République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1630-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier la pétition : Mobilisons-nous pour la petite enfance
Rapport de majorité de M. Christophe Berdat (L)
Rapport de minorité de Mme Mathilde Captyn (Ve)

Débat

M. Christophe Berdat (L), rapporteur de majorité. Tout d'abord, c'est une curieuse idée que de traiter une pétition qui s'en prend au contenu d'une proposition de motion - la M 1721 déposée par des députés du parti démocrate-chrétien - que notre Grand Conseil n'a même pas encore commencé à traiter ! Je ne vais pas polémiquer, mais c'est une curieuse façon de fonctionner, vous en conviendrez très certainement avec moi.

La proposition de motion 1721, qui est à la base de cette pétition, s'intitule: «pour un accueil élargi de la petite enfance». Elle invite le Conseil d'Etat à revoir les normes d'encadrement des enfants dans les institutions de la petite enfance et à admettre comme la norme la proportion d'éducatrices diplômées à 50% du personnel, alors qu'aujourd'hui cette même norme se situe environ aux deux tiers. En outre, elle propose d'engager des bénévoles qui sont formés comme aides ou auxiliaires.

La pétition que nous avons dû traiter en commission s'insurge contre cette motion. Elle exige de maintenir la loi sur les structures d'accueil de la petite enfance, de veiller à ce que les mesures actuelles liées à la pénurie d'éducateurs restent transitoires et elle cherche à défendre ce qui est son droit: la professionnalisation du système.

Il faut dire, Mesdames et Messieurs les députés, que la problématique de ces deux objets s'insère dans un contexte général qui est fort agité, et on doit en dire deux mots. La loi sur les structures d'accueil de la petite enfance et sur l'accueil familial à la journée, adoptée en novembre 2003 par notre Grand Conseil et censée régler le domaine de la petite enfance, est une loi qui est mal née, ou du moins dont l'enfantement a été très difficile, et elle a du mal à tenir aujourd'hui sur ses deux jambes.

J'en veux pour preuve que, en moins de quatre ans, elle a été sujette à pas moins d'une dizaine d'objets parlementaires qui sont pendants devant la commission de l'enseignement: trois projets de lois, quatre propositions de motions et deux pétitions. C'est donc une grave remise en question de cette loi. Sont aujourd'hui mis en cause: l'accueil familial à la journée, le contrat-cadre qui concerne également les communes, le mode de subventionnement, les structures de coordination pour l'accueil familial à la journée et le taux d'encadrement dans les institutions de la petite enfance. Et le chantier de la petite enfance va être rouvert prochainement, puisque la commission de l'enseignement traitera vraisemblablement de ces objets dès l'automne.

Dès lors, pourquoi vouloir aujourd'hui figer en amont le processus et cimenter la loi telle qu'elle est aujourd'hui, puisqu'elle est soumise aux critiques de toutes parts ? Car c'est en quelque sorte ce que nous propose indirectement cette pétition.

Il existe dans les institutions de la petite enfance un triple problème, que les auditions auxquelles votre commission a procédé ont permis de mettre en lumière: un problème de taux d'encadrement, évidemment, qui induit des difficultés d'ordre financier, mais aussi de recrutement et de formation. On sait que l'Ecole d'éducateurs-trices du jeune enfant a ouvert depuis 2002 une formation en cours d'emploi et qu'en 2008 est prévue une deuxième voie de formation en emploi. Les effectifs de cette école vont passer de 25 diplômés en 2004 à 80 d'ici à 2011, c'est donc un énorme effort qui est aujourd'hui consenti par le département de l'instruction publique, et il s'agirait aussi pour les pétitionnaires d'en prendre acte. A cela s'ajoute également un nouveau CFC, proposé par l'Ecole d'aide familiale et d'assistants socioéducatifs, qui a vu le jour il y a deux ans et demi et qui va faire de jeunes diplômés tout prochainement.

Alors doit-on encore une fois figer les choses, mettre la tête dans le sable et faire simplement en sorte que tout aille bien, en assurant la professionnalisation dans toutes les institutions de la petite enfance ? La majorité de la commission pense le contraire.

