République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1755
Proposition de motion de Mme et MM. Gilbert Catelain, André Reymond, Caroline Bartl, Eric Leyvraz, Eric Bertinat, Antoine Bertschy, Philippe Guénat, Yves Nidegger, Olivier Wasmer : Nouvelle attribution à l'Observatoire statistique transfrontalier : l'évaluation bisannuelle, dans un périmètre d'étude étendu, de la criminalité

Débat

La présidente. Nous sommes en catégorie II, soit trois minutes de parole par groupe.

M. Gilbert Catelain (UDC). Cette proposition de motion a pour principal objectif de permettre au pouvoir exécutif d'adapter sa politique de sécurité en tenant compte des évolutions législatives de nos voisins et des impacts de leur politique dans un environnement où, comme le dirait le conseiller d'Etat Moutinot, il n'y a plus de frontières à la menace.

Genève, de même que les cantons proches et la France voisine, dispose d'un outil qui ausculte chaque année depuis 2001 notre région dans les domaines de la population, du logement et de l'emploi: il s'agit de l'Observatoire statistique transfrontalier, auquel participe activement l'Office cantonal de la statistique. Cet instrument est une aide précieuse à la prise de décisions, en particulier dans le cadre du projet d'agglomération qui nous sera présenté cet après-midi.

Ce printemps, le Conseil d'Etat a d'ailleurs approuvé la convention-cadre relative à l'Observatoire statistique transfrontalier de l'espace franco-valdo-genevois, qui engage l'Etat de Genève, l'Etat français, la région Rhône-Alpes, les départements de l'Ain et de la Haute-Savoie ainsi que l'Association régionale de coopération des collectivités du Genevois. Cet observatoire a été institué en 2001 par le comité régional franco-genevois et a bénéficié d'un financement dans le cadre d'un programme INTERREG. Il fournit des indications précieuses en matière statistique pour la coopération transfrontalière; de plus, il met en réseau et partage les connaissances et les données de l'Institut national de la statistique et des études économiques de l'INSEE Rhône-Alpes et de l'Office cantonal de la statistique - Ocstat. Il constitue de ce fait un instrument de connaissances commun au service des autorités et des acteurs régionaux et locaux.

Pour que cette région se développe de la manière la plus harmonieuse possible, il ne suffit pas de connaître l'évolution de sa population et d'adapter sa politique d'aménagement du territoire en bonne intelligence; encore faut-il en assurer le développement économique dans un climat de confiance, où la sécurité est un élément incontournable. Il serait contre-productif pour l'ensemble de la région de gâcher les réelles perspectives de croissance économique que nous offrent les accords bilatéraux I et II par une perte de maîtrise au niveau du degré de sécurité intérieure que nous devons offrir à la population de ce canton, voire de la région. (Brouhaha.) Or nous pouvons garantir ce standard de sécurité en travaillant sur la base d'une analyse de situation fondée sur des indicateurs communs et durables, dans un périmètre géographique défini.

Aujourd'hui, la collaboration existe déjà entre les différents acteurs franco-suisses dans l'esprit des accords de Berne, les patrouilles mixtes en sont un des éléments-phares. Or, actuellement, cette collaboration souffre de l'absence de données statistiques fiables, et la mise en oeuvre d'une véritable politique de lutte contre la délinquance et la criminalité transfrontalières butent sur une méconnaissance réciproque des mesures prises en matière d'organisation et d'équipement, dont les effets concernent l'ensemble de la région.

De même qu'en matière d'aménagement du territoire, en matière de sécurité aussi, l'absence de réflexion commune ou l'insuffisance de collaboration engendrent des effets pervers. La criminalité se joue des frontières, il nous appartient d'y apporter des réponses et les objectifs de cette proposition de motion peuvent nous y aider, en tentant de comprendre et d'anticiper les effets indésirables que provoque l'ordre juridique qui nous régit.

Pour le bien de notre région, je vous invite donc à soutenir l'élargissement du champ d'action de l'Observatoire statistique transfrontalier en renvoyant cette proposition de motion à la commission judiciaire et de police. Je vous remercie.

M. Gabriel Barrillier (R). Il existe deux façons de lire cette proposition de motion. Les objectifs, tout le monde peut les accepter; faire des statistiques et savoir ce qui se passe, c'est bien, mais il y a deux interprétations.

