République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 12 octobre 2006 à 20h30
56e législature - 1re année - 12e session - 58e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 20h30, sous la présidence de M. Michel Halpérin, président.
Assistent à la séance: MM. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat, Laurent Moutinot, Robert Cramer, François Longchamp et Mark Muller, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. J'invite les personnes qui sont à la tribune à bien vouloir se lever. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: MM. Charles Beer et David Hiler, conseillers d'Etat, ainsi que Mme et MM. Christian Bavarel, Gilbert Catelain, Elisabeth Chatelain, Renaud Gautier et Pierre Schifferli, députés.
Discussion et approbation de l'ordre du jour
M. Eric Stauffer (MCG). J'aimerais demander l'ajout et l'urgence pour la résolution 510, que vous avez tous reçue sur votre place. Il s'agit d'une résolution lorsqu'une décision transitoire n'est pas applicable. J'en reviens encore et toujours à la muselière qui est obligatoire pour tous les chiens... (Exclamations. Rires.) ... et rend triste une très grande partie de la population. (Brouhaha.) Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais vous rappeler qu'il y a eu 34 000 signatures, et votre attitude n'est pas respectueuse vis-à-vis de la population. Je vous invite à soutenir cette résolution afin de la renvoyer au Conseil d'Etat pour qu'il puisse adapter sa décision...Monsieur le député, vous n'avez plus la parole ! Nous sommes uniquement saisis d'une demande d'ajout. A cette heure-ci, une demande d'ajout doit être soutenue par les deux tiers de cette assemblée.
Mis aux voix, l'ajout à l'ordre du jour de la proposition de résolution 510 est rejeté par 55 non contre 8 oui.
(La proposition de résolution 510 a été retirée par ses auteurs.)
Annonces et dépôts
Néant.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons le cours de notre ordre du jour.
Premier débat
Le président. Le rapporteur de majorité est M. Pierre Weiss. Tous les rapporteurs sont à leur place. Monsieur Weiss, vous avez demandé la parole: je vous la donne.
M. Pierre Weiss (L), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, il y a des soirs comme celui-ci où nous pouvons nous occuper de problèmes sérieux, de problèmes de société, de problèmes où nous pouvons essayer de faire souffler ce que l'on appelle «l'esprit de Genève», un esprit de Genève qui est fait de tolérance et de sens de l'accueil. Et je crois que c'est un privilège de notre République de laisser s'exprimer, comme on le voit à cette table ce soir, une pluralité d'opinions et de permettre à quatre députés d'exprimer chacun avec une force de conviction égale ce qu'ils considèrent être juste et bon pour la question qui nous préoccupe, à savoir l'organisation des cimetières. Derrière l'organisation des cimetières, il y a évidemment le rapport que nous entretenons avec l'autre, le rapport que nous entretenons avec la mort et avec notre mémoire collective.
J'aimerais tout de suite le souligner, les débats en commission ont toujours été empreints de sérénité. Ils ont été empreints de sérieux et de respect réciproque. Il y a eu des évolutions dans la perception des problèmes qui ont été posés, du chemin a pu être accompli par tel ou tel membre de la commission. J'aimerais ici, ce soir, rendre un hommage particulier à un député qui va malheureusement quitter ce Grand Conseil. On en reparlera, mais je tiens, à titre amical, à rendre hommage à M. Portier qui, en sa qualité de Maire de Veyrier, nous a apporté le poids de son expérience et nous a montré que l'on pouvait être sage quand on raisonnait sur ces questions.
J'aimerais aussi dire que l'honneur qui est donné au Grand Conseil de se consacrer à ce débat implique aussi de savoir parfois dépasser les clivages politiques. Nous avons vu en commission combien cela pouvait être important. Nous avons d'ailleurs vu aussi, lorsque nous avons essayé de prendre position dans nos caucus, combien c'était délicat et difficile, combien les esprits ont parfois de la peine à mûrir et à s'adapter aux temps qui ont changé.
J'entre dans le vif du sujet et je vais essayer de vous donner d'abord les raisons pour lesquelles le projet du Conseil d'Etat mérite d'être soutenu, quelle en est sa teneur, quels en sont les buts, quelles en sont aussi certaines des raisons. Pourquoi faut-il répondre aujourd'hui de façon positive à la proposition que nous fait le Conseil d'Etat, qui est au fond un contre-projet à la motion en son temps déposée par le parti radical ? C'était lui qui avait, au fond, lancé le débat.
Tout d'abord, pour une raison très simple, très concrète, épouvantablement concrète: parce que le carré confessionnel musulman du cimetière du Petit-Saconnex est bientôt plein ! Et qu'il convient de trouver une solution pour enterrer nos défunts de confession musulmane. C'est également parce que le cimetière où sont enterrés nos défunts juifs est, lui aussi, menacé d'être bientôt plein, à partir de 2010 environ. Là aussi, des dispositions doivent être prises pour éviter qu'après les avoir enterrés sur deux étages comme on le fait actuellement, on les enterre sur trois ou quatre étages. Est-ce là une solution qui est adaptée à la façon dont nous devons considérer nos concitoyens, les habitants de ce canton ? Est-ce d'ailleurs, au passage, une solution digne de Genève que d'exporter ses cadavres sur le territoire de la commune d'Etrembières ? Parce que c'est ainsi que se pose le problème, de façon fort hypocrite, puisque depuis les années 20 c'est la solution à laquelle doit recourir une des communautés de notre canton.
A cette première raison, factuelle et concrète, s'en ajoute une deuxième, juridique et constitutionnelle. Depuis le vote de cette loi, il y a plus d'un siècle, en 1876, beaucoup de choses se sont passées. Le Kulturkampf reste présent dans la tête de beaucoup seulement sous forme de mot, sinon de slogan, mais, surtout, une nouvelle constitution a été adoptée par le peuple en 1999. Dans cette nouvelle constitution, il y a un certain nombre de dispositions qui prévoient en particulier de renforcer la liberté religieuse, aussi bien dans sa forme directe - la liberté d'aller prier dans l'édifice religieux de son choix, de professer la confession de son choix - que dans ses conséquences indirectes. Et parmi les conséquences indirectes de la liberté religieuse, il y a celle d'accepter des rites qui ne sont pas nécessairement les rites majoritaires, mais qui sont des rites exercés par un certain nombre de confessions. Il y en a deux qui aujourd'hui sont à l'ordre du jour - je ne pense pas que l'on puisse en citer d'autres: la communauté musulmane et la communauté israélite. Cette mise en conformité de la constitution est obligatoire. Nous sommes soumis à un ordre juridique supérieur, d'autant plus supérieur que la Suisse a ratifié la Convention européenne des droits de l'homme, et qu'à ce titre aussi la législation actuelle du canton de Genève n'est plus - j'allais dire «légale» - et ne peut plus rester en l'état.
Qu'il s'agisse de ces deux premières raisons, la raison factuelle ou juridique, ce ne sont pas en soi des raisons qui suffiraient à me convaincre, en tant que rapporteur de majorité, d'apporter un appui sans réserve à ce que le Conseil d'Etat a proposé. Il est une troisième raison, et c'est la raison des valeurs ! Les valeurs qui fondent précisément notre République et qui fondent aussi un certain nombre de partis, dont celui auquel j'appartiens, le parti libéral. Et ce sont des valeurs faites de tolérance, de tolérance pour une société qui est multiculturelle - parfois, on se gargarise de ce mot ! Et aujourd'hui, nous avons l'occasion de démontrer que nous acceptons cette société multiculturelle: «multicultuelle» aussi ! C'est le respect pour l'autre, c'est l'égalité de traitement. Certains vont nous dire que l'égalité de traitement, c'est en fait une solution égalitaire, où chacun devrait être enterré à la ligne, s'agissant des cimetières. Eh bien, non ! L'égalité de traitement, ce n'est pas ça ! Ce n'est pas un égalitarisme des solutions, c'est au contraire une égalité de traitement des confessions dans les rites particuliers qui les caractérisent. C'est bien à cette question-là que nous devons répondre par oui ou par non. Voulons nous refuser à des confessions les rites particuliers qui sont les leurs, pour l'une depuis 1500 ans, pour l'autre depuis plus de 5500 ans ? Voulons-nous aujourd'hui ne pas adapter notre propre constitution ? Voulons-nous, comme je le disais tout à l'heure, continuer à exporter nos cadavres parce que nous avons dans notre canton des dispositions particulières qui datent d'un temps de conflits ?
J'ajouterai évidemment la valeur qui, pour moi, est peut-être la plus grande: la liberté. C'est la liberté dans le choix du traitement que l'on donne à la vie de chacun d'entre nous, de sa naissance jusqu'à sa mort. On nous permet d'aller prier dans les édifices de notre choix; on ne nous permettrait pas d'être enterrés selon les rites de notre choix ? Je vois là une incohérence.
Monsieur le président, je crois qu'il va me falloir conclure. Je voulais simplement dire que la solution proposée par le Conseil d'Etat respecte l'ordre juridique supérieur et permet l'intégration de toutes les communautés religieuses importantes de notre canton, en laissant une liberté de choix à leurs membres, sous un contrôle étatique et avec l'accord des communes quand aux dispositions qui seront prises. Ces différents aspects méritent tous, tour à tour, d'être considérés !
Et c'est au nom de ces différents points que je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, d'adopter, en tout cas pour le moment, le projet de loi qui nous est soumis et d'entrer en matière pour son examen. Je souhaite que nous puissions continuer la discussion.
