République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 15 décembre 2006 à 8h
56e législature - 2e année - 3e session - 12e séance
PL 9949-A
Premier débat
M. Guy Mettan (PDC), rapporteur de majorité. Je serai très bref. Pourquoi soutenir au fond cette augmentation partielle des annuités et de la prime de fidélité, puisqu'elle entrera en vigueur seulement au mois de juillet de l'année prochaine ? (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) Pour deux raisons.
La première, c'est que le Conseil d'Etat, dans le courant de l'année écoulée, a négocié une convention avec la fonction publique. Cette convention a permis de réaliser un progrès qui nous paraît important, notamment en permettant désormais à l'employeur qu'est l'Etat de se séparer de collaborateurs ne donnant pas satisfaction, en allégeant cette procédure. Dès lors, il convient de ne pas saboter cet effort, mais au contraire de l'encourager, donc de ne pas ruiner cette progression en s'attaquant maintenant aux annuités.
La deuxième chose, c'est que, comme je l'ai dit, ces annuités sont partielles et que, dans ce cas, nous estimons qu'il est logique que l'employeur, comme n'importe quel employeur, même les employeurs privés... Je lisais encore tout à l'heure dans le journal que les employeurs privés accordent des augmentations de 2 à 2,5% en moyenne en Suisse. Il ne me paraît dès lors pas scandaleux que l'Etat de Genève accorde une augmentation qui est inférieure à ces 2%, puisque je crois qu'elle est de l'ordre de 1,5%. C'est logique que l'Etat patron, pour parler comme cela, puisse récompenser le personnel, les collaborateurs qui travaillent pour lui, comme le fait n'importe quel patron du secteur privé.
Voilà juste ces deux précisions en préambule, et je cède maintenant la parole, j'imagine, au rapporteur de minorité, qui va nous fournir des éclaircissements plus substantiels que ce que l'on a pu lire sur les raisons de son opposition à ce projet de loi qui paraît tout à fait fondé.
M. Pierre Weiss (L), rapporteur de minorité. Comme d'habitude, M. Mettan, donnant l'impression de faire des compliments, se veut fielleux. En réalité, ce que je comprends dans son attitude, c'est que, fidèle à sa tradition, il défend à la fois une position et une autre. Il défend le projet de loi de l'Entente sur la fonction publique et en même temps il défend l'ancien système. Comme quoi, en étant des deux côtés, on est toujours sûr de gagner. C'est ce que j'appelle le courage et la lucidité. (Protestations.)
J'aimerais brièvement revenir sur un ou deux points de ce rapport de minorité concernant ce projet de loi dont nous sommes doublement insatisfaits, et à la forme, et au fond. A la forme, parce que - M. Mettan a évidemment oublié de le rappeler - l'exposé des motifs ne fournit aucune indication quant au coût de l'accord... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) Il a fallu que les libéraux, fidèles à leur tradition de rigueur, insistent en commission pour obtenir des informations et que l'on arrive à un chiffrage qui soit, en ce qui concerne les annuités, de 38 millions et, en ce qui concerne la prime de fidélité, de 3,5 millions. C'est effectivement inférieur à ce qui aurait été s'il y avait eu une pleine application des anciens automatismes, mais c'est évidemment supérieur à ce qui aurait dû être compte tenu de la situation de l'Etat, compte tenu de ce qu'aurait fait, par exemple, un gouvernement de gauche neuchâtelois - où, il est vrai, il n'y a pas de PDC - c'est évidemment supérieur à ce que la situation catastrophique genevoise impose. Cela, c'est à la forme.
Quant au fond, nous avons effectivement affaire ici aujourd'hui à un octroi prématuré d'un certain nombre de millions supplémentaires qui sont déboursés par les contribuables. Il est vrai que les fonctionnaires et notamment les cadres, les spécialistes, les hauts fonctionnaires, font un travail remarquable, mais la façon de récompenser ce travail, d'en prendre acte, n'est pas une façon qui est adéquate. Le Conseil d'Etat - je rends ici hommage à M. Hiler - tente de moderniser le système, à petits pas, mais, de notre point de vue, cette modernisation à petits pas ne va pas suffisamment loin, n'est pas suffisamment globale.
