, avec une boîte noire comme urne électronique, ce ne sera plus possible !
Je vous ai exprimé nos craintes; maintenant, notre rôle, en tant que parlementaires et politiques, c'est de procéder à une pesée des intérêts, car tous les projets comportent des aspects positifs et négatifs. Si ce projet présentait suffisamment d'aspects positifs pour contrebalancer ces risques et ces craintes, nous pourrions tout de même l'accepter, mais ce n'est malheureusement pas le cas !
Je vais revenir brièvement sur les gains potentiels que l'on pourrait espérer en introduisant le système de vote électronique. Le seul vrai gain porte sur les Suisses de l'étranger, mais il faut tout de même le relativiser. Mme Emery-Torracinta nous a indiqué que la participation des Genevois était plus forte que celle des Suisses de l'étranger. Cette différence de 15% ne s'explique pas par le fait que ces personnes n'ont pas le temps de voter par la poste. Il y a une explication logique à cela: les personnes qui habitent à l'autre bout du monde sont un peu moins intéressées par les enjeux genevois que celles qui vivent sur notre territoire. Il me semble donc logique qu'il y ait une différence dans les taux de participation.
Par rapport à l'augmentation de la participation qui nous est promise, aucun chiffre n'a pu être fourni par la chancellerie. Contrairement à M. Spielmann, qui n'avait pas pu bénéficier de l'expérience du vote par correspondance, celui-ci n'ayant pas encore été introduit, nous disposons de données, puisque nous avons mené pendant trois à quatre ans des expériences avec le vote électronique dans un grand nombre de communes tests. Or la chancellerie, toujours très prompte à nous fournir toutes les statistiques et les données qui peuvent être favorables au vote électronique, n'a pu nous montrer aucune augmentation de la participation. J'en doute moi-même d'autant plus que, ayant habité dans une commune test, j'ai eu l'occasion de voter par internet, et j'ai trouvé le processus extrêmement long et fastidieux: il faut rentrer toutes sortes de codes dans l'ordinateur, vérifier la connexion sécurisée, etc. Alors qu'il est beaucoup plus simple de voter par correspondance et que cela ne prend que cinq minutes. Je doute donc que ce système permette d'obtenir une grande augmentation de la participation.
J'en viens maintenant à l'intérêt des jeunes, puisque c'est l'un des arguments qui a été avancé. Il est d'ailleurs assez ironique, en tant que benjamine de ce parlement, que je me retrouve à défendre un rapport de minorité contre le vote par internet ! A mon avis, cet argument est fallacieux, voire même réducteur. Il part du principe que les jeunes passent leur temps sur internet, qu'ils aiment bien chatter, envoyer des SMS et qu'ils voteront donc tous le jour où le vote par internet sera possible. Pour ma part, je pense qu'il faut les intéresser au système politique et à la vie démocratique, par exemple en dispensant de vrais cours d'éducation civique dans nos écoles, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il faut donc agir sur le fond et non pas sur la forme. Il est assez réducteur de s'imaginer que, en offrant aux jeunes un gadget électronique, ils vont s'intéresser à la vie démocratique.
La pesée des intérêts, vous l'aurez compris...
La présidente. Madame la députée, excusez-moi, vous devez conclure !
Mme Emilie Flamand. Je vais conclure, Madame la présidente ! Aujourd'hui, on nous dit que l'Etat doit s'en tenir aux missions prioritaires... Les risques et les inconvénients de ce projet sont visiblement bien plus importants que les gains potentiels. Nous vous invitons donc à rejeter ces deux projets de lois. La création d'une commission électorale centrale est un point positif, mais elle pourrait figurer dans un autre projet de loi.
Enfin, j'aimerais vous répéter la phrase de conclusion de mon rapport: «Le progrès, cela ne signifie pas utiliser la technologie la plus moderne, mais pouvoir choisir la plus adaptée.» (Applaudissements.)
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Je suis opposée à ces projets de lois, dans la mesure où nous n'arrivons même pas à assurer une sécurité optimale pour le vote par correspondance. Inutile de rappeler les précédents de ces dix dernières années !
Par ailleurs, ce système coûterait beaucoup trop d'argent par rapport au peu d'intérêt que suscite la politique auprès du peuple. Et puis cela isolerait un peu plus les personnes qui aiment à se retrouver dans les locaux de vote, puisqu'il en reste encore ! Peut-être un peu moins en Ville de Genève mais, dans les villages, beaucoup de personnes apprécient ce moment de rencontre.
C'est bien beau d'informatiser à tout va, mais nous devrons nous demander ce que nous sommes encore capables de faire sans l'aide de l'informatique ! Quoi qu'il en soit, même si internet est relativement fiable, le risque zéro n'existe pas. Preuve en est que les systèmes informatiques des banques, des postes et autres entreprises connaissent des bugs et des attaques de virus. A chaque votation, il se pourrait donc qu'il y ait des problèmes informatiques. Je constate que l'informatique a pris une grande place et qu'elle est un très bon alibi lorsqu'il y a un dysfonctionnement. Cela permet à l'homme de ne plus travailler et de ne plus s'investir dans quoi que ce soit. Bel exemple pour notre avenir: chacun se retrouvera chez soi ! Vive l'isolement !
Ce n'est pas l'informatique qui doit motiver les gens à voter. C'est aux militants et aux partis politiques de faire ce travail. C'est à eux de les motiver et de les convaincre que leurs idées et leurs positions sur les sujets de votation sont les bonnes. Je vous laisse méditer sur ce sujet, et je rejette ces projets de lois.
M. Gabriel Barrillier (R). Madame la présidente, chers collègues, je serai beaucoup plus bref et j'espère ne pas vous décevoir !
Je relève tout d'abord la qualité du travail des deux rapporteures: l'une et l'autre ont avancé des arguments extrêmement intéressants, mais qui n'empêcheront pas les groupes - je le précise - d'être divisés. Nous avons dès lors décidé, au groupe radical, de laisser la liberté de vote sur ce sujet.
Quoi qu'il en soit, les rapporteures de majorité et de minorité fondent leur prise de position contradictoire sur la même conviction, à savoir que la vitalité, la crédibilité et la force d'une démocratie reposent avant tout sur la confiance des citoyennes et citoyens dans le système de votation et la crédibilité de ce dernier. Or nous avons pu constater, en lisant les rapports et les courriers polémiques des spécialistes, que les avis sont partagés. Comme cela a été rappelé par la rapporteure de minorité, nous avons une mission en tant que Grand Conseil: celle de légiférer en pleine connaissance de cause, mais en effectuant une pesée des intérêts. Et, pour ce faire, nous devons véritablement examiner à fond la technique qui nous est proposée.