M. Michel Ducret (R), rapporteur de première minorité. En remarque liminaire, la menace constitutionnelle que l'on veut faire planer au-dessus de nos têtes n'est qu'un épouvantail pour ceux qui sont sans véritable base philosophique pour leur appartenance et n'ont pas la lucidité de voir que rien, dans l'obligation du cimetière égalitaire, pour toutes et tous, n'empêche la pratique d'une religion, quelle qu'elle soit !
Beaucoup, aujourd'hui, s'accommodent fort bien de l'offre existante, de l'ouverture que représente le cimetière pour tous, sans aucune distinction. La gestion de l'orientation éventuelle des tombes est tout à fait possible dans le cadre actuel. Ce qui ne l'est pas, Mesdames, Messieurs, c'est l'intolérance à partager la même terre après la mort alors qu'on la partage dans la vie.
«Liberté humaine et justice sociale» est la devise des radicaux. Cela fait cent soixante ans que les radicaux poursuivent ces buts à Genève et que cela fonde leur rapport essentiel à ce canton et à notre pays. La liberté et la justice sociale sont des buts; la laïcité est un des moyens d'y parvenir, pour que chacune et chacun, quelles que soient sa race, son origine ou sa religion, puisse trouver une place égale - sa place - dans notre société républicaine. La laïcité de l'Etat - et non celle des citoyens, bien entendu - n'est pas un dogme, mais bien une méthode qui a fait ses preuves pour vivre ensemble: tous ensemble ! Tout d'abord, les catholiques et les protestants, puis les israélites, et d'autres religions depuis. La Suisse, Genève en particulier, a jusqu' ici réussi à éviter tout ghetto et tout communautarisme - ce communautarisme qui est un poison pour la société civile. Les Irlandais, les Libanais surtout, qui ne s'en sont pas prémunis, mais qui, au contraire, ont voulu tenter de gérer les communautarismes témoignent par les désastres qu'ils vivent que nous avions raison, et que nous avons toujours raison. L'Etat, les pouvoirs publics, n'ont pas à gérer les communautés, religieuses ou non ! L'Etat n'a à connaître que des individus, tous pareils !
Vous l'aurez compris, Mesdames et Messieurs, cette considération essentielle implique pour les radicaux que l'autorité publique ne doit en aucun cas entrer en matière sur la gestion des communautés, qu'elles soient religieuses ou non, que cela concerne la vie ou la mort des citoyens. En ce sens, les différents amendements que vous avez reçus et qui visent à supprimer la notion de cimetière privé dans le projet de loi et de n'y laisser que la notion de carrés confessionnels - fermés ou non - sont des solutions pires que tout, puisqu'elles exigent de l'Etat et des communes responsables des cimetières de créer et de gérer des communautarismes.
En aucun cas, nous ne pouvons accepter cette remise en cause de cette réussite de notre société qui, d'ailleurs, a justement permis à certaines communautés revendiquant aujourd'hui un traitement particulier, de s'épanouir en toute liberté chez nous, moyennant le sacrifice de quelques habitudes et intolérances, auquel tous les Genevois chrétiens ont consenti il y a plus d'un siècle, il y a cent trente ans.
Mesdames, Messieurs, je veux - nous voulons - que chaque Genevois, quelle que soit sa religion, puisse continuer à côtoyer les autres en étant d'abord un citoyen, d'abord un habitant et ensuite le membre de l'une ou l'autre communauté, que ce soit à l'école, dans la vie de tous les jours et, enfin, dans la mort. Genève, notre république, vaut cet effort de tous !
Nous vous invitons donc à conserver notre loi actuelle qui a fait ses preuves, depuis cent trente ans, et à ne pas ouvrir cette boîte de Pandore qui laisserait libre cours, plus tard, à toutes les revendications sans que nous ne puissions plus dorénavant la refermer.
M. Christian Brunier (S), rapporteur de deuxième minorité. Je n'ai pas la réputation d'être le plus calme et le moins polémique des députés. Néanmoins, j'aimerais que le débat de ce soir se passe un peu à l'image de ceux qui se déroulent en commission, où la discussion s'est déroulée sereinement et dignement. Parce qu'en entendant ce qui se dit dans les couloirs du parlement, j'ai l'impression qu'il y a des gens qui sont au bord du dérapage. Ce serait la pire des choses ! (Protestations.) Sur des sujets aussi philosophiques, je pense qu'on a tout intérêt à être le plus digne possible !
Deuxième chose, je crois qu'il faut savoir raison garder. Il faut savoir relativiser, il y a plusieurs scénarios qui nous sont offerts ce soir... (Brouhaha.) Je pense qu'il n'y a aucun scénario catastrophique pour Genève, il y a des scénarios meilleurs que d'autres, selon nos affinités et nos valeurs profondes. Mais je pense qu'il faut savoir relativiser, Monsieur Ducret ! Quand vous nous dites que nous allons ouvrir la boîte de Pandore et qu'on ne sait pas ce qui va se passer, je pense qu'on est là un peu excessifs ! Il y a autour de nous, dans les pays qui nous entourent, des situations aussi diverses et variées que les choix que nous avons ce soir, et je crois qu'aucun de ces pays ne vit une situation excessivement difficile à cause de ses cimetières. Heureusement !
Troisième chose, avant d'entamer vraiment la discussion sur les scénarios qui nous sont soumis ce soir, j'aimerais dire qu'en tant que rapporteur je m'exprime au nom de la majorité du parti socialiste, mais pas de sa totalité. En effet, nous avons laissé la liberté de vote, même si une majorité importante se dessinait. Nous pensons que ce sujet touche les valeurs les plus profondes de l'être humain et, à partir de là, un mot d'ordre politique serait malvenu concernant un tel sujet.
Alors, quels scénarios avons-nous ? Premier scénario, je sais que certains y pensent, c'est le renvoi en commission. On aura le débat tout à l'heure, mais je dis juste que pour renvoyer un objet en commission il faut que le travail en commission n'ait pas été très bien fait. Ce n'est pas le cas. Et si nous avons beaucoup d'amendements ce soir, ce n'est pas parce que le travail en commission a été mal fait... (Brouhaha.) Tous les partis qui étaient en commission ont travaillé sérieusement: on a pris du temps, on a auditionné des gens et on n'est pas dans le cas de figure où la commission a bâclé les travaux, ce qui expliquerait le dépôt de plusieurs amendements.
Deuxième chose: je crois que pour un renvoi en commission, il faut qu'il y ait de la valeur ajoutée. Et je ne pense pas qu'il y ait là de valeur ajoutée... Car les gens resteront sur leur position, en accord avec leurs valeurs. Si nous renvoyons ce soir le projet de loi en commission, je vous le dis, Mesdames et Messieurs, ce sera une perte de temps ! Cela engendrera des coûts pour la République et ce sera un manque de courage de notre part. Et je pense que nous devons légiférer aujourd'hui sur un tel sujet.
Ensuite, trois solutions se présentent à nous. M. Ducret l'a évoqué, le parti radical préconise le statu quo, disant finalement que, jusqu'à présent, il n'y a pas eu trop de problèmes et qu'on peut rester comme on est... Le problème, Monsieur Ducret, c'est que le statu quo est tout à fait illégal. Vous le savez très bien, la Constitution fédérale nous demande de légiférer, nous le devons aussi au niveau européen et de la Cour européenne des droits de l'homme. De toute façon, si nous en restons au statu quo, c'est pour imaginer une autre loi ou pour nous exposer à un recours au Tribunal fédéral - où nous allons perdre ! Nous pensons donc que cela ne peut pas être une solution; cela peut être une solution momentanée mais pas dans la durée. De plus, une solution dans la durée démontrerait une certaine fermeture.
Vous l'avez dit: nous vivons dans la même collectivité, nous devons partager la même terre; nous devons d'abord être des citoyens et nos convictions religieuses ou philosophiques doivent venir ensuite. Mais alors, votez pour les carrés confessionnels ! La proposition des carrés confessionnels, position que nous défendons, permet au sein d'un cimetière public de partager la même terre et de dire que nous sommes dans la même collectivité. Mais ensuite - je dis bien «ensuite» - nous reconnaissons qu'il y a des valeurs différentes, qu'elles soient religieuses ou philosophiques, et nous laissons les communautés pouvoir enterrer leurs morts comme ils en ont envie, dans le même lieu, non-croyants et croyants d'une religion ou d'une autre. Nous pensons que c'est la solution aujourd'hui, pour respecter la Constitution fédérale, pour respecter les dispositions relatives aux droits de l'homme, au niveau européen, et, finalement, pour respecter la tolérance.
Donc, nous combattrons - dans un premier temps, en tout cas - le statu quo. Nous sommes prêts à accepter le statu quo de manière transitoire, juste pour élaborer éventuellement une nouvelle loi, même si je ne suis pas certain que cela apporte grand-chose, comme je l'ai dit tout à l'heure.
La deuxième solution serait d'approuver le projet de loi du Conseil d'Etat. Je rappelle que le Conseil d'Etat tolère un peu toutes les situations, les carrés confessionnels dans les cimetières publics, mais il tolère aussi - et c'est cet aspect que la majorité du parti socialiste combat - les cimetières privés que les hiérarchies des communautés religieuses pourront réglementer et gérer. Bien entendu, il y aura un contrôle étatique, mais on sait que le contrôle sera certainement minimaliste ! Nous pensons que c'est la mauvaise solution. Nous pensons qu'à l'heure, malheureusement, du communautarisme, il ne faut pas s'exposer à ceci. Nous pensons aussi qu'il n'est pas facile pour toutes les communautés religieuses représentées à Genève d'acquérir des terrains. Nous sommes donc contre cette «ghettoïsation» de la religion, nous pensons qu'il faut arriver à un compromis, à une solution acceptable en fonction de nos différences, des différences dans la collectivité unique qu'est Genève.
