République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 20 septembre 2007 à 20h30
56e législature - 2e année - 11e session - 55e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 20h30, sous la présidence de Mme Anne Mahrer, présidente.
Assistent à la séance: MM. Charles Beer, président du Conseil d'Etat, Pierre-François Unger, François Longchamp et Mark Muller, conseillers d'Etat.
Exhortation
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
La présidente. Ont fait excuser leur absence à cette séance: MM. Laurent Moutinot, Robert Cramer et David Hiler, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Caroline Bartl Winterhalter, Elisabeth Chatelain, Gabrielle Falquet, Roger Golay, Antonio Hodgers, Pierre Losio, Ariane Reverdin, André Reymond et Louis Serex, députés.
La présidente. M. Didier Bonny est assermenté. (Applaudissements.)
La présidente. M. Eric Fuld, Mme Nelly Hartlieb et M. Lucien Bachelard sont assermentés. (Applaudissements.)
La présidente. Est tiré au sort: M. Luc Barthassat (PDC). (Exclamations.)
Annonces et dépôts
Néant.
Débat
La présidente. La discussion doit porter sur l'initiative dans sa nouvelle teneur, suite à l'arrêt du Tribunal fédéral du 22 mai. Je vous rappelle qu'il s'agit de se déterminer sur le renvoi de cette initiative soit à la commission des finances, soit à la commission du logement.
M. Gabriel Barrillier (R). Mesdames et Messieurs les députés, nous devons décider ce soir à quelle commission nous voulons renvoyer cette initiative, revue suite à l'arrêt du Tribunal fédéral. Ce sera soit la commission des finances, soit la commission du logement.
En fait, ce dont il s'agit, c'est de savoir si nous voulons, à Genève, affecter le rendement, le résultat de la Banque Nationale et la part genevoise de ce rendement à telle ou telle activité ou si nous voulons verser cet argent au budget général de l'Etat, dans les ressources générales, laissant au Grand Conseil le libre choix et l'arbitrage de l'utilisation de ces fonds au travers du budget.
Je vous rappelle que, s'agissant de l'utilisation de la vente d'or, le Grand Conseil avait décidé à l'époque d'affecter la part genevoise à la réduction de la dette, et il est normal qu'il incombe au Grand Conseil d'arbitrer et de décider de l'utilisation de ces ressources.
Alors, il apparaît tout à fait normal au groupe radical que, si la Banque nationale fait des bénéfices, il incombe au Grand Conseil de se déterminer sur l'affectation et l'utilisation de la part de ces derniers revenant à Genève. Très logiquement, il nous semble que l'examen de cette problématique de transfert de ressources incombe à la commission des finances qui est compétente en matière de budget. C'est la raison pour laquelle nous optons pour le renvoi à la commission des finances.
M. Alberto Velasco (S). En réalité, cette initiative demande qu'une part du revenu de la vente d'or de la BNS soit affectée à la construction de logements, de même qu'une partie des revenus provenant des bénéfices annuels de la banque. L'initiative propose justement toute une série de mesures dans son article 160F, alinéa 2. La commission des finances pourrait se déterminer sur cette opportunité, mais j'ai l'impression que ce n'est pas là-dessus qu'il faut se décider, puisqu'en fait l'initiative ne porte pas sur toute la somme disponible, mais seulement une partie de ce revenu. Ce sont le tiers de la somme provenant de la vente d'or et les 50% des revenus annuels futurs qui seront affectés à la construction de logements.
Vous savez tous que nous vivons dans ce canton une situation difficile en matière de logement, une situation très difficile même ! Le Conseil d'Etat a précisément déposé un projet de loi à ce sujet, prévoyant des accords pour la construction d'un certain nombre de logements, mais le nombre de logements prévus ne suffit pas aujourd'hui pour répondre aux besoins de cette république.
Ce qui est intéressant dans cette initiative, c'est la volonté d'aller de l'avant et il me semble qu'il serait bon que la commission du logement se penche, par exemple, sur l'alinéa 2. Elle pourrait analyser les mesures préconisées pour aller dans le sens de la construction de logements pérennes, directement affectés aux classes les plus défavorisées.
La présidente. Excusez-moi, Monsieur le député, exprimez-vous sur le renvoi en commission !
M. Alberto Velasco. J'y viens, mais il fallait bien que j'expose les raisons de mon choix, sinon mes collègues ne comprendront pas ma proposition.
Par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, il nous semble qu'il serait beaucoup plus logique que cette initiative soit renvoyée à la commission du logement.
M. Pierre Weiss (L). Mesdames et Messieurs les députés, il arrive que l'ordre du jour de notre Grand Conseil coïncide avec l'actualité mieux encore qu'on ne saurait l'espérer ! Hier, un arrêt du Tribunal fédéral a annulé cette initiative radicale qui visait à offrir 15 000 logements supplémentaires à la population genevoise. Qui est à l'origine de ce recours auprès du Tribunal fédéral, sinon les mêmes milieux qui aujourd'hui entendent devant nous présenter une initiative visant à vouloir plus de logements ?! (Commentaires.) C'est une affaire de pompiers pyromanes !
La présidente. Quelle commission ?
M. Pierre Weiss. Mesdames et Messieurs les députés, ne nous laissons pas abuser ! Raison pour laquelle je vais parler du renvoi en commission. (Brouhaha.) Raison pour laquelle il convient, face à cette initiative, de quand même resituer le contexte ! Le contexte, lorsque nous étions sur le plan fédéral, consistait déjà pour certains groupes à vouloir arrêter les dépenses...
La présidente. Sur le renvoi en commission, Monsieur le député, s'il vous plaît !
M. Pierre Weiss. Tout de suite, Madame la présidente, j'y viens, exactement selon votre désir ! Il s'agit aujourd'hui, dans le but de cette initiative, d'affecter une dépense à la construction de logements contre tous les principes de gestion saine de nos finances publiques. Par conséquent, du point de vue du renvoi en commission, c'est bien à la commission des finances qu'il convient de renvoyer cette initiative pour qu'un rapport soit établi qui conclue à sa nocivité, qui conclue aussi que si, par hypothèse, le peuple venait à l'accepter...
La présidente. Nous avons compris, Monsieur le député !
M. Pierre Weiss ... elle n'aurait aucun effet supplémentaire en matière de construction de logements. Au fond, c'est un coup de pied dans l'eau que veut cette initiative... (Commentaires.)
Une voix. Comme Jésus ! (Brouhaha.)
M. Pierre Weiss. Et la commission des finances saura y répondre, j'en suis persuadé ! (Commentaires.)
La présidente. Mais bien sûr, Monsieur le député ! Je donne la parole à Mme Michèle Künzler.
Mme Michèle Künzler (Ve). Quand M. Weiss se sera calmé... Je pense qu'il faut faire preuve d'un peu de bon sens. Cette initiative parle de financement, mais de financement de logements ! Le point principal de cette initiative, c'est la construction et l'acquisition de terrains pour faire du logement. Si nous voulons aller, soit vers une acceptation, ce dont je doute, soit vers un contre-projet, c'est bien à la commission du logement qu'il faut envoyer ce projet ! Vous savez très bien que cette initiative a toutes les chances d'être acceptée par la population. Donc, si vous faites preuve d'un peu de bon sens, vous améliorez la loi actuelle.
Nous avons conclu un accord sur le logement d'utilité publique. Cette initiative pourrait simplement être un avenant à cet accord, en prolongeant le délai, puisque la loi qui a été votée prévoit un financement de 30 millions de francs par année pendant dix ans. Peut-être que cette initiative permettra d'aller plus loin; dix, quinze ou vingt ans de plus. Mais cette dernière doit quelque peu être modifiée. Ce n'est en tout cas pas par un traitement à la commission des finances que vous y arriverez !
En fait, votre volonté, c'est de la faire échouer et je pense que ce n'est pas un bon plan... La population n'est pas dupe ! Si votre initiative a été invalidée par le Tribunal fédéral, je vous l'avais dit ici en plénière, c'est qu'elle était totalement irréalisable et, par conséquent, inacceptable !
Maintenant, pour la présente initiative, il faut simplement l'envoyer en commission du logement qui a du temps pour travailler, contrairement à la commission des finances qui est submergée ! Aucun objet n'est en cours de traitement en commission du logement et c'est donc l'endroit où il faut traiter cette initiative, parce que la part prépondérante de ce texte porte sur la question du logement. Dans le texte, il n'est question que très peu de finances mais beaucoup plus de logement. Il est donc clair qu'il faut renvoyer cette initiative en commission du logement.
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, en vous écoutant, la gauche comme la droite, je comprends pourquoi il y a de plus en plus d'abstentionnistes ! Chaque fois que la droite propose un projet pour faire du logement, à gauche, vous vous y opposez ! La preuve, c'est l'actualité et l'arrêt du Tribunal fédéral. (Protestations.) J'arrive tout de suite au renvoi en commission, Madame la présidente ! (Brouhaha.) Vous, la droite, quand la gauche présente un projet, ça ne vous convient pas parce qu'il s'agit de logements sociaux !
La présidente. Sur le renvoi en commission, Monsieur le député !
M. Eric Stauffer. Il y a de, votre côté, les patrons et les nantis ! Et de l'autre côté, il y a eux, qui agitent le spectre de l'Asloca ! Finalement, tout ce beau monde se complaît dans ce système.
Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, c'est pour cela que le MCG est né ! Parce qu'il est hors des clivages politiques ! (Protestations.) Et nous parvenons à être au-dessus de ces guerres gauche-droite dont la population est fatiguée !
La présidente. Sur le renvoi en commission !
M. Eric Stauffer. Madame la présidente, nous allons soutenir le renvoi de cette initiative à la commission du logement et je demanderai simplement aux députés - qui ont tous été élus par le peuple - de respecter la population. Nous avons besoin de logements ! Que cela vienne de la gauche ou de la droite, le peuple a besoin de logements !
M. Christian Luscher (L). Je me tiendrai à ce que vous avez demandé, Madame la présidente, à savoir le renvoi en commission. Mesdames et Messieurs le députés, vous êtes confrontés ce soir à deux propositions: d'une part, un renvoi à la commission du logement; d'autre part, un renvoi à la commission des finances.
Il me semble, Madame la présidente, chers collègues, que cette initiative pose une question de principe sur l'affectation d'une recette. A mon avis, c'est la commission des finances qui est seule apte à répondre à cette question de savoir comment une recette qui nous vient de la Confédération doit être affectée. Selon nous, libéraux, elle doit de toute évidence être affectée au compte général de l'Etat. Sinon, nous prenons le risque de nous livrer à des dérives extrêmement inquiétantes.
Pourquoi une telle recette devrait-elle être affectée au logement alors que, sans même cette recette, on voit que le Conseil d'Etat parvient à conclure des accords avec les milieux immobiliers et ceux qui représentent les locataires ? Pourquoi ne pas affecter cette recette à la police ou aux crèches, ou encore à l'assistance sociale ?
La présidente. Monsieur le député, nous sommes hors débat !
M. Christian Luscher. Je vous remercie, Madame la présidente. C'est la raison pour laquelle nous sommes d'avis, nous les libéraux, qu'il faut renvoyer cette initiative à la commission des finances, pour qu'il soit décidé d'affecter cette recette au compte général de l'Etat, en particulier à la réduction de la dette de l'Etat de Genève et que nous ne pouvons pas laisser en l'état...
La présidente. Voilà ! Je vais passer au vote. J'ai été saisie de deux propositions. La première portait sur un renvoi à la commission des finances.
Mis aux voix, le renvoi de l'initiative 133-I, telle que validée par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 22 mai 2007, à la commission des finances pour l'examen de sa prise en considération est adopté par 42 oui contre 27 non.
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je vous rappelle qu'en application de la nouvelle disposition de l'article 119 de notre loi portant règlement du Grand Conseil le texte de cette initiative est renvoyé à la commission législative, dans l'attente du rapport du Conseil d'Etat sur sa validité et sa prise en considération, qui devra être déposé dans un délai de trois mois.
L'initiative 139 est renvoyée à la commission législative.
La présidente. Nous passons maintenant au point 139 de l'ordre du jour.
Débat
La présidente. Je vous informe que la Télévision suisse romande fera quelques prises de vues dans la salle lors de notre débat sur l'initiative 129.
Madame la secrétaire, veuillez d'abord lire le courrier 2503 dont la lecture a été votée tout à l'heure.
M. Edouard Cuendet (L), rapporteur de majorité. Comme toujours dans ce débat, il faut commencer par l'inévitable préambule: je ne suis pas fumeur, je ne suis pas à la solde de l'industrie du tabac... (Remarques.) et je demande à la présidente de faire respecter le silence pendant que je m'exprime ! M. Charbonnier a déjà commencé à m'interrompre ! (Protestations.)
Je ne suis donc pas à la solde de l'industrie du tabac et je suis, comme le groupe libéral, profondément convaincu de la nocivité du tabagisme passif et de la nécessité de combattre ce problème de santé publique. Là où les avis divergent, c'est sur la manière de lutter contre ce phénomène. C'est pour ça que je suis, avec le groupe libéral, totalement opposé à l'initiative 129, mais farouchement favorable à la présentation d'un contreprojet.
