République et canton de Genève

Grand Conseil

IN 131
Initiative populaire 131 "Contribution temporaire de solidarité des grandes fortunes pour le rétablissement social des finances cantonales !"
IN 131-C
Rapport de la Commission fiscale chargée d'étudier l'initiative populaire 131 « Contribution temporaire de solidarité des grandes fortunes pour le rétablissement social des finances cantonales ! »

Débat

M. Olivier Jornot (L), rapporteur de majorité. Vous savez qu'il n'y a plus en Europe aujourd'hui, à part la Suisse, que quatre pays qui prélèvent un impôt sur la fortune. Le canton de Genève, lui, fait très fort, puisqu'il a deux impôts sur la fortune: un impôt ordinaire et un impôt supplémentaire !

L'initiative 131 dont nous débattons maintenant propose d'augmenter l'impôt supplémentaire sur la fortune de plus de 300%... On ne parle plus d'une augmentation de 12% comme tout à l'heure, mais de plus de 300% ! Et si l'on fait le cumul de l'impôt ordinaire et de l'impôt supplémentaire sur la fortune, on s'aperçoit que, pour les catégories de contribuables les plus fortunés, cette initiative aurait pour effet, ni plus ni moins, que de doubler - je dis bien «doubler» ! - l'impôt sur la fortune.

Cette initiative vous rappellera peut-être quelque chose... En effet, il y a deux ans - en 2005 - le peuple a rejeté la concrétisation de l'initiative 113 qui proposait, sur la question de l'imposition de la fortune, exactement la même mesure, avec les mêmes taux, les mêmes montants, les mêmes mots que ceux utilisés dans le texte de l'initiative. Et, une année plus tard, les initiants - la gauche - qui avaient, semble-t-il, oublié que le peuple s'était prononcé à ce sujet, ont «remis le couvert» et proposé exactement la même chose !

On nous dit que la hausse d'impôt en question serait temporaire... Mesdames et Messieurs les députés, il faut être réalistes ! La condition qui est fixée pour que cet impôt supplémentaire soit supprimé est non seulement que les comptes de l'Etat soient positifs - ce qui est arrivé en 2006 - mais aussi que la dette ne dépasse pas les recettes de l'Etat ! Cela implique, avec les chiffres actuels, que l'Etat devrait diminuer sa dette de quelque 6 milliards !

Mesdames et Messieurs, si l'on prend le boni de l'année 2006, c'est-à-dire environ 200 millions - boni dont le conseiller d'Etat en charge des finances a bien expliqué qu'il était tout à fait exceptionnel - il nous faudrait trente ans - je dis bien «trente ans» - de bonis identiques pour parvenir à faire diminuer la dette à un seuil suffisant pour que cet impôt soit supprimé. Et ces trente ans, Mesdames et Messieurs, ne démarrent pas aujourd'hui, mais seulement à partir du moment où l'Etat aura fini de décaisser des sommes pour combler les pertes de la Fondation de valorisation, parce que, chaque fois que des sommes sont décaissées, la dette augmente.

Le Conseil d'Etat, dont la prise de position est de rejeter cette initiative, a souligné que les recettes de l'Etat avaient en moyenne augmenté de plus de 3% ces dix dernières années et il en a conclu, de la même manière que M. David Hiler tout à l'heure à propos de l'initiative 130, qu'il ne fallait pas augmenter les impôts, mais rationaliser le fonctionnement de l'Etat.

Ce n'est pas le discours des initiants qui, eux, nous parlent de corriger les effets d'un certain nombre de baisses d'impôt: la baisse d'impôt de 12%, la baisse d'impôt en faveur des familles proposée par Mme Micheline Calmy-Rey en son temps et la suppression des droits de succession. Vous aurez remarqué que, dans les trois cas, il s'agit d'une baisse d'impôt qui n'a strictement rien à voir avec l'imposition sur la fortune et, en outre - évidemment - ces trois baisses d'impôt ont été approuvées par le peuple.

Ceux qui s'opposent à cette initiative soulignent son caractère extrêmement dangereux, parce qu'elle s'attaque de manière frontale à quelques centaines de contribuables, alors que ce sont eux, Mesdames et Messieurs, qui font vivre l'Etat social. Ce sont eux qui contribuent, dans une proportion majeure, aux recettes de l'Etat. Ce sont eux qui permettent à l'Etat de fournir des prestations sociales.

Et ce sont eux aussi qui sont les plus volatiles... Imaginez l'effet psychologique qu'aurait sur les contribuables résidents, mais, également, sur ceux qui envisagent de s'établir à Genève une initiative qui propose, comme je l'ai dit tout à l'heure, de doubler l'impôt sur la fortune !