C'est pourquoi nous allons proposer une série d'amendements, pour pouvoir autoriser les carrés confessionnels. Nous pensons que c'est la bonne solution, tout simplement parce que, je le répète, c'est au sein d'une même collectivité la possibilité de reconnaître les différences: nous serons tous enterrés dans le même cimetière, un cimetière géré par les pouvoirs publics, par l'Etat, et c'est garant de la laïcité. Par contre, compte tenu des différences religieuses et philosophiques, il est normal dans une démocratie, dans un Etat de tolérance, de reconnaître ces différences.
Pour conclure, je dirai que ces derniers jours la politique genevoise s'intéresse à deux sujets: les muselières des chiens et les cimetières. Je ne pense pas que ce sont des sujets prioritaires pour Genève ! Les sujets prioritaires pour Genève, ce sont la lutte contre la nouvelle pauvreté, la lutte pour l'emploi, la lutte pour la protection de l'environnement, etc. Et j'espère que le monde politique mettra autant d'énergie dans ces sujets-là qu'il en dépense pour défendre des choses qui ne me semblent pas prioritaires pour la vie en collectivité.
Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC), rapporteuse de troisième minorité. Je tiens également à relever que les débats en commission ont suscité le respect de tous les députés et la réflexion permanente. Nous avons évidemment à ne pas succomber à la dictature des émotions pour un sujet aussi important et aussi grave. Nous frôlons certainement par moments les limites du travail parlementaire car, lorsque le politique doit parler de religieux, il y a tous les risques de dérives.
Je crois que c'est avec beaucoup d'humilité et de simplicité que le parti démocrate-chrétien a fait ce rapport de minorité en définissant clairement que, pour nous, il n'était pas question d'envisager des cimetières privés, pas seulement parce qu'aujourd'hui nous devons légiférer vis-à-vis de deux communautés religieuses, juive et musulmane, mais en réfléchissant à l'avenir et aux dérives éventuelles qui pourraient surgir avec d'autres communautés qui se disent religieuses et sont en fait des groupements sectaires qui peuvent être tout à fait dangereux et qui trouveraient là une légitimité. Nous avons déjà eu des expériences, dans d'autres commissions, avec des communautés sectaires embusquées, tentant d'obtenir des modifications de lois. Nous devons être extrêmement rigoureux, justement pour ne pas stigmatiser les religions dont il est question aujourd'hui.
Lorsque nous parlons des carrés confessionnels, s'ils peuvent être acceptables pour certains membres du parti démocrate-chrétien, ils peuvent aussi être remis en question lorsqu'il s'agit d'évoquer la responsabilité des communes En l'état, cette loi ne nous semble pas satisfaisante, c'est pourquoi nous vous invitons à la refuser.
M. Gabriel Barrillier (R). Il y a cent trente ans presque jour pour jour, le 20 septembre 1876, est entrée en vigueur la Loi sur les cimetières. Durant cette longue période, elle n'a subi que cinq modifications mineures, la première en 1958, soit quatre-vingt-deux ans après son adoption. C'est dire combien la solution retenue par le Grand Conseil dans le dernier tiers du XIXe siècle fut heureuse, si l'on se réfère aux tensions politiques, sociales et religieuses de l'époque, à Genève et en Europe. Songeons aux soubresauts de la défaite française de 1870, à l'émergence de la IIIe République suite à la Commune de Paris, à la création de l'Empire allemand et aux tensions entre certains Etats à cause de l'ultramontanisme.
Le régime introduit en 1876 repose sur le principe de la laïcité, cela a été rappelé, principe compris non pas comme un dogme, mais comme le meilleur moyen d'introduire, de restaurer et de garantir la coexistence pacifique, voire la cohésion, entre les différents membres du corps social. En particulier les différentes religions ! Ce régime prévoit, d'une part, l'interdiction des cimetières confessionnels et, d'autre part, l'attribution des emplacements pour les tombes sans que soit faite une distinction d'origine ou de religion. Le règlement précise encore que les cimetières sont placés sous la protection des citoyens. On a voulu garantir ainsi qu'en la matière il y aurait observation stricte de l'égalité de traitement entre tous.
Ces dispositions ont permis de garantir la paix religieuse et la paix des cimetières durant près de cent trente ans. Elles n'ont posé quasiment aucun problème ! Y compris lorsque Genève s'est développée pour devenir une métropole internationale, à partir de la Seconde Guerre mondiale ou plus récemment encore, durant l'explosion démographique et multiculturelle de ces trente dernières années.
Pourquoi donc vouloir changer et chambouler un ordre et des règles qui ont fait leurs preuves, alors que la dernière révision date de 1999 ? A l'appui de l'exposé des motifs, le Conseil d'Etat confirme avoir voulu faire droit aux demandes des communautés juives et musulmanes de Genève. C'était bien son rôle, mais il est à relever que, lors des consultations politiques qui ont précédé le dépôt du projet de loi, les deux partis politiques, les radicaux et les démocrates-chrétiens, dont les racines plongent précisément dans la période troublée du dernier quart du XIXe siècle, ont clairement manifesté leur opposition à la création de cimetières confessionnels et à la ségrégation dans les cimetières ! Alors qu'ils auraient pu, notamment le PDC, prendre des positions divergentes.
L'opposition de l'Association des communes genevoises est tout aussi importante, puisque finalement c'est aux communes que reviendrait la responsabilité principale dans la création ou non de cimetières confessionnels privés. Je relève d'ailleurs que, dans son projet de loi, le Conseil d'Etat - suivi par une majorité de circonstance de la commission - a fort courageusement délégué aux communes la compétence d'accepter ou de refuser une demande de créer un cimetière confessionnel sur son territoire. On a vraiment l'impression que le gouvernement et la majorité de la commission ont joué les Ponce Pilate et voulu se débarrasser de cette responsabilité sur les communes.
Le régime des cimetières en vigueur dans notre canton permet à tout habitant, quelle que soit son origine, son sexe, sa religion et son statut social, d'être enterré avec tout le respect dû aux morts et à leur proches. Comme le prévoit expressément l'article 9 du règlement, chacun est libre de faire, lors de l'inhumation d'un corps, la cérémonie ou les offices demandés par la famille et les proches. Où est donc la discrimination dont se plaignent certaines communautés ? En quoi la liberté religieuse et de croyance serait-elle bafouée par ces règles d'ouverture, de respect et d'égalité ? En quoi la Constitution fédérale serait-elle violée ? Autant d'avis de droit, autant de réponses divergentes !
Dans ces conditions, le groupe radical a l'impression que le Conseil d'Etat agit avec précipitation, sans tenir compte de l'avis des communes, ni surtout des circonstances récentes en matière de cohabitation religieuse. Le fait qu'il ait voulu donner suite à des demandes parvenant de deux communautés religieuses minoritaires et dotées d'une très forte identité, mais profondément opposées l'une à l'autre, ne témoigne pas d'une bonne analyse de la situation. Un esprit malin, ou malintentionné, pourrait vouloir imaginer que ces requêtes peuvent être comprises comme étant un accord tacite entre deux communautés qui souhaiteraient continuer à se tourner le dos, y compris après la mort.
Soyons réalistes et courageux ! Alors que les efforts des autorités et de la société civile visent à obtenir une meilleure intégration de tous les habitants, l'attitude ou la faiblesse consistant à favoriser les particularismes ou les réflexes communautaires vont à fin contraire. Le Conseil d'Etat a agi hâtivement; il a certes été suivi par une majorité hétéroclite qui n'a pas procédé à une véritable pesée des intérêts en présence, soit, d'une part, le maintien de la paix religieuse et la poursuite des efforts d'intégration dans le cadre d'une laïcité considérée comme un outil favorisant la cohésion et la coexistence de toutes et tous et, d'autre part, le risque avéré d'une résurgence de tensions d'origines religieuses et confessionnelles, alors que la paix règne depuis cent trente ans.
Le président. Il va vous falloir conclure !
M. Gabriel Barrillier. Aussi, c'est à la fois avec fermeté, dignité et sérénité que notre groupe vous prie de refuser ce projet de loi et, le cas échéant, de recommander au Conseil d'Etat de revoir sa copie sur une autre base. (Applaudissements.)
Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). A Genève, cela a été dit, la loi sur les cimetières date de 1876. Cette loi n'a presque pas changé depuis lors, malgré l'évolution de notre société et de notre canton depuis le XIXe siècle. Paradoxalement, Genève, capitale des droits de l'Homme, qui s'enorgueillit de sa reconnaissance internationale et profite d'un multiculturalisme riche, ne respecte pas l'article 15 de la Constitution fédérale votée en 1999, concernant la liberté de conscience et de croyance. C'est en tout cas ce qu'affirment deux avis de droits, celui du professeur Claude Rouiller, ancien président du Tribunal fédéral et celui du professeur Andreas Auer. Par ailleurs, pour eux, la liberté de conscience et de croyance va de pair avec la liberté de choix du rite funéraire.
Depuis 1929, le cimetière de Veyrier, situé sur le territoire français, avec un accès en Suisse, offre une alternative hypocrite, il faut le dire, à la communauté juive de Genève. Quant à la communauté musulmane de Genève, elle profite d'un carré confessionnel, créé à l'initiative du radical Guy-Olivier Segond en 1979 au Petit-Saconnex. Ces deux espaces sont déjà - ou bientôt - sous-dimensionnés.
