République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1743
Proposition de motion de MM. Eric Stauffer, Roger Golay, Sébastien Brunny, Henry Rappaz, Thierry Cerutti : Inégalité entre les Genevois et les Frontaliers en matière d'assurance-maladie obligatoire; 50% de rabais pour les Frontaliers, financé par les Genevois!

Débat

La présidente. Je vous rappelle que cet objet est inscrit en catégorie II, qui prévoit trois minutes de prise de parole par groupe. La motion est du Mouvement Citoyen Genevois; je passe la parole à M. Eric Stauffer.

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, vous avez lu cette motion: il y a eu une petite évolution depuis le 19 février 2007, date de son dépôt. C'est dire qu'il a fallu un an à cette motion pour arriver aujourd'hui en séance plénière. Ce sera certainement confirmé par M. le conseiller d'Etat, Pierre-François Unger, mais le Groupement des frontaliers avait fait recours devant les instances autorisées au sujet des tarifs appliqués. Pour que vous compreniez bien, il faut savoir que vous avez trois types de tarifs applicables en ce qui concerne les Hôpitaux universitaires de Genève. Vous avez les tarifs «Résidents»: les résidents genevois ont un tarif établi par rapport aux assurances-maladies; vous avez les tarifs «Confédérés», s'appliquant aux résidents d'autres cantons suisses; enfin, vous avez les tarifs «Etrangers», pour tous ceux qui habitent en dehors de la Suisse.

Le Groupement des frontaliers avait en son temps fait recours. Les frontaliers bénéficiaient déjà du tarif «Confédérés», ce qui constituait déjà une exception puisqu'ils résident à l'étranger - jusqu'à preuve du contraire, les départements de l'Ain et de la Haute-Savoie ne font pas partie des cantons suisses ! (Brouhaha.) Eh bien, ils voulaient, en plus, obtenir le tarif appliqué aux résidents genevois ! Alors voilà, tout ça pour vous dire que le Groupement des frontaliers a fait beaucoup de dégâts par rapport aux assurances, parce qu'ils ne sont pas astreints... (Commentaires. La présidente agite la cloche.) Madame la présidente, vous voudrez bien m'arrêter à trois minutes, ce serait gentil. Je vous remercie.

La présidente. Je ne vais pas m'en priver, pour une fois que vous me le demandez vous-même ! (Commentaires.)

M. Eric Stauffer. Comme quoi tout arrive, vous voyez ! C'est simplement pour que mes collègues puissent aussi s'exprimer et qu'on ne se fasse pas prendre par le temps ! Bref, tout ça pour vous dire que le Groupement des frontaliers a réussi l'exploit d'obtenir que les résidents français travaillant à Genève ne soient pas soumis à la sécurité sociale française, qui devrait ponctionner 12% sur leurs salaires au titre de primes. Ils ont réussi l'exploit d'obtenir de ne pas avoir à participer à la solidarité nationale en n'étant pas astreints de cotiser à la LAMal. Ils ont donc pu aller s'assurer auprès d'assureurs privés, qui font évidemment une sélection par rapport à la qualité des assurés et peuvent de ce fait proposer des primes d'assurances-maladie privées, avec assurance de base et en privé, à des prix défiant toute concurrence ! Ces prix font évidemment pâlir d'envie les Genevois.

J'en veux aussi pour preuve qu'avec M. le conseiller d'Etat nous nous sommes battus contre les réserves indécentes qu'ont réalisées les assurances-maladie sur le dos des assurés genevois, ce qui ne touche évidemment pas les frontaliers, puisqu'eux parviennent à payer quasiment 50% de moins de prime !

La présidente. Monsieur le député...

M. Eric Stauffer. Trois minutes ! Voilà, j'ai terminé pour l'instant !

M. Patrick Saudan (R). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe radical va refuser de soutenir cette motion pour une raison très simple.

Un juste rappel s'impose: il y a 60 000 frontaliers à Genève, ceux-ci paient l'impôt à la source et une très petite partie de cet impôt est restituée aux départements français limitrophes. Vu leurs classes d'âges, ces frontaliers contribuent grandement à financer notre système de santé et en bénéficient peu. Simplement pour cette raison, nous n'entrerons pas en matière sur cette motion.

