République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9634-A
Rapport de la commission d'aménagement du canton chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites (L 4 05)
Rapport de majorité de M. Christophe Aumeunier (L)
Rapport de minorité de Mme Michèle Künzler (Ve)

Premier débat

M. Christophe Aumeunier (L), rapporteur de majorité. La majorité de la commission a refusé ce projet de loi qui vise à inclure la notion de voie historique au sein de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites.

Les opposants à ce projet de loi ne sont pas opposés à la protection du patrimoine, c'est important de le dire, car cela a été exprimé à plusieurs reprises par les représentants de la majorité qui a refusé le projet de loi en commission. Il faut rappeler qu'il n'y a aucune obligation de légiférer en cette matière qui découlerait du droit fédéral. Un cadastre des voies de communication historiques est en cours de réalisation et l'ordonnance y relative ne sera en consultation qu'au début de l'année 2007, très vraisemblablement.

Puisque légiférer n'est pas obligatoire, il faut se poser la question de savoir si cela est opportun et utile. A vrai dire, cela pose très directement la question de savoir ce que sont les voies de communication historiques. La question n'est pas anodine, puisque le droit fédéral ne l'a pas encore défini; l'ordonnance le fera sans doute.

Toutefois, la majorité de la commission n'a pas jugé utile de proposer une définition des voies de communication historiques, considérant que ce qui est important de protéger sont les vestiges physiques et non les objets ou les concepts immatériels, à savoir des tracés dont il ne subsiste pas de trace physique. Que faut-il donc entendre par vestiges historiques physiques ? Il faut entendre les pierres, les bornes, les empierrements, et a fortiori les ponts, etc. Ces objets sont tous des antiquités immobilières, des immeubles - on ne parle pas d'immeubles au sens commun du terme, à savoir là où l'on loge, mais bien des immeubles au sens juridique du terme, qui s'opposent au meubles, ceux que l'on ne peut pas bouger. S'ils représentent une importance particulière, les sites dignes de protection peuvent faire l'objet de plans de sites.

La majorité de la commission a donc constaté que les éléments constitutifs des voies historiques sont tous déjà protégés, car ils sont inclus dans la LPMNS. Il n'est donc pas utile de prévoir dans la loi une protection particulière des voies de communication historiques.

Au-delà de l'utilité de légiférer, il faut encore expliquer l'opposition à l'insertion de ce terme dans la loi. Cette insertion est inopportune, car elle ouvre la voie à une protection disproportionnée du tracé des voies historiques, quand bien même aucun vestige ne subsisterait, quand aucune trace physique n'attesterait plus d'un objet ainsi devenu immatériel et qui ne serait plus qu'un souvenir.

Cette crainte n'est pas infondée. La société d'Art Public s'est ouvertement opposée à un projet d'aménagement - lequel sera le point suivant de votre ordre du jour, à propos de la route de Meyrin - en se référant aux voies historiques. Il a été admis qu'il n'y subsistait plus aucune trace physique, même si l'on nous a dit qu'il s'agissait de voies historiques que l'on devait protéger et qui devaient persister.

Au bénéfice de ce qui précède et convaincue que la loi actuelle offre une protection efficace des vestiges physiques des voies historiques, la majorité de la commission vous recommande de refuser ce projet de loi.

Mme Michèle Künzler (Ve), rapporteuse de minorité. J'aimerais commencer par une petite indication. Dans le rapport de majorité, on nous signale que deux MCG ont voté. Je ne sais pas si vous préfigurez d'une avancée du MCG - je ne le souhaite pas - mais il faudrait que cela soit corrigé.

J'aimerais rappeler que ce projet de loi provient de la motion 1545, qui a été signée par tous les partis présents dans ce Grand Conseil, à la suite de la publication d'un livre écrit par notre ancienne collègue députée Anita Frey sur ces voies historiques. A l'unanimité, il a été demandé de faire un projet de loi ! A l'unanimité, cette motion a été acceptée. Et maintenant, au moment de concrétiser la loi, on rechigne à aller de l'avant...

Ce qui est demandé ici n'est pas une mesure de protection physique des chemins actuels; parce que cela, c'est une mesure qui sera prise sur chaque objet concret. Et c'est là qu'il me faut contredire le rapporteur de majorité: ce n'est pas un tracé imaginaire qui sera protégé, mais bien, chaque fois, un objet concret. Et si la protection était vraiment existante, pourquoi avez-vous voté la motion pour protéger les voies ? C'est donc qu'a fortiori la loi ne les protège pas actuellement.