Le projet de loi qui nous est soumis réaffirme notamment la laïcité des cimetières municipaux, accessibles à toute personne, sans distinction d'origine et de religion. Pour les Verts, cette allégation est absolument essentielle. Induite directement par notre Constitution fédérale, la nouvelle loi permettrait aux juifs et aux musulmans d'être enterrés dans le respect des règles de leur foi. L'aménagement de carrés confessionnels dans les cimetières communaux pourra être autorisé, ainsi que la création de cimetières privés. Toutefois, ces deux possibilités seront soumises à certaines conditions. Le Conseil d'Etat pourra délivrer une autorisation avec l'accord des communes concernées et devra également approuver le règlement de chacun de ces cimetières. Pour les Verts, il est essentiel que l'Etat contrôle strictement l'application des règlements; ceux-ci devraient à notre sens respecter le choix des personnes, en ne permettant pas l'exclusion d'un défunt sous prétexte qu'il n'est pas reconnu par une communauté.
Si, comme la Constitution nous y oblige, nous devons garantir la liberté de conscience et de croyance, si nous acceptons sur notre territoire les églises, les synagogues, les mosquées, nous devons également respecter les pratiques religieuses. L'ensevelissement, comme le mariage ou le baptême, est directement lié à ces pratiques. Je pense qu'à aucun moment de la vie nous ne sommes si égaux que devant la mort. Mais c'est parfois au crépuscule de la vie que la question religieuse surgit et que le besoin de renouer avec la pratique religieuse se fait ressentir. Les rites funéraires, pratiqués depuis la nuit des temps par l'homme, aident à la séparation, symbolisent souvent un passage vers autre chose, l'au-delà pour les croyants. Pour les familles, le chagrin de perdre un être cher est le même, que l'on soit juif, musulman, chrétien ou athée. C'est ce sentiment qui nous unit et non la façon ou le lieu choisis pour quitter notre monde. Dans ces moments de grande douleur, de doute ou de conviction, chacun doit pouvoir trouver un peu de sérénité, selon sa croyance. Pourquoi tant d'acharnement à vouloir imposer une uniformité, une égalité dans le rite funéraire ? Mise au service des vivants, cette obstination égalitariste serait bien plus utile pour lutter contre la pauvreté et la misère. Respectons donc le choix individuel face à la mort et combattons ensemble les exclusions encore trop présentes dans la vie !
C'est dans cet état d'esprit que les députées Vertes de la commission ont soutenu le projet de loi qui vous est soumis ce soir. En conclusion, les Verts sont attachés à la liberté de vote: sur ce sujet, elle nous paraît incontournable. Par conséquent, certains d'entre nous, pour des raisons de sensibilité personnelle préféreront la solution des carrés confessionnels à celle des cimetières privés. Mais la volonté manifestée par les Verts est de voter rapidement une loi qui offre à chaque citoyen la possibilité d'être enterré selon ses convictions. (Applaudissements.)
M. Pierre-Louis Portier (PDC). Aujourd'hui, la manchette d'un grand quotidien titrait «Cimetières confessionnels: nouvelle guerre de religion ?» La question est certes abruptement posée, mais elle est tout à fait d'actualité et sensée. Cette question concerne non seulement le risque de tensions entre religions, mais également de tensions entre fervents défenseurs de la laïcité et celles et ceux qui souhaitent imposer des termes plus appropriés, à leurs yeux, à l'évolution de notre société. Le PDC s'est, lors de la consultation sur ce projet de loi, prononcé pour le statu quo, soucieux qu'il était, et qu'il reste, de tout faire pour préserver une paix confessionnelle vieille de cent trente années, qui a permis à toutes les communautés religieuses, chrétiennes ou autres, de vivre sans trop de tensions et en bonne harmonie. Le respect des convictions religieuses, valeur également chère à notre parti, ne doit pas être un prétexte et ne doit surtout pas ouvrir la porte à des dérives extrémistes ou communautaires.
Or, avec ce projet de loi présenté par le Conseil d'Etat et qui nous est proposé par la majorité de la commission des affaires communales, régionales et internationales, nous prenons l'énorme risque de rompre le fragile équilibre fait de tolérance mais également de règles clairement établies, construit et éprouvé par des décennies de pratiques acceptées et bien ressenties par une très large majorité de la population, croyante ou non croyante. Ce risque, nous estimons que notre parlement doit l'apprécier et surtout ne pas le sous-estimer, particulièrement en ce moment de tensions, illustrées dans notre pays par de vifs débats concernant les minarets, certaines déclarations ou spectacles polémiques.
Malheureusement, à ce jour, après les travaux effectués en commission, une majorité est prête à prendre ce risque, ce que nous regrettons vivement. Que cela soit clair, notre groupe ne viendra pas grossir les rangs de la majorité pour consacrer un tel changement. Nous ne voterons pas ce projet tel qu'il est sorti des travaux de la commission !
Notre parlement devrait toujours avoir pour but de voter des lois qui soient satisfaisantes pour une large majorité de la population - des lois qui rassemblent. Or, la loi qui nous est proposée ce soir, si elle est votée, va diviser plutôt que réunir, ce qui suffit largement à expliquer notre ferme opposition. Mais cette opposition repose surtout sur le contenu excessif de cette loi, c'est-à-dire son article 14 qui prévoit la possibilité de disposer de cimetières privés. Pour nous, il n'est pas envisageable qu'un Etat laïque et responsable de l'ordre public ne reste pas propriétaire des cimetières et garant de l'ordre devant les religions.
Même si l'on nous rétorque que certaines pratiques religieuses ne sont pas compatibles avec les actuels lois et règlements, nous estimons que le principe de la neutralité religieuse de l'Etat, si elle nous oblige à des solutions garantissant des droits constitutionnels de tous les Suisses, quelles que soient leurs convictions religieuses, ne nous oblige pas à donner suite à toutes les exigences telles que la pérennité des tombes ou la virginité du sol. A cet égard, l'avis de droit du professeur Rouiller est très clair: la réponse à de telles exigences, qui ne s'imposent pas à la collectivité publique sous l'angle des droits fondamentaux, ne peut être donnée dans l'enceinte des cimetières publics, mais cela ne signifie aucunement que le canton de Genève doit favoriser d'une manière quelconque la création de cimetières privés.
Forts de ce constat, il nous faut néanmoins admettre qu'avec le temps la composition sociale, culturelle et religieuse de notre population a beaucoup changé depuis 1876 et que, comme évoqué précédemment, une nouvelle Constitution entrée en vigueur début 2000 garantit toutes les libertés religieuses. Force est donc de reconnaître que la loi actuelle pourrait être désormais invalidée. S'il est de notre responsabilité de ne pas mettre en danger la paix confessionnelle, il est également de notre responsabilité de mettre en place une législation cantonale répondant aux impératifs constitutionnels de notre pays. Notre marge de manoeuvre est étroite mais réelle cependant. Les longs travaux de la commission, s'ils nous ont ouvert l'esprit à ces impératifs nous ont également démontré qu'une solution empreinte de pragmatisme, telle que celle des carrés confessionnels publics, accessibles par tous, sans haies, ni barrières, mais simplement orientés ou ordonnancés comme le souhaitent les communautés religieuses actuellement demandeuses, répondrait parfaitement à cette nouvelle situation sociale et exigence constitutionnelle: les exemples sont multiples en Suisse, comme celui du canton de Neuchâtel, également très attaché au principe de la laïcité, qui y a répondu de cette manière et à la satisfaction du plus grand nombre. Ces carrés, beaucoup moins «visibles», représenteraient un risque moindre de focalisation de l'intolérance ou d'actes de malveillance; ils resteraient dans le domaine public, sans empêcher les rites ou pratiques voulues par celles et ceux qui auront choisi d'y reposer. Même si de tels aménagements posent sur le plan pratique des problèmes non résolus à ce stade pour les communes chargées de les mettre en place, c'est une ouverture que nous sommes, démocrates-chrétiens, prêts à avoir.
Malheureusement, ce projet de loi va beaucoup trop loin. S'il est voté ce soir, il ouvrira un débat public très large, qui a toute les chances de déraper et de mettre à mal la tolérance et l'acceptation de l'autre tel qu'il est, quelles que soient ses croyances, sa couleur de peau ou son origine. Genève se targue d'une tradition d'ouverture et de tolérance: soyons les garants et non les fossoyeurs d'un tel état d'esprit ! Ne manquons pas ce soir, par notre travail législatif, une belle occasion de réaffirmer notre idéal d'égalité, idéal cher à la majorité d'entre nous, j'en suis convaincu ! Voilà confirmée notre position et voilà également confirmée notre disponibilité pour discuter une solution plus concertée et moins provocante.
Constatant comme vous le grand nombre d'amendements auxquels nous devrons faire face, qui illustrent bien que ce débat n'est pas inutile et que les avis divergent jusqu'au sein des groupes, le PDC souhaite qu'un tour de table puisse avoir lieu ce soir. Nous sommes convaincus qu'il faut reprendre sereinement toutes ces discussions en commission. C'est pourquoi, lorsque tous les groupes se seront exprimés, car nous ne voulons priver personne de son droit de parole, nous demanderons et argumenterons une demande de renvoi en commission. (Applaudissements.)
M. Olivier Jornot (L). J'ai presque honte à le dire, mais si vous consultez notre Recueil systématique de la législation genevoise, dans lequel se trouve la loi sur les cimetières, vous constaterez qu'elle est coincée entre le règlement d'application de la loi sur les prélèvements et les transplantations d'organes et de tissus et la loi d'application de la loi fédérale sur la protection de l'environnement. C'est dire si l'approche du canton de Genève est totalement matérialiste en la matière ! C'est dire si cette approche ignore totalement la dimension spirituelle liée à la mort, si elle ignore totalement, aussi, sa dimension cultuelle, le fait religieux, dont nous avons aimé à parler récemment dans cette enceinte.