Certes, la commission a siégé durant quinze séances - la dernière ayant eu lieu le 9 mai 2007 - mais sachez, chers collègues, que j'ai reçu en tant que député le rapport final d'audit de la société Ilion sur le plan e-voting - c'est le point sur lequel je voudrais insister - rapport rendu le 9 novembre 2007, c'est-à-dire plusieurs mois après la conclusion des travaux de la commission des droits politiques. Je le répète, la commission a effectué un excellent travail, mais pouvons-nous réellement prendre une décision aujourd'hui, alors que ce rapport final d'audit n'a pas pu être examiné par la commission chargée de traiter ce dossier ?
Si vous lisez ce rapport, en tant que non-spécialistes, vous constatez que neuf critères de sécurité du système ont été évalués: sept de ces critères ont reçu un degré de risque moyen et deux un degré de risque faible. Etant béotien en la matière, je ne peux pas juger de la portée de ce rapport, mais je souhaiterais au moins que la commission puisse - rapidement, je le précise - procéder à son examen, le cas échéant, auditionner les auteurs du rapport, puis revenir devant ce plénum avec ses conclusions.
C'est la raison pour laquelle le groupe radical demande le renvoi de ces deux projets à la commission des droits politiques, non pas pour escamoter le débat, mais pour finir le travail.
La présidente. Merci, Monsieur Barrillier. Suite à votre demande formelle de renvoi en commission, nous allons noter la liste des personnes inscrites, comme le règlement le prévoit. Vous savez que, à partir de maintenant, un député par groupe peut s'exprimer - ainsi, bien entendu, que les rapporteures - sur le renvoi en commission. Puis, je vous soumettrai cette proposition.
Nous allons tout d'abord effacer la liste des personnes qui étaient inscrites, et je vous demanderai de vous inscrire ou de vous réinscrire si vous voulez intervenir sur le renvoi en commission. (Un instant s'écoule.) Cela ne fonctionne pas... C'est toujours comme cela, l'informatique: lorsqu'on en a besoin, cela ne marche pas ! (Rires.) Nous allons donc revenir à la bonne vieille méthode du papier et du crayon, mais cela va prendre un peu plus de temps... (Un instant s'écoule.) Je propose une courte suspension de séance, le temps que nous prenions note des personnes inscrites. Ça y est ! Nous pouvons effacer les noms. (Un instant s'écoule.) Mesdames et Messieurs les députés, un micro est allumé quelque part: c'est la raison pour laquelle cela ne fonctionne pas ! (Brouhaha. Un instant s'écoule pendant que les techniciens essaient de résoudre le problème.) Bien, apparemment, l'informatique ne fonctionne toujours pas... Je vous le disais, nous allons adopter la bonne vieille méthode. Bien, nous reprenons nos travaux après cette courte pause. (Brouhaha.) S'il vous plaît, merci de faire un peu de silence !
Etant donné que nous ne pouvons pas effacer la liste, je vais demander aux députés - un député par groupe - qui désirent s'exprimer au sujet du renvoi en commission de bien vouloir lever la main. (Exclamations.) Je le répète: un seul député par groupe peut s'exprimer sur le renvoi en commission, au maximum trois minutes. Il ne sert donc à rien que tout le groupe lève la main ! Vous n'allez pas tous parler ! Alors, pour le groupe libéral, M. Jornot... (Exclamations.) Non, il s'agit de Mme Fabienne Gautier. Pour le groupe UDC, M. Philippe Guénat. Pour le groupe MCG, M. Roger Golay. Pour le groupe socialiste, Mme Laurence Fehlmann Rielle. Pour le groupe des Verts, Mme Catherine Baud. Pour le groupe PDC, M. Jean-Claude Ducrot. Pour le groupe radical, Mme Michèle Ducret. Nous écouterons également les rapporteures de majorité et de minorité et le président du Conseil d'Etat. Nous avons pris bonne note de ces inscriptions. La première inscrite est Mme Fabienne Gautier. Vous avez trois minutes pour vous exprimer sur le renvoi en commission !
Mme Fabienne Gautier (L). Merci, Madame la présidente. Comme vous avez pu le constater et comme l'a dit Mme Anne Emery-Torracinta dans son rapport, nous avons consacré plus de quinze séances à ces projets de lois. Nous avons effectivement reçu le rapport sur la sécurité, mais celui-ci ne parle pas formellement «d'insécurité».
Je vous annonce que le groupe libéral est partagé quant au sort à réserver à ces projets de lois. Chacun est donc libre de son vote. Toutefois, notre groupe juge qu'il n'y a pas lieu de renvoyer ce projet de loi en commission. Nous rejetterons par conséquent cette proposition.
M. Philippe Guénat (UDC). Pour le groupe UDC, le rapport Ilion - qui se prétend neutre - ne montre que les côtés positifs de ce système, sans même identifier un seul point faible ou faire une suggestion pour l'améliorer. Nous ne pouvons donc pas considérer que ce rapport est neutre.
Comme l'a dit Mme Gautier, nous avons passé beaucoup de temps à examiner ces projets et avons eu de nombreux débats passionnés. Par conséquent, le groupe UDC n'est pas prêt à accepter de renvoyer ces projets de lois en commission tels quels et refusera cette proposition.
M. Roger Golay (MCG). Je vais intervenir uniquement sur la question de la sécurité, puisque c'est ce qui justifie la demande de renvoi du projet de loi en commission. La sécurité est donc au coeur du débat qui nous occupe aujourd'hui.
Mais sait-on ce qu'est ce concept ? Pour ma part, j'ai souvent l'impression, en lisant la presse ou en vous écoutant, chers collègues, que la sécurité, c'est l'absence de risques. Eh bien, c'est faux ! La sécurité, c'est la gestion et la maîtrise des risques. Déclarer qu'une voiture est sûre, ce n'est pas dire qu'elle ne peut pas avoir d'accident. C'est affirmer qu'elle prend en compte, dans sa conception, les défaillances humaines et mécaniques possibles.
Autrement dit, la sécurité procède d'une démarche dynamique, d'une réflexion évolutive et de la mise en place de procédures claires.
A cet égard, le récent rapport d'audit de la société Ilion montre que cette approche a été parfaitement comprise et mise en oeuvre par les responsables techniques du projet genevois de vote par internet. Il ne nous appartient pas, à nous députés, de décider si l'algorithme cryptographique X est supérieur à l'algorithme Y. Ce genre de questions n'ont d'ailleurs aucun sens, car elles évacuent le contexte dans lequel ces programmes devraient opérer. Par la faute de quelques personnes se prétendant expertes et de la crédulité des médias, le débat est tombé ces dernières semaines - je dirai même ces derniers mois - précisément à ce niveau d'insignifiance, au point que les arguments échangés entre pseudo-spécialistes n'ont plus aucun sens.