Pour cette raison extrêmement importante et tout à fait déterminante pour l'avenir de l'Etat, il y a lieu de refuser cette initiative et le principe de lui opposer un contreprojet.

M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité. Face au grand problème que représente la dette de notre canton, chacun s'efforce d'apporter des solutions... Et c'est vous - la droite - qui nous répétez, année après année, séance après séance, que cette dette est très importante. Lorsque des associations genevoises demandent une aide pour des sommes relativement modestes - même 30 000 F - vous répondez que l'Etat n'est pas en mesure d'octroyer ces aides en raison de l'importance de la dette.

Voyez-vous, nous, nous pensons que les faibles de ce canton, financièrement parlant, ont déjà contribué à l'effort nécessaire. Nous pensons que la fonction publique - comme je l'ai déjà dit tout à l'heure - a déjà passablement contribué à cet effort - 1,5 à 2 milliards - pour diminuer la dette. Et je crois qu'il est temps également que contribuent à cet effort les personnes qui en ont les moyens !

De quoi s'agit-il, au juste ? Cette mesure touche les personnes qui possèdent 1,5 million et plus. Elle propose de les taxer à raison de cinq pour mille jusqu'à 3 millions et à hauteur de cinq et demi pour mille jusqu'à 5 millions. Et les contribuables dotés d'une fortune de 5 millions devraient verser un supplément d'impôt de 14 000 F au titre de cette taxe - 14 000 F ! Je pense que les personnes qui ont une fortune de 5 millions peuvent se défaire facilement de 14 000 F ! Ce n'est pas une affaire pour elles et ce n'est pas cela qui va les inciter à partir de Genève. Et je doute beaucoup qu'elles partent en Irak, au Congo... (Exclamations.) ...je ne sais où, à cause de cette taxe ! Si ces personnes résident à Genève, c'est qu'elles y trouvent leur compte ! Elles bénéficient du cadre de Genève, et cela a un coût. Et puis cela a aussi un coût de maintenir les infrastructures que nous avons à Genève, de maintenir la qualité de vie, de maintenir la qualité des soins: habiter à Genève a un coût et chacun doit contribuer proportionnellement, en fonction de ses moyens ! Nous considérons qu'aujourd'hui certaines catégories de la population doivent davantage contribuer à l'effort entrepris pour diminuer la dette, mais de manière temporaire.

Vous êtes convaincus que votre initiative concernant la baisse de 12% devrait générer un supplément de recettes... Mais, voyez-vous, Monsieur Jornot, avec ce supplément de recettes la dette va fondre beaucoup plus vite que prévu. Nous arriverions donc à l'objectif fixé - 8 milliards de dette - beaucoup plus vite, grâce à votre initiative précisément ! Avec votre initiative et avec l'aide de celle-ci, tout va s'arranger: il ne sera pas nécessaire d'attendre trente ans, comme cela a été évoqué !

Quoi qu'il en soit, je tiens à dire ici que le coût de la Banque cantonale de Genève n'est pas le fait de ceux qui payent aujourd'hui. Et, si l'on y ajoute le coût de votre initiative de baisse d'impôt de 12%, on arrive à plus de 5 milliards ! Avec ces 5 milliards, la dette de 13 milliards serait ramenée à 8 milliards, et nous n'aurions même plus besoin de cette initiative 130 ! Eh bien, nous ne sommes pas responsables de cette situation: elle est le résultat de votre politique ! Nous n'avons pas de responsabilité dans la gestion désastreuse de la Banque cantonale de Genève et nous n'avons pas, non plus, de responsabilité dans la baisse d'impôt de l'époque, qui font que les finances de l'Etat se trouvent dans cet état !

Le Conseil d'Etat se serait soi-disant engagé à l'époque dans une politique de ninisme... OK, nous verrons bien ! Mais, à un moment donné, la politique du «ni ni» doit cesser. Comme l'a dit M. Hiler, à un moment donné, lorsque la preuve sera faite que l'on ne pourra plus demander aux fonctionnaires de se serrer la ceinture, que l'on aura été à la limite de ce que l'Hospice général doit donner et que l'on aura diminué le nombre de lits à l'Hôpital à la limite du supportable, il faudra bien se demander s'il faut réduire les prestations de ce canton au point que la situation sociale devienne difficile ou s'il faut augmenter les impôts ! Je pense que tôt ou tard, il faudra effectivement appliquer le projet de loi qui a été voté en 2006. Il s'agira de savoir s'il faut diminuer les prestations ou s'il faut augmenter les impôts: il faudra bien répondre à cette question.

Mais on pourrait éviter d'en arriver là, Monsieur Jornot, en votant cette initiative 131, qui appelle à une contribution temporaire de solidarité des grandes fortunes.