A propos de l'initiative, je me permettrai, en guise de préambule, de citer expressément les propos de notre excellent collègue Guy Mettan, chef du groupe PDC, qui a très bien résumé la situation. Je cite: «Le texte qui nous est proposé est l'un de ces textes qui mettent mal à l'aise. Ils sont si extrémistes qu'ils en deviennent inacceptables parce qu'ils constituent une atteinte aux libertés et aux droits, alors même que la cause qu'ils défendent est bonne.» Pour rappel, et il ne faut jamais perdre cela de vue, l'initiative 129 prévoit d'introduire dans la constitution cantonale, le texte fondateur de notre République, une interdiction de fumer dans tous les lieux publics, intérieurs ou fermés, sans aucune exception.
Le fait que le Tribunal fédéral ait décrété dans son arrêt que la loi d'application concrétisant le texte devra prévoir des exceptions en cas d'acceptation de l'initiative ne change rien au caractère extrémiste de l'initiative elle-même ! Malheureusement, je crains que de nombreux citoyens qui sont tout comme moi opposés à la fumée passive n'aient signé l'initiative sans se rendre compte des intentions extrémistes de ses auteurs et des gens qui leurs sont proches !
Je déplore également que cette forme de fanatisme rampant se soit introduite jusque dans les débats de la commission de la santé ! (Exclamations.) Sous prétexte de leur croisade anti-fumée, plusieurs intervenants ont pris des positions difficilement compatibles avec les principes fondamentaux de notre démocratie auxquels le groupe libéral est très attaché.
J'ai eu froid dans le dos à l'écoute d'un initiant, membre du comité, qui a fait à plusieurs reprises l'éloge du système carcéral américain, dans lequel la fumée est totalement interdite... Faut-il vraiment se réjouir du fait que l'on ne puisse fumer ni dans les couloirs de la mort américains ni à Guantanamo ? (Exclamations.) Je vous pose la question !
J'ai eu également froid dans le dos lorsqu'un autre membre du comité d'initiative a plaidé pour l'interdiction totale de fumer dans les EMS et dans les hôpitaux, même pour les personnes en fin de vie aux soins palliatifs ! Je trouve cela absolument inhumain, de vouloir faire subir un sevrage presque obligatoire à des personnes en fin de vie !
Je me suis aussi beaucoup inquiété de l'attitude de certains de mes collègues députés qui ont affirmé à plusieurs reprises que le recours déposé contre l'initiative devant le Tribunal fédéral avait pour seul but de retarder les débats. En fait, ils qualifiaient ce recours de manoeuvre dilatoire. Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a certes rejeté le recours, mais il a largement motivé sa décision, ce qui n'est pas toujours le cas: il a présenté un développement très étendu et très complet, sans accuser à aucun moment les recourants d'avoir abusé du système judiciaire. Il ne les a d'ailleurs pas condamnés à une indemnité de procédure. On ne peut pas en dire autant des squatters de Rhino, si chers à certains... (Exclamations.) ...à qui le Tribunal des baux et loyers vient d'infliger une amende pour plaideurs téméraires ! (Commentaires. Brouhaha.)
La présidente. Monsieur le rapporteur, vous souhaitez le silence et le calme ? Tout dépend de vos propos !
M. Edouard Cuendet. J'expose les vertus judiciaires ! J'ai aussi été très choqué par le mépris agressif dont certains ont fait preuve lors de l'audition des représentants des cafetiers-restaurateurs et des hôteliers. Ces derniers, loin d'être fondamentalement opposés à la lutte contre la fumée passive, plaident simplement pour l'adoption d'une solution nationale et ils sont contre une mosaïque ingérable de législations cantonales divergentes. Cette agressivité et ce mépris sont totalement inadmissibles face aux préoccupations légitimes d'une profession respectable, essentielle pour un canton touristique comme Genève, et pratiquée par des entrepreneurs courageux qui, contrairement à beaucoup de leurs détracteurs, ne bénéficient pas des largesses de l'Etat et de ses entités parapubliques !
Une voix. Bravo !
M. Edouard Cuendet. J'ai été frappé aussi par la mauvaise foi de certaines personnes qui n'ont cessé de citer pendant les débats les pays et cantons qui avaient pris des mesures prétendument identiques à celles qui sont proposées dans l'initiative 129. Dans l'inventaire, ces personnes se sont bien gardées de mentionner que la plupart de ces lois comprennent de nombreuses exceptions, contrairement au texte de l'initiative 129 qui, lui, est absolutiste ! Par exemple, en 2006, le Tessin a accepté une interdiction de fumer dans les cafés, les restaurants, les discothèques et les bars, mais cela ne concerne pas les autres lieux publics et, surtout, de nombreuses exceptions sont prévues.
Enfin, il est navrant que, dans leur obstination, beaucoup aient balayé d'un revers de la main, sans se préoccuper du fond, le projet de loi fédérale sur la fumée passive, dont les travaux, contrairement à ce que dit le conseiller d'Etat dans son courrier, avancent à grande vitesse aux Chambres fédérales et qui sont soutenus par le Conseil fédéral, par les partis bourgeois et par les associations économiques. Je m'étonne d'ailleurs que, dans cette salle, plusieurs partis qui se disent proches des PME se montrent aussi hostiles vis-à-vis de ces entreprises qui ont de la peine à tourner !
La présidente. Il va falloir conclure, Monsieur le rapporteur !
M. Edouard Cuendet. Une fois de plus, certains à Genève veulent avoir raison contre tout le reste de la Suisse. Pour eux, la vérité s'arrête à la Versoix et ils méprisent souverainement toute idée qui pourrait émerger d'un consensus national... On voit que les extrémistes ne sont pas toujours là où l'on croit !
En conclusion, participons à la lutte contre la fumée passive dont la nocivité n'est contestée par personne dans cette salle et qui n'a été contestée par personne dans la commission de la santé ! Cela ne veut pourtant pas dire pour autant qu'il faille céder aux pressions des ayatollahs de la lutte anti-fumée et à leur dictature du bien-être, comme l'écrivait le magazine l'Hebdo !
Par conséquent, je vous invite à rejeter l'initiative 129 et à vous prononcer en faveur d'un contreprojet qui puisse prendre en compte certaines valeurs de libertés auxquelles, j'ose l'espérer, les libéraux ne sont pas les seuls à croire. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Christian Brunier (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai entendu de la bouche du rapporteur de majorité les mots «extrémisme», «fanatisme» «ayatollahs», «mépris»... J'ai l'impression que nous ne sommes pas dans le bon débat ! Dans ce Grand Conseil, nous tenons parfois des débats dogmatiques: il y a des guerres de clans gauche-droite, j'y participe activement et je le reconnais. Cependant, aujourd'hui, nous ne sommes pas dans ce cas de figure. Aujourd'hui, il ne s'agit pas d'une guerre de clans gauche-droite. On ne se situe pas dans un débat politique !
Si vous prenez en considération Smartvote au moment de l'élection de ce Grand Conseil, dans tous les partis il y avait des gens qui étaient pour et il y avait des gens qui était contre. Je crois qu'il faut sortir de ce ton polémique de clans, parce qu'on n'est pas du tout dans ce débat-là ! Dans ce débat, je vous le rappelle, 64% des Suisses - dont 68% des suisses romands - disent aujourd'hui être favorables à une interdiction dans les lieux publics. (Remarque.) Si la gauche représentait 64 ou 68% de la population, je serais extrêmement heureux, mais ce n'est pas le cas ! On n'est donc vraiment pas dans un combat gauche-droite !
Il y a eu un vote de circonstance en commission, qui n'était pas à l'image des débats de la commission. Là, vous êtes en train de dramatiser les débats de commission qui ont été relativement sereins, à part le jour du vote. Il n'y a pas eu des clivages tout le temps, comme vous le prétendez, parce que, justement, bon nombre de membres, à droite comme à gauche, avaient des positions un peu différentes... Il n'y avait pas des logiques de clans qui font que tout le monde est aligné couvert et qu'on se fait la guerre sur ces idées-là. Nous sommes aujourd'hui dans un débat, Mesdames et Messieurs les députés, qui n'est pas un débat gauche-droite, mais un débat de santé publique, et je pense que c'est là-dessus qu'il faut parlementer.
Vous nous dites - je suis content de l'entendre, parce que cela n'a pas toujours été clair en commission - que la fumée passive est nocive ! Là, vous recoupez ce que dit l'OMS. L'OMS est très claire à ce sujet: scientifiquement, la fumée passive est nocive. J'espère que nous reconnaissons tous cela aujourd'hui. Je rappelle toutefois qu'il faut aller plus loin ! Que dit l'OMS quand elle rappelle que la fumée passive est dangereuse ? Elle dit qu'il n'y a qu'un seul remède efficace: c'est l'interdiction dans les lieux publics ! Je vous rappelle que l'OMS a condamné les fumoirs, en disant qu'ils intoxiquaient encore plus les gens, les fumeurs et les personnes qui gravitent autour de ces lieux, notamment les employés.
L'OMS indique aussi qu'il n'y a pas de demi-mesures. Par exemple, les lieux où il y a d'un côté les fumeurs et de l'autre les non-fumeurs ne produisent pas d'effets positifs en termes non pas politiques mais de santé publique. Et c'est bien sur ce terrain que nous sommes plaçons aujourd'hui.
Quels sont les chiffres de la santé publique, parce qu'il faut bien parler un peu de chiffres, pas trop mais quand même. Je vous rappellerai ainsi qu'en Europe le tabac tue chaque année 650 000 personnes. On n'arrête pas de lire dans les médias que les accidents et les attentats tuent des dizaines voire des centaines de personnes, mais on ne parle que peu des décès liés au tabac... Or 650 000 personnes meurent chaque année à cause du tabac ! Rajoutez à cela 80 000 personnes victimes de la fumée passive... Il ne s'agit pas des chiffres de l'Internationale socialiste, mais bien de ceux de l'OMS ! Donc, 80 000 personnes meurent chaque année à cause du tabac alors qu'elles ne fument pas elles-mêmes ! On est vraiment dans une situation extrême en termes de santé publique.
En Suisse, la fumée passive à elle-seule - je ne parle pas du tabac en général - tue 1000 personnes par an ! C'est 15% de l'ensemble des décès pour l'ensemble de l'Europe. Je vous rappelle une étude française sortie cette semaine qui relève que la cause première de l'ensemble des cancers, c'est le tabac ! Et il s'agit aussi d'une étude scientifique. On est donc bien dans une situation extrême.
Alors, quelle solution adopter ? Vous nous dites que l'initiative est extrémiste, que l'initiative est révolutionnaire... On a l'impression de réinventer la roue ! Mais regardez ce qui se passe: quasiment tous les pays européens ont adopté une législation proche de l'initiative qui vous est soumise aujourd'hui.
Vous accusez même le PDC et les radicaux de lâcher les PME... Excusez-moi, regardez ce qui se passe dans les entreprises, Monsieur Cuendet ! Il y a 800 entreprises suisses, et pas des moindres - Novartis notamment - qui ont complètement interdit le tabac dans leurs locaux. Certes, les fumeurs peuvent aller fumer dehors, le but n'étant pas d'instaurer un régime de prohibition. L'initiative ne dit d'ailleurs pas cela. Or ces entreprises soit disant proches de vous ont interdit la fumée !
Il y a aussi des cantons qui ont aujourd'hui fait ce premier pas. On voit donc que le vent va vraiment dans ce sens, qu'une dynamique va dans ce sens. Tant mieux ! C'est bien pour la santé publique ! Et les gouvernements qui ont instauré ces mesures ne sont pas des gouvernements de gauche ou de droite: il y a des gouvernements de droite et de gauche qui instaurent cela dans n'importe quel pays ! En Espagne, ils ont décidé de ne pas aller jusqu'à l'interdiction, mais d'imposer que les établissements publics mentionnent à l'entrée s'il s'agit d'un lieu fumeur ou non-fumeur. Avez-vous vu les résultats, Monsieur Cuendet ? Aujourd'hui, 77,2% des Espagnols disent que c'est insuffisant et insatisfaisant et qu'il faut arriver à une interdiction de la fumée dans les lieux publics. En Italie, où la fumée est complètement interdite dans les lieux publics, divers sondages ont été réalisés: le plus négatif des sondages arrive à un résultat de 85% d'Italiens satisfaits de ces nouvelles mesures et le plus positif indique 90% d'entre eux sont contents. Entre 85% et 90% des Italiens ! Et ils ne sont pourtant pas les gens les plus souples en cette matière !
Ces mesures sont évidemment efficaces pour les non-fumeurs, parce qu'elles les protègent de la fumée passive, mais elles sont aussi efficaces pour le personnel des établissements publics. Aujourd'hui, des personnes meurent de cancers alors qu'elles n'ont jamais fumé ! Et elles meurent de cancers du poumon parce qu'elles ont travaillé à temps complet dans des milieux enfumés ! Un travailleur sur trois en Europe est exposé à la fumée et ceci n'est pas normal !
