République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1815
Proposition de motion de Mmes et MM. Anne-Marie von Arx-Vernon, Michel Forni, Nelly Guichard, Didier Bonny, Guy Mettan, Mario Cavaleri, Béatrice Hirsch Aellen, François Gillet contre l'inégalité de traitement ! Ouvrons l'accès à l'apprentissage aux jeunes sans statut légal ayant effectué leur scolarité à Genève grâce à un dispositif de type « chèque apprentissage »

Débat

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cette proposition de motion est très importante pour le parti démocrate-chrétien, et nous vous remercions d'avance de bien vouloir lui réserver un bon accueil. Elle s'inscrit dans la tradition du PDC, qui avait été initiée par Dominique Föllmi, lorsqu'il a estimé en 1985 qu'il était indigne que des enfants, même clandestins, n'aient pas accès à l'école.

Aujourd'hui, cette proposition de motion répond à trois logiques. La première concerne la volonté de la Suisse, qui a ratifié la Convention des droits de l'enfant, consacrant notamment la primauté du droit à l'éducation sur toute considération de statut légal.

La deuxième touche l'égalité de traitement, entre les jeunes concernés bien évidemment, mais également entre les jeunes sans statut légal - entre eux-mêmes, si j'ose dire, Madame la présidente. En effet, les adolescents qui ont l'envie ou les compétences pour aller jusqu'à la maturité peuvent y accéder sans problème, alors que ceux qui décident de choisir une voie d'apprentissage, de CFC, n'y sont pas autorisés, bien qu'ils aient in fine les mêmes droits à l'éducation que leurs pairs qui, eux, peuvent continuer la filière scolaire.

La troisième logique concerne la notion de retour sur investissement, dans la mesure où ces jeunes ont bénéficié de nos écoles, ont appris nos valeurs et ont reçu une éducation extrêmement précieuse, à laquelle nous tenons tous pour nos enfants et qui a un coût; si l'on considère que l'éducation à Genève revient à environ 10 000 F annuels pendant dix ans, nous estimons important, en termes humains bien évidemment, mais également économiquement, qu'il y ait un retour sur investissement et, par conséquent, que ces jeunes, qui n'ont jamais posé de problème pour les 90% d'entre eux et dont les parents sont ici pour notre confort, notre bien-être et pour l'équilibre de notre économie, puissent avoir accès à un apprentissage sous une forme que nous proposons une fois qu'ils ont trouvé un patron.

Le dispositif que nous vous suggérons peut, bien sûr, être amélioré par vos amendements et vos conseils et nous nous réjouissions de l'étudier avec tous les groupes politiques en commission. Il s'agit du principe du chèque apprentissage, sur la même logique que le chèque service, qui vise à ce que les jeunes qui ont trouvé un patron puissent accéder à un apprentissage et que ce dernier ait l'assurance, à travers ce chèque apprentissage, de couvrir les charges sociales.

Vous me direz, Madame la présidente, que Genève va encore faire oeuvre de pionnier. Eh bien nous pouvons nous en réjouir ! En effet, Genève a été le premier en 1985 à ouvrir ses écoles aux enfants clandestins et, depuis, tous les cantons l'ont suivi. Et je crois que c'est notre fierté, c'est cela, l'esprit de Genève !

Pour finir, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le parti démocrate-chrétien vous demande de bien vouloir renvoyer cette proposition de motion au Conseil d'Etat.

La présidente. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme Künzler... (Commentaires.) Pardon ?

Mme Anne-Marie von Arx-Vernon. Je me suis trompée, Madame la présidente ! Dans mon émotion, j'ai parlé du Conseil d'Etat...

La présidente. Oui, vous aviez évoqué précédemment un travail en commission. Maintenant, vous demandez de renvoyer ce texte au Conseil d'Etat. Vous avez choisi ?

Mme Anne-Marie von Arx-Vernon. Oui, je souhaite qu'il soit renvoyé en commission ! (Rires.)

La présidente. Laquelle ?