Au fond, ce projet de loi, c'est la démonstration d'un acharnement thérapeutique... (Exclamation.) ... pour un système obsolète, c'est un projet de loi qui, contrairement à ce que la sagesse voudrait, continue d'ouvrir les vannes de notre canton. C'est une ouverture sur d'autres expédients. Je pense par exemple aux projets de lois concernant les transferts d'actifs qui risquent de charger, s'ils sont rejetés par le peuple, à 20 millions de déficit supplémentaire. Le moment n'est pas venu !
J'aimerais conclure en vous disant, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, que si, par lucidité retrouvée, une majorité de ce parlement venait à refuser ce projet de loi, les libéraux, fidèles à leur rigueur, considéreraient que ces 40 millions, au bas mot - pour reprendre les termes de M. Hiler, je solde la différence - ces 40 millions ainsi retrouvés nous permettraient d'aborder plus sereinement, je dirais même «plus positivement», le vote sur le budget et, pourquoi pas, d'y apporter notre concours. Mais, faute d'un tel refus, nous ne pouvons pas imaginer que nous soyons les complices - je dis bien «les complices» - d'une aggravation de la dette.
Il y a des moments où il s'agit de respecter - un mot que M. Mettan met à sa boutonnière, «le respect» - le peuple qui nous a élus, de respecter la mission qui nous est confiée. Et c'est ce sens des responsabilités, ce sérieux dans l'accomplissement de notre mission, que je vous demande. J'allais presque dire: «J'en appelle à votre conscience», Monsieur Mettan !
Une voix. Elle est plus grande que la vôtre !
La présidente. Je rappelle qu'il a été convenu que nous consacrions cinq minutes par groupe pour la prise en considération de ce projet de loi.
M. Pierre Kunz (R). Vous vous en souvenez certainement: les radicaux avaient dit oui au rétablissement partiel des mécanismes salariaux pour 2006. Ce ne fut pas un «oui, mais», ce fut un «oui, parce que». Parce que, préalablement, le gouvernement avait annoncé clairement qu'il ferait retrouver à Genève en 2009 l'équilibre structurel de son compte de fonctionnement sur la base des chiffres 2005. L'objectif global étant défini avec précision et accepté par nous, l'engagement de l'atteindre simultanément pris, et solennellement, par le Conseil d'Etat, les radicaux avaient logiquement, notamment en matière de gestion des ressources humaines, laissé ce que l'on pourrait appeler «le choix des armes» au Conseil d'Etat.
Pour nous, le contrat était clair: le Conseil d'Etat entendait réduire de 1,25% ses charges salariales annuelles. A cette fin, il avait besoin d'accroître la productivité des employés d'autant. Dans ce contexte, nous radicaux comprenions que la réintroduction au moins partielle des mécanismes salariaux constituait un prérequis à la nécessaire remobilisation ou à la nécessaire remotivation du personnel. Force est malheureusement de constater qu'il y a eu, pour le moins, un malentendu: le contrat dont je parlais n'a, selon nous, pas été respecté par le Conseil d'Etat.
Nous le savons, si nous observons les chiffres, le Conseil d'Etat, sur les postes «Dépenses générales», «Masse salariale» et «Subventions», reste en 2007 sur la base du budget à 271 millions de la cible qu'il s'était lui-même fixée dans son plan de marche. Même si l'on déduit de ces 271 millions les 150 millions d'incontournables qu'on peut estimer, il reste 100 millions d'écart par rapport à la cible de compression des dépenses ! S'agissant des salaires, au lieu de réduire la masse salariale de 2,5%, le Conseil d'Etat la laisse croître en 2008 par rapport à 2005 de 0,8%. Une dérive, Mesdames et Messieurs, de 63 millions de francs !