M. Jean-Michel Gros (L). Vous me l'accorderez, il y a beaucoup de points communs entre cette initiative et celle dont nous venons de parler tout à l'heure. Le principal point commun étant qu'il s'agit d'une hausse d'impôt. Mais, si la précédente initiative - et M. Jornot l'a souligné à juste titre - proposait une augmentation pouvant aller jusqu'à 12% en fonction du revenu, celle-ci préconise une augmentation pouvant aller jusqu'à 344% !

M. Alberto Velasco. Pour mille !

M. Jean-Michel Gros. Pour cent, Monsieur Velasco ! (Rires.) Lors de certaines votations fiscales, il était de mise de transformer l'augmentation d'impôt en nombre d'expressos. Et l'on nous disait, par exemple, que telle ou telle hausse ne représentait qu'un expresso par jour... Force est de constater ici que le nombre d'expressos que représenterait cette hausse rendrait plus d'un contribuable complètement cardiaque ! (Rires.) Contrairement à l'autre initiative, celle-ci ne vise pas à corriger une baisse d'impôt. L'impôt sur la fortune n'a pas été modifié depuis des lustres ! L'exposé des motifs des initiants est donc mensonger ! Il s'agit ici d'une hausse massive d'impôt: un point, c'est tout !

Alors, bien sûr, selon l'Alternative, il faut prendre l'argent où il est... C'est là que l'on réalise que le parti socialiste genevois et, même, les Verts, dont l'attitude en commission fiscale m'a déçu... (Exclamations.) Eh bien oui, cela m'arrive des fois ! ...sont plus proches d'Hugo Chavez ou de Fidel Castro que de Tony Blair ou de Zapatero, premier ministre d'Espagne.

Mesdames et Messieurs les députés, si cette initiative devait être acceptée, les conséquences pourraient être encore plus catastrophiques que pour la précédente. Augmenter de 344% l'impôt sur la fortune dès 1,5 million de francs de fortune ne tient évidemment pas compte des réévaluations régulières des biens immobiliers. On retrouvera ainsi, dans les «victimes» de cette initiative, une frange de la population propriétaire d'un logement, voire d'une villa, mais ne bénéficiant que de petits revenus ! Même les Verts l'ont admis en commission, eux qui souhaitaient fixer le plancher à 5 millions ! Voilà donc la politique sociale du parti socialiste genevois, attaché, je dirais même plus, «rivé» aux basques de l'ex-Alliance de gauche pour des motifs purement électoralistes !

Une voix. Bravo ! (Brouhaha.)

M. Jean-Michel Gros. Mais alors, ce qui devient surréaliste, c'est que les contribuables jouissant d'une fortune confortable - qualifiés de «volatiles» même par l'Alternative - ne seront en tout cas pas encouragés à rester ou à s'établir à Genève. Si la suppression partielle des droits de succession et de donation a eu comme effet le retour de certains gros contribuables à Genève, l'initiative 131 ne peut que les pousser à repartir !

Mesdames et Messieurs les députés, quand 3% des contribuables - et je change mes statistiques par rapport à l'initiative précédente - assurent 85% des recettes de l'impôt sur la fortune, je vous laisse imaginer les conséquences du départ d'un seul de ces contribuables !

Ainsi, le groupe libéral vous demande instamment de suivre les conclusions de la majorité de la commission, comme - une fois de plus - celles du Conseil d'Etat - au terme d'une réflexion collégiale, je peux le supposer - et de refuser l'initiative 131. (Applaudissements.)

La présidente. Je salue la présence à la tribune de M. Patrick Schmied, notre ancien collègue. (Applaudissements.) Le Bureau a décidé de clore la liste des intervenants. Sont inscrits: M. Georges Letellier, Mme Michèle Ducret, Mme Loly Bolay, Mme Michèle Künzler, M. Eric Stauffer, M. Michel Forni, M. Daniel Zaugg et M. le conseiller d'Etat David Hiler.

M. Georges Letellier (Ind.). Augmenter l'impôt sur la fortune de 5% des contribuables qui payent déjà 50 à 60% des impôts de cette République serait une injustice sociale... (Brouhaha.) ... qui inciterait un certain nombre de ces contribuables quitter le navire, même si cet impôt ne devrait être - pour les naïfs - que temporaire.

Il ne faut pas perdre de vue que cette ponction supplémentaire est initiée par les 50% de citoyens qui ne payent pas d'impôt ou presque. C'est si facile ! Même la Suède, une référence socialiste, a supprimé cet impôt après avoir vu fuir certains de ses contribuables !

En revanche, au lieu de vous en prendre à ceux qui alimentent nos caisses, vous feriez mieux de vous en prendre à ceux qui les vident, c'est-à-dire à votre électorat, aux subventionnés de tout poil, aux travailleurs au noir, et j'en passe, qui vivent confortablement aux crochets de la société en abusant des acquis sociaux et des droits que le système leur a taillés sur mesure ! Faites ce qu'il faut pour prendre l'argent dans les poches des profiteurs plutôt que dans celles de ceux qui vous les remplissent !