Mais ces mesures protègent aussi les fumeurs: je vous rappelle que parmi les fumeurs en Suisse, 75% de ceux-ci ont envie d'arrêter de fumer ! Et les fumeurs disent que l'interdiction les aiderait. En Italie, durant la première année de l'interdiction, 500 000 personnes ont arrêté de fumer !
Vous nous dites que l'initiative va trop loin et qu'elle ne prévoit pas d'exceptions. Le Conseil d'Etat était d'accord avec vous, disant qu'il prévoyait de présenter un contreprojet qui prévoirait plus d'exceptions. Depuis, le Tribunal fédéral a tranché, déclarant que les exceptions étaient possibles. D'ailleurs, le Conseil d'Etat, dans sa sagesse, a dit que puisque c'était comme ça, il retirait son contreprojet qui ne servait plus à rien.
Donc, nous sommes face à une initiative qui va dans le sens du bien public, dans le sens d'une santé publique efficace, qui permet des exceptions, par exemple dans les prisons, dans les hôpitaux, etc. Nous sommes donc devant un texte finalement très sage ! Je vous rappelle qu'une grande majorité des députés de ce parlement ont répondu à un sondage Smartvote au moment des élections, un sondage qui permettait aux électeurs de voir ce que les candidats pensaient. Une très grande majorité - quasiment 67% des candidats, dont une grande majorité des gens qui sont élus aujourd'hui - ont déclaré au moment de cette élection qu'ils soutiendraient cette initiative. Eh bien aujourd'hui, il faut honorer cette promesse électorale et il faut simplement voter oui à cette initiative qui est pragmatique et qui est pour le bien de la société ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur. Le Bureau a décidé de clore la liste. Sont inscrits: M. Aubert, M. Saudan, Mme Emery-Torracinta, Mme Fehlmann Rielle, M. Stauffer, Mme Wisard-Blum, M. Marcet, M. Forni, M. Gros, M. Luscher, M. Charbonnier, M. Deneys, M. Guénat, M. Ischi, Mme Schneider-Bidaux, M. Catelain et le rapporteur de majorité. La parole est à M. le député Claude Aubert.
M. Claude Aubert (L). Mesdames et Messieurs les députés, un des fondements du libéralisme est la distinction que nous établissons entre la société civile et l'Etat. La société civile - la population - n'est pas à considérer comme un troupeau de moutons, guidé par un berger et flanqué de toutous voire de molosses. Elle se compose d'individus divers, ayant des habitudes variées, devant mener leur barque et assumer la responsabilité de leurs actes, sans que leur conduite soit dictée d'en haut. L'Etat, quant à lui, sert la population qu'il représente. Tel est le credo libéral qui conditionne notre évaluation de cette initiative.
Plus des 68% de la population se disent favorable à une interdiction de fumer dans les lieux publics. Nombre de parlements se sont déjà prononcés dans ce sens. Les libéraux en ont conscience, mais ils souhaiteraient que la gestion de la lutte contre le tabagisme soit effectuée par la société civile, sans qu'il soit nécessaire que le berger, en l'occurrence l'Etat, donne de la voix.
Il n'a pas fallu des lois, mais le poids de l'opinion publique et un engagement personnel de leurs responsables, pour que les compagnies aériennes bannissent la fumée. Il n'a pas fallu de lois constitutionnelles à Genève pour que les TPG, les HUG et les services de l'administration fassent de même. Les hôteliers réservent désormais deux tiers de leurs chambres pour les non-fumeurs parce qu'ils savent que telle est la demande. Nombre de restaurateurs ont franchi le pas avec succès.
La population elle-même détient un énorme pouvoir par son comportement. Déjà maintenant, elle peut se prononcer en votant, non pas par un bulletin déposé dans l'urne mais par ses choix de consommation. Entrer dans un restaurant sans fumée, c'est voter pour la suppression de la fumée !
Pour les libéraux, c'est un point philosophique que je tiens à souligner: il importe que le citoyen-client réalise l'impact politique de son mode de consommation, qu'il joigne l'acte à la parole et renonce à s'en remettre à l'Etat pour décider à sa place. Si les 68% de la population qui se déclare anti-tabac décidaient de fréquenter des établissements sans fumée, le débat serait clos et les mégots dans le caniveau. Cela permettrait de reconnaître aux pourcents restants un droit à la différence. L'exclusion des fumeurs évoque pour nous le tristement célèbre délit de faciès.
Sur le plan de la santé publique, il n'y a rien à objecter. La fumée passive doit être combattue, les méfaits du tabac, abondamment documentés, sont indiscutables. Par ailleurs, soyons réalistes, la messe est dite: les Chambres fédérales décideront d'une loi avant même que Genève ne tranche !
En m'adressant à vous de la sorte, Madame la présidente, ma seule ambition était de montrer que l'urgence médicale n'est pas à opposer à une nécessaire réflexion sur nos valeurs politiques.
M. Patrick Saudan (R). Mesdames et Messieurs les députés, vu le nombre de députés inscrits pour s'exprimer, vous me permettrez d'être très concis. Le groupe radical a décidé de soutenir cette initiative. Au-delà des arguties juridiques qui ont émaillé le parcours de cette initiative, tant au point de vue parlementaire que judiciaire, il y a trois points fondamentaux qui motivent notre décision.
Le premier a trait aux méfaits du tabagisme passif, je ne vais pas y revenir, ils sont exhaustivement et explicitement décrits dans le rapport que la commission de la santé a consacré à cette initiative.
Un deuxième point qui est fondamental, c'est que l'on sait que l'interdiction de fumer à l'intérieur des lieux publics est une des mesures les plus efficaces qui soit pour inciter les fumeurs à arrêter de fumer puisque, selon les études, leur nombre diminue de 4 à 6%.
Troisièmement, bien que certains de mes collègues pensent que cette initiative est liberticide et extrémiste, à la liberté du fumeur de fumer à l'intérieur des lieux publics le groupe radical a décidé de lui préférer la liberté de la population non-fumeuse, qui est majoritaire et a droit à un air exempt d'effluves de tabac. (Applaudissements.)
Mme Anne Emery-Torracinta (S). Mesdames et Messieurs les députés, il a déjà été beaucoup question ce soir de santé publique et ce sera encore le cas, alors permettez-moi de recentrer le débat sur un autre aspect qui me paraît important, celui des droits populaires.
En octobre 2005, lorsque cette initiative a été déposée avec 20 000 signatures, la commission législative s'est mise au travail assez rapidement et, en juin 2006, le parlement a pu voter et il a accepté cette initiative, moyennant une légère invalidation.
Malheureusement, deux d'entre nous, ayant sans doute une drôle de conception du respect du travail de ce parlement, ont décidé deux mois après le vote, donc vraiment à la fin du délai possible, d'aller devant le Tribunal fédéral. Cette démarche auprès du Tribunal fédéral a retardé la décision populaire, puisque c'est au moins pratiquement une année que nous avons perdue pour un éventuel vote populaire.
Alors je répondrai à M. Weiss qui, tout à l'heure, dans un débat précédent, s'est cru en droit de nous donner des leçons de démocratie, en reprochant à certains d'aller au Tribunal fédéral. Je dirai que le parti libéral peut largement balayer devant sa porte et que c'est un peu, si vous me passez l'expression, «l'hôpital qui se fiche de la charité» !
Le Tribunal fédéral a totalement débouté les recourants. Permettez-moi de vous lire quelques extraits de ses décisions, non pas que le juridisme soit passionnant en lui-même, mais vous verrez que c'est important pour la suite. Le TF a dit ceci: «Les recourants perdent de vue que les modifications apportées au texte de l'initiative ont précisément pour but de tenir compte de ces situations particulières et de permettre de tels assouplissements dictés par le principe de proportionnalité. La modification apportée par le Grand Conseil introduit donc la possibilité d'une interprétation et d'une application conforme le cas échéant au droit supérieur. Il paraît évident qu'une mesure aussi générale que l'interdiction de fumer dans les lieux publics fermés devra être assortie par exemple d'un éventuel délai d'introduction, de mesures de contrôle et de sanctions. En outre, conformément à la volonté manifestée par le Grand Conseil, un certain nombre de dérogations et d'exceptions devront accompagner l'interdiction. Le législateur disposera d'un large pouvoir d'appréciation pour adapter l'interdiction de fumer aux différentes situations qui l'exigent.»
Si je me suis permis de lire ces extraits, c'est pour vous rappeler deux choses, Mesdames et Messieurs les députés. Tout d'abord, l'initiative, telle que nous vous la proposons ce soir, est constitutionnelle. D'ailleurs, à l'époque du débat de juin 2006, M. Luscher qui était rapporteur de minorité avait dit qu'il fallait s'arranger tous ensemble pour présenter un texte qui soit conforme à la constitution. Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, le texte que nous vous présentons ce soir est conforme à la constitution !
Deuxièmement, ce que le Tribunal fédéral dit, c'est que les exceptions sont nécessaires, sous-entendu qu'il devra y en avoir; elles ne sont pas seulement possibles, il y en aura et le législateur les déterminera !
Par conséquent, Monsieur Cuendet, il s'agit bien là de mesures dilatoires, puisqu'en repoussant le vote, en voulant demander un contreprojet, vous allez probablement faire en sorte que le peuple ne se prononcera pas avant 2009 ! Il s'agit de mesures dilatoires qui illustrent un très net manque de courage politique ! Osez admettre, Messieurs de la majorité - en tout cas de la majorité de la commission, parce que je ne suis pas sûre que vous serez encore une majorité tout à l'heure - qu'au fond, c'est bien parce que vous êtes contre l'interdiction de la cigarette dans les lieux publics et parce que vous craignez le verdict des urnes que vous ne voulez pas que cette initiative soit soumise au peuple ! Or, quand on agit comme ça avec le jeu démocratique, ce sont des manoeuvres qui sont malsaines ! Malsaines pour la démocratie parce qu'elles ne font qu'aggraver le populisme et agrandir le fossé entre la population et ses élus.
M. Brunier a très bien rappelé tout à l'heure que cinquante-neuf d'entre nous ont déclaré en tant que candidats, avant les élections au Grand Conseil, qu'ils soutiendraient cette initiative. Eh bien, Madame la présidente, je vous dis déjà que le groupe socialiste demandera le vote nominal ! Nous aurons ainsi l'occasion de voir quels sont celles et ceux qui respectent leurs promesses électorales !
En conclusion, je n'ai pas parlé du fond, et même si le groupe socialiste soutient cette initiative, je dirai simplement que pour respecter notre constitution qui dit que la souveraineté réside dans le peuple, je vous invite à refuser le contreprojet et à faire en sorte que cette initiative soit soumise très rapidement en votation populaire.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Mesdames et Messieurs les députés, ma préopinante l'a bien dit, si la majorité du Grand Conseil suit la proposition de la majorité de circonstance de la commission de la santé, le peuple ne pourra probablement pas s'exprimer sur le sujet avant mars 2009. Cela devient donc un déni de démocratie quand on connaît la rapidité avec laquelle les signatures ont été recueillies et quand on connaît les résultats des sondages, rappelés tout à l'heure, selon lesquels environ 64% de la population demandent maintenant - appellent de leurs voeux - une interdiction de la fumée dans les lieux publics et fermés.
Les opposants à l'initiative ont beau jeu de dire que personne ne conteste les dangers de la fumée passive... On est très content de l'entendre. Il n'y a pas si longtemps, certains les contestaient ! Maintenant, apparemment, ils n'osent plus réfuter les vérités scientifiques. Seulement, si accepter cette vérité c'est ne rien faire, c'est totalement inutile et irresponsable ! Cette attitude doit être suivie de faits.
Je rappelle ce que M. Aubert disait tout à l'heure, vantant la liberté individuelle. Actuellement, non, les gens n'ont pas le choix de se rendre dans des lieux sans fumée, parce que les cafetiers-restaurateurs attendent cette interdiction générale pour être mis sur un pied d'égalité. Actuellement, si quelques-uns se sont risqués à faire leur établissement sans fumée, il n'y a pas égalité de traitement. Pour suivre l'avis de la majorité de la population, ils l'ont dit à diverses reprises, ils seraient prêts à accepter cette interdiction qui les mettrait tous sur un pied d'égalité.
M. Cuendet écrit dans son rapport de majorité qu'il ne faudrait pas que Genève se singularise par des propositions insolites avec cette initiative. On a cité l'Irlande, l'Italie, ainsi des pays extra-européens, plus maintenant le Tessin et des cantons qui commencent à lui emboîter le pas. Si la plupart des pays européens font des propositions insolites... Eh bien continuons dans cette voie ! Mais, actuellement, Genève risque de se retrouver à la traîne. Genève, qui est quand même le siège de l'Organisation mondiale de la santé ! Rappelons-le, l'OMS est la promotrice de la convention-cadre contre le tabagisme et il serait malheureux que Genève, qui a joué un rôle précurseur, devienne la lanterne rouge en termes de tabagisme passif.