La première, c'est celle que j'ai faite en lisant la proposition de motion elle-même. Ce texte a été déposé par un parti qui a refusé Schengen, la libre circulation et toute une série d'accords pour l'ouverture notamment de la région. (Brouhaha.) Alors j'ai un sentiment mélangé, chers collègues, je me dis que ce souci de sécurité, de statistiques, n'est-ce pas de la Schadenfreude ?! En d'autres termes, de vouloir démontrer éventuellement que l'ouverture s'accompagne d'une plus grande insécurité et, donc, que vous aviez raison tout seuls ?

Maintenant, j'ai entendu notre collègue Catelain donner une autre interprétation, plus positive, à savoir que cette proposition de motion vise à obtenir des chiffres pour véritablement construire une région pacifique qu'on pourra développer. Et c'est en vertu de cette deuxième lecture que je suis d'accord de renvoyer cette proposition de motion à la commission judiciaire et de police. Merci.

M. Olivier Jornot (L). En Suisse, quand on ne sait pas que faire d'une question, on crée une commission d'experts; en France, on fonde un observatoire, et lorsqu'on est à cheval entre les deux, on institue un Observatoire statistique transfrontalier, histoire d'enterrer les difficultés le plus profondément possible.

Cette proposition de motion nous demande d'accentuer le problème, en confiant encore plus de tâches à cet obscur organisme transfrontalier. Ça ne mange probablement pas de pain et ne fait sans doute pas de dégâts.

Ce texte se fonde sur un certain nombre de prémices qui sont justes, bien sûr, et sur d'autres qui sont fausses. Mettre sur le compte des accords bilatéraux I et II une dégradation des conditions de sécurité est évidemment faux puisque ces accords n'ont en rien porté sur les contrôles aux frontières.

Ce qui est vrai en revanche, et là les auteurs de la proposition de motion mettent le doigt sur un réel problème, c'est évidemment la question de la criminalité transfrontalière - qu'ils ne nous ont pas aidés à découvrir - mais aussi, et surtout, celle de la préparation ou plus exactement de l'impréparation par rapport à la future entrée en vigueur dans notre pays de l'accord de Schengen.

Il est vrai que c'est pour bientôt - en principe en 2008, ou peut-être plus tard si le délai est repoussé - et, jusqu'à présent, on n'a pas entendu beaucoup d'explications très concrètes sur la manière dont on va se préparer et accompagner l'entrée en vigueur de Schengen, que ce soit sur le plan fédéral ou des cantons, du nôtre en particulier.

On évoque dans le texte de la proposition de motion la problématique du refoulement, qui n'existera plus, c'est un vrai problème et il faut s'y préparer. On mentionne aussi, et peut-être qu'on aurait pu encore davantage insister là-dessus, la coordination entre les différents organismes chargés de la sécurité; or nous n'avons pas entendu jusqu'à présent beaucoup d'explications sur la façon dont on allait coordonner le travail, notamment de la police genevoise avec le corps des gardes-frontière, une fois que ce dernier se sera retiré des frontières et qu'il aura la possibilité d'agir sur l'ensemble du territoire de notre canton.

Il est d'ailleurs frappant à ce sujet de constater que dans le rapport sur les Assises de la sécurité publique, que nous allons traiter dans quelques instants, il n'y a pas un mot sur cette problématique, alors qu'elle est précisément cruciale pour la façon dont on assurera la sécurité dans notre canton à partir de l'entrée en vigueur de l'accord de Schengen.

Tout cela pour vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que l'idée d'accroître les compétences de l'Observatoire statistique transfrontalier, même si elle ne nous enthousiasme pas, est néanmoins une mesure que les libéraux peuvent évidemment appuyer.

Pour le reste, nous soutiendrons le renvoi de ce texte en commission, pas tellement pour pouvoir modifier ses très nombreuses invites, parce que finalement ce n'est qu'une proposition de motion, comme on le disait tout à l'heure, mais essentiellement pour entendre rapidement les explications du Conseil d'Etat sur la façon dont il entend préparer notre canton à l'entrée en vigueur de l'accord de Schengen. Je vous remercie.

Mme Véronique Schmied (PDC). Effectivement, dans ces invites, comme l'ont dit mes préopinants, il y a des évidences que personne ne peut nier, comme l'augmentation d'une manière générale de la criminalité; mais à savoir si elle est liée aux accords bilatéraux, là, personnellement, j'émettrais quelques doutes.

Je constate que le canton de Genève a une centaine de kilomètres de frontières avec la France, que l'Etat de Vaud n'en a pas autant, et que pourtant il est cité comme canton où l'augmentation de la criminalité est spectaculaire. Je crois donc qu'il s'agit plutôt d'un phénomène de société général en Europe - pour ne parler que des pays que nous connaissons le mieux et qui sont à proximité de chez nous - et qui n'est pas forcément lié aux accords bilatéraux. Ce qui me dérange personnellement, c'est la stigmatisation de deux groupes nord-africains qui, je crois, n'ont rien à voir avec ces accords.