Et l'inventaire - pour une fois que Genève est en avance - a été fait il y a dix ans ! On a toute la documentation sur les voies historiques, pourquoi alors laisser moisir ces éléments sur une étagère ?

Les maires des communes genevoises situées en campagne ont de magnifiques chemins qu'ils tiennent à protéger, et c'est une bonne chose. Je le répète, il s'agit chaque fois d'un objet ou d'un chemin précis et une enquête publique est effectuée pour chaque mise à l'inventaire.

La protection de ces chemins est un objectif que nous pouvons tous partager, parce que nous avons tous besoin d'avoir un lien avec le passé. Et quoi de plus beau qu'un chemin qui nous relie au passé ? C'est important pour savoir où l'on va. J'ai été vraiment choquée en commission que l'on nous dise - je ne répète pas les paroles exactes: «Au fond, à quoi bon protéger trois-quatre cailloux qui se courent après et qui vont nous empêcher de faire des constructions ?» C'est vraiment faire peu de cas de la culture et j'espère que la plupart des gens vont revenir à de meilleurs sentiments et ne pas se laisser emporter par des mouvements d'humeur. Je vous rappelle que tout le monde était d'accord pour protéger ces voies historiques et je pense que c'est un objectif que nous pouvons partager.

M. Eric Leyvraz (UDC). Le groupe UDC constate que les voies historiques sont inscrites dans les mesures de protection de la LPMNS. La loi actuelle suffit à protéger notre patrimoine et il n'y pas de lacune dans la législation, permettant la disparition d'un objet de valeur. Nous sommes, bien sûr, attachés aux vestiges du passé et attentifs à leur protection, mais nous devons aussi songer au développement de notre canton.

Effectivement, Madame Künzler, rien de plus beau qu'un de ces chemins anciens bordé de chênes... Mais quand, pour empêcher une construction sur la route de Meyrin, on invoque la valeur historique de cette pénétrante et de sa perspective... Vous connaissez tous, n'est-ce pas, la beauté émouvante de la route de Meyrin ? On voit bien à quels abus pourrait conduire une protection disproportionnée d'un prétendu patrimoine historique.

Le groupe UDC vous recommande donc, Mesdames et Messieurs les députés, de refuser ce projet de loi.

Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Comme cela a été relevé par Mme Künzler, on se demande effectivement pourquoi il y a avait deux MCG dans les votes, mais cela ce n'est encore pas trop grave et pourra être modifié.

Pour le reste, je soutiens ce projet de loi. Je n'en fais pas davantage en faire état, d'autres vont s'en charger.

M. Jean-Michel Gros (L). L'ensemble des lois qui régissent actuellement l'aménagement du territoire constitue un véritable millefeuille, et chacun et chacune d'entre nous a contribué à y rajouter une couche. Il en résulte une législation d'une telle complexité qu'il est difficile de s'y retrouver, même pour les professionnels.

Précisément, ce projet de loi veut en rajouter une couche. Et c'est celle que la majorité de la commission et le groupe libéral considère comme celle de trop. Certes, le Conseil d'Etat n'a fait que répondre, par ce projet de loi, à une motion votée par notre Grand Conseil, mais en étudiant plus à fond ce projet nous nous sommes aperçus que la couche de millefeuille supplémentaire était inutile. La législation sur la protection des monuments et sites est suffisante et apte à protéger certaines voies historiques.

Dans la législation actuelle sur les immeubles au sens large, ou sur les sites dignes d'intérêt, les voies historiques - pour peu qu'il en reste quelques éléments et non pas une simple symbolique - sont évidemment sous protection. Contrairement à ce qu'écrit Mme Künzler dans son rapport de minorité, il ne s'agit pas de jeter aux orties ce qui nous relie à notre passé et d'effacer ces charmants chemins bordés de chênes...

Une voix. Ah, c'est romantique !

M. Jean-Michel Gros. Il s'agit simplement de considérer la législation actuelle comme suffisante. En spécifiant les voies historiques dans la loi, vous risquez l'engagement de personnel supplémentaire dans les services de la protection des sites, et peut-être un allongement des procédures - quand je dis «peut-être», c'est un euphémisme. Le Mémorial de cette séance suffira à montrer que sous l'appellation actuelle «immeubles ou sites dignes d'intérêt», le législateur a compris aussi «voies historiques». Alors, n'ajoutons pas une couche supplémentaire à une législation terriblement compliquée: le groupe libéral vous demande de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi.

Le président. Le Bureau a décidé de clore la liste. Sont encore inscrits: MM. Cerutti et Etienne, Mme Janine Hagmann et les rapporteurs.