Mme Anne-Marie von Arx-Vernon. La commission de l'enseignement et de l'éducation.

La présidente. Très bien. C'est votre dernier mot ?

Mme Anne-Marie von Arx-Vernon. C'est mon dernier mot, Madame la présidente !

Mme Michèle Künzler (Ve). Nous voulons féliciter le parti démocrate-chrétien d'avoir déposé ce texte. C'est une proposition très intéressante et importante, parce que le problème qu'elle cherche à résoudre est grave. Il s'agit de jeunes qui ne peuvent pas avoir accès à certaines formations, et ceux qui n'ont pas la possibilité de poursuivre le collège, parce qu'ils n'ont pas les notes suffisantes, ne sont pas intégrés ailleurs et n'ont donc finalement plus accès à la formation. Et il est vraiment très important que chacun ait une formation, quel que soit son statut légal. Au fond, on travaille pour l'avenir ! Que ces jeunes restent ici ou qu'ils se rendent dans un autre pays, je crois que cet acquis-là peut être utile dans le monde entier, c'est pourquoi on le leur offre, et c'est normal.

Pour cette raison, je trouve que cette proposition de motion est extrêmement importante et qu'elle servira à corriger une inégalité, puisque les jeunes sans-papiers peuvent actuellement aller au collège ou à l'école de commerce, mais n'ont absolument pas la possibilité de suivre des formations duales ou qui nécessitent un apprentissage en entreprise.

Nous devons pourtant parier sur les jeunes, et ce texte est très bon ! Personnellement, je l'aurais renvoyé directement au Conseil d'Etat, car je ne vois pas très bien ce qu'on pourrait faire en commission. Mais si le parti démocrate-chrétien le demande, nous l'étudierons en commission. Nous verrons notamment combien il y a de jeunes concernés, mais je pense qu'ils ne sont pas très nombreux.

Je vous invite donc vivement à accepter cette proposition de motion.

M. Eric Stauffer (MCG). Je ne m'explique pas la raison de cette proposition de motion. On a de la peine à comprendre, à tel point que le groupe MCG va s'opposer à son renvoi et en commission et au Conseil d'Etat.

S'il est vrai que les enfants ne sont pas responsables des agissements de leurs parents, il n'en demeure pas moins que la République et canton de Genève ne peut pas donner comme message: «Illégaux, venez, vos enfants pourront aller à l'école, ils auront la possibilité de travailler et, qui sait, après, ils pourront avoir une carrière en travaillant au noir !» C'est parfaitement anticonstitutionnel et contraire aux intérêts des résidents de Genève qui, eux, sont légaux et paient leurs impôts comme tous les citoyens genevois, légaux, bien entendu !

Il faudrait savoir ce que l'on prône dans ce parlement. Si le message, c'est: «Venez, violez la loi, on vous absoudra !», il faut que ce discours soit clair ! Il doit être diffusé et médiatisé: «Genève est pionnier dans le monde entier; illégaux de la planète et réfugiés économiques, venez tous à Genève, vous aurez un toit, du travail, vous pourrez placer votre progéniture en crèche - évidemment au détriment des Genevois, qui eux doivent calculer les naissances des enfants par rapport aux places qu'ils pourraient obtenir dans les crèches - et elle pourra aller à l'école !», et j'en passe et des meilleures !

La Confédération - et nous avons voté à ce sujet il n'y a pas si longtemps - a payé, donc nous, peuple suisse, avons donné un milliard de francs aux pays de l'Est précisément pour endiguer ces flux d'émigration. Depuis que nous avons payé ce milliard de francs, ce sont tous les mendiants roumains et j'en passe qui sont venus à Genève ! Et là, encore une fois, ce parlement dit: «Ecoutez, ce n'est pas grave, on ne va pas leur infliger de contraventions, cela crée un sentiment d'insécurité, peu importe, allons-y de bonne guerre !» Eh bien non, Mesdames et Messieurs les députés !