Cette loi est certes le produit de l'histoire. Les autres lois ont évolué, mais pas elle ! Pourtant, les cimetières privés existaient à Genève, avant elle, depuis 1798, apportés qu'ils l'avaient été par les fourgons de l'armée française. C'était un produit d'exportation des Lumières de la Révolution. Quelques années plus tard, James Fazy a autorisé la construction de l'église russe et la construction de la synagogue. Et, en 1876, ce couperet tombe: monopole des cimetières publics et, par définition, laïques. Dans le même temps, ailleurs en Suisse, les cimetières privés, eux, se sont multipliés: celui d'Endingen en Argovie, le plus célèbre et le plus ancien, mais aussi à Berne, Bâle, Fribourg, Neuchâtel, Saint-Gall, dans les Grisons, en Thurgovie, Vaud et Zurich. Tous cantons où ne règnent pas, que l'on sache, des tensions religieuses exacerbées !
Il y a aujourd'hui dans ce cadre des questions de fait et des questions de droit. Plusieurs orateurs en ont déjà parlé, c'est la Constitution de 1999 qui garantit la dignité humaine et prohibe les discriminations religieuses. Permettez-moi de vous dire que je m'étonne que, sur un sujet aussi important, l'on semble sur certains bancs faire aussi peu de cas de notre texte fondamental.
Autant prendre un exemple pour ce qui est des faits, celui que je connais en voisin et que mon préopinant connaît aussi en voisin, celui du cimetière juif de Veyrier. En voisins, on voit ces conseillers d'Etat qui se pressent aux obsèques de telle personnalité renommée, on voit les agents de sécurité municipaux de la commune qui organisent la sécurité aux abords du cimetière et l'on voit, au dernier moment, ces corps que l'on exporte de l'autre côté de la frontière, ces corps que l'on doit couvrir parce que la laïcité ne saurait les voir. Quelle hypocrisie ! Ce mot a déjà été employé, il y a un instant et, pour des raisons purement factuelles, les jours de cette hypocrisie sont de toute façon comptés.
Il faut donc agir. Les libéraux soutenaient le projet initial du Conseil d'Etat. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il proposait avec les cimetières confessionnels une solution paisiblement utilisée ailleurs en Suisse et tout simplement parce que le respect envers nos compatriotes de religion juive ou musulmane l'impose.
Par rapport au résultat qui est sorti de la commission, les libéraux ont plus de difficulté à accepter la loi dans son ensemble. Et pour tout vous dire, ils ont pris position contre les carrés confessionnels, estimant que la laïcité ne se laisse précisément pas diviser en carrés. Le cimetière municipal est laïque et il doit le rester ! C'est la raison pour laquelle un amendement vous est proposé en ce sens, ce soir
Au fond, le cimetière confessionnel, celui qui était proposé dès l'origine, revient en quelque sorte à admettre qu'on a d'un côté un service public, le cimetière communal, et d'un autre côté un service privé, le cimetière particulier, pour reprendre l'expression de l'un des juristes consultés au cours de la procédure. En somme, ce qu'il s'agit d'instituer pour les cimetières, c'est ce qui existe tout simplement par exemple pour les écoles: il y a les écoles publiques et aussi, à côté, des écoles confessionnelles, protestantes, catholiques ou juives. A nouveau, pardonnez-moi un exemple veyrite: dans cette commune se sont récemment construites côte à côte et en parfaite harmonie une école communale et une école confessionnelle juive. Pourquoi, Mesdames et Messieurs, refuser au moment de la mort ce que l'on accorde pendant la vie ?
Nous ne voulons en revanche pas de carrés parce que, pour continuer sur le même exemple, nous ne voudrions pas que dans nos écoles publiques il y ait des classes pour élèves musulmans ou des classes pour élèves juifs.
Au terme de ce débat, dont il faut dire qu'il n'a pas matérialisé les craintes exprimées par l'un des rapporteurs de minorité, en ce sens qu'il se déroule dans un climat parfaitement digne, les libéraux vous recommanderont, Mesdames et Messieurs, d'entrer en matière sur ce projet de loi, d'entrer en matière pour l'Etat de droit, mais aussi et surtout par respect envers tous nos concitoyens, je dis bien: tous ! (Applaudissements.)
Mme Anne Emery-Torracinta (S). Lorsque nous avons discuté de ce projet de loi en caucus avec le groupe socialiste, la plupart d'entre nous étions fondamentalement assez proches des radicaux. Parce qu'il est vrai qu'en tant que socialistes, lorsqu'il est question d'idéal égalitaire et républicain, on se reconnaît. Toutefois, Mesdames et Messieurs les députés, notamment du parti radical, je crois que lorsque la loi a été votée on était en 1876. En cent trente ans, le monde a changé largement et ce qu'on voit aujourd'hui à Genève, c'est une société multiculturelle qui nous oblige à prendre en compte les différences.
Ce que nous voyons aussi aujourd'hui, c'est une société dans laquelle il y a une certaine montée des intégrismes, voire, dans notre pays, une montée de l'intolérance. Dans ces conditions, nous devons trouver une solution qui respecte à la fois ce qui est fondamental dans une démocratie et dans une république, c'est la tolérance, mais il faut que cette solution respecte aussi la volonté de vivre ensemble dans un Etat de droit. Nous devons donc concilier tolérance et respect de l'idéal républicain. En ce sens, la loi actuelle ne convient pas.
Toutefois, il nous semble qu'admettre des cimetières privés reviendrait à donner un message qui dirait: «Vous avez vécu peut-être dans notre communauté, mais au fond, vous n'êtes pas parmi nous, vous êtes en dehors de notre communauté.» La seule solution qui nous semble donc valable aujourd'hui, c'est celle qui consiste à dire, symboliquement, que nous sommes ensemble dans le même espace public. En l'occurrence, nous pouvons éventuellement aller dans le sens des carrés confessionnels.
Ce n'est ni un consensus ni un compromis entre deux positions, Mesdames et Messieurs les députés. C'est simplement respecter l'idéal républicain, le respect de l'espace public commun dans lequel nous devons vivre tous ensemble. M. Michel Ducret l'a rappelé dans son rapport de minorité, l'idéal républicain s'est construit aussi avec l'idée du partage d'un certain nombre de valeurs. Il n'y a pas de démocratie, il n'y a pas de république si la communauté n'a pas un certain nombre de valeurs communes. Ces valeurs, elles sont transmises par l'école et le message que je voudrais faire passer aujourd'hui, pour aller dans le sens de ce qu'a dit tout à l'heure Mme Wisard-Blum avec de très beaux mots, c'est que nous devrions peut-être aussi nous préoccuper des vivants. Il faut nous rappeler que notre société multiculturelle ne doit pas seulement être intégrative ou communautaire au moment de la mort, elle doit l'être aussi du temps des vivants. Nous avons peut-être un travail à faire au niveau des écoles, en nous demandant ce qu'une école républicaine peut tolérer ou ne peut pas tolérer, au regard de la liberté des uns et des autres. (Applaudissements.)
M. Eric Stauffer (MCG). C'est vrai que c'est un sujet très important, un sujet qui est passionnel. Je ne vous surprendrai pas en disant qu'au Mouvement Citoyens Genevois nous étions très partagés sur la question. Est-ce qu'il fallait aller dans le sens du projet de loi ? Est-ce qu'il fallait refuser l'entrée en matière ? En tant que pouvoir législatif nous sommes amenés à nous prononcer sur un projet de loi et, comme nous sommes respectueux de nos institutions et des lois qui sont promulguées au niveau du droit fédéral, nous ne pouvions pas faire autrement que d'entrer en matière sur ce projet de loi. Résultat: nous étions divisés quant à l'application de la loi par rapport aux cimetières privés et par rapport aux carrés confessionnels. Là encore, les discussions furent très animées au Mouvement Citoyens Genevois. Néanmoins, nous avons réussi à nous retrouver unanimement derrière un amendement.
Cet amendement définit que nos cimetières doivent rester laïques, mais qu'il faut respecter toutes les religions. Dans ce parlement, nous provenons d'horizons multiples et nous sommes aussi «multiconfessionnels», puisque nous avons des Argentins, des Brésiliens, des Italiens, des Espagnols... (Commentaires.) ... qui sont devenus, avec la deuxième génération, des Suisses. Eh bien, c'est la même chose, il faut respecter tout le monde ! Nous pouvons tous cohabiter ici, dans le même parlement, nous n'avons pas des carrés ou des endroits privés pour telle ou telle communauté ! Donc, nous sommes tous égaux devant la loi, et la loi doit être respectée ! Nous sommes tolérants à Genève et nous partageons nos cimetières, car Genève a toujours été une terre d'accueil pour les vivants, mais on doit aussi prôner l'ordre public et la paix pour les morts.
Donc, si on fait un petit peu d'histoire - je serai plus bref que mes prédécesseurs - on voit que c'est aux alentours de 1903 que le pouvoir politique s'est séparé de l'Eglise. Parce que la politique - le législatif - n'a rien à faire dans la religion ! Cent neuf ans après, nous remettons la politique, non plus dans l'Eglise mais dans la religion au sens large.
Une voix. On n'est pas en 2012 !
M. Eric Stauffer. 1903... Bref, c'est pas grave ! (Rires.) Partant de ce principe, nous allons accepter ce projet de loi amendé. Encore une fois, Mesdames et Messieurs, cet amendement se veut respectueux de toutes les religions, car il apparaît comme étant normal de les respecter.