Pour une justice sociale ni de droite ni de gauche, refusons cette initiative !

Mme Michèle Ducret (R). Le rapporteur de majorité a bien fait de rappeler tout à l'heure l'initiative 113, que j'avais du reste signalée en son absence... Il s'est juste trompé de date, puisque c'est en mai 2003 que le peuple a refusé cette initiative. Et je l'informe que c'est à 60% des votants que le peuple genevois a refusé cette initiative.

Cela dit, l'initiative 113, l'initiative 131, comme l'initiative 130, ont la même origine et à peu près les mêmes buts. L'ennui, c'est que l'initiative 131 est un peu plus pernicieuse, dans la mesure où on annonce qu'elle sera «temporaire» alors qu'elle durera probablement éternellement. Ce sera un «temporaire éternel», si je peux utiliser cette expression contradictoire. Malheureusement, ce genre de mesure temporaire entraîne des incertitudes. Mais les gros contribuables que les initiants aimeraient garder à Genève détestent les incertitudes.

Par conséquent, nous refuserons évidemment aussi l'initiative 131.

Nous avons entendu avec étonnement certains intervenants nous parler de la dette et de leur inquiétude à ce sujet... Je rappelle que le groupe radical avait présenté une motion sur le sort réservé à l'or de la BNS en proposant de l'affecter à la diminution de la dette, ce qui a été fait. Mais la gauche n'a pas soutenu la motion radicale ! Nous sommes donc ravis de constater que la gauche a changé d'avis à propos de la dette !

Je le répète, le groupe radical refusera l'initiative 131 ainsi que le principe d'un contreprojet.

Mme Loly Bolay (S). J'ai entendu Jean-Michel Gros traiter les riches de «victimes»... Je trouve cela indécent ! On peint le diable sur la muraille en prétendant que ces «pauvres riches» vont quitter le canton de Genève, tout cela parce qu'on va leur demander deux ou trois sous supplémentaires... Je le répète: je trouve cela indécent !

C'est indécent, Mesdames et Messieurs les députés, parce que dans notre pays, dans notre canton, 20% de la population se trouvent au seuil de la pauvreté ! Alors, il faut tout de même avoir des propos qui tiennent la route !

Mesdames et Messieurs les députés, nous avons entendu tout à l'heure notre ministre des finances nous expliquer qu'il fallait trouver de nouvelles recettes, car il faudrait davantage d'argent pour les EMS, pour les hôpitaux... Je vous le rappelle: aujourd'hui Genève ne souffre pas d'une crise des dépenses, mais bien d'une crise des recettes ! Il faut en trouver de nouvelles ! Chercher des économies dans le fonctionnement de l'Etat, c'est une démarche qui est en train d'être effectuée par le Conseil d'Etat, mais cela ne suffira pas. Vous le savez - et le Conseil d'Etat nous l'a également indiqué tout à l'heure - 2008 sera l'année des grands dangers. Nous en parlerons tout à l'heure avec la RPT, qui va nous coûter, au bas mot, 80 millions de francs.

Il faut trouver cet argent, mais où ? Bien entendu, les libéraux pensent qu'il faut encore faire des coupes dans les subventions, faire des coupes dans le social... Du reste, nous avons dû nous battre, il n'y a pas si longtemps, pour les handicapés, à qui l'on voulait encore enlever 60 F par mois ! Et après cela, Mesdames et Messieurs les députés, on vient nous dire que les «pauvres riches» qui ont 1,5 million et qui vont payer 5842 F de plus - et à qui, il faut le préciser, l'on retire la dette hypothécaire - sont des victimes ! Mais que devrions-nous dire des victimes du social qui n'arrivent plus à joindre les deux bouts !

A ce propos, j'aimerais quand même rappeler ici l'article 27 de notre Constitution fédérale. Il stipule que, lors de l'imposition, il y a lieu de respecter le principe de la capacité économique de chacun. Aujourd'hui, on le sait, ce sont les personnes les plus modestes et les personnes des classes moyennes qui payent le plus d'impôts. On est en train de paupériser une très grande frange de la population.

De plus, les déficits publics obligent les pouvoirs publics à contracter de nombreux emprunts. Ils permettent aux établissements bancaires - bien sûr, les amis des libéraux - de prélever de substantielles commissions, en tant qu'intermédiaires, sur le placement de valeurs étatiques. Eh oui ! Alors, Mesdames et Messieurs les députés, que demande en réalité l'initiative 131 ? Elle propose de taxer un peu plus fortement les grosses fortunes à partir d'un montant de 1,5 million de francs. Par exemple, pour un montant de 3 millions, le supplément d'impôt en vertu de cette initiative s'élèverait à 5812 F et, pour un montant de 5 millions, il serait de 14 112 F.