Et pour quelle autre raison va-t-on s'opposer à cette proposition de motion du parti démocrate-chrétien ? Parce qu'elle provoque une nouvelle forme d'esclavagisme, et je vais vous expliquer pourquoi. Du moment que les enfants ont le droit d'aller à l'école et que les parents sont, eux, de manière illégale sur le territoire de Genève, ils vont devoir se sacrifier et vont accepter n'importe quel job pour que leurs enfants puissent continuer leurs études. Et cela, ce n'est pas tolérable ! Je préférerais que vous rédigiez une proposition de motion, Mesdames et Messieurs du PDC, qui énonce: «Régularisons tous les sans-papiers à Genève !» Là, peut-être, on pourrait y adhérer, mais pas par ce biais ! En effet, les parents vont se sacrifier pour leurs enfants, afin qu'ils aient une vie meilleure que la leur. Et, en cela, votre texte est extrêmement pervers et produit des effets secondaires qui sont dommageables.

La présidente. Il vous faut conclure, Monsieur le député !

M. Eric Stauffer. Je conclus en vous indiquant - c'est un petit scoop et M. Charles Beer pourra nous le confirmer dans quelques minutes - que le département de l'instruction publique détient un fichier de tous les enfants illégaux sur le territoire de la République et canton de Genève.

La présidente. Vous devez terminer ! Maintenant ! Vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Eric Stauffer. Aucune action n'est entreprise pour aller trouver les parents...

La présidente. Monsieur le député, vous devez conclure !

M. Eric Stauffer. ... pour les régulariser ou les expulser, et c'est cela... (Protestations. Le micro de l'orateur est coupé. Il continue néanmoins à s'exprimer.)

La présidente. La parole est à Mme Lydia Schneider Hausser.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Je regrette d'être dans le même hémicycle que celui dont je viens d'entendre les propos. Eh oui, ils rappellent effectivement des teneurs de l'histoire qui sont plus que désagréables et inacceptables.

Monsieur Stauffer, cette proposition de motion n'est pas un appel d'air à des sans-papiers, elle vise à régulariser un état de fait qui existe dans la république et grâce auquel des jeunes gens qui ont des compétences peuvent être formés. Je vous rappelle qu'en 2004 le Conseil d'Etat genevois a demandé à Berne la régularisation de 5500 personnes sans permis de séjour, or il n'y a pas eu de réponse, ni de permis octroyés pour l'instant !

J'aimerais dire plus calmement que, en tant que parent d'enfants scolarisés à Genève, il m'est arrivé de croiser des écoliers sans papiers, et vous aussi certainement. Ces enfants sont comme les vôtres, ils ont des compétences et sont souvent parfaitement intégrés au niveau de la langue et des connaissances du pays. Leurs parents ont sacrifié leur vie à travailler et à vivre dans l'ombre et dans la non-existence laborieuse. Or le chemin de formation s'arrête pour ces enfants lorsqu'ils atteignent l'âge de la formation postobligatoire, s'ils n'ont pas la chance d'avoir les facultés pour aller au collège. Le mur placé actuellement devant eux, qui leur interdit l'accès à l'apprentissage, est un mur de bêtise. Ils sont une force pour notre collectivité et, pourtant, nous leur proposons la peur, le non-droit, la non-existence.

Cette proposition de motion est timide et prudente, mais elle a une qualité, celle d'avoir été déposée et de nous permettre de faire preuve de bon sens en continuant ce qui a été commencé et qui est une réussite: l'accès à la scolarité pour tous les enfants habitant sur le territoire genevois. C'est du bon sens que de reconnaître que nous avons des jeunes qui seront formés à des professions, auxquelles on a parfois de la peine à trouver des adolescents susceptibles de s'intéresser actuellement en termes d'apprentissage. C'est du bon sens, parce que si nous ne voulons pas devenir un grand EMS cantonal genevois, nous avons intérêt à soigner les jeunes qui vivent à nos côtés, qu'ils soient migrants ou suisses et qu'ils aient ou non un Stämpel sur leur carte d'identité.