Enfin, quand vous qualifiez cette initiative d'absolutiste, d'extrémiste et que vous dites que ceux qui la soutiennent sont des ayatollahs, vous faites aussi injure à cette majorité de la population qui appelle de ses voeux ces mesures. Vous faites aussi injure à tous ceux qui ont signé cette initiative en un clin d'oeil.
Maintenant, ce qui est important, c'est que la population puisse s'exprimer. Que l'on soit favorable ou non à cette initiative, il est important de renoncer à tout contreprojet. Le groupe socialiste appuie, bien sûr, cette initiative et vous engage à refuser un contreprojet et à soutenir les buts de cette initiative. (Applaudissements.)
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, il va de soi que le groupe MCG est aussi conscient du problème de la fumée passive. Et il va de soi que dans la plupart des établissements publics il va falloir légiférer et faire en sorte que la fumée passive n'importune pas les non-fumeurs.
En revanche, nous ne sommes pas pour un totalitarisme effréné et nous sommes partisans d'une certaine souplesse. S'il est vrai que nous devons prendre conscience du problème de la fumée passive, il n'est pas bon non plus de lui opposer des interdictions partout. Pour les quelques soixante-huitards qu'il reste dans ce parlement, leur slogan de l'époque disait qu'il était interdit d'interdire... On voit maintenant que ces gens ont été atteints par le virus aigu de la «légiférite» !
Nous sommes donc pour une liberté de choix. Monsieur le rapporteur - Monsieur le député Brunier - lorsque vous dites que nous sommes dans un débat de santé publique sur la fumée nocive, j'aimerais quand même rappeler aux citoyens de ce canton qu'il y a d'autres problèmes avec les fumées passives ! Notamment les 60 000 tonnes de déchets que les Services industriels de Genève importent de l'Italie du Sud... (Brouhaha.) ...des ordures que personne ne veut brûler en Italie, tellement elles sont toxiques ! Vous les importez à Genève en polluant tout le canton ! (Brouhaha. Applaudissements.) Et ça, c'est un danger pour la santé publique ! Mais ce ne sont pas des gens qui travaillent pour les grands «tabatiers»... Il faudrait se poser la question de savoir s'il n'y a pas quelques intérêts cachés là-derrière. (Exclamations. La présidente agite la cloche.) Ce n'est pas normal ! C'est un débat sur la santé publique qui mériterait que le parlement s'y intéresse. Je parle bien de plus de 60 000 tonnes d'ordures !
La présidente. Sur l'initiative, Monsieur le député !
M. Eric Stauffer. Mais bien sûr, Madame la présidente ! On parle de santé publique dans cette initiative ! Je tiens quand même à dire à ces dames et messieurs de la gauche qui prônent des discours de tolérance que, dans ce cas-là, c'est vous qui pratiquez l'intolérance ! Et ce qui est le plus détestable, à propos de ce que je viens de dire par rapport aux plus de 60 000 tonnes d'ordures toxiques dont même les Italiens ne veulent pas, c'est que c'est votre député, M. Cramer, écologiste, qui a accepté cela !
Le MCG sera favorable au contreprojet, comme la droite ! (Applaudissements.)
Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi de recentrer le débat sur le sujet de ce soir. Pour cela, je vais quand même citer quelques chiffres qui, ma foi, sont éloquents. Chaque année, en Suisse, on diagnostique un cancer du poumon chez 3000 personnes. (Brouhaha.) La cause principale en est, Monsieur Stauffer, dans plus de 80% des cas, le tabagisme ! Toujours dans notre pays, on estime à environ 8000 le nombre de décès provoqués par la consommation de tabac et un grand rapport national français publié cette semaine réaffirme que l'ennemi numéro un en matière de cancers est le tabac, responsable de 27% des cancers et de 33% des décès. Je rappellerai également pour les gens qui s'intéressent à l'économie que le coût induit par les méfaits du tabac s'élève en Suisse à seulement 10 milliards de francs, Monsieur Cuendet ! (Remarques. Brouhaha.)
S'il est nécessaire de lutter contre le tabagisme, en informant et en incitant les fumeurs à abandonner cigarettes et cigares, nous devons maintenant prendre rapidement des mesures pour protéger les non-fumeurs. Car ce n'est plus à prouver, des centaines d'études scientifiques en attestent, la fumée passive est à l'origine de maladies graves et de morts prématurées chez les adultes comme chez les enfants.
Pourtant consciente du problème, la Suisse a ratifié en juin 2004 la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l'OMS et s'est engagée à prendre des mesures efficaces de protection contre la fumée passive. Malheureusement, à ce jour, la Suisse dispose encore des lois parmi les moins restrictives en Europe. Pour faire face à cette lenteur bernoise, plusieurs gouvernements cantonaux agissent et envisagent d'introduire des lois limitant les lieux où la fumée est admise, à l'image de nombreux pays d'Europe. L'Irlande, l'Italie, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, la Suède et Malte, pour ne citer que ces pays, démontrent de manière éclatante que l'introduction et l'application d'une législation interdisant la fumée dans tous les lieux publics et de travail, y compris les cafés et restaurants, répondent aux attentes d'une large majorité de citoyens.
Le cas italien était, ma foi, exemplaire à ce sujet. En effet, c'est en s'appuyant sur les résultats d'un sondage d'opinion très favorable, conduit par l'institut de sondages DOXA, un institut indépendant et reconnu au niveau international - j'y reviendrai par la suite - que le gouvernement italien a osé adopter une réglementation complète et rigoureuse en faveur des lieux publics sans fumée. Si cette mesure restrictive a provoqué une baisse substantielle des ventes et de la consommation de cigarettes, elle n'a, en revanche, pas affecté le chiffre d'affaire des cafetiers et restaurateurs italiens. Le constat est d'ailleurs le même en Irlande.
L'Unité d'épidémiologie du cancer de l'Institut universitaire de médecine sociale et préventive de Lausanne a, comme les Italiens, confié à l'institut de sondage Doxa la réalisation d'une enquête centrée sur le thème de la fumée passive... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) J'espérais que cela intéresserait les députés de cette assemblée, cela ne semble pas être le cas...
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je vous prie soit d'aller discuter dans la salle des pas perdus, soit d'être attentifs aux propos de l'oratrice !
Mme Ariane Wisard-Blum. En Suisse, plus de trois personnes interrogées sur quatre sont favorable à une interdiction générale de fumer dans tous les lieux publics et plus de deux personnes sur trois disent être favorables à une interdiction de fumer dans les cafés et restaurants.
Ces résultats montrent que la population suisse souhaite dans sa grande majorité l'introduction d'une réglementation interdisant la fumée dans l'ensemble des lieux publics et de travail, y compris donc les cafés et restaurants. Le fort soutien de la population genevoise à l'initiative «Fumée passive et santé» le prouve: il faut le rappeler, les initiants ont récolté 20 000 signatures en seulement deux mois !
Les rapporteurs ont retracé l'historique de cette initiative et je ne reviendrai pas sur ces points, pour me concentrer que sur le texte de l'initiative, telle qu'on devra la présenter au peuple. Ce texte permet de prévoir des exceptions. Ainsi, si l'initiative est acceptée par le peuple, il sera possible de légiférer pour autoriser la fumée dans les lieux tels que les hôpitaux, les chambres privées, les hôtels et la prison.
Je tiens à souligner l'intelligence et la cohérence du Conseil d'Etat qui a retiré son contreprojet suite aux conclusions du Tribunal fédéral et j'espère que la sagesse du gouvernement sera suivie par le parlement afin que le peuple genevois puisse enfin s'exprimer sur ce sujet. Car un contreprojet serait soit inutile, s'il récupère le texte du Conseil d'Etat, soit inefficace en matière de santé publique s'il autorisait des demi-mesures. Seule une règle claire et sans ambiguïté permettra un réel changement dans les habitudes en évitant de nombreuses difficultés d'interprétation et d'application.
Pour finir, la majorité des Verts prendront leurs responsabilités en matière de santé publique en acceptant cette initiative et en refusant le contreprojet. (Applaudissements.)
M. Claude Marcet (UDC). Je serai très bref: cent morts sont dues à la fumée passive chaque année à Genève ! Plus de cent morts ! Plus de mille morts dues à la fumée passive en Suisse chaque année ! Plusieurs dizaines de milliers de morts en Europe, dues à la fumée passive !
Ce n'est donc pas un problème de liberté, mais bien un problème de santé publique - et uniquement cela ! La liberté à laquelle se réfèrent donc ceux qui veulent continuer à fumer où ils le veulent, c'est un droit de tuer - et uniquement cela ! Je les laisse seuls juges face à leur conscience !
M. Michel Forni (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, l'initiative 129 prévoit d'introduire dans la constitution cantonale une interdiction de fumer dans tous les lieux publics, si possible intérieurs ou fermés. L'initiative cible le tabagisme passif, mais également actif, il faut le reconnaître. Cela étant dénoncé, comme il l'a déjà été dit, par l'OMS. Il y a des exceptions, allant des milieux carcéraux, des milieux psychiatriques au milieu hospitalier. Derrière ce texte, il y a bien sûr une logique citoyenne, développée à partir de cette notion de tabagisme passif, une position basée sur une détermination scientifique de l'existence de dommages chez les citoyens côtoyant les consommateurs de tabac et entraînant dans son sillage une politique centrée aussi sur l'entourage des fumeurs. L'interdiction de fumer dans des lieux publics entend protéger le non-fumeur. Cette politique est légitime, dans le sens où elle assure une protection des citoyens, qui est une fonction régalienne de l'Etat, mais elle n'entend pas pour autant stigmatiser le fumeur selon des méthodes anglo-saxonnes pouvant aboutir à une sorte de criminalisation sanitaire.
Par contre, on peut dire que derrière ce projet il y a la construction d'une forme de conformisme comportemental, certes légitime et efficace, qui doit, il faut le reconnaître, surmonter les échecs des politiques de lutte contre le tabagisme, notamment depuis les années 1970. Il faut le reconnaître, ces politiques ont été associées à des échecs ! Notamment en tentant de diminuer la toxicité du tabac, en imposant des normes aux cigarettiers, en essayant de réduire l'offre, en interdisant la vente aux mineurs, en augmentant le prix, par des campagnes d'information, par des avertissements, puis finalement en tentant par des manoeuvres claires de donner à chaque citoyen les moyens de faire un choix éclairé.
Laissons donc les idéologies pro et anti-tabac au magasin des accessoires et offrons à Genève un texte qui rejoigne initiatives helvétiques, probables et futures, européennes, mondiales et, surtout, «OMS compatible». Il s'agit simplement de renouer avec une législation en équité pour les uns et en équilibre pour les autres.
Le vieux slogan de Mai 68 «Il est interdit d'interdire» pourrait s'appliquer à ce texte de loi. Mais, dans le cadre du tabac, comment éduquer sans sanctionner ? Comment sanctionner sans humilier ? Et comment protéger nos enfants d'un produit toxique alors que notre société consumériste ne cesse de le promouvoir ? Il faut le reconnaître, fumer tue, cela a été dit. Toutefois, en dépit de cet avertissement, bien des vies partent en fumée à cause d'une drogue dure et l'addiction qu'elle génère. C'est la raison pour laquelle laisser vendre un produit qui tue, tout en se faisant devoir d'en déconseiller formellement l'achat, revient à fournir le poison, et sans proscrire l'usage.
Il y a quarante-huit heures, la presse française a fait grand cas d'une étude nationale sur la mortalité - non pas la survie ! - et les causes de décès en France depuis environ 20 ans. Et la France, ce n'est pas à 12 000 kilomètres d'ici, c'est à côté de chez nous ! Il s'est avéré que les décès sont à attribuer prioritairement aux problèmes cardio-vasculaires et aux cancers, dans lesquels le rôle du tabac ne fait aucun doute. Le cancer du poumon est malheureusement un tueur ! Je ne veux pas entrer dans des querelles de chiffres, je répète simplement que, sur le plan fédéral, le tabagisme passif est reconnu comme un danger pour la santé, et la protection contre le tabagisme est également réglementée par le droit du travail.
Mesdames et Messieurs les députés, il n'est jamais très électoral d'interdire ! Bien que dans le cas des comportements à risques, notamment liés au tabagisme, s'ajoutent aux conséquences médicales des coûts sociaux et la lutte contre un fléau sanitaire tel que la cigarette ne se réduit pas à des règles ou à des interdits, même si la mesure est salutaire sur le plan de la santé. L'interdiction de fumer dans des lieux publics apporte des arguments sécuritaires contre les dommages subis par la collectivité et, d'autre part, un argument moral de respecter des citoyens.
En s'inspirant d'autres règlements en vigueur dans d'autres pays européens et après une analyse circonstanciée de l'arrêt du Tribunal fédéral et des modifications qui ont déjà été apportées à cette initiative sous forme de dérogations et d'exceptions, le PDC propose de tenir compte des situations particulières. Il prend donc position en considérant qu'un contreprojet n'est plus nécessaire, car il retarderait l'adoption d'un programme anti-tabac, notamment un programme anti-tabagisme passif.