Pour conclure, il faut noter que les exigences des pétitionnaires peuvent être qualifiées de démesurées, puisqu'elles reposent essentiellement sur le maintien d'un système technocratique, qui est aujourd'hui contesté de toutes parts. Si la majorité de la commission s'exprime, c'est pour dire non au verrouillage du débat que cette pétition suppose. En effet, cette dernière vise à maintenir la loi actuelle et, donc, à figer préventivement le débat, de manière que celui-ci se passe dans les pires conditions possibles ces prochains mois. C'est légitime de la part d'un syndicat, me direz-vous, mais c'est également suicidaire, et la majorité de la commission n'a pas une vision de la petite enfance aussi suicidaire que les pétitionnaires.

Enfin, Madame la présidente, après avoir lu le rapport de minorité de Mme Captyn, qui s'exprimera dans un instant, je ne voudrais pas laisser dire que la majorité que je représente aujourd'hui n'a pas d'intérêt pour la politique de la petite enfance. Je l'ai relevé, de nombreux objets parlementaires doivent encore être traités sur ce sujet, et plusieurs d'entre eux ont été déposés par des groupes qui font partie de la majorité. Je le répète, les coûts, les normes d'encadrement, la formation et l'offre devront être revus par la commission de l'enseignement tout d'abord, et ils le seront vraisemblablement à l'automne. C'est pour moi la preuve que l'intérêt est prépondérant, à défaut d'être partagé par tous.

Dès lors, la majorité de la commission vous propose de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, de manière que son étude puisse être prise en compte dans les travaux futurs concernant la petite enfance.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Vous êtes vraiment réglé comme une horloge, parce que vous avez parlé précisément six minutes !

Mme Mathilde Captyn (Ve), rapporteuse de minorité. Pour replacer cette pétition dans son contexte, il y a effectivement en ce moment dans notre parlement - comme l'a dit mon préopinant - pas moins de dix objets parlementaires sur la petite enfance en attente de traitement. C'est dire si le sujet est important ! Or il n'existe absolument aucune unanimité sur la question.

La pétition 1630 exige que l'on reconnaisse les institutions de la petite enfance et leur mission, que l'on élabore une vision politique globale de ce domaine, que l'on maintienne la loi cantonale en vigueur, que l'on défende la professionnalisation de l'accueil du jeune enfant, que l'on intègre les différents partenaires dans l'élaboration des mesures politiques à appliquer dans ce domaine et, enfin, que l'on veille à ce que les mesures actuelles liées à la pénurie de personnel restent transitoires.

Toutes ces demandes sont parfaitement fondées et ne sont que le reflet de la situation de la petite enfance à Genève, où ce secteur se développe de façon importante, mais sans pour autant répondre encore à la forte demande des ménages genevois. C'est pourquoi il n'était pas acceptable de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. En outre, de notre point de vue, elle ne fige pas du tout le débat sur la petite enfance; bien au contraire, elle apporte de l'eau au moulin.

Au niveau du gouvernement, il n'existe apparemment pas de vision globale de la petite enfance, puisque c'est précisément un sujet que ce dernier n'a quasiment pas touché en deux ans, si ce n'est pour se désengager financièrement. Pourtant, il est urgent d'agir ! Nous ne sommes plus au moment de la réflexion, comme l'a exprimé M. le conseiller d'Etat Charles Beer lors de la dernière séance du Grand Conseil. C'est le moment de passer aux actes ! C'est inacceptable ! Nous savons où et comment il faut agir, afin que cette pénurie plombante de places d'accueil de jour cesse et vous invitons donc, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.

Mme Christiane Favre (L). Permettez-moi de résumer la situation telle qu'elle se présente: cette pétition est déposée contre une proposition de motion qui n'est pas encore traitée par la commission de l'enseignement et dont les invites pourraient éventuellement amener le Conseil d'Etat à assouplir des normes d'encadrement dans le domaine de la petite enfance.

Nous ne savons donc pas encore si cette motion - qui n'a, quoi qu'il arrive, aucun caractère contraignant - sera acceptée ou non par la commission et, plus tard, par le Grand Conseil, qui l'enverra éventuellement au Conseil d'Etat, lequel rédigera une réponse circonstanciée, sans être obligé à quoi que ce soit.