Il est inutile de penser que nous pouvons ériger à tout jamais des murs pour empêcher des migrants de venir ou que nous pouvons expulser jusqu'à la dernière des personnes sans papiers. Inutile de se voiler la face, ces personnes sont indispensables à l'économie domestique, rurale, voire à l'économie tout court. Nous devrons d'ailleurs certainement reprendre plus en profondeur la question que nous posent les 7000 sans-papiers genevois - c'est du moins le nombre estimé actuellement - et les 100 000 sans-papiers suisses.

Ce soir, les socialistes vous demandent d'être pragmatiques et d'accepter de renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'enseignement et de l'éducation. (Applaudissements.)

M. Gabriel Barrillier (R). Chers collègues, j'aimerais commencer mon intervention par... (Remarque.) Il n'est pas là ! (Remarque.) Bon, de toute façon, il n'est jamais là !

J'aimerais dire que, véritablement, notre collègue député dépasse les bornes ! Quel que soit le sujet, il fait des amalgames, il dérape et tient des propos inadmissibles. Tous ensemble - nous sommes nonante-neuf - ne pouvons-nous pas une fois en faire façon ? (Rires.) Parce que ça devient inadmissible ! Je regrette d'autant plus ses propos que le sujet de cette proposition de motion est grave et important: il est question de l'avenir de jeunes filles et de jeunes gens qui sont en situation particulière. On ne voudrait pas tomber non plus dans une attitude trop sentimentaliste, mais c'est une réalité, et je pense qu'il faut qu'on empoigne ce sujet sérieusement.

La formation est peut-être la seule richesse et la seule valorisation que ces jeunes pourront obtenir dans notre pays; peut-être n'y resteront-ils pas mais, en tout cas, lorsqu'ils repartiront, s'ils le doivent, ils auront obtenu une plus-value et retiré des éléments positifs de leur séjour en Suisse.

J'aimerais dire au groupe PDC que, selon moi, il vaudrait mieux renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'économie. En effet, il s'agit bien d'apprentissage, dual qui plus est, et je vous rappelle que les deux tiers de ce dernier se passent en entreprise. Il serait donc souhaitable d'examiner soigneusement ce texte, parce que nous devrons plus tard informer clairement les patrons et employeurs sur le statut de ces jeunes et les renseigner sur les conditions et l'utilisation de ce chèque apprentissage. D'ailleurs, comment sera-t-il employé ? Pour ma part, je ne vois pas bien comment il va fonctionner. Est-ce que c'est un chèque où les cotisations sociales seront payées ? Dans notre cas, le jeune apprenti est connu et identifié alors que, avec le chèque emploi, c'est différent: l'identité n'est pas connue, enfin si, l'identité de l'employé est connue, mais elle n'est pas divulguée.

J'aimerais donc que la solution envisagée soit transparente et claire car, encore une fois, les patrons qui sont très intéressés à offrir des places d'apprentissage, quel que soit le statut des jeunes, doivent savoir qu'ils sont en règle et qu'ils ne transgressent pas la loi. Renvoyons donc cette proposition de motion à la commission de l'économie, car je crois qu'elle pourra y être étudiée sous tous ses aspects.

Mme Janine Hagmann (L). Comme certains le savent peut-être, la commission des droits de l'Homme a accompli cette année un travail très approfondi concernant l'intégration. A cette occasion, elle a eu la chance d'auditionner différentes personnes impliquées dans le problème de l'intégration à Genève, qui n'est pas si mal résolu. Parmi les personnes auditionnées, il y avait des gens du département de l'instruction publique, cela va de soi, qui s'occupent de classes d'accueil.

En réalité, le problème mis en évidence et que vise à régler la proposition de motion PDC avait déjà été soulevé par la commission des droits de l'Homme, mais, malheureusement, celle-ci n'était pas allée aussi loin que le PDC, puisqu'elle ne trouvait pas de solution réaliste à ce problème. En effet, nous avons par la suite auditionné le représentant de Berne, qui nous a dit que, pour que l'intégration soit bien réussie, il ne fallait pas qu'il y ait trop de différenciations. Il s'agit donc de trouver une solution et d'étudier ce que l'on peut faire avec ces jeunes, mais sans les discriminer des jeunes de chez nous qui ont aussi des problèmes à obtenir un apprentissage.