Mesdames et Messieurs les députés, le parti socialiste persiste et signe toujours et encore pour une plus grande justice fiscale. C'est la raison pour laquelle je vous demande de voter cette initiative. (Applaudissements.)

Mme Michèle Künzler (Ve). C'est vrai, cette question a été posée récemment au peuple et, soyons francs avec vous, c'est pour cela que avions demandé qu'il y ait deux initiatives pour pouvoir séparer cette question en deux. Pour que la question qui avait déjà été tranchée ne soit pas posée en même temps que l'autre qui peut être traitée différemment.

Quoi qu'il en soit, nous soutenons cette augmentation d'impôt, même si elle représente 344%, car elle passe de 0,002 à 0,06%, ce qui n'est franchement pas énorme. Et les chiffres qui ont été énoncés à l'instant vous montrent que l'incidence est faible.

Nous devons diminuer la dette. Je lis dans le rapport de majorité que: «... une diminution de la dette de quelque 6 milliards relève, à vues humaines, du fantasme...». Autant dire que ce n'est pas réaliste et que nous n'y arriverons jamais ! Moi, je trouve inquiétant de tenir de tels propos, parce que, en fait, cela veut dire que vous ne croyez absolument pas qu'il est possible de réduire la dette et que tout ce qui vous importe c'est que l'on continue à s'endetter, à diminuer les impôts comme vous le proposerez encore tout à l'heure ! (Brouhaha.)

En l'occurrence, à part dans vos discours électoralistes, vous ne voulez pas vraiment diminuer la dette: vous n'y croyez pas, vous n'y croyez plus ! Pour nous, il est important de ne plus vivre à crédit. Vous devriez imaginer qu'il vaut mieux accélérer le paiement pour pouvoir payer moins ensuite, plutôt que de payer deux fois la même chose, comme nous le faisons actuellement. Moi j'y crois: la dette va diminuer et nous pourrons supprimer cet impôt complémentaire.

Je vous invite à voter oui à cette initiative, parce qu'il faut agir rapidement: c'est urgent !

M. Eric Stauffer (MCG). Je crois qu'il faut relativiser quelque peu les choses. Il a été dit que 3% des contribuables payaient 85% des impôts... Et puis, nous avons entendu tout et son contraire. Bref, il faut faire une synthèse de tout cela !

Le groupe MCG va refuser l'entrée en matière de cette initiative, pour une simple et bonne raison: en tant que politiciens avérés, je pense que vous avez tous regardé hier soir un fameux débat de nos voisins français qui a très bien illustré ce que vous êtes en train de proposer ici. De quoi veut-on parler ? C'est-à-dire qu'à force d'augmenter les impôts, on tue l'impôt, et, en outre, on tue le commerce. D'après les propos qui ont été tenus hier soir, les entreprises payent les salaires les plus faibles possibles, le minimum légal ! Ici, malheureusement, nous n'avons pas de conventions collectives: il y a donc des abus, ce qui engendre ce que j'appellerai cette «nouvelle pauvreté».

Réfléchissez, il y a vingt ans - ce n'est pas si loin que cela - seul un des deux conjoints travaillait pour assurer le revenu familial. Aujourd'hui, si les deux conjoints ne travaillent pas, ils ne s'en sortent pas. Donc, d'un côté les salaires sont bas et, de l'autre, les impôts augmentent. Et les entreprises qui viennent ici pour créer des emplois et des richesses iront ailleurs si les impôts augmentent ! Regardez ce qui se passe: combien d'entreprises délocalisent ? Pour quelles raisons le font-elles ? Pour trouver une main-d'oeuvre à meilleur marché et une fiscalité réduite. Même des députés entrepreneurs dans cet hémicycle sont en train de délocaliser leur entreprise...

Une voix. Des noms !

M. Eric Stauffer. ...en Chine, notamment ! Alors, Mesdames et Messieurs, il faut bien réfléchir: il faut dire oui à la défense et à la protection sociale, mais il faut aussi tout faire pour attirer les personnes qui ont une capacité d'investissement pour créer des richesses et créer de l'emploi ! En effet et malheureusement, ce ne sont pas les couples où les deux travaillent et gagnent 6500 ou 7000 F qui vont permettre de relancer l'économie, car leur pouvoir d'achat est réduit. Ce ne sont pas eux qui font tourner l'économie ou qui créent des emplois à forte valeur ajoutée. Il faut faire en sorte que les personnes qui le peuvent créent des richesses, pour créer de l'emploi, et c'est exactement ce qu'un candidat à l'élection présidentielle française expliquait hier soir à la télévision. C'est comme cela que l'on pourra relancer l'économie et que l'on arrivera à réduire la dette. Il faut appliquer une fiscalité raisonnable ! A écouter les députés de certains partis, il faudrait taxer les opérations boursières, il faudrait taxer par-ci, il faudrait taxer par-là... Très bien ! Mais que veut-on: vider Genève de sa substance ?