Le PDC vous recommande d'accepter l'initiative 129, mais en gardant en tête les prochaines décisions fédérales. Le PDC insiste enfin sur les dérogations et exceptions qui ont été soulignées par la Haute Cour et qui doivent permettre de lutter d'une part contre la nocivité d'une fumée passive et, d'autre part, de protéger travailleurs et clients. (Applaudissements.)
M. Jean-Michel Gros (L). Mesdames et Messieurs les députés, contrairement à M. le rapporteur de minorité, je considère qu'il s'agit-là d'un débat éminemment politique et je vais vous dire pourquoi. Je crains qu'avec le projet de loi constitutionnelle proposé par cette initiative on risque les pires dérives qui soient.
Oui, en effet, quelque chose dérange ?! On interdit ! Ras-le-bol des 4x4 ?! On devrait les interdire ! (Applaudissements.) Voyez comme je suis soutenu dans cette démarche ! Les promeneurs du dimanche sont gênés par les voitures ? Interdisons les voitures le dimanche ! (Commentaires.) Cela a été fait ! (Commentaires. Brouhaha.) Pourquoi ne devrions-nous pas simplement interdire toute circulation puisque les émissions nocives des véhicules sont néfastes pour la santé ? Effectivement, ne respirons-nous pas passivement ces gaz d'échappement ?
Aujourd'hui, on commence par la fumée du tabac dans les établissements publics, mais ce n'est qu'un début, Mesdames et Messieurs les députés ! Les applaudissements sur les bancs d'en face le montrent bien ! Quand on sait ce que coûtent les fumeurs en termes de santé, la prochaine étape sera d'interdire la fumée, tout simplement.
Certes, aujourd'hui, on se cache derrière le respect des non-fumeurs, mais demain il deviendra logique d'interdire tout ce qui nuit à la santé, et ceci en vertu du coût social induit. Le gamay et l'aligoté ? Terminé ! La bière et le whisky ? N'en parlons pas ! Ils sont la cause de tous les hooliganismes, des violences à domicile et j'en passe ! Les arguments seront trouvés pour interdire tout cela ! Le «Macdo», les bonbons, les boules de Berlin... Quelle horreur ! (Exclamations.) Causes de l'obésité de nos concitoyens... (Brouhaha.) Les docteurs Forni et Saudan pourront nous dire les coûts de la santé induits par l'obésité dans notre canton ! Eh bien, tout ceci doit être banni !
Une fois l'initiative acceptée, avec toutes les autres interdictions qui, dans l'enthousiasme, suivront, nous vivrons enfin dans un vrai paradis ! Un paradis ou chacun sera svelte, travailleur, respectueux... Bref, le mens sana in corpore sano sera enfin roi ! Eh bien, moi je vous le dis carrément, Mesdames et Messieurs les députés et chers collègues, je ne veux pas de ce paradis !
Une voix. Va en enfer ! (Rires.)
M. Jean-Michel Gros. Pourquoi pas ? J'y viendrai. (Brouhaha.) Ce paradis me rappelle tous ceux qui, au XXe siècle, ont voulu créer l'homme parfait, travailleur et soumis par ici, blond et musclé par là ! (Exclamations.) Non, voyez-vous, je préfère l'atmosphère d'un bistrot de Plainpalais, où Georges Haldas laisse tomber sa cendre sur son journal du matin, au tea-room guindé où quelques «bécébégés» non fumeurs parlent de leurs galeries d'art. (Brouhaha.)
Oui, Mesdames et Messieurs, j'aime mieux le chasselas que la Vittel ! Oui, j'aime mieux les frites que les carottes Vichy ! Oui, je préfère me balader dans les rues de Londres que sur les plages des Maldives ! Oui, en définitive, j'aime mieux mourir à 75 ans en bonne santé que croupir dans un EMS jusqu'à 100 ans ! (Exclamations.)
Alors, je plaide ici pour qu'on nous laisse le doux enfer dans lequel nous vivons ! L'initiative qui nous est soumise est le début d'une dictature de l'interdit et de toutes ses dérives possibles. Et je ne résiste pas à vous conter ce qui se passe en France actuellement. Un décret renforçant la loi Evin a été récemment adopté par le parlement. Voici ce que j'ai lu dans un magazine musical très sérieux qui s'appelle «Diapason» - l'article s'intitule «Carmen tue»: «M. Jean de Saint-Guilhem - ça ne s'invente pas - directeur de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles au Ministère de la culture a donc été contraint de mettre en garde les théâtres lyriques de Toulouse, Dijon, Saint-Etienne et Limoges, ainsi que le Châtelet à Paris, qui tous ont programmé la «Carmen» de Bizet cette saison. "Aucune trace de fumée, de cigarette ou de cigarière", est-il précisé dans cette note, "ne doit subsister dans l'un ou l'autre de ces spectacles. Il sera impératif de soumettre la nouvelle version du livret aux services compétents, rue Saint-Dominique, et de faire connaître les intentions de la dramaturgie douze semaines au moins avant la première." Plusieurs de ces spectacles ont déjà été modifiés, d'autres sont purement et simplement annulés.» Voilà où ce genre de dérives peut mener: à la censure que les Français connaissaient sous l'Ancien Régime, mais que nous avons également connue, il n'y a pas si longtemps !
Alors, Mesdames et Messieurs, la commission de la santé a fait oeuvre de ce qu'il est courant d'appeler le «politiquement correct». Je refuserai ainsi l'initiative, la société qui nous est proposée, enveloppante jusqu'à l'étouffement, parce que je suis persuadé qu'il existe encore une façon de faire de la politique qui nous façonne un avenir - et les spectateurs de Léman Bleu, je vous prie de m'excuser ! - mais un avenir qui soit un avenir moins chiant ! (Applaudissements.)
La présidente. Je ne sais pas si les téléspectateurs vous excuseront. Quant à nous... Je donne la parole à M. le député Luscher. (Brouhaha.)
M. Christian Luscher (L). Madame la présidente, je crois d'abord que vous devez excuser les députés qui restent dans cette salle mais sont responsables du brouhaha, parce que, comme vous le savez, la salle des Pas perdus est actuellement enfumée par des députés de gauche comme de droite qui savourent tranquillement une cigarette tout en regardant le match du FC Sion contre Galatasaray... (Remarques.) ...dans le plaisir le plus total, et personne ne se plaint de cette fumée qui unit les députés de tous les partis ! (Brouhaha.)
Cela étant, et pour ce qui concerne l'initiative, il y a de toute évidence à ce sujet - je crois qu'il faut recentrer le débat - un problème de santé publique. Nous sommes tous d'accord ici à ce sujet, même si certains essaient de nous faire passer pour des personnes qui nient l'évidence. Nous savons tous qu'il y a effectivement un problème lié à la fumée passive. Simplement, il se trouve que, comme pour d'autres problèmes, nous n'avons pas les mêmes réponses. Et parce qu'à ce problème certains veulent proposer une solution extrémiste qui éviterait de devoir mener une véritable réflexion. Et puis, il y a ceux qui pensent que l'on peut concilier cette lutte de santé publique avec la liberté personnelle de ceux qui ont encore envie de s'adonner à ce qui reste une liberté, à savoir: fumer. Nous pensons que nous pouvons très bien concilier - nous le décrétons ici formellement, nous le clamons - ce droit absolu, le droit des personnes qui ne souhaitent pas être incommodées par la fumée avec le droit de celles qui veulent fumer.
Alors, on nous a cité toutes les législations d'Europe et de Navarre pour nous expliquer que dans certains pays le système marchait très bien, en Italie en particulier, où l'on sait que les gens ne sont d'habitude pas très dociles. Pourquoi le système marche-t-il très bien en Italie ? Parce qu'il y a des exceptions ! Il y a des exceptions à la loi ! Dans les restaurants, il y a des zones non-fumeurs, comme il y a, par exemple - on en a parlé en Suisse déjà - des établissements qui se sont adaptés sans qu'il y ait besoin de la loi.
Lorsqu'on nous dit aujourd'hui que notre discours est dilatoire et qu'il vise à retarder la possibilité faite au peuple de s'exprimer, eh bien on vous ment ! Pourquoi vous ment-on ? Pour deux raisons: d'abord, parce qu'on oublie une chose qui est tout de même essentielle, c'est que cette initiative est totalement irrecevable ! L'initiative a dû être invalidée par le Grand Conseil, l'unanimité du Grand Conseil ! Et je parle sous contrôle, non pas celui des gesticulations de M. Velasco, mais sous celui de notre collègue Mme Emery-Torracinta, qui se souviendra que l'intégralité de la commission législative, suivie en cela par le Grand Conseil, a considéré que l'initiative, telle qu'elle nous était proposée était irrecevable.
Et parce que cette initiative était irrecevable, il a fallu que le Grand Conseil l'invalide partiellement, il a fallu que le Grand Conseil mandate un professeur de droit qui fasse des subtiles frappes chirurgicales au sein de cette initiative pour qu'elle soit sauvée, dans un premier temps par le Grand Conseil puis par le Tribunal fédéral. Mais à quel prix ! Le Tribunal fédéral a sauvé cette initiative en disant ceci: elle est recevable parce que des exceptions doivent être prévues, et ces dernières doivent être prévues dans une loi, une loi au sens formel. Cela signifie ce soir, Mesdames et Messieurs, qu'en réalité, une fois encore vous êtes en train de vous tirer une balle dans le pied ! Parce que vous souhaitez en réalité retarder la décision finale de ce Grand Conseil et, donc, celle du peuple ! Pourquoi ? Parce qu'en retirant le contreprojet, vous retirez la possibilité faite au peuple de s'exprimer sur les exceptions que cette loi au sens formel devra prévoir ! Il serait beaucoup plus simple d'opposer un contreprojet qui prévoie les exceptions et de soumettre au peuple l'initiative accompagnée d'un contreprojet, sur lesquels le peuple pourrait se déterminer. Or ce soir, selon votre appréciation de la situation, vous ne voulez envoyer devant le peuple que l'initiative, que celui-ci acceptera ou refusera.
Compte tenu de la tendance actuelle, il est possible que l'initiative soit acceptée. Que devra faire le Conseil d'Etat ? Il devra la soumettre au Grand Conseil, parce que le Tribunal fédéral l'a dit. En ce sens, il faut bien reconnaître que les recourants ont tout de même gagné quelque chose, le Grand Conseil devra statuer sur une loi et cette loi sera soumise à référendum. Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, ce que vous faites ce soir ! En réalité, vous mettez le peuple dans la situation où aucune loi ne pourra être adoptée par lui avant un ou deux ans, alors que, si l'on renvoyait les débats pour un contreprojet en commission, nous pourrions soumettre au peuple une initiative et un contreprojet. Cela éviterait de tomber dans les dérives dans lesquelles cette initiative nous entraîne aujourd'hui.
Je ne suis pas le seul à penser que cette initiative est totalement extrémiste et qu'elle peut conduire à des dérives. Il est une dérive que certains, pourtant parmi les adeptes de la «non-fumée», ont fustigée, qui est celle voulue par l'OMS. C'est un exemple. L'Organisation mondiale de la santé a décrété qu'elle n'engagerait plus des personnes qui fument ! La première personne qui s'est insurgée contre cette mesure, c'est le mari d'une intervenante dans cette salle: c'est M. Rielle ! Il a dit que ça n'allait pas, qu'il s'agissait d'une dérive et qu'on ne pouvait pas faire ce genre de choses, car il y avait-là une atteinte à la liberté personnelle ! Il a absolument raison ! Parce que si l'on devait se livrer à ce genre d'exercices, cela signifierait que l'OMS devrait ensuite vérifier si les personnes engagées qui ont prétendu être non-fumeuses ne fument pas en cachette chez elles... Une des dérives à laquelle nous serons confrontés petit à petit, c'est qu'on va envoyer la police... (Remarques.) ...ou des mouchards au domicile des personnes en question ! Ou alors, le matin, à leur arrivée au travail, on leur pincera le nez pour vérifier leur haleine et pour voir si, véritablement, ces personnes auront dit la vérité en déclarant qu'elles étaient non-fumeuses ! (Brouhaha.)
Mesdames et Messieurs, c'est à ce genre de dérives que l'on s'expose et c'est la raison pour laquelle je ne comprends pas que vous ne souhaitiez pas que l'on soumette au peuple aujourd'hui un contreprojet qui stipule de manière extrêmement précises les exceptions conditionnant l'acceptation de cette initiative par le peuple. Je ne le comprends pas ! Ou peut-être le comprends-je trop bien, parce qu'en réalité, de ces exceptions, vous n'en voulez pas ! Et peut-être voulez-vous trahir la volonté de ce Grand Conseil et trahir aussi celle du Tribunal fédéral qui a exigé que cette initiative soit assortie d'exceptions !
La présidente. Il va falloir conclure, Monsieur le député.
M. Christian Luscher. Je trouve qu'il est extrêmement suspect de refuser de vouloir soumettre aujourd'hui au peuple un contreprojet qui prévoie des exceptions.