Nous devons, Mesdames et Messieurs les députés, nous prononcer sur le principe du vote en ligne, pour adapter l'exercice des droits politiques à l'époque contemporaine. J'y suis favorable !
La présidente. Excusez-moi, Monsieur le député ! Je voudrais juste vous rappeler que vous devez vous exprimer sur le renvoi en commission et pas sur le fond. Mais, bon ! Vous disposez de trois minutes...
M. Roger Golay. Merci. J'utilise mes trois minutes pour parler de la question de la sécurité, qui a été évoquée pour justifier la demande de renvoi en commission.
Permettez cependant au policier que je suis de présenter sa vision de la sécurité dans le cadre d'un scrutin électronique. Par ma profession, je m'estime au moins aussi compétent en la matière que n'importe lequel des experts autoproclamés. La sécurité d'une votation, c'est la garantie que le résultat soit conforme à la volonté populaire. Cela s'obtient en ne laissant que des citoyens voter, en leur garantissant l'anonymat et en protégeant l'intégrité de l'urne et de son contenu jusqu'au moment du dépouillement. Sans carte de vote, il n'est pas possible d'accéder au site internet des votations - tout cela est important pour le renvoi en commission, Madame la présidente, c'est pourquoi je tiens à donner ces précisions - et le numéro d'électeur, renouvelé à chaque scrutin, est trop complexe pour être trouvé par hasard...
La présidente. Vous devez conclure !
M. Roger Golay. Je conclus tout de suite ! En outre, ce site de vote détecte et déconnecte les robots qui entreraient des chiffres à la chaîne dans l'espoir de s'approcher...
La présidente. Vous avez dépassé les trois minutes qui vous étaient imparties, Monsieur le député ! Je ne peux pas appliquer un règlement à la carte ! Dites-nous si le groupe MCG soutient ou pas le renvoi en commission !
M. Roger Golay. J'interviendrai à nouveau plus tard, Madame la présidente. Je ne suis pas sûr d'avoir parlé pendant trois minutes. Quoi qu'il en soit, le groupe MCG refusera le renvoi en commission. C'est regrettable, on ne peut plus s'exprimer ! J'avais des points bien précis à aborder sur la sécurité: je le déplore !
La présidente. Monsieur le député, je le répète: chaque député peut s'exprimer trois minutes, mais trois minutes seulement. Le règlement est valable pour tout le monde, je ne peux pas appliquer un règlement à la carte ! La parole est à Mme Laurence Fehlmann Rielle.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Les députés socialistes qui ont siégé à la commission des droits politiques étaient favorables aux deux projets de lois. C'est du reste pour cela que nous avons décidé de rédiger le rapport de majorité mais, au fur et à mesure de la discussion lors de notre caucus - comme pour beaucoup de groupes - cette majorité s'est lézardée et, finalement, notre groupe est assez divisé sur ces deux projets de lois.
Je m'exprimerai tout à l'heure sur le contenu mais, pour ce qui est du renvoi en commission, nous sommes favorables au renvoi du projet de loi 9931, car cela nous permettrait effectivement d'étudier certains rapports plus en détail. En revanche, s'agissant du projet de loi constitutionnelle, nous souhaitons que le peuple puisse s'exprimer, car nous pensons que le sujet est suffisamment important et qu'en outre nous avons eu des débats assez consistants en commission. D'ici à ce que les procédures soient mises en place, la commission aura eu le temps de se ressaisir du projet de loi 9931 pour que les partis puissent reprendre position. Nous sommes donc opposés au renvoi en commission du projet de loi 10013, car nous souhaitons poursuivre le débat et le soutenir, mais sommes d'accord de renvoyer le projet de loi 9931 en commission.
La présidente. Merci, Madame la députée. Nous verrons bien tout à l'heure comment nous allons faire !
Mme Catherine Baud (Ve). Le groupe des Verts est opposé à ce renvoi en commission, dans la mesure où la commission des droits politiques a étudié ces projets de lois à quinze reprises et que de nombreuses auditions ont été effectuées. C'est vrai que le rapport de la société Ilion ne nous est parvenu qu'en novembre 2007, mais nous avons tout de même eu l'occasion de l'étudier nous-mêmes en tant que députés. Nous ne l'avons certes pas examiné en commission, mais nous avions auditionné la société Ilion et connaissions donc déjà à peu près la teneur de ce rapport.
Je pense que nous devons maintenant prendre une décision politique. Il ne sert à rien d'entendre à nouveau des experts et de reprendre des discussions à ce sujet en commission: nous n'avancerons pas davantage. Il est donc beaucoup plus sage de continuer notre discussion en plénière.
M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Ce projet est extrêmement important, non seulement pour notre population, mais également pour les Suisses de l'étranger, qui attendent un signal très fort de notre part. En conséquence, le groupe démocrate-chrétien ne soutiendra pas le renvoi en commission du projet de loi 10013. En revanche, il est nécessaire que le projet de loi 9931 soit réexaminé en commission.
Je vous invite donc, Mesdames et Messieurs, à voter le projet de loi 10013 et à renvoyer le projet de loi 9931 en commission.
Mme Michèle Ducret (R). Je pense que les jeux sont faits. Je dirai seulement que nous étions favorables au renvoi en commission, comme l'a demandé M. Barrillier. Quoi qu'il en soit, nous accepterons la règle de la majorité, laquelle, visiblement, refuse ce renvoi en commission. Cela m'ennuie quelque peu, car ce projet ne me semble pas mûr du tout. Preuve en est les deux lettres qui nous ont été envoyées et qui expriment le contraire l'une de l'autre, ce qui montre bien que ce projet n'est pas du tout prêt à être voté et appliqué. Je le regrette et attends la décision de ce parlement à propos du renvoi en commission, sans me faire d'illusion...
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Je le répète, je suis opposée au renvoi de ce projet en commission. Nous avons consacré assez de séances à ce sujet ! Comme cela a été dit, il y a la liberté de vote. D'autre part, je ne vois vraiment pas le rapport avec les Suisses de l'étranger, qui votent exactement comme nous dans des locaux attribués ou par correspondance. C'est un mauvais argument: internet ne doit pas être utilisé pour les votations.
Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse de majorité. Je crois qu'il faut bien cerner le sujet dont nous parlons. Certes, nous avons effectué un très gros travail en commission, mais cela fait plus d'une année. Entre-temps, il y a eu le premier rapport Ilion, évoqué par M. Barrillier. Et ce rapport ne remet pas du tout en question la qualité et la sécurité du vote par internet: il donne surtout des recommandations, notamment au niveau de la maintenance. Jusqu'à maintenant, on était dans une période de tests, il n'y avait pas d'équipe fixe pour faire le travail, ce rapport préconise donc, en cas de généralisation du système, la mise sur pied d'une équipe de personnel de l'Etat, tout à fait formée pour cette tâche. Voilà pour le premier rapport.