M. Pierre Weiss (L). Il y a toujours dans ce type de projets rédigés par ce groupe une raison apparente et une raison sous-jacente. La raison apparente, dans cette motion, c'est de s'occuper des coûts de la santé; la raison sous-jacente, pour le dire crûment, c'est qu'il s'agit de taper sur un groupe de personnes qui vit avec nous, avec qui nous vivons, qui fait notre prospérité et dont nous faisons la prospérité ! J'y trouve donc de l'indécence ! Et puis, il y a deux points que j'aimerais commenter, dans l'exposé des motifs. Le premier, c'est - et le conseiller d'Etat le relèvera évidemment aussi avec plus de précision - ce qui est dit de l'explosion des dépenses de l'assurance-maladie concernant Genève. Sur ce point, on se rend compte que la motion a vieilli.

Le deuxième point, c'est qu'il est prétendu que les frontaliers sont les responsables de l'explosion des coûts de la santé ou, même s'il n'y a pas explosion, de l'essentiel des dépenses de la santé. C'est le deuxième paragraphe de la page 5. C'est une telle exagération que je crois que cela suffit à fonder la raison pour laquelle le groupe libéral proposera de refuser, comme le groupe radical et comme d'autres groupes, j'imagine, cette proposition de motion. Je vous remercie, Madame la présidente. Cela suffit !

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, pour les Verts, la position est très simple. Nous vivons dans la région genevoise, il y a une frontière au milieu mais nos destins sont communs. Ce texte suinte la haine pour des gens qui vivent avec nous et qui partagent notre destin, un destin commun. Nous ne pourrons accepter cette proposition de motion et nous vous invitons simplement à rejeter fermement ce genre de torchon. Merci ! (Applaudissements.)

M. Michel Forni (PDC). Nous avions cru que les discussions sur l'assurance et ses différents problèmes à Genève, allant des cotisants à la spirale des prix due à l'inflation des services, se termineraient. Un nouveau chapitre a débuté ce soir, alors que nous pensions qu'une stratégie anticrise provoquerait une accalmie et permettrait de naviguer sur la mer des assurances, toujours très agitée. Malheureusement, dans ce scénario, il s'agit d'une déferlante, qui part de l'hospitalisation, rebondit sur les tarifs pour aboutir à crier à l'injustice, à la discrimination ! Finalement, c'est du clientélisme et cette pincée de patriotisme économique est mal placée !

Le groupe PDC vous incite et vous invite également, très sincèrement, à rejeter cette motion.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Roger Golay, à qui il reste trois minutes de parole.

M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je serai très bref. Il faut savoir que le but des associations de frontaliers n'est pas uniquement d'essayer de jouer une carte spécifique ou de refuser de jouer la carte de la solidarité. Ce qu'ils souhaitent, c'est obtenir une réduction, ou plutôt pouvoir bénéficier du tarif des résidents genevois au niveau des HUG, uniquement pour, ensuite, aller discuter des primes privées avec leurs assurances, afin d'obtenir des diminutions de ces primes, puisqu'ils bénéficieraient alors d'un tarif réduit au niveau de l'hospitalisation.

Cette réduction serait à la charge de la collectivité genevoise et lui coûterait 17 millions de francs. Si nous voulons réduire leurs frais, cela nous coûtera 17 millions, montant à inscrire dans le budget ! A nous de prendre conscience de cet état de fait ! C'est pour cette raison que nous avons déposé cette motion.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Monsieur Rappaz, vous avez la parole: il vous reste une minute cinquante.

M. Henry Rappaz (MCG). Je n'arriverai pas à terminer, merci Madame la présidente ! Il est vrai qu'il ne faut pas toujours croire que la charité bien organisée commence par soi-même. Toutefois, concernant la motion 1743 déposée par le MCG, il y a une limite à la générosité excessive des partis qui pratiquent le tout aux autres et bien peu pour les nôtres. Non, il n'est pas tolérable de voir la disparité de traitement à laquelle les travailleurs de notre canton sont soumis, face à leur confrères français travaillant chez nous et qui bénéficient d'avantages disproportionnés en matière d'assurance-maladie obligatoire.