M. Thierry Cerutti (MCG). Le Mouvement Citoyens Genevois est convaincu que le canton de Genève souffre d'une sur-réglementation en matière d'aménagement et de construction et que cela constitue un frein au développement. Le patrimoine genevois bénéficie déjà de protections imposées par les commissions compétentes et dont il est tenu compte par les acteurs de l'aménagement et de la construction. Il n'est pas souhaitable d'augmenter encore le niveau de restriction pour ces acteurs, car cela se répercute à plusieurs échelons sur notre société.

Nous pensons au contraire qu'il est dans l'intérêt de chacun d'orienter la politique de l'aménagement, parallèlement à celle de la construction, vers une simplification des procédures et une réduction des contraintes.

Le MCG vous recommande de refuser ce projet de loi.

M. Alain Etienne (S). Le parti socialiste soutient le projet de loi et vous invite à entrer en matière et à le voter.

Effectivement, l'Inventaire des voies de communication historiques de la Suisse est inscrit dans la loi fédérale sur la protection de la nature; c'est pour cela qu'un inventaire de l'IVS a été réalisé sur le canton de Genève entre 1994 et 1996. Et si nous voulons inscrire cet inventaire dans la loi, c'est bien pour qu'il y ait une base légale et une reconnaissance de ce travail.

Comme il l'a été rappelé, la motion 1545 a été signée par une majorité des groupes. Il faudrait vérifier, parce que, sauf erreur, le PDC n'avait pas signé à l'époque, et c'est justement le PDC qui a allumé les feux en commission. J'invite le PDC à soutenir ce projet de loi et à ne pas revenir plus tard pour nous demander de protéger ceci ou cela dans le canton, comme il a l'habitude de le faire dans certaines motions.

Le Conseil d'Etat a été invité par la motion 1545 à présenter une base légale; il a fait ce travail et cette base a été présentée à la commission, mais entre-temps il y a eu changement de législature. Et qu'est-ce qui a changé ? Est-ce que la position du parlement s'est durcie par rapport à la protection de la nature et des sites ? Je ne le crois pas, d'autant moins qu'au sein du parti libéral il y a eu par le passé des personnalités éminentes qui ont élaboré des bases légales pour préserver le patrimoine. Je ne comprends donc pas ce revirement actuel du parti libéral... Mme Hagmann devrait être très contente que ces chênes et ces voies historiques à Vandoeuvres soient préservés. Donc, je ne comprends pas ses craintes.

Vous parlez d'aménagement du territoire, de millefeuille, de sur-réglementation, mais je pense aussi que vous êtes heureux quand on parle de cadre de vie ou de patrimoine culturel. Lorsqu'on aménage notre territoire, on doit aussi penser que les gens aiment vivre dans un cadre agréable, et la préservation du patrimoine contribue à la qualité du cadre de vie. Il faut préserver notre patrimoine, préserver notre paysage, et c'est pourquoi nous soutenons ce projet de loi.

Quant à préconiser qu'il faut restreindre les voies historiques simplement à des objets - vous avez dit, Monsieur le rapporteur, que c'étaient des antiquités immobilières... Il s'agit plutôt de patrimoine, d'éléments de paysage, de modelés de terrains et de tracés. Il est très important de prendre en compte ces continuités dans le paysage et, lorsqu'il y a des projets de construction, il vaut mieux travailler avec ces traces, avec ces éléments de paysage, pour construire des quartiers qui maintiennent une réelle valeur patrimoniale.

Pour toutes ces raisons, le parti socialiste vous invite à soutenir ce projet de loi.

Mme Janine Hagmann (L). Comme vous l'avez compris, je vais intervenir ce soir en ma qualité de signataire de la motion 1545. Aussi, quelque part, en hommage à M. Denis Blondel, qui a été un tellement grand précurseur de la qualité de l'environnement et de sa protection et qui, je sais, tient beaucoup à ce sujet.

J'ai écouté intérêt et je crois avoir compris les enjeux du développement indispensable de Genève, mais je pense que ce soir on peut aussi avoir des préoccupations environnementales.

J'aimerais souligner que les chemins historiques ne doivent pas rester un patrimoine ignoré et que si un inventaire a été établi, c'est vraiment pour préserver le paysage. Vous savez d'ailleurs que les communes ont le devoir, dans l'établissement de leurs plans directeurs d'aménagement qui ont maintenant valeur reconnue, de faire mention de ce patrimoine et d'en tenir compte.