Un deuxième élément qui me paraît très important, c'est que, durant le mois d'août de cette année, et encore jusqu'à demain - et cela, à la demande de la commission des droits politiques il y a une année - des tests ont été effectués. Ce sont des tentatives de hacking sur le serveur de l'Etat, qui ne touchent d'ailleurs pas seulement le vote électronique mais, de manière générale, tout le système informatique de l'Etat.
Je trouve donc extrêmement dommage - quoi que l'on puisse penser du fond politique quant au fait d'accepter ou non le vote par voie électronique - que l'on prenne une décision aujourd'hui, alors que les derniers tests vont avoir lieu demain.
Mme Flamand et moi-même avons rédigé ces rapports il y a plus d'une année, et les choses ont peut-être changé depuis. Il me semblerait donc logique, par respect pour la population, de renvoyer en commission le projet de loi 9931. Cela nous permettrait d'attendre tranquillement les résultats imminents des tests de hacking et de prendre une décision sur une base concrète.
Maintenant, s'agissant du principe politique - qu'il faut distinguer de l'aspect de l'application - c'est-à-dire le projet de loi constitutionnelle, je pense qu'il faut l'accepter aujourd'hui. Le seul signal que nous donnons en l'acceptant, c'est de considérer que les citoyennes et les citoyens de ce canton sont des adultes et que nous allons les amener à se prononcer sur un principe. A ce moment-là - dans quelques semaines ou dans quelques mois - nous aurons le rapport de la commission des droits politiques sur le rapport Ilion, et je crois que la population saura trancher et déterminer si le vote électronique présente des risques ou non.
Je vous rappelle que le projet de loi constitutionnelle stipule que: «L'électeur peut voter dans un local de vote, par correspondance ou, dans la mesure prévue par la loi, par la voie électronique.» En d'autres termes, si nous estimons, après étude en commission des droits politiques, que ce système n'est pas fiable en matière de sécurité, eh bien, il n'y aura pas de loi sur le vote électronique et le peuple ne votera pas par ce moyen. Je pense donc que le plus raisonnable est d'accepter le projet de loi constitutionnelle, de façon que l'on puisse assez rapidement le soumettre au peuple, et de renvoyer en commission le projet de loi législatif, afin d'étudier le rapport Ilion qui va sortir incessamment.
Mme Emilie Flamand (Ve), rapporteuse de minorité. C'est vrai, nous avons reçu le rapport Ilion en novembre 2007. Il est également vrai qu'Ilion est en train d'effectuer des tests d'intrusion sur le système. Mais ce domaine, par sa nature, évolue constamment: il y aura toujours de nouveaux rapports et de nouveaux éléments parce que, en informatique, tout bouge extrêmement rapidement ! En imaginant que nous renvoyions ce projet de loi en commission et que, dans un an, un nouveau rapport soit rédigé, le temps qu'il soit traité par notre plénière, de nouveaux éléments seront de toute façon survenus. En raisonnant ainsi, on peut repousser le vote jusqu'en 2040 !
Aujourd'hui, les positions des uns et des autres me semblent définies, même si elles ne sont pas forcément réparties au sein des groupes de manière homogène. En ce qui nous concerne, notre position n'est pas seulement liée aux problèmes de sécurité évoqués dans ce rapport - comme je l'ai dit tout à l'heure - alors, quels que soient les résultats des tests d'intrusion, cela ne changerait finalement pas notre position. Par conséquent, même si l'on nous prouvait que les tests d'intrusion avaient échoué, nous serions toujours opposés à ce projet de vote électronique.
Enfin, nous pensons que ce n'est pas une bonne idée de séparer le projet de loi constitutionnelle du projet de loi: il faut les traiter ensemble. La population comprendrait certainement très mal qu'on la fasse voter sur un projet de loi constitutionnelle intitulé: «Introduction du vote électronique», que le vote soit positif et que, quelques mois plus tard, on lui dise que, finalement, le système ne se révélant pas fiable, il n'y aura pas de loi pour concrétiser ce principe constitutionnel. Ce mode de faire ne serait absolument pas cohérent !
Je vous recommande par conséquent de refuser le renvoi en commission des deux projets de lois.
M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat estimait que votre Grand Conseil pouvait, seul, décider de l'introduction du vote électronique. Votre commission des droits politiques a considéré que cette question était suffisamment importante pour qu'il appartienne au peuple, et au peuple seul, de trancher.
C'est la raison pour laquelle vous êtes aujourd'hui saisis de deux projets. Un projet de loi constitutionnelle, qui introduit simplement la possibilité d'organiser un vote électronique, et un projet de niveau législatif proposant la manière de l'appliquer. A voir l'extrême diversité d'opinions dans cette assemblée, je crois qu'il serait sage de voter le projet de loi constitutionnelle et de s'en remettre au peuple. Soit il l'accepte et, à ce moment-là, on traite l'ensemble des questions de détail, notamment celles liées à la sécurité, à l'organisation, etc., soit il la refuse, et c'est fini ! Mais on ne peut pas mélanger les deux niveaux: on ne peut pas mettre des principes dans les détails et des détails dans les principes !
Mesdames et Messieurs les députés, votez le projet de loi constitutionnelle ! Prenons acte de la décision du peuple et, dans l'intervalle, vous pouvez soit renvoyer en commission le projet de niveau législatif, soit l'ajourner après le vote. Comme la proposition de le renvoyer en commission a été faite, je la soutiens.
La présidente. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets tout d'abord la proposition de renvoyer en commission des droits politiques le rapport sur le projet de loi constitutionnelle 10013.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 10013 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 63 non et 2 abstentions.
La présidente. Je vous soumets maintenant la proposition de renvoyer en commission des droits politiques le rapport sur le projet de loi 9931.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9931 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 40 non contre 33 oui et 2 abstentions.
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons donc notre débat. Je vous cite les noms des députés qui étaient inscrits, pour éviter d'oublier quelqu'un: M. Roger Golay, Mme Fabienne Gautier, Mme Laurence Fehlmann Rielle, M. Philippe Guénat, Mme Catherine Baud, M. Alberto Velasco, M. Christian Brunier, M. Jean-Claude Ducrot, M. Olivier Jornot, Mme Anne Emery-Torracinta, rapporteure de majorité, Mme Emilie Flamand, rapporteure de minorité, et M. le président du Conseil d'Etat. Je donne tout de suite la parole à M. Golay.