On s'aperçoit ainsi qu'ils sont au bénéfice de rabais sur leurs primes d'assurance-maladie qui frisent les 50%, obtenus grâce aux multiples procédures entreprises. En France, ils prétextent ne pas devoir être astreints à cotiser à la lourde sécurité sociale du fait que l'on prélève 12% de leurs revenus en Suisse. Côté suisse, les frontaliers prétextent ne rien avoir à devoir aux assurances suisses au motif qu'ils habitent en France ! Résultat: ils ne contribuent en rien à l'entraide nationale suisse et au financement de la LAMal puisque la majorité des frontaliers prennent des assurances en Hollande ou ailleurs, chez des assureurs privés, dont les primes ne tiennent justement pas compte de la solidarité française ou suisse. Il faut savoir qu'en France voisine les frais dentaires sont remboursés dans l'intégralité et les frais hospitaliers aux HUG le sont à 80%, avec une quote-part - minime - de 5%. Pendant ce temps, notre bon Genevois, dont je suis, se voit flanqué d'une lourde franchise, souvent supérieure à 500 F, voire supérieure à 1000 F, sans oublier les 10% de quote-part sur les frais médicaux qui s'ajoutent encore à la note ! Non, trop c'est trop !

Le MCG s'opposera avec l'énergie qu'on lui connaît à toute discrimination qui frappe injustement les citoyens de notre canton ! Le MCG vous remercie de bien vouloir soutenir la présente motion.

M. Gilbert Catelain (UDC). Je suis un peu étonné de la tournure que prend un débat qui concerne l'ensemble de la population, puisqu'il est vrai qu'il y a des inégalités importantes au niveau de l'assurance-maladie. Ces inégalités s'expliquent toutefois puisque nous avons là deux systèmes d'assurances totalement différents. Et c'est sur ce point qu'à mon avis la motion du MCG est mal argumentée, bien que sur le fond j'en partage les soucis.

Je préciserai tout de suite à l'intention du MCG et de M. Stauffer que je suis assuré auprès de la LAMal, que ma femme est assurée auprès de la LAMal, de même que mes trois enfants. De ce fait, je participe comme tout le monde à l'effort de solidarité !

Pour n'importe quel ressortissant frontalier qui souhaite s'assurer dans un système privé, il faut savoir qu'un tel système n'est pas forcément aussi bon marché qu'on veut bien le dire. Les primes les plus avantageuses se trouvent effectivement auprès de compagnies hollandaises ou de compagnies spécifiquement destinées aux expatriés, mais cela s'explique de la manière suivante. Vous pouvez être assuré auprès d'une compagnie d'assurances privée quelle qu'elle soit pour autant que vous travaillez en Suisse, mais cela signifie que vous n'êtes assuré que jusqu'à l'âge de la retraite pour votre activité et que vous ne bénéficiez plus du tout de cette solidarité - ou de ce manque de solidarité - à partir du moment où vous arrêtez de travailler ! Cela signifie qu'une fois que le travailleur frontalier de l'entreprise Tartempion quitte son activité, il retombe dans le système de la sécurité sociale. Par conséquent, il y a une prise de risque à contracter ce type d'assurance. Il vaut mieux s'assurer dans un système comme celui de la LAMal pour éliminer ces risques.

Cela étant dit, les primes des travailleurs frontaliers ont fortement augmenté ces dernières années pour deux motifs: d'une part, elles sont beaucoup moins attractives qu'il y a quelques années en arrière, même si elles restent malgré tout encore avantageuses; d'autre part, la montée en valeur de l'Euro et l'inflation ont grignoté, année après année, l'avantage concurrentiel de ces primes.

Il n'empêche que les arguments et les invites formulés par le MCG méritent, de mon point de vue, d'être étudiés. Ce soir, ce que nous avons fait, c'est que nous avons tout simplement refusé le débat ! On a refusé un débat sur le fond qui aurait sa raison d'être ! Pour une famille de quatre ou cinq personnes, il y a vraiment un différentiel de revenu disponible extrêmement important. Ce différentiel de revenu disponible, s'il est fondé sur une négociation tarifaire avec, entre autres, l'Hôpital cantonal, est indécent et mérite d'être examiné sur le plan du droit. Alors, soit la pratique du syndicat des frontaliers est correcte...

La présidente. Il vous faut conclure !