Je vous demande tout à fait sincèrement et tout à fait solennellement de bien réfléchir à ce que vous êtes en train de faire. Personne n'est obligé de ne jamais changer d'avis - vous pouvez changer d'avis ! Si l'on propose un contreprojet à cette initiative, on mettra la population - le peuple genevois - devant la possibilité de décider en une fois s'il veut de l'initiative, et si oui, cumulativement, il entend accepter un certain nombre d'exceptions; et si oui, lesquelles. (Applaudissements.)
La présidente. Je salue à la tribune notre ancienne collègue, Mme Maria Roth-Bernasconi, conseillère nationale. (Applaudissements.) La parole est à M. le député Alain Charbonnier.
M. Alain Charbonnier (S). Vous remercierez de ma part - je ne vais pas le faire directement - le futur juge fédéral Luscher ! Parce que je crois qu'il est bien parti ! En tout cas, il doit ambitionner ce genre de carrière, vu les grandes déclarations qu'il arrive à nous faire, suite au recours qu'il y a eu et à la décision du Tribunal fédéral. Mais cela ne suffit pas à M. Luscher, il conteste maintenant en disant qu'on devrait opposer directement ce soir un contreprojet à la loi. C'est magnifique ! On n'a pas encore voté sur l'initiative qu'on devrait déjà proposer un contreprojet !
Je demanderai simplement à M. Luscher de retourner dans les pages du rapport qui montrent clairement que, si jamais on décidait d'opposer un contreprojet à l'initiative, celui-ci devrait être voté avant le mois de mars 2009. Je ne vois donc pas quel gain de temps on obtiendrait, dans ce cas-là.
Je crois qu'il est quand même utile de rappeler, pour la énième fois, certainement, les dangers de la fumée passive. Et vous communiquerez ceci à M. Luscher, Madame la présidente, s'il vous plaît: selon une statistique, beaucoup de maladies sont provoquées par l'exposition à la fumée passive. Je vais en citer quelques unes pour que ce soit bien clair: maladies coronaires, altérations vasculaires, cancers du poumon, cancers du sein, cancers des sinus, ainsi que l'aggravation de l'asthme chez les enfants dont on n'a pas parlé... Monsieur Luscher, il se trouve que les familles vont dans les restaurants ! Il y a aussi l'aggravation de l'asthme chez l'adulte: ça, paraît-il, c'est la liberté individuelle, d'après M. Gros ! Donc, d'après M. Gros, ainsi que pour M. Aubert, chacun devrait être responsable individuellement.
Je rappelle quand même que la législation suisse oblige les conducteurs à mettre un ceinture de sécurité, les motards à porter un casque - que vous ne portez d'ailleurs pas toujours, Monsieur Luscher, à ce qu'il m'a semblé voir, mais c'est un détail... (Rires.) Et qu'avez-vous à dire de ces lois ? Tout le monde en Suisse les a acceptées, tous les partis on été unanimes pour les accepter, pourtant, quelle horreur ! Quelle atteinte à la liberté individuelle ! Elles ne concernent que la liberté individuelle et je crois que c'est bien là la différence, Monsieur Gros ! Vous n'avez rien compris à cette initiative: elle parle de la fumée passive ! Celle qui tue les autres, la fumée qui tue les autres, les personnes qui ne fument pas, comme les clients, comme les employés de lieux publics tels que les restaurants ! Il ne s'agit que de cela !
Là-dessus, nous sommes totalement unis, une écrasante majorité va, je crois, se dessiner ce soir pour soutenir cette initiative. M. le rapporteur de majorité ainsi que les préopinants de droite nous disent que l'initiative est extrémiste, etc. Ils prennent l'initiative à son départ, en oubliant bien sûr de préciser les modifications qui ont été opérées et qui laissent apparaître toutes les possibilités d'exceptions qui avaient été proposées par le Conseil d'Etat qui, dans sa grande sagesse, a retiré son projet de loi constitutionnelle, parce que, je vous le rappelle, il s'agit d'un projet de loi constitutionnelle ! Et les grands donneurs de leçon qui sont à notre droite n'arrêtent pas de nous dire, lorsque nous proposons des projets de lois constitutionnelles, que nous détaillons beaucoup trop et qu'ils vont nous démolir de tels projets en allant jusqu'au Tribunal fédéral... Ce qu'ils ne se gênent pas de faire.
Et cette fois-ci, non, vous voudriez intégrer toutes les exceptions, Monsieur Luscher, futur juge fédéral ? On mettrait toutes les exceptions dans un projet de loi constitutionnelle et on inscrirait ça dans la constitution ? Magnifique ! La première chose qui serait faite lors de la révision de la constitution, ce serait de réduire ce genre de choses à néant et de s'en tenir au strict énoncé essentiel, c'est-à-dire le texte de l'initiative ! Je crois qu'il y a effectivement beaucoup - beaucoup ! - d'hypocrisie de la part des gens qui s'opposent à cette initiative.
Finalement, on veut tous la même chose. M. Cuendet a prétendument oublié de le signaler dans son rapport de majorité : la commission était unanime au sujet des exceptions à prévoir ! Unanime, Monsieur Cuendet ! Vous rapportez des initiants qui ont été auditionnés qu'ils restaient sur leur position; une fois qu'on en a discuté au sein de la commission, il y a quand même eu un peu de débats, et pas simplement des citations, comme vous le rapportez en faisant des copier-coller. Votre rapport est bien maigre, je trouve, par rapport aux débats que nous avons eus en commission ! Et lors de ces débats, nous étions unanimes pour trouver des exceptions avec le Conseil d'Etat: pour les EMS, pour les hôpitaux, pour les cliniques privées et pour les prisons. Enfin, nous avons eu des discussions assez ouvertes, ce qui ne ressort pas du tout de ce rapport, que je juge totalement insuffisant.
Nous vous demandons donc de voter en faveur de ce projet de loi et je terminerai juste par une citation d'un médecin - encore un -, le Dr Michel Starobinski, qui déclarait au sujet de la fumée passive: «Nous sommes plus enclins à nous protéger à grands frais de dangers imaginaires ou hypothétiques (la grippe aviaire par exemple) que gratuitement de dangers réels mais familiers.» (Applaudissements.)
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, je voulais quand même revenir sur les arguments de M. Luscher qui me semblent particulièrement fumeux. (Commentaires.) Monsieur Luscher, vous êtes certainement un avocat éminent, mais il n'empêche que votre raisonnement est absolument faux ! Votre proposition de soumettre un contreprojet qui contiendrait des exceptions afin de, selon vous, clarifier le débat est complètement fausse, pour la bonne et simple raison qu'en votation populaire nous aurons de toute façon le texte de l'initiative et le texte du contreprojet ! En cas d'acceptation de l'initiative par le peuple, il va de toute façon falloir adopter une loi d'exécution qui contiendra des exceptions. Oui, Monsieur Luscher, les exceptions seront définies une fois que l'initiative sera adoptée, parce que tant qu'elle n'est pas acceptée, cela n'a aucun sens ! Donc, préparer un contreprojet qui contiendrait des exceptions, c'est faire fausse route et faire perdre du temps à tout le monde !
Pour le reste, j'aimerais aussi revenir sur les arguments évoqués par M. Gros, car je les trouve empreints d'un égoïsme forcené que je ne peux admettre. Je rappelle que cette initiative ne vise pas à interdire la fumée; après l'acceptation de cette initiative, chacun sera libre de continuer à fumer s'il le souhaite et cela n'est pas remis en question. Les fantasmes et le politiquement correct qui viseraient à interdire définitivement l'image de la cigarette dans certaines représentations artistiques relèvent d'un autre débat, qui ne fait pas partie du texte de cette initiative ! Et si une autre initiative devait être déposée dans ce sens, soyez certains que nous ne serions pas d'accord - pas tous - avec un tel texte !
Pour le reste, Monsieur Gros, c'est votre droit de préférer un restaurant enfumé à un établissement où l'on ne boit que de la Vittel, mais vous oubliez que de nombreuses personnes fumeuses ou non-fumeuses sont parfois accompagnées dans les restaurants d'enfants en bas âge ou de personnes âgées qui subissent cette fumée passive de façon non consentante. Et c'est un vrai problème aujourd'hui ! Les propos de M. Stauffer, pourtant père d'un jeune enfant, me semblent particulièrement choquants, parce que la responsabilité d'un adulte, c'est aussi, dès le départ, celle de faire attention à la santé de ses enfants, là où c'est possible ! C'est actuellement très difficile à Genève, car il y a très peu d'endroits qui permettent cela.
Dans ce sens, l'initiative est fort souhaitable pour l'ensemble de la population. Elle n'empêche pas ceux qui le souhaitent de fumer et, de plus, elle garantit des exceptions pour les lieux où il sera nécessaire d'en prévoir. Il faut donc accepter cette initiative !
M. Philippe Guénat (UDC). Comme le rapporteur de majorité a fait son coming out, permettez-moi, chers collègues députés, de faire aussi mon coming out. Oui, je fume le cigare ! Oui, je bois ! Oui, je mange !
Une voix. Est-ce que tu baises ? (Rires.)
M. Eric Guénat. Oui, je vis ! Et j'ai du plaisir à le faire ! Egalement la quatrième chose ! (Rires.) Il est tout de même incroyable, chers collègues, de penser qu'aujourd'hui nous parlons de l'interdiction totale de la fumée, alors qu'il n'y a pas si longtemps nous parlions de la dépénalisation du cannabis ! Cette initiative, dans la forme qui nous est proposée, est complètement irréaliste - absurde !
Une voix. C'étaient les mêmes !
M. Eric Guénat. C'étaient les mêmes ? Ah, voilà ! Same same ! Elle est absurde et irréaliste ! Pourquoi ? Parce qu'elle ne tolère, dans les établissements publics, aucune liberté pour la fumée ! A aucun emplacement ! Cette initiative cite de nombreux pays qui ont prétendument aboli la fumée... Les initiants auraient dû voyager un peu: tous les pays prévoient des exceptions !
Vous parliez d'hypocrisie, Monsieur Charbonnier, alors laissez-moi vous rafraîchir la mémoire - il est un fait que vous êtes plus âgé que moi. Vous mentionnez la ceinture de sécurité, vous mentionnez le casque... Sachez qu'il y a des exceptions ! Les transports agricoles, les véhicules agricoles n'ont pas besoin de ceinture de sécurité ! (Rires. Brouhaha.) La loi indique aussi que les employés postaux n'ont pas l'obligation de porter de casques parce qu'ils font des arrêts fréquents... Donc, même les lois que vous citez prévoient des exceptions !
M. l'ambassadeur Blaise Godet nous dit que l'OMS a décidé d'aller à Bangkok pour tenir ses conférences... C'est marrant, Bangkok, j'y ai vécu dix ans, j'en viens et j'y étais encore il y a trois jours. Eh bien, il faut savoir qu'en Thaïlande les bars sont ouverts à la fumée ! Il faut savoir qu'en Thaïlande les chambres d'hôtel sont ouvertes à la fumée ! Alors que cette initiative l'interdit. Et il faut savoir que les lobbies des halls d'hôtel sont aussi ouverts à la fumée ! (Remarque.) C'est pas vrai ? Alors, allons-y ensemble, Monsieur Charbonnier ! (Brouhaha.)
Comme on l'a dit, cette loi interdit aux patients hospitalisés en phase terminale de fumer...
Des voix. Non !
M. Eric Guénat. Oui ! La réponse qui nous a été donnée est qu'il n'y a qu'à leur mettre des patches anti-tabac ! Alors que M. Beausoleil nous faisait part de ses préoccupations quand on sait que les 70% de la population carcérale fument, on nous a dit: «Vous leur mettrez des patches à vos taulards !»... Bonjour l'ambiance ! (Commentaires.) Cette proposition d'ayatollahs va jusqu'à interdire aux clients de fumer dans leurs chambres d'hôtels à Genève...
Des voix. Ce n'est pas vrai !
M. Eric Guénat. Comment peut-on interdire de fumer dans une chambre d'hôtel à Genève, alors que vous, socialistes, avez fait passer des lois sur la LDTR, qui considèrent les chambres d'hôtels de Genève comme du logement ! Et toute rénovation d'hôtel est soumise à la LDTR ! Vous vous tirez une balle dans le pied ! Ce n'est pas de moi, c'est de M. Luscher.
Attendez, j'en ai encore une bonne ! En tant qu'hôtelier, ma profession a été insultée par Mme Doris Vaterlaus, grande fumeuse devant l'éternel, quand elle ne milite pas au sein du parti socialiste. (Remarque à la tribune.) Mais oui, Monsieur Rielle, vous le savez bien ! Mme Vaterlaus a en grande partie rédigé ce texte; quand je lui ai demandé ce qu'elle avait envisagé pour les établissements qui ont prévu des salles non-fumeurs, pour les hôtels et restaurants qui ont des «Clubs Cigares», eh bien, ses paroles pour les hôteliers-restaurateurs furent que, de toute façon, ceux-ci n'ont rien à dire car ce sont des empoisonneurs ! Ah voilà ! Voilà le genre de totalitarisme de ces gens qui ont préparé cette loi.