M. Roger Golay (MCG). Merci, Madame la présidente. Je vais donc revenir sur la question de la sécurité.
Comme j'ai déjà pu vous le dire auparavant, la sécurité d'une votation réside dans la garantie que le résultat est conforme à la volonté populaire. Cela s'obtient en ne laissant que des citoyens voter, en leur garantissant l'anonymat et en protégeant l'intégrité de l'urne et de son contenu jusqu'au moment du dépouillement. Sans carte de vote, il n'est pas possible d'accéder au site internet des votations et le numéro d'électeur, renouvelé à chaque scrutin, est trop complexe pour être trouvé par hasard. En outre, le site de vote détecte et déconnecte les robots qui entreraient des chiffres à la chaîne dans l'espoir de s'approcher de l'urne électronique. Une fois ce filtre franchi, vous savez que vous êtes en bonne compagnie, c'est-à-dire en compagnie exclusive des électrices et des électeurs genevois.
Cette étape franchie, le système active une double protection tout au long du parcours qui sépare votre PC de l'urne électronique. Combien de banques ou de magasins en ligne offrent-ils cela ? La réponse est simple: il n'y en a pas ! Ils ne sont pas plus malins que l'Etat, ils sont simplement moins sûrs ! Personne n'est parvenu à casser cette double protection, mais si cela devait se produire, le système le détecterait et refuserait le suffrage qui aurait été exposé au risque d'interception. L'électeur en serait informé par un message et pourrait voter par correspondance ou directement au local.
C'est dire que l'intégrité de l'urne est bien protégée. Cette intégrité n'est pas vraiment menacée par une attaque dite «force brute» qui forcerait le passage vers l'urne, car ce type d'attaque est difficile et prévisible. Non, le risque majeur, c'est qu'un suffrage corrompu par virus atteigne l'urne et la contamine. La parade est simple: tout bulletin de vote qui contient autre chose que des oui et des non est rejeté. C'est l'équivalent de la mise à l'écart des bulletins qui comportent des annotations ou des dessins. Enfin, l'anonymat est garanti par le fait que le système ne contient pas de bases de données nominatives, mais seulement le recueil des numéros de cartes de vote.
Je pourrais ajouter que le vote en ligne offre la garantie que votre suffrage est reçu et pris en compte, ce que le vote postal ne fait pas. J'insisterai aussi sur la protection de l'anonymat, qui est bien meilleure avec internet qu'avec le vote papier. En outre, internet vous empêche d'émettre involontairement un bulletin invalide. Et je pourrais ajouter bien d'autres avantages encore...
Je tiens par ailleurs à vous rappeler que le développement de ce système de vote électronique a été payé par la Confédération à raison de 80% et qu'il a été expertisé par celle-ci.
Je terminerai en lançant un appel au courage civique et à la lucidité: débattons de l'adage selon lequel «nul n'est prophète en son pays» et soutenons ce projet novateur et solide !
Mme Fabienne Gautier (L). A l'heure où internet fait partie intégrante de notre vie, qui n'achète pas en ligne, qui ne vend pas en ligne, qui ne paie pas ses factures en ligne ? Nous organisons tous nos vacances en ligne; nous les payons en ligne ! Nous organisons nos loisirs en ligne; nous les payons en ligne ! Mais j'oublie le principal: nous communiquons en ligne, ce qui est quand même un élément important ! Vous me direz que l'on n'a pas besoin de système de sécurité pour communiquer, et encore ! Alors pourquoi ne voterions-nous pas en ligne ?
Comme vous l'avez certainement lu dans l'excellent rapport de majorité de Mme Anne Emery-Torracinta, ce sont plus de quinze séances que la commission a consacrées à ce projet de loi 9931. Et cette dernière a insisté sur l'importance de la création d'une commission de contrôle. Je tiens à souligner cet élément parce que, comme c'est indiqué dans le rapport Ilion, cela favoriserait la transparence. Nous avons donc demandé la création d'un tel groupe de travail et avons obtenu la garantie - raison pour laquelle une majorité de la commission a voté ce projet de loi - que celui-ci serait mis sur pied afin de vérifier que la sécurité est régulièrement contrôlée.
D'un autre côté, les commissaires ont présenté le projet de loi 10013, aux fins d'ancrer dans la constitution le vote électronique, comme l'a souligné M. le conseiller d'Etat Laurent Moutinot, et il est très important que le peuple puisse s'exprimer à ce sujet. C'est grâce aux amendements présentés, demandant notamment un audit fréquent du système pour assurer cette sécurité, ainsi que la création d'une commission électorale, que la majorité de la commission a accepté ce projet de loi.
Mesdames et Messieurs les députés, que craignons-nous, au juste, dans le vote électronique: l'insécurité des résultats, le piratage, le «phishing», pour utiliser le jargon en la matière ? Ne croyez-vous pas que le système actuel de vote par correspondance apporte autant d'insécurité ? Je vous rappelle simplement ce qui est arrivé au printemps 2007 lors des élections communales de Vernier.
Et puis, monsieur n'a-t-il jamais voté pour son épouse ? Madame n'a-t-elle jamais voté pour ses parents âgés ? Et les parents n'ont-ils jamais voté pour leurs enfants ? Qui parle de sécurité ? Bien au contraire, les jeunes réclament le vote par internet, de même que les Suisses de l'étranger. Je n'aime pas parler de mon cas personnel mais, ayant une fille qui habite l'étranger, je peux vous dire qu'elle regrette, à l'occasion de chaque votation, que le vote électronique ne soit pas mis sur pied, comme c'est déjà le cas dans d'autres pays. Il est tellement plus simple de pouvoir voter par le biais de son ordinateur, plutôt que d'avoir à se déplacer pour poster son enveloppe en cherchant partout l'une de ces boîtes jaunes, qui disparaissent les unes après les autres, ou l'une de ces postes, qui se font elles aussi de plus en plus rares...
Mesdames et Messieurs les députés, le groupe libéral a la liberté de vote sur ce projet de loi 9931, comme je l'ai déjà indiqué. Mais, pour ma part, je soutiendrai la majorité de la commission, car je fais partie de ceux qui veulent faire avancer Genève. Pour toutes ces bonnes raisons, je vous demande de suivre la majorité de la commission, c'est-à-dire d'accepter ces deux projets de lois.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Comme je l'ai dit tout à l'heure, au moment de l'examen de ces projets de lois à la commission des droits politiques, j'étais favorable - comme les deux autres commissaires socialistes - à ces projets. Mais, au fur et à mesure des discussions, cette unanimité s'est modifiée au sein de notre groupe et, finalement, suite à de nombreuses discussions, nous nous sommes rendu compte que cette unanimité était un leurre.
Parmi les doutes, voire la méfiance qui se sont exprimés par rapport à ces projets de lois introduisant le système de vote électronique, deux arguments principaux ont été avancés. Bien sûr, celui de la sécurité, car ce système ne peut pas garantir le risque zéro. Mais qui peut garantir le risque zéro dans quelque domaine que ce soit ?