M. Gilbert Catelain. ...et les débat en commission permettront d'établir que cette pratique est tout à fait légale et conforme, et qu'il n'y a pas d'injustice - nous serons alors fixés - soit ce n'est pas le cas, et nous corrigerons le tir !

Mais ne donnons pas l'opportunité au MCG de dire qu'il s'est battu seul et qu'on a voulu s'enfouir la tête dans le sable: ouvrons le débat en commission et nous en reparlerons plus tard si nécessaire !

Pour ces motifs, le groupe UDC soutiendra le renvoi de cette motion en commission.

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, afin d'éviter un détour en commission et afin de pouvoir régler le sort de cette motion ce soir - par son rejet, j'espère - je vais répondre aux trois invites telles qu'elles sont formulées, Monsieur le député.

La première invite demande d'«interrompre toute discussion»: c'est fait ! Le Groupement des frontaliers avait fait recours auprès du Conseil fédéral qui a tranché et donné raison aux cantons sur le maintien de tarifs plus élevés pour les frontaliers. Nous avions donc d'abord interrompu les discussions pendant le processus judiciaire, puis appliqué la décision judiciaire.

Quant à la deuxième invite, «refuser toute entrée en matière dans ce domaine avec l'Etat français», c'est également fait ! Pour des motifs extrêmement simples: la Constitution fédérale ne confère aucune compétence de négociation internationale aux cantons. Je dis bien: «aucune compétence en matière internationale» ! C'est la raison pour laquelle, si par impossible quelqu'un était tenté de reprendre ces négociations, ce ne serait évidemment pas le Conseil d'Etat ! Cela pourrait se faire lors d'un nouveau round de discussions bilatérales entre deux entités: la Confédération d'une part et l'Union européenne de l'autre.

La troisième invite demande: «subsidiairement, à saisir le Conseil fédéral afin qu'il étudie la base légale [...]». Eh bien, vous ne m'en voudrez pas de vous le rappeler, le Conseil fédéral l'a étudiée, cette base légale ! Elle est comprise intégralement dans l'annexe 2B des accords bilatéraux signés par l'Union européenne et la Suisse et validés par le peuple.

En conséquence de quoi, cette motion, sans nécessiter un détour en commission, a obtenu une réponse, et ce pour ses trois invites !

On pourrait conclure ici, mais j'aimerais profiter de l'occasion qui m'est donnée pour dire d'abord que l'exposé des motifs de cette motion contient un certain nombre de petites erreurs, qui n'ont toutefois pas grande importance: au fond, qu'il s'agisse de 13 ou de 17 millions de francs, il y aurait bien un surcoût, de tel ou tel montant, dans tel ou tel cadre, mais je ne veux pas en discuter à l'infini, ce n'est pas là où je voulais en venir ! Toutefois, à la lecture de l'exposé des motifs, j'ai été choqué par les exemples d'acteurs fictifs proposés, à cause de leurs situations et de leurs noms. L'un est étranger et riche: il est reçu de manière bienveillante ! L'autre est autochtone et pauvre: il est reçu de manière malveillante ! Ce type de discours et d'images, Mesdames et Messieurs, ont fait la fortune des politiques les plus atroces que l'on ait vues dans le courant des années 1930. Il suffirait de donner à M. Robert Bonnechance le nom d'un Bernstein, par exemple, et de donner à M. Alain Thérieur le nom de Schmidt pour que l'on comprenne comment le peuple allemand a dévié peu à peu, sur la base d'exemples comme ça, en parlant de choses comme ça, vers la plus atroce des guerres et des... (L'orateur est interpellé.) Ça n'est pas gratuit, Monsieur ! Lisez les textes de l'époque, relisez les vôtres: ce sont des copies conformes !

Très honnêtement, vous pouviez poser les mêmes questions, sans suivre insidieusement le chemin que vous avez toujours refusé de suivre, et qu'à l'avenir j'espère vous refuserez de suivre, peut-être même ce soir en retirant votre motion ! Ce chemin est celui du fascisme rampant ou de la sottise galopante ! (Applaudissements.)

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1743 à la commission de la santé est rejeté par 57 non contre 6 oui.

Mise aux voix, la proposition de motion 1743 est rejetée par 58 non contre 7 oui.