Madame Wisard-Blum, vous nous dites que les 70% de la population à Genève souhaitent des établissements publics sans fumée... Bravo ! (Brouhaha.) Mme Fehlmann-Rielle, vous nous dites que les établissements publics qui ont décidé d'être non-fumeurs sont pénalisés par rapport à ceux qui sont mixtes... Il faudrait quand même que vous sachiez ce que vous dites, vous êtes toutes les deux dans le même parti. Est-ce un avantage d'être non fumeur, ou pas ? (Exclamations. Rires. Brouhaha.) Il y a des bridges... Non chers collègues ! Et j'aurai terminé, Madame la présidente... Donnons aux gens la liberté de choisir ! Vous êtes les premiers à scander... Mais donnons-leur le temps de choisir ! Le peuple est souverain, le peuple est adulte ! Arrêtez de prendre les gens pour des crétins ! (Remarques.)
Donc, le groupe UDC votera non à cette fatwa et soutiendra avec énergie un contreprojet - un excellent contreprojet ! - proposé par le Conseil d'Etat. Voilà !
M. Eric Ischi (UDC). Je crains que ce débat ne se prolonge un peu trop, j'essaierai de déterminer qui sont les responsables d'un débat aussi nourri et aussi long...
Mesdames et Messieurs les députés, que cela fasse ricaner ou pas, personne ne conteste, je crois, les dangers et les méfaits de la fumée passive. Toutefois, malgré les sondages qui ont été faits à l'époque, il faut reconnaître qu'en ce qui nous concerne nous avons aussi considéré que l'initiative présentée était beaucoup trop rigide et beaucoup trop exclusive. D'ailleurs, le Conseil d'Etat ne s'y est pas trompé ! Parce qu'il n'a pas perdu de temps, il est revenu immédiatement avec un contreprojet dans lequel figuraient les exceptions dont beaucoup d'entre nous parlent ce soir. Ce que nous comprenons mal, c'est pourquoi ce Conseil d'Etat a retiré ce contreprojet, et c'est bien sa faute si ce soir le débat s'éternise... (Rires. Exclamations.) Là, je me réjouis de voir les explications du Conseil d'Etat à ce sujet !
Il y a encore deux choses que j'aimerais dire. Certains dans cette salle ont rappelé les promesses électorales, enjoignant certains à les tenir. Eh bien, Mesdames et Messieurs, vous qui êtes aguerris à la politique, beaucoup plus que moi... (Commentaires.) ...si toutes les promesses électorales étaient tenues, il y aurait beaucoup moins d'absentéisme et, comme Alice, nous serions au pays des merveilles ! Eh bien, ce n'est de loin pas le cas ! (Remarque.) Oui, oui, je sais, je suis sur la liste ! Mais, concernant cet objet, permettez-moi de vous dire que c'est un piège, parce que les détails de l'initiative n'étaient pas connus. (Rires. Exclamations.)
Dernier point que j'aimerais aborder: il y a sur les bancs radicaux un collègue qui a dit qu'interdire la fumée dans les établissements publics amènera enfin les gens à arrêter de fumer, que les fumeurs comprendront qu'il faut arrêter de fumer... Ça, on peut le souhaiter. Mais la réalité est tout autre ! Si vous vous promenez aux abords des bâtiments publics, regardez un peu les grappes - les grappes ! - de personnes qui sont au bord du trottoir en train de fumer... Alors, je souhaite pour vous que vous arriviez à vos fins ! Je vous remercie.
Quant aux conclusions du groupe, elles sont celles que M. Guénat vous a exposées tout à l'heure et j'y adhère. (Applaudissements.)
Mme Brigitte Schneider-Bidaux (Ve). Je ne vais allonger ce long débat sur la fumée passive puisque vous avez quasiment tout entendu, je voulais revenir sur la liberté de fumer ou, plutôt, sur la «non-liberté» de fumer.
En fait, nous avons eu aujourd'hui un grand débat sur ce qu'est la liberté et ce qu'elle n'est pas. Fumer n'est pas une liberté, puisque la nicotine - la substance contenue dans une cigarette ou un cigare - est pratiquement le produit le plus toxique au monde ! Non parce qu'il tue instantanément, mais parce qu'il tue à petit feu, puisqu'il s'agit d'un des produits les plus «addictifs». Les personnes fumeuses sont en fait captives de leur cigarette et n'ont pas forcément le choix d'arrêter de fumer. Dire qu'on a le choix de s'arrêter, c'est ne pas connaître cet aspect-là des choses et c'est mentir ! Les cigarettiers le savent extrêmement bien puisqu'ils ont inventé des tas de substances à rajouter dans leurs cigarettes. Si vous saviez le nombre de produits que l'on trouve dans une cigarette, vous seriez très étonnés ! (Remarque.) Plus de 4 000 produits, Madame von Arx-Vernon ! Effectivement, ceci est une réalité dont on n'a encore pas parlé aujourd'hui, et ce qui serait important, c'est de faire de la prévention !
Le premier acte de prévention serait de voter cette initiative, puisque les juges de Mon-Repos ont décidé qu'il était possible de prévoir certaines exceptions et que le vote de cette initiative ne posait donc pas de problème.
Je vous enjoins donc de voter cette initiative, même si quelques membres de certains partis ne voteront pas comme l'ensemble de leur parti, puisque nous sommes pluralistes, et je trouve cela très important.
M. Gilbert Catelain (UDC). Il est paradoxal de se retrouver dans un débat aussi animé, sachant que la plupart d'entre nous sont d'accord avec le principe selon lequel la fumée est un fléau. Ce n'est pas le seul, il y en a bien d'autres: les boissons sucrées, la graisse dans les aliments, les fumées des Cheneviers, par exemple, et pour lesquels aucune initiative n'a encore été rédigée. Il n'en demeure pas moins que les candidats des élections de 2005 s'étaient majoritairement déclarés favorables à l'initiative. Certains, entre-temps, ont changé d'avis, peut-être après avoir lu le texte de l'initiative. Et la seule chose qui nous sépare, finalement, c'est la forme sous laquelle une interdiction totale ou partielle peut être mise en oeuvre et doit être présentée devant le peuple.
Cela étant dit, je remercie les auteurs de l'initiative d'avoir exposé le problème et d'avoir apporté une solution. C'est une solution parmi d'autres, ce n'est pas la seule, nous n'avons pas l'obligation de rester dans un système binaire qui veut qu'on soit d'accord avec l'initiative et faire ainsi partie des gentils et que si on est contre l'initiative - et nous sommes les gentils - et que, parce qu'on est attaché à d'autres principes, on soit les méchants.
J'en appelle donc au respect des uns vis-à-vis des autres, au respect des opinions, et au respect du choix ! Du choix de pensée et du choix devant un texte législatif qui aura des implications pour l'ensemble des habitants de ce canton.
La position des radicaux est assez paradoxale. On se pose la question de savoir, s'il ne constitue pas, les élections approchant, d'un vote que je qualifierai d'opportuniste, puisque le sondage Smartvote que vous trouvez en annexe au projet de loi montre très clairement que les radicaux sont totalement partagés sur la question, comme les membres de l'UDC, d'ailleurs, puisque c'est à peu près du 50/50 ! A savoir que 50% des radicaux qui siègent dans ce parlement se sont exprimés contre l'initiative, mais, influencés par le totalitarisme ambiant, ils vont devoir voter comme un seul homme pour l'initiative ! (Protestations.) Ils sont privés de leurs droits démocratiques, probablement par les instances officielles de leur parti national ! (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)
Au niveau de l'UDC, on ne va pas appliquer ce principe. Chaque membre sera libre de voter comme il l'entend, pour l'initiative ou le contreprojet ou pour les deux. Dès le départ, nous avons dit qu'il ne s'agissait pas forcément d'un débat purement politique qui opposait la gauche et la droite, chacun étant concerné par ce débat à un titre ou un autre.
Finalement, nous sommes appelés à nous prononcer, non pas sur le principe de l'interdiction ou de la nocivité de la fumée mais sur la manière dont l'appliquera progressivement, prenant en compte que les fumeurs - Mme Künzler, ou plutôt sa collègue, l'a dit - sont d'abord des malades. Et je ne connais aucune démocratie au monde où l'on soigne des malades avec des interdictions ! Ou l'on soigne des personnes dépendantes avec des interdictions ! Les mêmes personnes qui, aujourd'hui, nous proposent l'interdiction de la fumée dans l'ensemble des établissements publics, y compris les lieux d'hébergements, sont les mêmes qui s'opposent à l'abstinence comme traitement pour la dépendance aux stupéfiants. Or, beaucoup parmi vous considèrent ou assimilent la cigarette à une dépendance !
Pour beaucoup de personnes seules, la cigarette et la fréquentation d'un établissement public représentent souvent le seul lien social. Il me paraît inconcevable que l'on interdise du jour au lendemain pour certaines catégories de la population l'accès à un établissement public, même si cet établissement était réservé aux seuls fumeurs. (Bruit de larsen.)
La présidente. Décidément, les «insup» -portables...
M. Gilbert Catelain. Donc, par rapport à cette question de choix, cette question de société, il me paraît indispensable de laisser le choix à l'électeur entre une initiative qui interdit la fumée partout - partout ! - et un contreprojet équilibré, celui du Conseil d'Etat, qui permettrait d'atteindre les objectifs de l'initiative tout en prévoyant des exceptions.
C'est la raison pour laquelle je vous enjoins à soutenir le contreprojet, afin de permettre au peuple de se prononcer en âme et conscience. Je vous remercie.
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le rapporteur de majorité Edouard Cuendet.
M. Edouard Cuendet (L), rapporteur de majorité. Compte tenu de la longueur du débat actuel, je serai très bref. J'aimerais juste revenir sur un point qui m'a particulièrement frappé. En effet, on m'a dit que je m'ingérais dans les affaires de la commission parce que je prétendais que certaines dérives y étaient apparues, notamment concernant les valeurs démocratiques qui font la richesse de notre société... Je constate que mes craintes ont été confirmées, lorsque j'ai entendu deux membres du parti socialiste, Mmes Emery-Torracinta et Fehlmann Rielle, dire très clairement qu'elles considéraient comme abusives l'utilisation du droit de recours ou la présentation d'un contreprojet et qu'il s'agissait au fond de mesures dilatoires. Je rappelle que ces droits sont absolument fondamentaux pour notre démocratie ! Ils sont inclus dans notre constitution cantonale et nous devons en être fiers ! Je m'étonne que ces critiques proviennent d'un parti dit républicain. En ce qui concerne Mme Fehlmann Rielle, cela m'étonne moins, sachant que son mari est très actif dans le comité d'initiative. (Huées. La présidente agite la cloche.)
Ensuite, une autre chose m'a frappé. D'ailleurs, on nous a tenu le même discours en commission que ce soir, on nous a asséné un nombre considérable de statistiques sur toutes sortes de pays. Toutefois, personne parmi ces grands statisticiens qui nous entourent ne nous a parlé des exceptions qui existent dans tous les pays ou cantons cités ! Des exceptions qui ne sont pas prévues par l'initiative 129, dont je persiste à souligner et à dénoncer le caractère absolutiste. C'est bien beau de nous dire que 80% ou 70% des Italiens sont contents, suite à l'introduction d'une loi sur ce sujet... Mais il s'agit de lois qui sont souples et qui prévoient des exceptions ! Et les statistiques, une fois de plus, on peut leur faire dire ce que l'on veut ! Ce qui compte, c'est la réalité des textes et de leur application. Parce que personne n'a parlé du climat en Italie.... Je vous invite à passer vos soirées d'hiver à l'extérieur, dans les rues de Carouge, et à fumer vos cigarettes sur les terrasses, c'est très agréable... En revanche, si vous vous trouvez à Naples, évidemment que cela me paraît déjà plus facile.
Dans ce débat, nous avons fait preuve, une fois de plus, d'un nombrilisme bien genevois. Cela m'étonne tout particulièrement du parti radical qui est un grand parti national et qui a deux conseillers fédéraux qui soutiennent le projet de loi nationale avec les associations patronales et les associations économiques. Je dois dire que je suis assez déçu de cette attitude, mais voilà, le projet national est soutenu largement ! Il prévoit une situation qui correspond à la réalité du terrain et qui est l'objet d'un consensus très large; il me semble donc qu'il mériterait plus d'attention.
Au sujet de l'OMS, je relève que, si cette organisation est certes domiciliée à Genève, le pays hôte est bien la Suisse. Et je suis certain que l'OMS serait très satisfaite d'une solution helvétique et non pas d'une «genevoiserie» de plus. (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur. La parole est à M. le rapporteur de minorité Christian Brunier.
M. Christian Brunier (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, très rapidement, parce que je crois que le débat a suffisamment duré... (Remarques.) Certains pensaient ou espéraient voir une lutte de camps gauche-droite. Heureusement, et je l'ai dit au début, il s'agit d'un problème de santé publique et il n'y avait pas de débat gauche-droite à avoir. Je crois que ce débat n'a pas pris la tournure d'une guerre de clans et qu'on peut en féliciter ce parlement !