Je finirai par dire que la seule modification que nous prônons, c'est: «Afin de garantir l'ordre public et la paix des morts, ces secteurs ne seront pas isolés des autres secteurs existants par des barrières ou autres installations fixes en restreignant l'accès de quelque façon que ce soit.» Un cimetière municipal doit être un cimetière laïque où tout le monde est le bienvenu et, comme du temps des vivants, la cohabitation doit pouvoir continuer dans l'au-delà.
M. Yves Nidegger (UDC). Comme les autres groupes, le groupe UDC a connu des débats internes. Les deux députés UDC membres de la commission ont soutenu le projet de loi tel qu'il ressort des travaux de ladite commission. Ce soir, le groupe prendra une position différente - pragmatique et nuancée - puisque nous n'avons pas trouvé l'unité complète sur tous les points.
Il y a trois problématiques qui sont énoncées dans ce projet de loi: celle des carrés confessionnels, celle de la possibilité des cimetières confessionnels et celle qui consiste à instaurer le Conseil d'Etat dans le rôle d'avoir à déterminer quelles confessions religieuses auront droit ou n'auront pas droit au carré ou au cimetière. Sur deux de ces thèmes, le groupe UDC est parfaitement uni pour rejeter les articles correspondants. A propos du troisième, il est désuni quant à la manière de le rejeter.
La laïcité à la genevoise est un concept qui a fait ses preuves, avec quelques agacements parfois, par des crispations radicales récurrentes, mais qui, en gros, a rendu des services forts utiles à la République, puisque nous avons traversé les temps troublés de la fin du XIXe, la période anticléricale du tournant du siècle, et puisque nous avons assez bien résisté au grand brassage de population de la fin de ce siècle. Par conséquent, nous tenons à maintenir ce cap, peut-être en l'adaptant pour qu'il puisse survivre au siècle suivant. La laïcité à la genevoise a des nuances que ne connaît pas la laïcité française, et c'est un acquis culturel qu'il faut garder.
Les cimetières... Les cimetières constituent une prestation publique, aujourd'hui entièrement étatique, puisque l'Etat a cette obligation de fournir une sépulture décente à toute personne qui vient à décéder sur le territoire d'une des communes du canton. En tant que champ public, le cimetière est évidemment soumis intégralement au principe de la laïcité, de sorte que nous voyons assez mal que l'on vienne morceler et privatiser, par le biais des carrés confessionnels, un espace qui doit revenir à tous de manière égale et rester confessionnellement neutre. Ce sera donc non à l'article 13 et aux carrés confessionnels !
Bien évidemment, ce sera non aussi à l'article 15. Cela ne serait vraiment pas un cadeau que de confier au Conseil d'Etat le rôle, par voie réglementaire - peut-être par une liste positive ou par des critères qui donneront finalement une liste positive - de dire qui mérite ou ne mérite pas son carré, dans un monde multiculturel et multireligieux. Malraux disait du XXIe siècle qu'il serait religieux ou qu'il ne serait pas du tout... Si ce qu'il a dit est vrai, il faut bien nous garder d'édicter dans la loi cette malsaine relation trop étroite entre l'Etat, comme arbitre des religions, et l'absence de neutralité confessionnelle qui en découle. D'autant que les critères sont particulièrement inquiétants, puisque le Conseil d'Etat devrait, sur la base de la différence qu'il aurait constatée comme suffisante chez les rites funéraires d'un groupe ou d'un autre, déterminer si cette différence est suffisamment importante - parce qu'elle s'écarte de la norme du règlement d'Etat - pour justifier un carré ou un cimetière, ou bien si, chez tel autre groupe, la différence existe, certes, mais n'est pas jugée suffisamment importante pour une telle justification. Ces critères seront évidemment contestés et c'est ouvrir le champ à toutes sortes de querelles inutiles, c'est contraire à la paix confessionnelle, et ce serait donner au Conseil d'Etat un rôle de docteur en religion, spécialisé en rites funéraires, qu'il ne doit évidemment pas avoir. L'article 15 sera donc unanimement rejeté par le groupe UDC.
S'agissant des cimetières confessionnels, le groupe est unanime pour ne pas les accepter en tant que tels. La majorité du groupe refusera les cimetières confessionnels, sans proposer d'amendement qui modifie cette notion, et une minorité du groupe vous propose, à l'instar d'un autre amendement que vous aurez vu, tout simplement de nous éloigner de la notion de cimetières communaux opposée à celle de cimetières confessionnels - parce qu'au fond c'est revenir au temps de la commune et de la paroisse d'antan et, dans la situation multiculturelle d'aujourd'hui, cela ne fait pas grand sens - et d'aller à des catégories du droit beaucoup plus éprouvées et beaucoup plus simple, qui sont celles du droit public et celle du droit privé. Cette minorité du groupe UDC ne voit pas pourquoi dans le champ privé, qui par définition est celui de l'expression de la diversité religieuse, on interdirait à quelqu'un d'avoir un cimetière - pour autant qu'il respecte les règlements en vigueur. Pourquoi ces cimetières devraient-ils absolument être confessionnels ? Après tout, si un groupe d'agnostiques, un club d'athées ou de sceptiques souhaitaient être enterrés sans avoir à souffrir l'ombre de symboles religieux qu'ils détestent, je ne vois pas au nom de quoi on devrait leur refuser cette possibilité sous le prétexte qu'ils ne forment pas une confession suffisamment distincte quant à des rites funéraires qu'ils n'auraient probablement pas !
En conséquence de quoi, le groupe UDC vous invite à aborder la question sous cet angle, de manière dépassionnée, et à refuser les cimetières confessionnels pour leur opposer soit le statu quo, ce que souhaite la majorité du groupe UDC, soit des cimetières privés, ce que souhaite sa minorité.
M. Georges Letellier (Ind.). Je ne verserai pas dans le populisme, comme certains veulent le faire, mais je voudrais dire ce que je pense, point final ! Je comprends que les 400 000 ou 450 000 musulmans vivant dans notre pays ont besoin de cimetières pour enterrer leurs morts et de minarets pour dispenser leurs prières. Le problème du cimetière confessionnel est une provocation de plus pour de nombreux Genevois. Nous le constatons, le Conseil d'Etat a courageusement botté en touche, mais c'est au citoyen de s'exprimer sur ces problèmes ! Le citoyen a le droit démocratique de choisir ! Donc, c'est au citoyen qu'il faut demander s'il veut modifier des lois relatives à des problèmes aussi importants ! C'est à lui de décider, ce n'est pas à vous, Mesdames, Messieurs ! Dans la situation présente, je conseille à mes collègues de suivre la position du parti radical, qui est parfaitement honnête et sincère. (Exclamations. Brouhaha.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous avez besoin d'une petite pause, peut-être ? (Brouhaha.) Non. Je donne la parole à M. le conseiller d'Etat Laurent Moutinot.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Nous vivons à Genève dans une situation où il existe aujourd'hui un cimetière juif, dont l'histoire est un peu rocambolesque, très hypocrite, mais il rend service à la communauté juive. Nous vivons dans une situation où il existe un carré musulman dans le cimetière du Petit-Saconnex; il rend de grands services, mais sa légalité est plus que douteuse. Ceci pour vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que l'objet du débat de ce soir n'est pas d'accorder à la communauté juive et à la communauté musulmane quelque chose dont elles ne disposeraient pas. Le débat de ce soir, c'est que l'un et l'autre de ces deux cimetières sont bientôt pleins et que si nous ne faisons rien, nous aurons alors retiré à la communauté juive et à la communauté musulmane, la faculté d'enterrer les morts dans le respect des rites qui sont les leurs ! A partir de là, me semble-t-il, le débat se pose un peu différemment !
Nous ne sommes pas en train de faire la révolution, nous ne sommes pas en train d'introduire dans la cité quelque chose de nouveau, mais de garantir la pérennité d'un système un peu boiteux dans les deux cas mais qui existe depuis 1929 pour la communauté juive, depuis 1978 pour la communauté musulmane. Nous avons dans ce délicat dossier quatre principes à respecter.
Nous avons, bien entendu, le principe de la liberté religieuse dont il a été dit et répété à juste titre que depuis 1999, dans l'expression qu'en donne la Constitution fédérale, respecter les rites funéraires est une obligation d'Etat. Entre parenthèses, cela explique la raison pour laquelle, en 1996, j'avais plaidé pour la laïcité. C'était possible à l'époque, cela ne me paraît aujourd'hui plus possible juridiquement.
Le deuxième principe que nous devons prendre en compte, c'est celui de l'égalité. La laïcité, qui n'est pas un principe en soi mais permet d'arriver à l'égalité, peut poser problème dans les différentes solutions qui nous sont proposées. Nous devons en effet impérativement arriver à une solution qui n'introduise pas d'inégalité dans la mort, qui n'introduise pas une ségrégation dans la mort. J'ai d'ailleurs été enchanté ce soir d'entendre les professions de foi en faveur de l'égalité - des professions de foi que je souhaiterais entendre également en matière sociale !
Le troisième principe, c'est celui de l'intégration. Nous savons, déjà depuis le début du XVIe siècle que notre cité s'est bâtie par vagues d'immigration successives. Ni Rousseau, ni Turrettini, ni aucun des grands Genevois qui ont fait ces cinq derniers siècles n'étaient autres que des immigrés de plus ou moins fraîche date ! D'ailleurs, les morts de l'Escalade n'étaient de loin pas tous nés à Genève. L'intégration doit être prise en compte ! Là aussi, il y a une difficulté, entre l'intégration par une forme d'égalitarisme et l'intégration par un respect de certaines différences. Il y a un certain nombre de choses qui sont nos valeurs propres et qui doivent être respectées, mais il y a des différences qui sont du domaine culturel et religieux que nous devons respecter par égard pour chacun.