Au point suivant de notre ordre du jour se trouve un objet très important pour Genève, la proposition de résolution 543, concernant le 500e anniversaire de Calvin qui, comme vous le savez, a incité Genève à devenir une terre d'asile, ce à quoi nous tenons beaucoup.

En résumé, il faut que nous trouvions une solution, et je pense qu'il est important de renvoyer cette proposition de motion en commission, pour que nous puissions chercher des remèdes pour tous les jeunes qui ont des problèmes, et pas seulement pour ceux qui n'ont pas de papiers car, vous le savez, on ne veut pas qu'il y ait des jeunes qui traînent dans la rue et qui, par la suite, causent des problèmes à la société.

La présidente. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Weiss, à qui il reste deux minutes.

M. Pierre Weiss (L). Je voudrais parler sous un double angle de valeur concernant cette proposition de motion. Il est une réalité qu'il convient de ne pas occulter: il y a effectivement des jeunes ici qui sont sans papiers, comme leurs parents - mais ils sont parfois aussi sans leurs parents - et qui sont en formation à l'école. Ce fait a été admis depuis un certain nombre d'années, et je pense que c'est une bonne chose que Genève scolarise ces jeunes. Cependant, il se pose pour eux à un certain moment le problème de poursuivre leur formation; tous ne peuvent pas suivre une formation gymnasiale et certains souhaitent la faire dans des entreprises, parce qu'il n'y a pas de possibilité de formation duale dans les écoles professionnelles. Or on ne peut pas demander aux chefs d'entreprise d'enfreindre la loi et de conclure des contrats de travail, alors que la législation fédérale s'y oppose ! Il faut par conséquent ne pas tenir à l'égard des entreprises un double discours, qui consiste d'une part à leur demander de respecter la loi, de ne pas engager des personnes sans respecter les conventions collectives ni de faire du dumping et, d'autre part, à les appeler à enfreindre la loi dans certaines situations.

Dans le cas présent, je crois que nous pouvons trouver une solution. Elle consisterait, Monsieur le conseiller d'Etat, à ce que le gouvernement - c'est du moins ce que la commission de l'économie devrait étudier, et je rejoins la position de mon collègue Barrillier sur ce point - intervienne auprès de l'autorité fédérale, du Conseil fédéral et que, comme il l'a fait pour la régularisation au cas par cas des sans-papiers, une solution spéciale soit trouvée pour ces jeunes, afin qu'ils puissent poursuivre leur formation et que les entrepreneurs ou les chefs d'entreprise qui les engagent ne se trouvent pas dans une situation d'infraction légale. C'est le point sur lequel je voulais insister d'abord sous l'angle des valeurs du travail, de la formation et d'une politique finalement humaniste dans l'accueil qui doit être fait à Genève.

J'ai parlé d'un double angle de valeur, Madame la présidente, alors si vous me permettez de dépasser, le cas échéant...

La présidente. Oui, mais très brièvement, Monsieur le député !

M. Pierre Weiss. Tout à l'heure, j'ai entendu que l'on parlait de listes de gens à expulser. Ce sont des propos que je considère comme proprement odieux ! Ces listes de gens à expulser me rappellent les listes de personnes que l'on allait réveiller le matin pour les parquer dans des stades ! Et de cela, les libéraux et tous ceux dans ce parlement qui partagent ces valeurs humanistes ne veulent pas ! Je crois que nous devons tous fermement faire en sorte que ce type de discours ne puisse pas avoir l'assise qu'il trouve auprès d'une partie de la population, qui se laisse leurrer par des sirènes démagogiques, qui ne saisit pas les enjeux situés derrière et qui ne perçoit pas le mépris des personnes qui s'exprime dans la bouche de ceux qui énoncent ce genre de propos, ici ou dehors. Et je souhaite que, dans ce parlement, on ne tienne plus ce genre de discours, Madame la présidente ! (Applaudissements.)