Réfléchissez un peu ! Prenons une région du centre de la France, qui serait équivalente à l'Ain et la Haute-Savoie... Eh bien, ce serait une région pauvre ! Mais l'Ain et la Haute-Savoie sont deux départements très riches, parce qu'ils ont bénéficié d'un leader ! En effet, la ville, le canton de Genève, a drainé cette économie et fait la richesse de ses voisins. La preuve, c'est que le taux de chômage de ces deux départements est le plus bas de France. Cherchez l'erreur ! A contrario, Genève a le taux de chômage le plus haut de Suisse. Mais ce n'est pas l'objet du débat de ce soir...

Ce que je veux vous faire comprendre, c'est que trop d'impôt tue l'impôt !

Nous refuserons donc l'entrée en matière de cette initiative.

M. Michel Forni (PDC). Utiliser la fracture sociale pour imposer un impôt de solidarité sur la fortune est toujours le reflet d'un modèle de société où il y a de l'injustice sociale. Mais, derrière les polémiques sur l'impôt, sur les revenus, sur la question de la légitimité de la richesse, la question qui se pose est le moyen de la faire contribuer au bien commun. Cette question reste posée, mais elle ne doit jamais l'être sous forme d'une contrainte supplémentaire, car le paysage politique se recompose éternellement à Genève, comme ailleurs. La richesse reste considérée comme légitime et méritée, profitant finalement à tous. Il est donc néfaste, pour la prospérité générale, de freiner encore ce moteur de l'activité sociale et économique, représenté par une minorité de citoyens.

Pour le PDC, qui refuse aussi d'ériger l'argent en dieu, il n'en demeure pas moins que la contribution de la richesse au bien commun ne doit pas inciter à faire fuir les fortunes. Il faut cesser de polémiquer et de rester hanté par le spectre de la spéculation, associé au mépris ressenti envers ceux qui favorisent l'économie.

Genève n'est pas un paradis fiscal. C'est la raison pour laquelle nous, PDC, ne voulons pas entrer plus profondément dans ce débat. Nous refusons cette initiative et vous proposons d'en faire de même.

M. Olivier Jornot (L), rapporteur de majorité. Tout à l'heure, M. le rapporteur de minorité disait que la politique du «ni ni» doit cesser à un moment donné... Il y a une chose qui devrait s'arrêter, c'est le discours dogmatique, idéologique, des socialistes et - hélas, je dois le dire aussi - des Verts en matière fiscale ! Par exemple, le dogme sur la crise des recettes que vous ressassez à longueur de débats ! J'ai envie de dire à Mme Loly Bolay qu'elle devrait simplement lire les documents qui portent sur les comptes 2006... Elle constaterait qu'entre 2005 et 2006 les recettes fiscales ont augmenté de 591 millions de francs, dont 331 millions uniquement pour les impôts sur les personnes physiques ! Il n'y a pas de crise des recettes dans ce canton !

A M. le rapporteur de minorité, qui nous dit que le taux appliqué ne serait que de cinq pour mille, j'ai envie de répondre - je répondrais ainsi peut-être à la question que M. le conseiller d'Etat Hiler semble s'être posée in petto - que, lorsque vous devez payer des impôts qui correspondent à plusieurs milliers ou dizaines de milliers d'expressos par jour - ou d'expressi - parce que vous additionnez l'impôt sur la fortune, l'impôt supplémentaire, la contribution de solidarité et tous les autres impôts que vous oubliez de mentionner dans ce débat, eh bien, vous arrivez en effet à avoir une indigestion de café ! Et vous préférez «mettre les voiles» et aller voir ailleurs si, par hasard, on se comporte mieux avec les contribuables !

Vous avez indiqué tout à l'heure, Monsieur Velasco, avec beaucoup de verve et beaucoup d'ironie, que cette initiative pemettrait avec d'autres moyens conjugués de rembourser rapidement la dette... J'aimerais quand même vous rappeler que, aussitôt que le boni de 200 millions de l'année 2006 a été connu, vos partis se sont jetés sur les médias pour dire qu'il fallait absolument mettre fin à la politique d'austérité ! Et lorsqu'il s'est agi - cela a été dit tout à l'heure - d'utiliser l'or de la Banque nationale, qu'avez-vous fait ? Vous avez lancé une initiative populaire pour faire en sorte que cet or soit utilisé à d'autres fins qu'au remboursement de la dette !