Il y a enfin un principe d'ordre public, peut-être sous-jacent au discours du parti radical. Il est vrai que l'on peut craindre des affrontements religieux, parce que cela s'est vu et on en a de tristes exemples. Ainsi, personne n'imaginait qu'on se tirerait dessus dans les rues de Sarajevo quelques années à peine après les jeux olympiques de 1984. Toutefois, j'ai la conviction, et j'espère que vous la partagez, que Genève est assez forte et assez diverse, que le principe de la laïcité y est suffisamment fortement ancré pour que nous n'ayons pas grand-chose à craindre de quelques cimetières confessionnels.
Je ne reprends que sur un seul point la déclaration de l'un d'entre vous, M. Barrillier voudra bien m'en excuser. Factuellement, si le Conseil d'Etat a donné une sorte de droit de veto aux communes, ce n'est pas pour dégager en touche, ce n'est pas pour s'en remettre aux communes, mais, à l'inverse, pour répondre à une demande des communes qui ne voulaient pas qu'on leur impose des cimetières confessionnels sans leur accord. Et c'est cette disposition qui, au contraire, a été de nature à rassurer les communes.
J'observe, Mesdames et Messieurs les députés, que si l'on fait l'addition des partisans du statu quo et de ceux qui souhaitent, sous une forme ou sous une autre, respecter les rites funéraires des deux confessions juives et musulmanes, il y a une majorité écrasante en faveur du respect de ces rites funéraires ! Je ne souhaite pas que, par les hasards de l'enchaînement des amendements qui vous sont soumis dans un ordre donné et des votes, on en arrive à une situation absurde où ce serait la minorité qui aurait raison. Le Conseil d'Etat a déposé, à l'origine, un projet qui était très clair, prévoyant des cimetières privés et confessionnels. Je pourrais argumenter longuement pour vous exposer pourquoi c'est la meilleure solution. A défaut de choisir ce projet, d'autres solutions ne sauraient être qualifiées d'inacceptables. Preuve en est d'ailleurs que dans bon nombre de cantons suisses, puisque nous sommes pratiquement l'un des derniers à ne pas avoir de système légal clair, il existe des solutions du type que les uns ou les autres ont défendu, et notamment les carrés confessionnels.
Mesdames et Messieurs les députés, vous avez dans ce débat fait une démonstration remarquable de sérieux, de calme et de dignité. Je suis persuadé que nous pouvons, sur cette lancée, trouver une solution. Il ne m'appartient pas de dire si cette solution doit être trouvée en commission, comme l'ont souhaité certains, ou en plénière. Parce qu'une fois ou l'autre, il faudra quand même bien trancher ! Et tranchez, je vous en prie, avant que le Tribunal fédéral ne nous l'impose ! Nous avons une marge de manoeuvre pour choisir ce que nous voulons et il serait regrettable que les autorités genevoises ne parviennent pas, avant de recevoir une leçon, à trouver une formule digne, acceptable et respectueuse. (Applaudissements.)
Mis aux voix, le projet de loi 9346 est adopté en premier débat par 56 oui contre 29 non et 6 abstentions.
Deuxième débat
Le président. Nous sommes en deuxième débat. Nous allons essayer de procéder aussi calmement et aussi efficacement que nous l'avons fait pour le premier débat. Ce sera plus difficile dans la mesure où nous sommes saisis d'une série d'amendements dont quelques-uns se ressemblent, d'autres sont identiques. Par conséquent, je vais vous demander toute l'attention dont vous êtes capables.
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.
Le président. L'article premier...
Une voix. L'informatique est en panne ! (Remarques. Brouhaha.)
Le président. Monsieur Kunz, à quel propos demandez-vous la parole ? (Réponse inaudible.) Non, vous vous exprimez sur un article ! Nous sommes en deuxième débat. (Remarque.) Sur le titre et le préambule ? Je vous donne la parole.
M. Pierre Kunz (R). En effet, à l'orée du deuxième débat, après les déclarations péremptoires de notre collègue Jornot et la déclaration un peu particulière de M. Moutinot, il nous paraît - il me paraît - nécessaire de revenir sur l'argument juridique mis si fort en avant par deux des rapporteurs qui sont à la table et par certains députés.
Il y a quelque chose d'inquiétant et de choquant dans l'attitude de ceux qui, pour défendre le projet de loi du Conseil d'Etat, invoquent l'inconstitutionnalité de la loi actuelle sur les cimetières. A moins qu'ils ne soient tombés de la dernière pluie, ce qui est bien évidemment exclu, ces pseudo-juristes zélateurs de la position gouvernementale ne peuvent être sur ce point que de mauvaise foi. Soit, en effet, ils ne croient pas eux-mêmes à cet argument et, dans ce cas, ils sont de mauvaise foi - mauvaise foi qui n'a pour but que de manipuler ce parlement, soit ils sont sincèrement convaincus de ce qu'ils affirment et, dans ce cas, ils semblent, mais un peu tardivement, vouloir faire oublier leur témérité, cette témérité qui les a conduits à choisir l'instrument du projet de loi pour faire passer la réforme proposée. Une réforme qui, si elle était acceptée, ne pourra être combattue, cela a déjà été dit, que par un référendum populaire. Et ce référendum - vous le savez tous, Mesdames et Messieurs, même si personne ici n'en veut - est porteur de tous les dangers, de tous les dérapages, de tous les excès de langage et de tous les comportements outranciers !
Il existait pourtant une autre voie, bien mieux adaptée à la problématique extrêmement sensible qui nous occupe ce soir. Les milieux et les parlementaires qui affirment l'inconstitutionnalité de la loi sur les cimetières actuelle auraient pu faire valoir leur point de vue dans le calme et sans risquer les conséquences que je viens de rappeler. Cette voie consistait à contester la légalité de la loi genevoise devant le Tribunal fédéral. Et si par impossible ce dernier avait alors tranché dans le sens des réformateurs, nous ne serions pas là à débattre et les choses se passeraient sans heurts et, surtout, sans les risques portés par le référendum qui ne manquera pas de suivre le vote éventuel du projet de loi 9346.
Alors, Mesdames et Messieurs, je vous le demande, est-il trop tard pour demander aux milieux et aux parlementaires qui ce soir défendent les cimetières confessionnels et/ou les carrés confessionnels de faire marche arrière et de s'en remettre avant tout autre débat à l'arbitrage du Tribunal fédéral ? Nous pensons - je pense - que, dans cette optique, la position du groupe démocrate-chrétien prend tout son sens.
Le président. Monsieur le député, je vous remercie, mais j'observe que vous n'avez pas dit un mot du titre et du préambule et que par conséquent vous avez trouvé ce moyen, qui aurait pu être meilleur, de prendre la parole au titre du premier débat dans le deuxième. Ce n'était pas d'une utilité formidable, mais nous en prenons acte, comme nous prenons acte de toute prise de parole qui nous serait demandée. La parole est demandée par Mme Véronique Schmied.
Mme Véronique Schmied (PDC). Permettez moi, à l'aube de ce deuxième débat, de vous faire part de la position des communes, puisqu'elles sont largement responsables de l'application de cette loi au cas où celle-ci viendrait à aboutir. Elles jouent un rôle important, voire un jeu que je qualifierai de dangereux. Dans nos cimetières, les symboles religieux sont nombreux et tous y sont autorisés et respectés: les photographies que l'on m'a confiées, jointes à un dossier remis par les communautés israélites, le montrent. Les symboles religieux de toutes sortes abondent et, à ce titre, toutes les pratiques sont garanties - voire aucune pratique - et ont leur place dans nos cimetières. Chaque famille - et j'insiste sur ce terme de «famille» et non pas de «communauté» - peut ensevelir dignement ses proches, avec les rites, ou en l'absence de tout rite, que leur conviction familiale exige. L'hypocrisie du discours de non-discrimination réside précisément dans le postulat que les morts ne sont pas égaux entre eux...
Le président. Madame la députée, excusez-moi, nous n'allons pas recommencer le premier débat ! Est-ce que vous voulez me dire quel point vous voulez aborder !
Mme Véronique Schmied. Non, je ne recommence pas le premier débat !
Le président. Alors, sur quel article intervenez-vous, Madame la députée ? Sur quel article désirez-vous intervenir ? Nous sommes en deuxième débat ! Le premier débat est terminé ! (Exclamations. Brouhaha.)
Des voix. Titre et préambule !
Mme Véronique Schmied. Il s'agit de «Titre et préambule» et je pense qu'il y a un préambule important à faire connaître à cette assemblée... (Brouhaha.) ... à propos de la position des communes et de l'Association des communes genevoises qui, lors de son assemblée générale extraordinaire, a refusé ce projet de loi, tant l'article sur les cimetières privés que l'article sur les carrés confessionnels. A ce titre, le parti démocrate-chrétien ici présent demande le renvoi en commission.
Le président. Très bien ! Nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission. Nous allons donc pouvoir faire prendre la parole à une personne par groupe sur le renvoi en commission, au sujet du titre et préambule, je vous le fais observer, sur lequel je n'ai reçu aucune proposition d'amendement, je vous le fais remarquer aussi. Cela étant, je vais suspendre nos travaux pour cinq minutes pour permettre à nos informaticiens d'essayer de faire marcher leurs appareils de manière à ce que nous puissions voter lorsque nous aurons fini de débattre. Nous reprenons nos travaux à 22h.