Le deuxième argument, un peu plus philosophique, consistait à se demander si le fait de voter par voie électronique était compatible avec l'exercice des droits démocratiques. C'est un débat effectivement plus intéressant et qui dépasse les clivages gauche/droite.
Pour ma part, je suis convaincue que le but de ces deux projets, qui proposent l'introduction du vote électronique, est de donner une possibilité supplémentaire de voter et, donc, de favoriser une participation maximale des citoyennes et des citoyens à la vie politique. Cela n'est bien sûr pas une panacée, car les partis politiques ont la responsabilité de les sensibiliser, de leur expliquer leurs positions, de les mobiliser mais, s'il est possible de favoriser une plus grande participation de vote, c'est une manière de dynamiser la démocratie qui, je pense, en a besoin.
La question des jeunes a été évoquée, notamment par Mme Flamand. S'il est vrai que les jeunes, lors de leur premier vote, sont souvent désireux d'aller à l'isoloir - c'est en effet un acte symbolique important - ils préfèrent par la suite pour la plupart voter par correspondance. Ils risquent donc d'être plus sensibilisés par le vote électronique. Par conséquent, si nous pouvons les mobiliser dans ce domaine, je pense qu'il ne faut pas hésiter à le faire.
Il a aussi été question des Suisses de l'étranger, et à juste titre, car il est important que ceux qui habitent à l'étranger puissent également participer, même à distance, au débat démocratique de notre pays.
Et puis je rappelle qu'il n'est pas question d'imposer ce système, mais d'offrir une autre possibilité de voter. Il me semble alors curieux de parler d'isolement parce que, finalement, on sait bien que les débats ont lieu en famille ou avec des amis; les gens votent ensuite dans l'isoloir mais, en réalité, la formation de leur décision se fait bien en amont. De toute façon, la plupart des gens votent maintenant par correspondance, et les débats qui ont échauffé le parlement ont agité la population elle aussi. Il est donc bien normal que l'on reprenne cette discussion mais, en fin de compte, c'est un peu un recommencement.
Je ne voudrais pas traiter les opposants de passéistes ou de ringards, mais je trouve tout de même surprenant, à l'heure où la plupart des activités peuvent aussi être menées de manière informatique, par la voie de l'électronique, que l'on ne saisisse pas cette nouvelle opportunité dans le cadre des opérations électorales. Les rapporteures de majorité et de minorité l'ont rappelé dans leur excellent rapport: finalement, plus personne ne remet en question le dépouillement par voie informatique des opérations électorales. Pourtant, peu de personnes maîtrisent ces technologies, mais on leur fait tout simplement confiance. En définitive, ce débat, c'est aussi une question de confiance, une question de foi ! Et ceux qui imaginent maintenant que le vote électronique représente un détournement de la démocratie trouveront cela évident dans quelques années.
En conclusion, les socialistes soutiendront l'entrée en matière de ce projet de loi constitutionnelle, parce qu'ils estiment qu'il est important - M. Moutinot l'a dit tout à l'heure - que le peuple puisse se déterminer. Ce sera aussi l'occasion d'un débat beaucoup plus large au niveau du public. Les socialistes entreront également en matière sur le projet de loi 9931, mais à une plus faible majorité, puisque certains d'entre eux s'abstiendront.
M. Philippe Guénat (UDC). S'il y a un député dans cette salle qui se sent concerné par ce projet de vote électronique, c'est bien moi ! En effet, vous n'êtes pas sans savoir que j'ai passé vingt ans de ma vie à l'étranger - en Afrique, au Moyen-Orient - et je vous laisse imaginer ma frustration de n'avoir jamais pu voter. Soit les bulletins de vote ne me parvenaient pas, soit ils arrivaient alors que la votation était déjà passée depuis belle lurette. Et en Asie, l'ambassade suisse présente dans le pays dans lequel je me trouvais ne se donnait même pas la peine de m'envoyer les bulletins, alors qu'elle les recevait, parce qu'elle savait que, le temps qu'ils arrivent jusque chez moi, que je les remplisse et que je les renvoie, le délai serait passé.
C'est donc avec un véritable enthousiasme que j'ai pris part aux débats de la commission, Madame la présidente. Je me suis même pris à espérer et à rêver que ce projet aboutisse, et cela, malgré des avis bien partagés au sein de mon parti. Cependant, au fil des travaux de commission, j'ai commencé à percevoir un certain malaise de la part de quelques personnes auditionnées, surtout en présence du père spirituel de ce projet qui, porté par son enthousiasme, a parfois été trop présent lors des auditions et des travaux de commission. Puis, un incident est arrivé, alors que l'un de ses anciens collaborateurs intervenait et émettait certaines réserves sur ce projet. Cet incident a généré, pour beaucoup d'entre nous - dont moi, Madame la présidente - un profond malaise et la naissance de nombreux doutes.
Le système - nous assure-t-on - est infaillible, impénétrable mais, malheureusement, ce dernier ne nous permet pas de procéder à des contrôles inopinés, car toutes les sécurités sont électroniques et ne laissent donc aucune trace pour d'éventuelles futures analyses.
Je tiens à vous rappeler que, il y a environ une année, un pays européen - la Lituanie, je crois - fâcha énormément la Russie en déplaçant un monument aux morts de la Seconde Guerre mondiale afin d'y créer un giratoire. Eh bien, ce pays a vu la totalité de son système de transactions par internet - e-mails, transactions bancaires, surveillance du trafic aéroportuaire, etc. - bloqué pendant plus d'un mois, et cette attaque provenait de la nation offusquée... Que se serait-il passé si nous avions eu le même système ?
Pas plus tard que la semaine passée, une étude publiée dans la presse romande montrait que la Suisse était peut-être le pays au monde à recevoir le plus de spams et autres attaques informatiques, en raison des nombreuses organisations internationales, financières et en tout genre qu'elle abrite sur son sol. Or, alors que les banques en Suisse dépensent chaque année des sommes considérables pour maintenir à jour leurs systèmes respectifs, nous apprenons malheureusement que, dans ce projet, aucune somme n'a pour l'instant été budgétée ni aucune fréquence de contrôle décidée - éventuellement tous les trois ans, mais l'on sait que ce n'est pas suffisant.
Bien sûr, personne ne s'amusera à infiltrer notre système pour une votation portant sur l'agrandissement d'un restaurant ou sur le port de la muselière des chiens... Mais imaginez seulement, Mesdames et Messieurs les députés, qu'un jour nous devions remettre en question notre droit de neutralité ou des modalités fiscales ! Dans ce cas, chers collègues, un Etat tiers ou même plusieurs pourraient avoir un intérêt capital à pénétrer notre système pour modifier les résultats.
Comme je l'ai dit tout à l'heure - j'ai bientôt fini, Madame la présidente - j'ai lu avec intérêt le rapport de la société Ilion, qui se prétend indépendante, alors qu'elle n'a fait qu'encenser le système sans y apporter la moindre suggestion et, selon moi, ce rapport n'est pas objectif.