Alors, Mesdames et Messieurs qui soutenez cette initiative, imaginez un instant que, par impossible, cette initiative soit acceptée ! Imaginez le risque pris ! Imaginez que vingt à trente contribuables - rien que vingt à trente - prennent la décision de quitter le canton... Alors oui, Mesdames et Messieurs, oui, Monsieur Velasco, ce serait la fin du ninisme. Et les bénéficiaires des prestations de l'Etat seraient, à ce moment-là, les premières victimes d'une telle situation !

M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité. Tout d'abord, Monsieur Letellier, vous prétendez que 50% de la population ne payent pas d'impôt... C'est faux ! (L'orateur est interpellé.) Je vais vous dire pourquoi, Monsieur Letellier ! Même ceux qui ne payent pas d'impôt, payent des taxes, en payant la TVA sur les produits de consommation ! Donc, tout le monde paye des impôts, Monsieur ! (Exclamations.) Justement, Messieurs, les impôts indirects sont parfois bien supérieurs aux impôts directs ! Vous pouvez faire le calcul si vous voulez en avoir la preuve ! Par conséquent, tout le monde paye des impôts, Monsieur Letellier, et, proportionnellement, parfois bien plus que les personnes aisées !

Vous dites que le débat est idéologique... Mais c'est vrai, Monsieur le rapporteur de majorité ! Quand les personnes qui ont une fortune de 5 millions prétendent qu'elles ne sont pas en mesure de payer 14 000 F de plus, le débat devient forcément idéologique ! C'est vrai ! Je considère que les personnes qui ont une fortune de 5 millions peuvent bien payer 14 000 F de plus. Et si elles prétendent qu'elles ne le peuvent pas, c'est parce qu'elles veulent défendre une idéologie que l'on connaît bien et qui consiste à limiter au maximum possible les recettes de l'Etat pour le restructurer. C'est sur ce point que porte le débat, Monsieur Jornot ! Soyons clairs: c'est le fond du débat, et vous le savez très bien !

Vous dites par ailleurs qu'il y a un danger... Peut-être que l'on court le risque que des personnes fortunées partent... Quoi qu'il en soit, je vous dirai, Monsieur Jornot, que les riches délocalisent leur entreprise pour des questions de coût: c'est évident ! Par contre, je doute beaucoup que les riches délocalisent leur lieu de résidence s'ils habitent un pays aussi agréable à vivre que la Suisse ! (Exclamations.) Il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles, Messieurs ! Il y a encore de la marge, s'agissant d'augmentation fiscale, avant qu'ils ne partent ! Pour le moment, les personnes fortunées viennent s'installer chez nous, et nous savons très bien qu'un certain nombre d'entre elles sont prêtes à revenir !

Messieurs, chaque année, le nombre de riches augmente - ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les statistiques. Chaque année, le nombre de personnes fortunées augmente dans ce pays, et vous venez nous dire que, si l'on ponctionne 14 000 F aux personnes qui ont une fortune de 5 millions, ce serait la catastrophe... Pour ma part, je trouve ce discours insolent et insupportable ! Voyez-vous, 140 millions de recettes supplémentaires seraient une manne bonne à prendre pour l'Etat. Et je suis certain, Monsieur Jornot, que cette mesure ne ferait partir aucun des contribuables auxquels vous faites allusion. Par contre, cette somme contribuerait grandement à diminuer la dette. Et M. Hiler le sait bien, puisque, dans le cas des transferts d'actifs, il nous a expliqué qu'il était nécessaire de baisser le budget de fonctionnement des fameux 20 millions, conséquents de ces fameux transferts ! Imaginez qu'en plus de ces 20 millions vous lui permettiez de compter sur ces 140 000 millions ponctionnés sur des personnes qui en ont les moyens: ce serait un cadeau extraordinaire !

Mesdames et Messieurs les députés, soyez solidaires ! Je fais appel aux «pauvres riches», comme... (Rires.) ...le disait mon collègue tout à l'heure, pour qu'ils se solidarisent avec les «pauvres qui ne sont pas riches» !

Pour une question de solidarité républicaine, je vous demande de bien vouloir accepter cette initiative.

M. David Hiler, conseiller d'Etat. Je voudrais apporter un correctif par rapport à l'intervention de M. Jornot... Avec le boni de cette année, il ne faudrait pas trente ans, mais quelques siècles pour rembourser la dette, puisque ces 200 millions doivent d'abord couvrir la partie des investissements qui n'est pas financée par les amortissements contenus dans notre budget. Ainsi, avec ces fameux 205 millions, l'autofinancement positif se montait à 12 millions pour cette année. En réalité, il aurait fallu obtenir 400 millions de boni pour pouvoir rembourser la dette en trente ans ! Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire, mais cela ne veut pas dire non plus que le seul moyen de diminuer la dette soit de passer par des opérations au compte de fonctionnement. La question est de déterminer ce que l'Etat doit conserver dans son patrimoine: ce qui est utile à la délivrance des prestations publiques et ce qui est un stockage ou une exploitation de locaux - on met en location des loyers généralement bas - ce que l'on peut, en fait, remettre sur le marché, puisque cela ne nous sert strictement à rien pour les tâches publiques.