S'il peut se révéler utile de multiplier les mesures, les chiffres, les observations, les comparaisons, les analyses, alors élargissons le cahier des charges de l'Observatoire statistique transfrontalier, ça peut être instructif, et en outre cela va donner du travail à un certain nombre de personnes. Mais ce qui sera surtout intéressant, c'est de voir ce que l'on va faire de ces informations, quelles sont les mesures sécuritaires qui peuvent en découler, et c'est là qu'il faudra être extrêmement attentif à ne pas dériver vers une paranoïa généralisée.

Je crois, pour ma part, que les hommes de terrain actuels, c'est-à-dire le corps de police, les gardes-frontière, voire les agents municipaux qui sont dans les communes en frontière avec la France, ont déjà de très bons indicateurs. Ils collaborent au quotidien et rapportent ensuite, notamment au Conseil d'Etat, leurs informations. Actuellement, nous disposons donc déjà d'un arsenal d'indicateurs tout à fait intéressant pour savoir quelle politique de sécurité mettre en place dans notre canton, voire dans la région franco-valdo-genevoise.

Par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe démocrate-chrétien demande le renvoi de cette proposition de motion à la commission judiciaire et de police, afin de savoir ce qu'il conviendrait de faire pour améliorer la situation. Je vous remercie.

M. Eric Stauffer (MCG). Le groupe MCG soutiendra le renvoi de cette proposition de motion à la commission judiciaire et de police. Néanmoins, il est vrai, comme l'a dit l'un de mes préopinants, qu'il est assez curieux que ce soit le groupe UDC qui ait déposé un tel texte - eux qui sont réfractaires à toutes les questions européennes et qui ont voté contre les accords de Schengen. Peut-être cela s'explique-t-il par le fait que, le premier signataire de ce texte étant un résident français, il tient à savoir quels sont les taux de criminalité dans le pays étranger où il habite...

J'aimerais juste conclure en répondant à M. le député Nidegger qui fustigeait certains députés travaillant dans les corps de police. Sachez, Monsieur le député, que je préfère avoir des policiers députés que des députés qui résident à l'étranger et qui viennent voter et écrire des lois dans le canton de Genève. (Brouhaha.) Je vous remercie.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Il y a un élément dont nous devons tous être totalement convaincus: il est impossible de garantir la sécurité à Genève sans une collaboration avec les autres cantons, la Confédération, la France voisine et même plus largement. Cela tombe sous le sens. Quelles que soient au demeurant les règles de passage de la frontière auxquelles nous sommes soumis, quels que soient les traités divers et variés, une ville riche attire de toute évidence une délinquance assez importante, puisque plus de la moitié des personnes incarcérées en détention préventive, qu'elles soient suisses ou étrangères, ne résident pas ici.

Si l'on est conscient de ces réalités, cela implique tout le temps et à tous les niveaux de rechercher et de développer cette collaboration qui existe autant avec la Confédération qu'avec la France et qui est efficace sur certains points, et sur d'autres moins.

En ce qui concerne la Suisse en particulier, je vous rappelle que le crime organisé est de compétence fédérale et que le Département fédéral de justice et police refuse obstinément de s'occuper de cette question. Cela nous complique la vie de manière importante, surtout lorsqu'il s'agit de bandes de cambrioleurs que seule la Confédération, s'ils commencent à Rorschach et finissent à Chancy, peut maîtriser ! Au lieu de cela, il y a un refus des autorités fédérales de s'en occuper et je trouve cela tout à fait regrettable.

S'agissant de la collaboration avec la France, je peux vous informer, pour celles et ceux d'entre vous qui l'ignoreraient, que le Comité régional franco-genevois a créé une commission de sécurité, que j'ai l'honneur de coprésider avec le préfet de la Haute-Savoie. Nous y traitons bien entendu de ces différentes questions que sont l'activité du Centre de coopération policière et douanière, qui est bonne, les patrouilles mixtes ou l'échange d'informations et de statistiques.

Je comprends votre souhait de renvoyer cette proposition de motion en commission comme, d'une part, l'affirmation que vous tenez à cette collaboration et, d'autre part, comme un légitime désir d'être mieux renseigné. Et nous acceptons volontiers ce soutien que vous nous apportez et cette incitation à en faire toujours davantage.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1755 à la commission judiciaire et de la police est adopté par 60 oui et 2 abstentions.