En conclusion, Madame la présidente, à l'UDC nous sommes d'accord de vivre avec notre temps et notre technologie, mais pas la tête dans un sac. Je suis donc au regret de vous annoncer, ainsi qu'au père spirituel de ce projet, que le groupe UDC, pour l'instant, le refusera.
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme la députée M. Baud... Mme Baud, pardon ! Excusez-moi !
Mme Catherine Baud (Ve). Ce n'est pas grave ! Merci, Madame la présidente ! Tout à l'heure, nous avons refusé le renvoi en commission, parce qu'il s'est avéré que, à l'occasion de toutes nos discussions au sein de la commission des droits politiques, les avis pouvaient considérablement changer d'un parti à l'autre et d'un moment à l'autre, suite à une audition. Une majorité a finalement été trouvée, mais elle était bien curieusement composée !
J'aimerais vous dire que les Verts se sont toujours opposés à ce principe du vote électronique, pour une raison fondamentale: la non-maîtrise des droits démocratiques. En effet, plus l'informatique est utilisée, moins la maîtrise des processus est aisée. Hormis les Verts, qui avaient une position de principe, les autres commissaires sont vite apparus très divisés, au-delà de tout clivage politique - comme je le disais tout à l'heure - puisque les autres partis n'avaient, semble-t-il, pas d'avis tranché sur la question, et n'en ont toujours pas vraiment aujourd'hui encore. Les sensibilités personnelles ont donc été prépondérantes, et les différentes positions ne sont pas passées par le traditionnel clivage gauche/droite.
Plusieurs arguments nous ont été donnés en faveur du vote par internet. D'abord, la sécurité, qui est un point crucial. La maîtrise de la sécurité a été assurée par l'utilisation quasi totale de logiciels libres sur le réseau d'internet et accessibles, pour vérification, par des spécialistes indépendants. Cette ouverture nous a été présentée comme une garantie optimale de sécurité par rapport à d'autres systèmes électroniques, comme par exemple les machines à voter telles qu'elles sont utilisées en France et aux Etats-Unis. Certes, cette ouverture représente un progrès par rapport à ces systèmes, mais cela ne garantit pas l'inviolabilité du système, et l'on peut toujours imaginer des virus dormants, par exemple, indécelables aux contrôles ponctuels mais qui pourraient s'activer à l'occasion de certains transferts de données. L'imagination des hackers étant sans limite, tout système complexe peut être pénétré, et il en sera toujours ainsi.
On pourrait arguer que la sécurité augmentera alors de pair... C'est possible ! Cette fuite en avant est tout à fait passionnante sur le plan technologique, mais cela ne doit pas nous faire oublier que nous parlons ici d'expression de la démocratie et non de e-business ! D'autre part, cette fuite en avant a aussi un coût. Or c'est une question qui est restée bien floue ! Le vote par internet nous a été présenté comme l'aboutissement de l'informatisation des services de l'Etat et, en ce sens, comme entrant dans une large mesure dans ses coûts d'investissement et de fonctionnement. Ainsi, alors que les banques, par exemple, consacrent tant d'argent à leurs systèmes informatiques et à leur maintenance, l'Etat de Genève ne leur consacrerait que quelques milliers de francs, en passant ?
Je relève également dans le document de la société Ilion du 9 novembre 2007, dont nous parlions justement tout à l'heure, que la mise en oeuvre demanderait plusieurs adaptations, et non des moindres. Alors c'est vrai que ce rapport ne remet pas en cause le principe du vote par internet, mais il indique néanmoins que des modifications doivent être apportées, et ces adaptations ne sont absolument pas évaluées sur le plan financier.
Indépendamment de toutes ces questions techniques, j'aimerais revenir sur un autre plan et utiliser un angle d'analyse différent, comportant un aspect moins technique, plus psychologique, plus humain. Mais je vais essayer de ne pas dépasser le temps de parole qui m'est imparti, Madame la présidente ! Un citoyen doit avoir un accès direct à son vote, or cet accès lui est dénié par le vote électronique. En effet, même si l'on continue à recevoir un bulletin papier, l'acte de vote en lui-même consiste seulement à appuyer sur la touche «enter», comme pour n'importe quelle validation à des questions sur un écran. Rien ne différencie désormais un vote démocratique, politique, du choix d'une musique ou de l'acceptation d'une mise à jour d'un programme. Le vote est mis au même niveau que le choix du lauréat d'un concours de chansons, par exemple.
Or la participation démocratique, ce n'est pas la même chose ! Ce n'est pas seulement l'aspect pratique, simple, rapide, qui doit être valorisé dans l'acte de vote, mais c'est aussi et surtout sa symbolique. C'est l'expression d'une parcelle de pouvoir, et c'est là que réside toute la différence avec l'utilisation, par exemple, du e-banking ou de tout ce qui concerne le e-business.
Si l'on fait de l'augmentation de la participation un but, c'est bien en faisant ressortir cet aspect hautement symbolique et, néanmoins, concret du vote. C'est en valorisant, par l'éducation et la formation, le rôle et le pouvoir des citoyens et des citoyennes que l'on peut y arriver, pas en mettant cet acte symbolique au même niveau qu'un simple sondage d'opinion.
En conclusion, les Verts ont toujours été opposés au principe du vote électronique, et ils refuseront donc ces deux projets de lois.
M. Alberto Velasco (S). Comme ma collègue de parti vous l'a indiqué tout à l'heure... (Panne de micro.)
La présidente. Monsieur le député, je vous prie de bien vouloir utiliser le micro de votre voisine !
M. Alberto Velasco. Merci, Madame la présidente ! Comme ma collègue de parti vous l'a indiqué tout à l'heure, les avis étaient partagés au sein de notre groupe. Nous sommes néanmoins tous d'accord pour que le peuple soit consulté sur ce sujet, étant donné que le débat est ouvert aujourd'hui. Du reste, le peuple s'est déjà emparé de ce débat.
En revanche, j'éprouve des réticences personnelles par rapport à ce projet, mais davantage sur le fond que sur la technologie utilisée, parce que toutes les technologies montrent leurs limites, à un niveau ou à un autre.
Je me souviens, en commission des finances, avoir interrogé le chancelier sur le vote par correspondance et lui avoir demandé si, après que j'ai voté, la chancellerie pouvait garantir que mon vote serait bien pris en compte. Il m'a répondu par la négative. Par contre, chers collègues, si vous allez remplir votre devoir civique au local de vote, la personne habilitée dit toujours - elle disait du moins: «Velasco a voté !»