Ce qui est intéressant, c'est qu'à chaque étape du traitement de cette fameuse motion les auteurs mêmes de cette pétition pourront faire valoir leur point de vue directement ou indirectement: à la commission de l'enseignement, d'abord, où ils peuvent demander à être entendus, ce qu'ils feront sûrement. Au Grand Conseil, ensuite, où leurs préoccupations seront sans aucun doute relayées par les députés qui défendent leur cause, le rapport de minorité actuel en est la preuve. Enfin, si cette motion était acceptée, ils pourraient demander à être entendus par l'Etat avant qu'il ne rédige sa réponse, ne serait-ce que dans le cadre de la commission cantonale de la petite enfance où les organisations syndicales et les professionnels sont extrêmement bien représentés, bien mieux d'ailleurs que les principaux, pour ne pas dire exclusifs, bailleurs de fonds des crèches que sont les communes genevoises.

Alors soyons clairs ! Contrairement à ce que dit la rapporteure de minorité, cette pétition anticipée n'a qu'un seul but: verrouiller la réflexion sur ce qu'elle définit comme des acquis et tuer dans l'oeuf toute velléité de changement. Cette tentative de noyautage du débat est difficilement acceptable et explique pourquoi il semble si difficile de traiter enfin les nombreux actes parlementaires déposés sur le même sujet et questionnant sur les imperfections de la loi sur la petite enfance. Si nous acceptons le dépôt de cette pétition pour information sur le bureau du Grand Conseil, c'est uniquement pour rappeler cette réalité. (Applaudissements.)

La présidente. Merci, Madame la députée. Plusieurs personnes se sont encore inscrites, mais, à 19h précises, j'arrête le débat, parce que nous devons recommencer à 20h30.

M. Patrick Saudan (R). Rassurez-vous, je serai bref ! Comme vous le savez, les radicaux ont toujours été assez sensibles à une prise en charge adéquate de la petite enfance, mais, comme l'ont rappelé le rapporteur de majorité et ma collègue libérale, cette pétition fait explicitement référence à la proposition de motion 1721, qui va être traitée en commission de l'enseignement. Alors soyons pragmatiques ! Le traitement de la M 1721 nous permettra de mieux définir l'adéquation de la professionnalisation, c'est-à-dire du nombre de personnes diplômées dans les institutions de la petite enfance, et c'est pourquoi le groupe radical vous propose de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais vous rappeler cette superbe déclaration de notre ancien collègue Luc Barthassat, qui est quand même merveilleuse: «Il n'y a pas besoin de diplômes pour torcher des gosses !» Lorsque vous entendez ce genre de propos, ne soyez pas surpris qu'il y ait des réactions de la part des professionnels ! Il est certain que ce type d'affirmation suscite un mouvement profond, et je le comprends parfaitement.

Dans notre canton, nous n'avons plus l'habitude de souhaiter la bienvenue aux enfants et de dire qu'il est souhaitable qu'il y en ait ! Notre société a décidé de s'autodétruire; d'aucuns diront que c'est tant mieux, et je connais un certain nombre de Verts qui pensent que, puisque le monde va à sa perte, autant qu'il s'arrête le plus vite possible. Néanmoins, nous avons encore un peu l'espoir que, avant la catastrophe totale du réchauffement climatique, l'épuisement du pétrole et autres ennuis, nous puissions vivre dans un monde meilleur et plus sympathique, dans lequel nous pouvons accueillir des enfants.

Cette pétition va dans ce sens-là, et c'est pourquoi nous vous demandons gentiment de la renvoyer au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Faisant partie des signataires de la fameuse proposition de motion qui n'a pas encore été traitée, je vais bien sûr me prononcer sur la méthode utilisée par les pétitionnaires. J'en profite d'abord pour remercier le rapporteur de majorité, qui a extrêmement bien résumé la problématique, et rendre hommage à Mme Favre. Elle nous a fait bénéficier de son talent et je lui en suis très reconnaissante - surtout que, pour une fois, ce n'est pas contre ma motion alors, vous comprenez, c'est un grand moment !

Plus sérieusement, lorsque je parle de la procédure utilisée par les pétitionnaires, il y a des limites qu'il convient parfois de ne pas franchir, dans la mesure où leur questionnement est juste.