Il y a des pistes, et je crois qu'il serait faux de nier l'objectif. Oui, si nous voulons que notre Etat vive dans une certaine stabilité financière, nous devons nous fixer un objectif à moyen terme, et même à long terme pour diminuer graduellement, par tous les moyens possibles, la dette de moitié.

J'aimerais dire également que le Conseil d'Etat n'exclut pas, en ce qui concerne l'objet précédent, de faire un jour une proposition disant que nous ne pourrons pas assurer telle ou telle prestation si un impôt n'est pas voté en contrepartie et de soutenir une proposition du type de celle que nous venons d'entendre, après avoir fait la preuve que le processus de rationalisation a été fait.

Par contre, le Conseil d'Etat ne soutiendra jamais cette deuxième initiative, pour une raison toute simple, qui n'est pas idéologique... En effet - et je suis désolé de vous le dire, Monsieur Velasco - sur ce point précis, la question n'est pas de savoir si les riches peuvent payer cet impôt ou non... Bien sûr, ils le peuvent ! La question est de savoir s'ils le veulent ! Et c'est là que la situation est délicate par rapport à une initiative de ce type.

L'impôt sur la fortune n'est pas le principal impôt à Genève. L'impôt principal est l'impôt sur le revenu ! De sorte que, pour un montant en fin de compte minime - en effet, l'initiative ne promet pas monts et merveilles en termes de recettes - si une poignée de très gros contribuables, qui se compte en dizaines - pas en centaines, pas en milliers - décidait de se délocaliser à Commugny - c'est joli Commugny... - eh bien, vous perdriez avec ceux-là, à cause de l'impôt sur le revenu, tout ce que vous auriez gagné sur tous les autres par l'impôt sur la fortune ! Et là, je dois tout de même vous dire que l'on sort du cadre de l'idéologie.

Le Conseil d'Etat est obligé de vous signaler que le moyen que vous prônez pour augmenter les recettes de l'Etat en mettant à contribution des contribuables aisés est vraisemblablement particulièrement mal choisi, parce que, vraisemblablement aussi, il pourrait conduire non pas à une augmentation des recettes, mais à une légère baisse. Certes, tous ne vont pas s'en aller, mais il suffit que quelques-uns s'en aillent pour que cela ait une incidence significative sur les recettes. Par conséquent, l'endroit où vous avez choisi de frapper n'est pas le bon.

Maintenant, je comprends - et je dirai que le Conseil d'Etat comprend - l'inquiétude de bon nombre de nos concitoyens, de ce parlement - une bonne partie de ce dernier, j'espère - par rapport à une répartition de plus en plus inégale des revenus. Mais j'aimerais aussi vous rappeler que la plupart des autres cantons suisses connaissent non seulement l'équilibre, mais n'ont pas de dette ! De sorte que la grande question qui se pose à eux aujourd'hui, c'est de savoir de combien ils vont baisser les impôts. Et nous devons tout de même tenir compte de cet état de chose au-delà de ce que nous aimerions. Si le but - cela concerne, je le répète, cette deuxième initiative et pas la première - est d'augmenter les recettes, vous avez une chance sur deux de ne pas l'atteindre, voire de perdre des recettes, parce que vous touchez un point sensible. Et il suffit que très peu de contribuables s'en aillent pour arriver au but inverse de celui qui est recherché. Certes, le taux est très bas, 0,06%, mais, sur les revenus IFD, impôt communal et impôt cantonal, le taux peut osciller entre 30 et 40% pour de très gros revenus. Alors, vous comprenez bien que lorsque vous aurez perdu 30 ou 40% d'impôt sur le revenu, hiiiii... (Rires.) ...cela sera très difficile à rattraper, même si la fortune est assez conséquente !

Donc, je pense sincèrement, même si j'adhère à l'objectif, que le moyen proposé dans cette initiative est assez clairement mal choisi. Et le Conseil d'Etat, sans un brin d'hésitation et avec une très grande unanimité, vous invite à rejeter ce texte. (Applaudissements.)

Mise aux voix, la prise en considération de l'initiative 131 est rejetée par 52 non contre 29 oui.

L'initiative populaire 131 est donc refusée.

Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est refusé par 81 non (unanimité des votants).

Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 131-C.