Hier et aujourd'hui, je pense que nous avons vécu deux jours de splendeur naturelle sur Genève, ce paysage blanc était extraordinaire, et je suis sûre que beaucoup d'entre vous ont eu envie de se promener dans un de ces chemins historiques aux noms qui font rêver: le chemin des Princes, la Vy-de-Brand, les Communailles, le chemin des Côtes-de-Landecy, Sierne, le chemin de la Blonde... Tous ces chemins sont des voies historiques qui méritent une attention particulière et ne doivent pas rester un patrimoine ignoré. Le paysage genevois suscite depuis des siècles l'admiration des chroniqueurs. Le réseau des voies historiques est d'une incroyable persistance à travers les siècles et participe de façon décisive à la définition de ce paysage.

Alors voilà, la majorité de la commission a décidé qu'une loi n'était pas nécessaire pour préserver cet élément paysager et patrimonial souvent déterminant, ce patrimoine que l'on peut même qualifier de culturel. Soit ! Le rapporteur de majorité affirme que la LPMNS contient des directives qui protègent les voies historiques. D'ailleurs, dans un des journaux que l'on peut prendre gratuitement dans une caissette, j'ai lu un article qui retranscrivait un arrêt récent du Tribunal administratif à propos d'une parcelle querellée sur le canton, article disant: «Il s'agit d'un terrain bordé de chênes centenaires, dignes de protection, figurant à l'inventaire des chemins historiques.»

Le concept de l'aménagement cantonal «Projet 2015» prévoit de reconnaître et de protéger les milieux naturels de valeur, de diversifier le paysage et de favoriser des mesures environnementales. J'espère que chacun saura en tenir compte. Et cela aurait été sûrement plus facile avec une loi...

M. Christophe Aumeunier (L), rapporteur de majorité. En deux mots, j'aimerais répéter ici qu'il n'y pas de législation fédérale, contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure dans la salle. Il y aura une procédure de consultation qui s'ouvrira seulement ce printemps 2007.

Quant à la protection de cette fameuse voie historique de Vandoeuvres et de ses chênes, je dirai que c'est la démonstration même qu'il n'est pas utile de changer la loi.

Mme Michèle Künzler (Ve), rapporteuse de minorité. J'aimerais revenir sur un point. On empiète un peu sur le débat de tout à l'heure en parlant de la route de Meyrin... En aucune manière, ce lieu ne pourrait être protégé, puisqu'il ne reste aucune trace physique. Nous rappelons en outre qu'une protection effective ne peut se fonder que sur une consultation et qu'elle est susceptible de recours. Donc, cette loi permet de tenir compte des chemins historiques, de dire qu'il faut les protéger, mais chaque chemin sera traité spécifiquement, avec toutes les possibilités de recours. Il n'y a donc aucun fait du prince, mais, au moins, on a cette possibilité de protection. Si la loi le permettait déjà maintenant, comme on le soutient, eh bien, tous les chemins historiques seraient déjà classés ! Mais ce n'est pas le cas ! En l'occurrence, nous estimons que cette loi est nécessaire. Et il ne s'agit pas d'engager des personnes supplémentaires: cela fait dix ans que l'inventaire a été fait ! Alors, passons aux actes et au classement de certains chemins ! Il est nécessaire de le faire et je vous invite vivement à voter cette loi.

M. Mark Muller, conseiller d'Etat. Il a été rappelé que ce projet de loi a été déposé par le Conseil d'Etat en réponse à une motion votée par votre Grand Conseil, et la commission a décidé de ne pas l'accepter.

La protection du patrimoine est un élément important de la politique menée par le Conseil d'Etat. Nous sommes tous attachés au patrimoine, qu'il s'agisse de bâtiments, de sites ou de paysages. Comme cela a été dit par un certain nombre d'intervenants, on peut considérer que les voies historiques font partie des sites ou du paysage. Et dans la mesure où le Grand Conseil déciderait de ne pas voter ce projet de loi, je souhaite ici assurer toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la protection de ce type d'éléments qu'une attention toute particulière sera portée à ces voies de communication à l'occasion de projets qui pourraient y porter atteinte.

Vous savez que pour protéger un élément du patrimoine, on peut le faire soit de façon anticipée, en décidant de mener une politique systématique d'inscription à l'inventaire ou de classement de bâtiments, ou de tout autre élément digne d'intérêt, soit on peut le faire à l'occasion d'un projet concret qui porterait potentiellement atteinte à un tel élément. Dans la mesure où ce projet de loi ne serait pas adopté, c'est une telle pratique qui serait suivie par le Conseil d'Etat. C'est-à-dire qu'en cas de danger pour une voie de communication inscrite à l'inventaire national la possibilité existerait d'ouvrir une procédure de mise à l'inventaire ou une procédure de classement.

Mis aux voix, le projet de loi 9634 est rejeté en premier débat par 41 non contre 28 oui et 4 abstentions.