Même si, comme l'a rappelé mon collègue Barrillier tout à l'heure, le Conseil d'Etat a par ailleurs obtenu des succès stratégiques importants, en matière de compression des dépenses c'est l'échec. Regrettable, décevant, inquiétant... Il marque une insuffisance de rigueur et de volontarisme qui discrédite les ambitions de redressement financier du Conseil d'Etat. C'est un échec qui souligne que les efforts destinés à améliorer la productivité du personnel de l'Etat et à réduire parallèlement les effectifs ne se sont pas matérialisés sur le terrain. Or, il faut le rappeler, les gains de productivité au sein de l'administration publique, on nous l'a toujours dit, font partie du programme de redressement du Conseil d'Etat, en sont le pilier.
Mesdames et Messieurs, il faut bien voir les conséquences de ce constat: si le Conseil d'Etat entend respecter son objectif en matière salariale, cela signifie - écoutez bien - dans deux ans, en 2008, 2009, qu'il devra réduire son enveloppe de 110 millions, soit 5,75% du montant budgeté pour 2007. Pour les radicaux, c'est possible, et compensable par des gains de productivité correspondants, mais le Conseil d'Etat lui-même y croit-il ? Osera-t-il en 2008, 2009, pour réaliser cette économie, par exemple, geler les salaires et procéder simultanément à 6% de réduction des effectifs ? Ou osera-t-il, autre possibilité, maintenir les mécanismes salariaux et baisser les effectifs de 10% ? Et osera-t-il imposer le même système aux subventionnés pour que, simultanément, la dérive sur les subventions cesse ? Parce que, Mesdames et Messieurs, c'est bien, je le répète, de tout cela qu'il s'agit.
Nous, radicaux, sommes inquiets. Nous sommes un peu déçus. C'est pourquoi nous nous abstiendrons de nous prononcer sur ce projet de loi.
La présidente. Sont encore inscrits: MM. Jean-Claude Ducrot, Alberto Velasco, Christian Bavarel, Eric Bertinat, Roger Golay et Mme Sandra Borgeaud. Je vais passer la parole à M. Jean-Claude Ducrot. Ensuite, je vous propose une pause d'un quart d'heure, puis nous reprendrons nos débats.
M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Pour des raisons d'éthique, nos députés fonctionnaires ne participeront pas au vote de ce projet de loi, notamment en application de l'article 24, cependant le groupe DC appuiera ce projet de loi.
Il appuiera ce projet de loi pour différents motifs. Le premier: je pense que le Conseil d'Etat a trouvé un terrain de dialogue avec les organisations syndicales des fonctionnaires. Je pense que cela mérite, Mesdames et Messieurs, d'être soutenu, de même qu'il faut soutenir le gouvernement dans sa démarche.
Mesdames et Messieurs les députés, le 3 novembre dernier, un article - très intéressant - d'un journal romand traitait sans tomber dans le paternalisme d'un certain nombre d'éléments importants. Importants dans la stratégie d'entreprise. Il est vrai que l'administration cantonale est une véritable entreprise. Il faut, comme les entreprises privées, non pas répandre le fiel - qu'on a pu entendre évoquer tout à l'heure au travers du rapport de minorité - mais découvrir que l'adhésion du personnel - c'est mentionné dans l'article - regroupé autour de grands thèmes comme la satisfaction professionnelle, l'identification à l'entreprise, la relation de travail, les salaires, les avantages sociaux, contribue à la fierté d'appartenance.
C'est dire, Mesdames et Messieurs, que le travail que le Conseil d'Etat a entrepris avec les associations professionnelles a permis de construire cette passerelle. Nous avons dès lors la responsabilité d'encourager le Conseil d'Etat à poursuivre dans ce dialogue et de ne pas couper les ponts par un vote négatif au travers d'un éventuel refus de ce projet de loi sur le rétablissement des annuités.
Aussi, nous confirmons que le groupe DC votera ce projet de loi.
La présidente. A la demande de M. le député Alberto Velasco, qui doit se rendre à l'Hôpital, je lui passe la parole.