Juste une remarque par rapport à l'intervention de M. Gros qui nous a dit que, si la fumée devait être interdite dans les bistrots, on instaurerait - je vous cite: une société «chiante». Je vous cite ! Je prends volontairement un exemple où il n'y a pas d'exceptions: en Italie, il n'y a pas d'exceptions - dans les bistrots, il n'y a pas de fumoir. Donc, la loi n'en prévoit pas pour les bistrots et restaurants, elle en prévoit dans d'autres domaines. Et pourtant, les Italiens ne sont pas les derniers à rigoler et à faire la fête ! On est allé à Rome dernièrement, ainsi qu'à Milan, et je peux vous dire qu'il y avait une ambiance formidable. Et vous qui... (Remarques.)
Une voix. Avec les SIG ? (Brouhaha.)
La présidente. S'il vous plaît ! On écoute le rapporteur !
M. Christian Brunier. Et vous qui êtes très soucieux de l'économie, ou qui prétendez l'être, sachez que nous le sommes aussi. Alors, que voyons-nous au niveau de l'économie italienne ? Plus 9,6% de clients en plus dans les restaurants ! (Remarque. ) Cela a attiré du monde et je ne crois pas qu'ils sont en train de développer une société «chiante», comme vous dites. Au contraire ! Je crois que les Italiens s'amusent beaucoup dans les restaurants et les bistrots, c'est tant mieux, et cela malgré cette loi qui, finalement, génère de la convivialité.
Si nous résumons les débats de ce soir, je crois que nous avons fait un pas dans le bon sens puisque les 100% des personnes qui se sont exprimées ont reconnu le côté nocif de la fumée passive; je crois que c'est un progrès parce qu'en commission ce n'était pas aussi clair. Cela veut dire qu'il y a une reconnaissance de ce chiffre affolant, que je cite à nouveau: tabac et fumée passive provoquent 700 000 décès en Europe chaque année. C'est dramatique ! (Brouhaha.)
Nous sommes donc d'accord sur le constat, M. Luscher nous dit que les libéraux sont d'accord avec ce constat, mais ce qui diffère entre les deux camps, ce sont finalement les mesures, les remèdes. Sortons des remèdes de gauche, de droite, du centre ou de je ne sais d'où, prenons les remèdes de l'OMS ! L'Organisation mondiale de la santé est l'organisation spécialiste en la matière. Elle le dit: le seul remède possible et efficace, c'est l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Alors, certes avec des dérogations et de la souplesse...
Des voix. Eh bien voilà !
M. Christian Brunier. Mais nous l'avons toujours dit ! Et je crois que le Conseil d'Etat qui soutient cette initiative l'a dit aussi ! Le Tribunal fédéral le confirme: la souplesse, l'ouverture et la dérogation seront finalement de notre compétence, Mesdames et Messieurs les députés, puisque c'est nous qui allons concevoir la loi d'application ! Je crois que nous sommes unanimes sur ce point-là. (Brouhaha.)
Dernier ou avant-dernier point: vous parlez abondamment du contreprojet... Beaucoup de gens nous ont dit que ce serait mieux d'avoir un contreprojet. Personne ne nous a dit: «quel contreprojet ?»... (Exclamations.) Si vous parlez du contreprojet du Conseil d'Etat, je vous rappelle qu'aussi bien le Tribunal fédéral que le Conseil d'Etat disent que ce contreprojet ne sert à plus rien puisque des exceptions sont possibles !
Vous parlez de la loi helvétique, vous dites qu'il faut attendre la loi helvétique... Pourquoi pas ?! Nous aussi préférerions avoir une loi nationale plutôt qu'une loi cantonale ! Je vous rappelle qu'en 2001 exactement le Conseil fédéral a fait de l'interdiction de la fumée dans les établissements publics une de ses priorités en matière de santé publique; six ans plus tard, nous ne sommes toujours pas arrivés au stade de l'objectif fixé par le Conseil fédéral. Peut-être que la loi arrivera dans un mois, mais peut-être aussi dans deux ou trois ans ? Au Tessin, la loi a été votée il y a maintenant trois ans. Certaines personnes disaient d'attendre la loi fédérale. Eh bien comme le dit Mme Patrizia Pesenti, ministre de la santé au Tessin, si l'on avait écouté ces personnes, on serait toujours confronté à la fumée passive aujourd'hui ! Je vous rappelle que le Tessin en est aujourd'hui sorti. (Commentaires.)
Quelqu'un a relevé qu'il fallait se respecter mutuellement. Il y a des gens pour, des gens contre, c'est la loi de la démocratie. Alors je continue à le dire: que nous soyons pour ou contre, allons défendre nos arguments devant la population ! Tout le monde en appelle à la liberté, avec des définitions très différentes. Moi, la seule liberté que je connaisse en démocratie, c'est de laisser la voix à la population, c'est de laisser le peuple voter. Et si ce soir on ne présente pas de contreprojet, le peuple pourra voter rapidement sur cette initiative. (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le conseiller d'Etat Pierre-François Unger.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, puisque tout a été dit, je serai obligé de rappeler deux ou trois choses. Non pas sur la nocivité de la fumée passive qui vous a réunis; pas non plus sur les doutes que nous avions à propos de la formulation de l'initiative à son origine, puisque cela avait donné lieu à un recours qui avait fait craindre au Conseil d'Etat que la mise en oeuvre d'une politique de lieux publics réellement sans fumée soit retardée. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat avait jugé utile de préparer un contreprojet qui prévoyait, dans son corps même, les exceptions auxquelles il aurait été inconvenant de se soustraire. Et tout le monde était d'accord avec cela. Dans le fond, l'accord est donc assez grand !
Puis, le Tribunal fédéral, qui est tout de même l'organe qui dit le droit dans notre organisation judiciaire - le droit avec un grand «D», puisqu'il ne peut être contesté nulle part - a conclu que cette initiative était recevable et qu'il faudrait l'assortir d'un certain nombre d'exceptions; il s'agit à peu près de l'ensemble des exceptions que nous avions prévues dans le contreprojet.
Suite à cela, Monsieur Ischi, pour la clarté des débats devant le peuple, le Conseil d'Etat a décidé de retirer son contreprojet. Parce que quand le tribunal suprême d'un pays dit comment ce projet doit être interprété, il n'y a pas lieu d'en faire plus. Donc, nous nous inclinons et nous entendons que le peuple puisse répondre à une question simple. Concernant cette question simple, je vais prendre une statistique qui n'a pas encore été utilisée: est-on est d'accord d'interdire dans 5% du territoire l'usage de la fumée aux 25% de la population qui fument ? Les 5% de territoire, c'est ce que représente la surface des lieux publics. La réponse est naturellement oui ! Puisqu'il s'agit fondamentalement - à un prix mineur ! - d'interdire sur 5% du territoire la fumée à un quart de la population qui fume ! A un prix mineur, on protège - puisqu'on a tant parlé de ces libertés - des libertés fontamentales qui ne sont pas tellement celles de fumer... Les fumeurs auront 95% du territoire pour fumer, alors même qu'ils ne forment que les 25% de la population. Vous voyez donc la largesse d'esprit des initiants !
Avec cette mesure, on protégera les personnes qui ne seraient, elles, protégées par personne si l'Etat ne s'en mêlait pas. Il s'agit des non-fumeurs, qui doivent travailler dans les lieux publics où l'on fume et qui sont soumis contre leur gré aux méfaits parfaitement connus de la fumée passive ! On rétorquera que ces travailleurs peuvent bien changer d'emploi... Eh bien, je vous suggère d'essayer ! Dans l'hôtellerie et la restauration, lorsqu'on est payé ce que l'on est payé et qu'on a les qualifications que l'on a, choisir son lieu de travail est impossible ! Vous ne pouvez pas faire une sélection fine et demander à un patron de pouvoir venir travailler exclusivement dans une zone non-fumeurs et, le cas échéant, de telle heure à telle heure seulement... Non ! C'est une plaisanterie !
La question est simple, la position du Tribunal fédéral est simple ! L'amputation de la liberté avec un grand «L», elle n'existe pas ! Elle ne ressemble en rien aux exemples que l'on nous a montrés de pays voisins ! Et j'attire l'attention du député Jean-Michel Gros qui nous a cité l'exemple - sans doute le plus drôle et le plus insolite - qui vient de France voisine et qui interdirait que l'on chantât «Carmen» de Bizet, tout du moins dans un lieu public. Je vous signale que si on la chantait en plein air, ce serait une merveille ! Plus de gens pourraient en profiter et ce serait moins cher pour ceux qui ne peuvent pas se payer des places. Et puis, parler de la fumée en plein air... Personne n'a jamais imaginé l'interdire ! (Exclamations.)
Vous voyez qu'au fond il s'agit d'un projet extrêmement raisonné et qui tient compte d'une des bases de nos ordres juridiques qui est la proportionnalité. Le Conseil d'Etat n'est ni prohibitionniste ni hygiéniste dans le sens qu'avait le terme au XIXe siècle, où tout était considéré comme un péché effroyable, ce n'est pas de cela qu'il s'agit ! Nous ne sommes pas prohibitionnistes et nous en avions déjà donné la preuve lors de l'élaboration de la loi limitant l'accès à l'alcool à une catégorie de personnes, et à un moment de la journée, sans qu'il soit d'aucune manière question d'interdire l'alcool. Et cela n'a d'ailleurs pas eu d'influence sur les ventes d'alcool en général, si ce n'est de façon ciblée sur les ventes d'alcools forts aux jeunes qui ont un alcoolisme compulsif - qui va d'ailleurs encore en augmentant, ce qui est très grave. De grâce, ne dramatisons pas sur le sujet qu'est la fumée ! (Remarque.) Oui, parce que nous n'avons pas à ce jour les moyens de contrôler tous ceux qui trichent et parce qu'il n'est pas non plus dans l'esprit du Conseil d'Etat de mettre des agents derrière chaque commerce de ce canton.
Cet objet est maintenant clair, il doit être voté. Quand le Conseil d'Etat a retiré son contreprojet, c'était tout simplement pour accroître la clarté de la question soumise au peuple, ce n'était pas du tout parce que le Conseil d'Etat n'était pas capable de prendre ses responsabilités. Mais je sais qu'il s'agissait dans votre bouche, Monsieur le député, d'une royale boutade, dont nous pouvons parfaitement nous contenter !
Alors votons ! Mais soyons attentifs à un aspect que M. le député Luscher a mis en évidence tout à l'heure. Nous voterons probablement au mois de mars sur cette initiative - je n'ai personnellement pas beaucoup de doutes qu'elle soit adoptée. Nous devrons alors rédiger une loi; elle fera l'objet d'un travail considérable pour obtenir un équilibre entre ce qui devra être autorisé et ce qui sera interdit. Ensuite, le texte proposé aboutira devant votre parlement, qui l'enverra en commission - qui est parfois encombrée et où les choses ne vont pas toujours aussi vite que l'on voudrait. Puis, le texte reviendra devant ce Grand Conseil avec un rapport de majorité et un rapport de minorité. On espère que la loi sera alors votée, puis référendée, et il y aura un nouveau vote populaire.
Donc, ce n'est pas une voie particulièrement rapide. Mais c'est une voie qu'il convient de choisir maintenant ! Parce que tout ce qu'on pourrait faire plus tard ne simplifierait en rien notre travail ! Nous devons nous mettre à la tâche et voter cette loi le plus vite possible, tout en étant conscients qu'il y aura probablement encore un délai d'environ deux ans jusqu'à l'adoption d'un texte législatif formel, puisque le Tribunal fédéral nous en a fait l'injonction.
Pour ne rien vous cacher, je demanderai encore aux «juristes de la couronne» - parce qu'on ne fait pas toujours tout ce que dit le Tribunal fédéral - si cette loi formelle pourrait d'abord voir le jour sous forme d'un règlement dès l'adoption de l'initiative, de manière que les travaux parlementaires soient au moins poussés à plus de célérité, ne serait-ce que pour confirmer ou infirmer l'éventuel règlement du Conseil d'Etat. Nous avons besoin sur ce point-là d'un avis juridique supplémentaire, nous le demanderons, mais sachez que le Conseil d'Etat fera tout pour que les choses aillent le plus vite possible.
Et, encore une fois, dans quelque chose que n'importe qui peut comprendre de sens commun, protéger des gens qui n'ont pas la liberté de pouvoir se soustraire à la fumée - comme protéger des gens qui ont perdu la liberté de se voir interdire toute consommation de fumée - voilà bien l'équilibre que notre Conseil entend vous proposer en vous recommandant très clairement de voter oui à l'initiative et non à un contreprojet. Je vous remercie. (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Messieurs les députés qui avez demandé la parole, je pense c'est pour demander le vote nominal... (Brouhaha.) Vous êtes soutenus.
Mise aux voix à l'appel nominal, l'initiative 129 est acceptée par 50 oui contre 29 non et 4 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat IN 129-A (sur la validité et la prise en considération de l'initiative).
Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 129-C.
La présidente. Mesdames et Messieurs, après cette soirée animée, je vous propose de clore ici nos débats.
La séance est levée à 22h40.