Le parti démocrate-chrétien doit réaffirmer régulièrement qu'il est pour l'excellence dans le domaine de la petite enfance. Il continue à déclarer qu'il est important d'avoir du personnel extrêmement bien formé pour encadrer les enfants, et il est en faveur du développement des crèches ainsi que des systèmes d'accueil dans le domaine de la petite enfance - familles d'accueil, haltes-garderies. A aucun moment, nous ne pouvons donc être accusés de vouloir dégrader le système de prise en charge de la petite enfance !

J'ai été personnellement interpellée par des gens qui faisaient signer cette pétition et qui m'ont dit: «Signez, Madame, s'il vous plaît, parce que l'on veut supprimer nos emplois !» Je ne trouve pas cela correct ! Que l'on pose des questions, que l'on puisse envisager des nuances par rapport aux propositions qui sont faites dans la fameuse motion, nous l'acceptons ! Mais que l'on utilise une motion qui n'a pas encore été étudiée pour affirmer: «On veut supprimer nos emplois !», je trouve que ce n'est pas honnête; et ce ne l'est pas non plus de la part d'un syndicat comme le SIT. Il réalise certes un travail remarquable pour préserver l'intérêt des travailleuses et des travailleurs, mais cette pétition me fait penser que la priorité n'est plus donnée aux enfants, mais aux acquis des professionnels, et je trouve que c'est extrêmement dommage. D'autant que la proposition de motion que nous espérons pouvoir traiter un jour a pour seul but de prendre en considération les besoins et les attentes des parents et de ne pas rester figé dans des systèmes qui, de toute façon, ne fonctionnent plus aujourd'hui, puisque même les municipalités et la Ville de Genève réclament qu'ils soient réaménagés.

Pour ces raisons, je regrette que les pétitionnaires aient fait trop vite fait preuve d'une réaction disproportionnée. Nous continuerons à prendre très au sérieux les remarques des professionnels de ce domaine, mais, pour le moment, nous vous remercions de bien vouloir déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.

La présidente. Merci, Madame la députée. Monsieur Berdat, vous vous êtes déjà exprimé six minutes, vous n'avez plus le droit à la parole ! Je suis désolée !

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Nous avons une merveilleuse démonstration de ce que j'ai eu l'occasion de dire à Mme Captyn lors de la dernière session, à savoir que nous sommes en pleine confusion quant aux différents débats que peut soulever le thème de la petite enfance. En effet, nous traitons une pétition répondant à une proposition de motion qui n'est pas encore étudiée; en outre, nous n'avons pas de méthode de travail, ce qui permet aux uns et aux autres d'exprimer régulièrement ce qu'ils souhaitent pour la petite enfance.

En tous les cas, une chose est certaine, Mesdames et Messieurs les députés, nous n'aurons pas à la fois moins de coûts, plus de places et la même qualité d'accueil dans ces place ! Il faudra donc bien vous résoudre à aborder le fond de la problématique, en acceptant déjà de définir le rôle de la petite enfance: s'agit-il simplement de disposer d'un nombre de places suffisant ? Convient-il de proposer une dimension éducative à l'action des crèches, et donc à l'ensemble de la petite enfance ? Faut-il créer la première étape vers la scolarisation obligatoire à quatre ans et que l'harmonisation scolaire va entraîner en 2011 ? Sied-il d'intégrer des certificats fédéraux de capacité dans le dispositif en lien avec les formations tertiaires actuellement requises pour le personnel qualifié de la petite enfance ? Bref, il y a un certain nombre de questions de fond qui méritent de la méthode dans le travail.

Le Conseil d'Etat vous a annoncé par mon intermédiaire lors de la dernière session, alors que nous parlions des places en entreprise et de la facilitation dans les pouvoirs publics, qui devaient être témoins et acteurs, que le Conseil d'Etat vous présentera un rapport divers proposant une méthode de travail destinée à traiter l'ensemble de ces objets, et je tenais à le répéter. Je rappelle du reste que deux projets de lois, quatre propositions de motions et deux pétitions concernant la petite enfance sont actuellement pendants, puisque c'est un sujet très en vogue. Ce thème, de grande importance - et je tiens à terminer par là - mérite toute notre attention parce que, comme nous l'avons vu tout à l'heure par rapport au parascolaire, la prise en charge des enfants doit être pensée non seulement en termes de nombre de places, mais également en termes de qualité.

Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des affaires sociales (dépôt de la pétition 1630 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 45 oui contre 27 non.