M. Alberto Velasco (S). M. Weiss nous a dit tout à l'heure qu'il ne veut pas se faire le complice de l'aggravation de la dette. Ce n'est pas que M. Weiss est complice, il est plutôt auteur de l'aggravation de la dette ! Vous êtes les auteurs de l'aggravation de la dette, car... (L'orateur est interpellé.) Non, vous avez quand même induit le projet de loi. Je tiens à vous dire, Monsieur Weiss, que chaque année je fais le calcul... (L'orateur est interpellé.) Non, chaque année, je fais le calcul de combien nous coûte votre projet de loi, et le compteur est aujourd'hui à 2,6 milliards de francs suisses, dus à la baisse de 12,5% !
Mais il y a plus, Monsieur Weiss ! La fonction publique a payé - et cela, ce n'est pas moi qui l'ai calculé, je me suis informé auprès du département des finances - depuis le début des années 1990, 3 milliards de francs suisses. C'est la contribution de la fonction publique, Mesdames et Messieurs les députés, aux différents plans de restructuration ou d'assainissement des finances publiques. Et aujourd'hui, Monsieur Weiss, vous trouvez que 40 millions, c'est beaucoup trop pour ces mêmes services publics... Mais quel patron d'industrie pourrait, année après année, ne pas payer ses employés comme il le faut et leur demander en plus du rendement et de l'efficacité ? Quel patron ?! (L'orateur est interpellé.) Cela n'existe pas, Monsieur Weiss ! Parce que vous ne pouvez pas travailler avec des gens dont vous baissez le salaire année après année, ce n'est pas possible !
Monsieur Kunz, qui avez été directeur - aujourd'hui, vous êtes à la retraite, peut-être que c'est la retraite qui vous fait perdre ces notions-là - mais à l'époque, vous étiez directeur et je ne pense pas que, pendant des années...
La présidente. Monsieur le député, adressez-vous à la présidente !
M. Alberto Velasco. C'est vrai, Madame la présidente, mon collègue Kunz, qui a été directeur chez Migros pendant des années, n'a quand même pas sous-payé ses employés ! Il savait que si l'on demande plus à ses employés, il faut les payer. Eh bien, je dis que c'est une justice que ce Conseil d'Etat... C'est tout à son honneur, d'ailleurs. Non seulement il va dans le sens de rétablir l'équilibre des dépenses et des recettes, mais, en plus, il donne une certaine justice salariale à la fonction publique. Cela, il faut le relever. Mais en plus, Monsieur Weiss...
Une voix. Oui !
M. Alberto Velasco. Vous qui êtes un adepte de la paix du travail, vos milieux ont presque insulté la Boillat parce qu'elle avait rompu cette clause de la paix du travail, au point de leur faire un procès. Ici, que fait ce gouvernement ? Il instaure une pratique qui a cours depuis longtemps dans notre république: la paix du travail. Il le fait avec un accord directement entre l'Etat et la fonction publique. Et non pas par un projet de loi que l'Entente dépose, comme cela, dans ce Grand Conseil, pour imposer au Conseil d'Etat des conditions que lui-même doit imposer à la fonction publique !
Le Conseil d'Etat a négocié avec la fonction publique et nous avons une certaine paix du travail. Cependant, je suis effectivement d'accord avec vous, Monsieur Weiss, quand vous rappelez à vos collègues de l'Entente leur fidélité au projet de loi que vous avez déposé. Mais vous savez comme moi, Monsieur Weiss, que ce projet est mort ! Parce que son contenu est inapplicable ! Et grâce à sa politique, le Conseil d'Etat vous a offert une sortie honorable, très honorable, et vous devez le remercier. Nous allons tous pouvoir voter prochainement le projet de loi du Conseil d'Etat, que la fonction publique a accepté, que ce Grand Conseil acceptera, et vous pourrez donc retirer votre projet de loi de manière honorable, et tout le monde sera content.
Mesdames et Messieurs les députés, je crois que la démonstration était claire: il est fondamental et nécessaire que notre parlement vote ces 40 millions. Pour la paix du travail et pour reconnaître les mérites de la fonction publique. Et même, il faudra beaucoup de votes comme celui-ci pour rattraper un jour les 3 milliards.
Une voix. Bravo Alberto ! (Applaudissements.)