Je considère pour ma part que les bases de notre démocratie résident dans le vote confidentiel que chaque citoyen, en son âme et conscience, exprime dans l'isoloir. Or, depuis l'introduction du vote par correspondance, ce principe a été enfreint. C'est le constat que l'on peut faire aujourd'hui. En réalité, lorsque nous avons discuté de ce sujet à l'époque, il aurait fallu débattre sur le fond, mais cela n'a pas été fait. Avec le vote électronique, on ajoute une nouvelle incertitude à celle qui avait été générée par le vote par correspondance. Voilà pourquoi j'éprouve des réticences par rapport à ce projet, et pas tant, je le répète, par rapport à la technologie !
Quoi qu'il en soit, le vote à Vernier a montré que l'utilisation du vote par correspondance posait des problèmes. Même si l'on consacrait des sommes beaucoup plus conséquentes pour sécuriser ce système, il n'offrirait pas une garantie suffisante. C'est le système lui-même, comme celui du vote par correspondance, qui induit des incertitudes, puisqu'il est impossible de s'assurer qu'un citoyen X a voté. Sans parler des informations qui peuvent se perdre, soit par la poste, soit par les lignes de communication.
Mesdames et Messieurs les députés, pour ma part, je serais donc plutôt favorable à ce qu'un débat ait lieu au niveau de la république et des citoyens, et que le peuple se prononce après ce débat, comme le parti socialiste l'a défini. Ensuite, la commission devra veiller à ce que le système qui sera mis en place offre les meilleures garanties possibles.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, ma position en tant que député socialiste.
M. Christian Brunier (S). Aujourd'hui, le parlement se préoccupe de la sécurité du vote et affirme que celle du vote électronique n'est pas garantie à 100%. C'est bien de se poser ce type de questions mais, Mesdames et Messieurs les députés, le système de vote actuellement en place à Genève est le moins sécurisé de tous ! Deux moyens de vote sont à notre disposition. D'abord, le vote par correspondance, pour lequel les enveloppes contenant les feuilles de vote sont mises dans les boîtes aux lettres à des dates quasiment fixes et sont facilement accessibles. Il est donc très facile de voler des enveloppes ou de voter à la place de quelqu'un d'autre. Du reste, dans les familles, certaines personnes sont politisées et d'autres non, et l'on sait pertinemment que certaines d'entre elles votent à la place de leurs enfants, de leur conjoint, etc. Le vote n'est donc pas sécurisé du tout.
L'autre moyen consiste à se rendre au bureau de vote. Tout le monde pense que c'est un moyen sûr: eh bien, pas du tout ! En ce qui me concerne, on ne m'a jamais demandé mon identité ! Cela veut dire que l'on peut donner le nom de son voisin, de son frère ou de son père, et voter à sa place. Si vous voulez véritablement garantir la sécurité du vote, il faut immédiatement interdire le vote par correspondance et revoir la manière de procéder dans les bureaux de vote.
Le seul vote sécurisé est le vote «à la française», où les citoyens se rendent au bureau de vote avec leur carte d'électeur et leurs papiers d'identité, qui sont contrôlés. Ayant la double nationalité, je vote dans les deux pays, et je suis en mesure de vous dire qu'il y a une sacrée différence dans la manière dont les choses se passent. Cependant, si nous devions procéder de la même façon en Suisse, la démocratie - qui n'a pas besoin de cela - risquerait fort de s'essouffler, étant donné le nombre de votations et d'élections qu'il y a.
Pour ma part, je suis favorable au vote électronique, via l'ordinateur, de même que je suis favorable, comme ce parlement, à l'e-administration. Or je vous rappelle que nous avons tous voté pour le développement de l'administration en ligne, qui comporte également des risques. Alors, si vous avez peur pour la sécurité des informations, il faut l'interdire tout de suite ! En effet, lorsqu'une personne effectue des démarches auprès de l'office des poursuites, au niveau de la fiscalité, il faut pouvoir garantir la confidentialité, il me semble donc que l'on se trouve alors dans le même cas de figure.
Quelqu'un a évoqué le geste symbolique que représentait l'acte de voter. C'est important, certes. Mais le fait de cocher oui ou non sur un bulletin et de le mettre dans une boîte aux lettres, comme cela se fait aujourd'hui, ne me paraît pas représenter un acte particulièrement solennel ! Si vous voulez que tel soit le cas, il faut revenir en arrière et obliger les gens à se déplacer jusqu'au bureau de vote, avec les conséquences d'essoufflement de la démocratie que nous connaissons bien. A Genève, il a été possible de la stimuler un peu, d'une certaine façon, grâce au vote par correspondance. Ce n'est pas un moyen de vote idéal, mais c'est vrai qu'il facilite la vie des gens et qu'il est dans l'air du temps: qu'on le veuille ou non, les choses sont ainsi ! Toutefois, la démocratie suisse se fatigue, et nous devons trouver d'autres moyens de la stimuler; or le vote par voie électronique est l'un de ces moyens, car il correspond à une évolution de la société. Certaines l'ont dit: aujourd'hui, les gens s'informent en ligne, réservent leurs voyages en ligne, font leurs courses en ligne, paient en ligne, etc. C'est une évolution de la société, mais nous avons le choix: soit nous la refusons - mais je ne suis pas sûr que l'on gagne ce combat, parce qu'il dépasse largement les prérogatives de notre petit parlement genevois - soit nous l'accompagnons. Pour ma part, je pense qu'il est tout à fait possible de bien vivre avec ces outils: il suffit de bien les utiliser. Car il ne faut pas condamner l'outil, mais bien son utilisation. Et la dynamique du vote électronique rentre dans cette évolution.
Il faut par conséquent donner la parole au peuple: demandons à nos concitoyennes et concitoyens de ce canton ce qu'ils veulent. Il serait vraiment dommageable qu'une majorité refuse aujourd'hui ce droit à l'expression populaire. Ensuite, il faudra mettre les moyens financiers nécessaires pour que les choses se passent bien. Je m'inquiète toutefois, car les moyens engagés au niveau du canton pour garantir la sécurité du vote électronique sont certainement trop faibles. Quoi qu'il en soit, les chiffres qui ont été articulés par la rapporteure des Verts - elle a parlé de quelques centaines de milliers de francs - ne me paraissent pas exacts. On voit que l'investissement est plus conséquent: il y a un programme de développement de 3 millions, des études et des expertises qui dépassent le million, sans parler des frais internes. Je vous rappelle en effet que plusieurs informaticiens de l'Etat compétents vont devoir travailler sur ce projet. Ce qui garantit aussi une meilleure infrastructure.
Alors, aujourd'hui, donnons la parole au peuple et, ensuite, nous verrons comment mettre ce projet en application. Le vote électronique est un fait d'histoire, nous devrons bien y passer un jour ou l'autre !
Fin du débat: Session 10 (août 2008) - Séance 59 du 28.08.2008