La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme von Arx-Vernon, à qui il reste deux minutes vingt.

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Premièrement, j'aimerais dire que c'est avec plaisir que le groupe démocrate-chrétien acceptera le renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'économie.

Ensuite, il est important de signaler que la Suisse va avoir besoin de 200 000 à 300 000 employés, qui ne seront pas forcément issus des filières académiques. Or, là, il s'agit de jeunes qui, même s'ils ne sont que 80, 100 ou 150 - nous ne le savons pas - sont déjà formés à nos valeurs scolaires et ont déjà reçu une éducation qui nous convient. Ainsi, lorsque nous aurons besoin d'eux pour la prospérité de Genève, ils seront déjà là et formés grâce à notre système éducatif et nos écoles. C'est pour cette raison, Madame la présidente, qu'il est très important de continuer à leur faire une place.

La présidente. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme Künzler, qui dispose d'une minute vingt.

Mme Michèle Künzler (Ve). J'aimerais également m'insurger contre les propos qui ont été tenus par le député Stauffer. C'est absolument inadmissible ! Vous êtes vraiment raciste, vous êtes en train de dire qu'il faut chasser des enfants ! En outre, vous parlez d'esclavage, mais savez-vous exactement ce que c'est ? Là, en l'occurrence, vous préférez que ces jeunes, qui n'ont pas choisi leur situation - ces enfants n'ont rien demandé ! - traînent dans la rue ? C'est exactement ce que vous voulez, bien sûr ! Vous le cherchez ! Eh bien, moi je préfère parier sur l'éducation et le travail. C'est cela qui compte dans notre société. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

La présidente. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Fabiano Forte. C'est votre première intervention dans ce parlement, Monsieur le député, et il vous reste une minute vingt ! (Applaudissements.)

M. Fabiano Forte (PDC). Merci beaucoup ! Mais on me coupe mon temps de parole, comme vous pouvez le constater, Madame la présidente !

Je serai assez bref. Je voudrais simplement inviter à la relecture de l'une des invites de cette proposition de motion. Nous ne parlons pas d'ouvrir les portes, ni les vannes; il est question de jeunes, qui ont suivi une scolarité tout à fait normale, au même titre que les autres enfants. Nous ne parlons donc pas de légaliser les sans-papiers, je crois que c'est un faux débat !

Ma collègue Hagmann a évoqué le fait que d'autres jeunes cherchent des voies de formation. Mais nous ne les oublions pas ! Il ne s'agit pas là de les opposer, mais de donner une chance à celles et ceux - suisses ou non, avec un statut légal ou non - qui ont envie de travailler.

En outre, nous avons parlé de la Confédération. Eh bien, nous devons l'inviter à respecter la convention qu'elle a signée, celle des droits de l'enfant, qui stipule en son article 28 la primauté du droit à l'éducation sur toute considération de statut légal. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

M. Gilbert Catelain (UDC). Autant l'accueil des enfants de sans-papiers dans le système scolaire obligatoire repose sur une base légale, autant la scolarité est autorisée depuis 1991 pour l'ensemble des enfants clandestins. Toutefois, en cas de renvoi, ceux-ci peuvent rester jusqu'à la fin de l'année scolaire, mais non pas de l'ensemble de la scolarité; c'est là où nous sommes en totale infraction par rapport au droit fédéral, puisque si notre canton, qui a pour mission d'appliquer ce droit fédéral, n'est pas en mesure de remplir son mandat légal en l'espace d'une année, c'est qu'effectivement il l'enfreint.

De même, dans le cadre de la proposition de motion qui nous est présentée par le parti démocrate-chrétien, nous sommes malheureusement en contradiction totale avec le droit puisque, comme l'a dit M. Weiss, ce que vous proposez revient à obliger l'Etat et les employeurs à conclure en toute illégalité un contrat de travail avec un adolescent qui ne remplit pas les conditions de base pour signer ce type de contrat. Je ne vois donc pas en quoi il existe dans ce texte une possibilité quelconque d'entrer en matière.

De plus, ce parlement, et le groupe démocrate-chrétien en particulier, a régulièrement dénoncé, à tort ou à raison, le manque de places d'apprentissage, quand bien même on s'est rendu compte l'an dernier qu'elles avaient plutôt augmenté. Malgré cela, nous le savons tous, le nombre de places d'apprentissage dans ce canton n'est pas suffisant pour accueillir l'ensemble des candidats, du moins dans certains secteurs. Mais il n'empêche qu'aujourd'hui les employeurs qui veulent conclure un contrat d'apprentissage ont d'énormes possibilités, puisqu'ils disposent d'un marché de 450 000 habitants et qu'ils ne sont pas obligés de faire appel à des jeunes. En effet, ils peuvent très bien passer un contrat d'apprentissage avec un adulte ! Du reste, il faudra nous expliquer où sera le respect de l'égalité de traitement entre deux clandestins, selon qu'ils soient adultes ou pas, qui veulent poursuivre une formation.

C'est une nouvelle porte qu'on ouvre, qui est préjudiciable au climat de Genève en général puisque, de notre point de vue, il est très dangereux et finalement irresponsable d'ouvrir cette porte, sachant que de nombreux jeunes ici et dans les cantons voisins souhaiteraient avoir la possibilité d'effectuer une formation professionnelle sur la place de Genève.

Nous savons également que, dans le système secondaire, des enfants suisses du canton de Vaud...

La présidente. Il vous faut conclure, Monsieur le député !

M. Gilbert Catelain. ...peuvent se voir interdire de poursuivre leur scolarité, et nos citoyens ne comprendraient pas que Genève attire des clandestins d'autres cantons - pas forcément de l'étranger - qui pourraient effectivement, puisqu'ils n'ont pas la possibilité d'accomplir un apprentissage dans le canton de Vaud...

La présidente. Vous êtes au terme de votre temps de parole, Monsieur Catelain !

M. Gilbert Catelain. ...le faire à Genève.

Sur le fond, cette proposition de motion enfreint donc plusieurs lois, et on ne peut pas demander à un canton qui a déclaré qu'il lutterait contre le travail au noir...

La présidente. Vous devez conclure, Monsieur le député, sinon je serai obligée de vous couper le micro, et j'en serais désolée !

M. Gilbert Catelain. ...de signer des contrats de travail qui enfreignent la loi sur le travail au noir.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Madame von Arx-Vernon, il vous reste vingt secondes !

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Oui, ça ira très bien, Madame la présidente ! Il s'agit de jeunes qui sont déjà ici et qui ont trouvé un patron d'accord de les engager. En effet, dans certains secteurs, il manque des apprentis alors que, dans d'autres, il est vrai que ce sont les apprentis qui cherchent des patrons.

Cette proposition de motion se situe donc en plein dans la réalité de notre société, qui doit continuer à évoluer afin que Genève demeure prospère.

La présidente. Vous avez dépassé votre temps d'une seconde, mais je ne vous en veux pas !

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais vous dire en préambule que les simplifications sont terriblement dangereuses et que, parfois, les bons sentiments qui nous animent les uns et les autres, s'ils sont exprimés sans autre précaution pragmatique et notamment politique, nous amènent à réveiller aussi la bête qui dort. Ce n'est pas une attaque contre qui que ce soit, mais une réalité d'idéologie que nous connaissons bien.

La question que nous abordons ici touche non seulement l'immigration, mais également l'immigration illégale, des sans-papiers, qui nous mène très souvent, il faut en convenir, à un cul-de-sac, puisqu'il nous faut à la fois honorer un certain nombre de principes humanitaires et appliquer des lois. Nous devons ainsi régulièrement trancher entre une obligation morale et une obligation juridique.

Mesdames et Messieurs les motionnaires, vous rappelez à travers votre texte cette difficulté, et je dois vous dire que, en ce qui concerne le marché du travail - j'aimerais vous répondre autre chose que ce que je m'apprête à vous indiquer, mais malheureusement je ne le peux pas: il n'y a aucune possibilité, en l'état actuel du droit fédéral, de faire accepter un apprentissage dual pour des personnes sans papiers. Et je pense qu'il n'est pas correct de laisser entendre que nous avons la possibilité d'offrir de tels débouchés. L'apprentissage dual est un contrat de travail qui exige la mention du type d'autorisation.

Mesdames et Messieurs les députés, vous le savez - nous le savons tous - mais nous sommes obligés ce soir de le rappeler et de mentionner également certains éléments que, personnellement, comme vous tous, je me serais bien privé d'entendre.

J'aurais souhaité vous répondre différemment, Mesdames et Messieurs les députés du groupe démocrate-chrétien ! Vous connaissez bien l'état actuel de la situation: pendant vingt ans, le département de l'économie a été géré par un magistrat du PDC, et ce même département, au niveau fédéral, est dirigé par une démocrate-chrétienne, conseillère fédérale. Ce sont des gens de talent, généreux, compétents, mais qui sont aussi responsables de l'application de dispositifs légaux, que le département de l'instruction publique ou le Conseil d'Etat ne sauraient reprendre maintenant en termes d'engagement moral contre les obligations légales.

J'aimerais vous dire pourtant que - et j'insiste sur ce point - l'intégration de ces jeunes sans-papiers nous tient à coeur, et la deuxième invite m'amène à être beaucoup plus nuancé et à aller davantage dans votre sens. Cette invite, en effet, nous engage à concevoir des formations à plein temps, qui existent déjà aujourd'hui au cas par cas, je tiens à le dire, et nous oblige à étendre quelque peu le dispositif et à accroître notre capacité. Mais j'aimerais aussi qu'on la mette en perspective du point de vue des êtres humains et de leur trajectoire de vie. Il n'est pas raisonnable de laisser penser qu'on peut s'intégrer durablement à Genève sans papiers ! Lors de la dernière législature, le Conseil d'Etat, sous la présidence de Martine Brunschwig Graf, a entrepris - vous le savez, puisque vous l'avez rappelé - une démarche à Berne pour régulariser plus de 5000 sans-papiers: nous n'avons reçu aucune réponse véritable qui nous permette d'entrer en matière ! Et je ne suis pas d'accord de dire à des jeunes que nous leur offrons la possibilité de se former, sans leur indiquer vers quoi ils peuvent ensuite se diriger.

Alors si nous voulons avoir du coeur, ayons aussi le sens des responsabilités et le courage de dire à ces jeunes qui sont sans papiers que, si nous sommes disposés à leur offrir des formations de trois ans à plein temps menant au CFC, ou de quatre ans, ou encore une formation initiale en deux ans, nous préparons un projet pour la suite, et pas seulement une espèce de chèque en blanc qui se traduit en drames d'existence. Il ne doit pas y avoir de cul-de-sac dans la vie des gens, il faut de véritables perspectives, et je ne suis pas d'accord de leurrer la jeunesse de ce canton, même si elle n'a pas de papiers ! Personne ne le veut, vous ne le désirez pas non plus, et nous devons en tous les cas être particulièrement attentifs à ce point.

Enfin, je terminerai sur un élément qui m'a profondément choqué - d'abord parce que c'est un mensonge, Monsieur Stauffer: il n'existe aucun fichier de clandestins. Tel est peut-être votre rêve, mais ce n'est heureusement pas le cas. Et je me plais à dire que ma prédécesseure, comme celui qui l'a précédée et moi-même, avons toujours interdit la tenue de tout fichier qui ne relève d'aucune obligation légale et qui, au contraire, viole les dispositions essentielles qui font la dignité de la Suisse et de Genève, à savoir le respect de la Convention des droits de l'enfant. (Applaudissements.)

La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons donc voter sur le renvoi de ce texte à la commission de l'économie - n'est-ce pas, Madame von Arx-Vernon ?

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1815 à la commission de l'économie est adopté par 63 oui contre 9 non.