La séance est suspendue à 21h55.
La séance est reprise à 22h10.
Le président. Merci à nos informaticiens, apparemment le «bug» est surmonté ! Pourvu que cela dure ! Mesdames et Messieurs, la parole est à Mme Michèle Künzler, sur le renvoi en commission.
Mme Michèle Künzler (Ve). Nous sommes favorables au renvoi en commission. Ce parlement a pris une décision formelle et importante, il est entré en matière sur ce projet de loi; le principe de la modification est donc acquis. Maintenant, il faut aller de l'avant et modifier ce projet de loi pour retrouver un équilibre. Il y a des modifications formelles à faire sur la structure de la loi et peut-être un accord à trouver sur le type de carrés confessionnels, et savoir l'on veut dire oui ou non à un cimetière privé. Je pense que certaines opinions ne changeront pas, mais il a été démontré ce soir qu'une majorité est prête à modifier la loi, parce qu'il n'est plus possible de vivre avec cette loi.
Donc, nous appelons à un renvoi en commission, mais aussi à fixer un délai à la commission. Parce que ce débat a duré trop longtemps. Je pense que le printemps prochain devrait être le dernier délai pour agender le débat au Grand Conseil. La commission a peu de travail à son ordre du jour, elle peut donc s'y atteler dès mardi prochain. Dès lors, je vous invite fermement à renvoyer en commission ce projet de loi et tous les amendements pour parfaire le travail.
Le président. Merci, Madame la députée. Je rappelle qu'une seule personne par groupe peut intervenir sur le renvoi en commission. La parole est à Mme la députée Carole-Anne Kast.
Mme Carole-Anne Kast (S). Le groupe socialiste s'opposera au renvoi en commission. En effet, la commission a très bien travaillé, cela a été relevé. Elle a travaillé dans un esprit de respect et d'écoute, dans un esprit de recherche de solutions. Même si, à l'arrivée, il y a beaucoup d'amendements et des opinions divergentes, une très nette majorité de la commission considère qu'il faut entrer en matière, comme cela vient d'être dit. Et cette majorité est entrée en matière et propose une solution. Les solutions peuvent être nuancées, diverses, mais renvoyer le projet en commission n'y changera rien ! Puisque, finalement, les nuances qui nous opposent ce soir ne relèvent pas de clivages partisans, mais de principes fondamentaux qui nous animent intimement, des principe probablement fortement ancrés en chacun de nous et différents d'un député à l'autre.
Renvoyer le projet en commission aurait la conséquence suivante: nous intégrerions les amendements, nous les voterions, et une majorité se dégagerait probablement; une ou des minorités refuseraient de remettre en cause certains principes et l'on reviendrait en plénière avec les mêmes amendements qui vous sont proposés ce soir parce que la commission s'est déjà posé ces questions-là ! Refaire ce travail n'aurait véritablement aucun sens ! Ce qui ne serait pas le cas si, par exemple, la commission avait escamoté le débat et si elle n'avait pas procédé à toutes les auditions, si elle n'avait pas envisagé toutes les solutions. Or, ce travail a été fait !
Par conséquent, il faut aujourd'hui que ce parlement accepte que ce projet sera le fruit d'un consensus, d'un compromis peut-être, mais probablement pas d'une compromission - parce que je pense que toutes les personnes qui interviennent sur ce dossier le font avec honnêteté et sincérité.
C'est pourquoi une majorité va se dégager et j'espère que le jeu des différentes minorités ne fera pas tout capoter à l'arrivée... Je ne le pense pas, ce débat est calme et de haute tenue, nous pouvons nous écouter. Je crois que le président ne s'opposera pas, éventuellement, à de toutes petites suspensions, afin que l'on puisse recréer des majorités autour d'un amendement qui l'emporterait. Pour toutes ces raisons-là, le débat me semble mûr. Il s'agit donc pour ce parlement de prendre ses responsabilités et de voter un projet de loi, avec ou sans amendements, mais qui permettra d'instituer, comme la majorité de la commission le désire, des différences confessionnelles au sein des cimetières, selon des modalités à définir. Et un renvoi en commission ne permettrait pas de faire avancer le débat, puisque tout a déjà été examiné.
M. Olivier Jornot (L). J'aimerais relever à mon tour l'excellente tenue du premier débat que nous avons eu dans ce parlement. Je n'en dirai pas forcément autant du début du deuxième débat. Je vais essayer de ne pas être trop péremptoire en le disant, mais j'avais le sentiment d'entendre ce que l'on entendait il y a quelques années à Appenzell Rhodes-Intérieures, lorsque des Helvètes aux bras noueux disaient: «Ce n'est pas le Tribunal fédéral qui va nous apprendre à vivre !» J'espère que juifs et musulmans de ce canton ne devront pas, comme les femmes d'Appenzell, attendre une intervention du Tribunal fédéral !
A propos du renvoi en commission, Mesdames et Messieurs, j'aimerais relever, moi aussi, le fait qu'il y a une majorité de ce parlement qui est favorable à une évolution de la situation actuelle. Je crois que c'est un acquis tout à fait remarquable des débats de ce soir, par rapport à tout ce qui a été dit relativement aux positions initiales des uns et des autres. Pourtant, je me permettrai de ne pas faire preuve du même optimisme que ma préopinante parce qu'il y a de forts risques pour que le jeu opposé des amendements aboutisse à vider le projet de sa substance. Même si nous en sommes maintenant formellement au titre et préambule, nous risquons bien au bout des votes de n'avoir que le titre et le préambule !
M. Gabriel Barrillier. Tant mieux !
M. Olivier Jornot. Certes, Monsieur Barrillier, tant mieux pour vous qui ne souhaitez pas faire avancer le débat ! Malheureusement, ou heureusement, une majorité de ce parlement ne pense pas comme vous ! Peut-on faire avancer les choses en commission ?
Je dis oui, parce que nous avons vu aujourd'hui quelle était la palette des nuances des positions des uns et des autres. Nous avons vu aujourd'hui qu'au-delà des positions - un peu flamboyantes, il faut le dire - du projet de loi sorti de commission, qui dégage des principes très généraux, il y a certainement de la place pour des petits pas, plus pragmatiques, mais qui permettront dans les faits de donner satisfaction aux aspirations spirituelles de ceux qui attendent que quelque chose change. C'est la raison pour laquelle je lance un appel à toutes celles et à tous ceux de bonne volonté dans ce parlement, qui veulent faire avancer les choses dans ce domaine, et je leur demande d'accepter le renvoi en commission pour qu'on puisse trouver une solution.
M. Roger Golay (MCG). Le groupe MCG va également soutenir la proposition de renvoyer ce projet de loi à la commission, étant donné le nombre d'amendements, relativement similaires pour certains, qui ont été déposés. Il serait beaucoup plus sage de continuer ces débats en commission, encore plus sérieusement et de manière encore plus responsable, et qu'ils soient traités dans un cadre beaucoup plus calme qu'ici, peut-être pour aboutir à des décisions représentatives d'un consensus.
M. Yves Nidegger (UDC). En commission, on a pondu un rapport, volumineux et très impressionnant, truffé de références historiques. Tout le travail exploratoire a été fait, le problème n'est pas là ! Le problème est que les sensibilités divergent, même à l'intérieur des groupes. On l'a vu, les commissaires prennent position dans la logique et la dynamique de la commission à laquelle ils appartiennent. Puis ils changent parfois même leur position, entre la séance de commission et le retour au plénum. De même, les groupes changent d'avis.
En d'autres termes, nous avons une palette d'amendements qui présentent des nuances ou des variantes, mais aussi des positions relativement contrastées. Ayons le courage de trancher, nous sommes là pour ça ! Il semblerait qu'on n'ait pas envie d'y passer la soirée... Je reconnais que ce n'est pas forcément ce qu'il y a le mieux à faire, un seul projet toute une soirée ! Mais un jour il faut bien trancher ! Renvoyer pour ce motif le projet en commission me semblerait aussi hypocrite que la solution du cimetière israélite avec son entrée en Suisse et sa sortie en France.
Une voix. Si on peut parler de sortie... (Rires.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme la députée Véronique Schmied.
Une voix. Véronique !
Le président. Vous y renoncez, Madame la députée ?
Mme Véronique Schmied (PDC). Je n'y croyais plus, Monsieur le président.
Le président. Eh bien, il faut croire, Madame la députée ! Et c'est à une PDC que je dois le dire ! (Rires.)
Mme Véronique Schmied. Le parti démocrate-chrétien, tel qu'il l'a demandé, approuve le renvoi en commission. En effet, il n'y aura vraisemblablement pas que des nuances à régler, en commission. Les travaux de la commission se sont conclus avec une adhésion largement majoritaire aux cimetières privés et nous constatons maintenant que ce n'est plus tout à fait le moment de faire voter ce genre de proposition. Les factions ont peut-être réfléchi depuis ou imaginé des variations un peu plus nuancées.
A notre avis, poursuivre ce travail en commission revêt un intérêt certain. La question des communes mérite d'être approfondie, puisqu'elles ont ce rôle autonome et extraordinaire de pouvoir décider si elles acceptent ou pas l'installation de carrés confessionnels dans leurs cimetières. Et les communes risquent d'être portée à la une des médias au cas où elles refuseraient cette possibilité. Cet aspect n'est donc pas si simple à régler.
J'encourage donc la commission à réfléchir de façon pragmatique au travail qui devra se faire par rapport aux communes, qui ont comme interlocutrices privilégiées les familles et non les communautés religieuses, je le répète.
Le président. Nous avons bien entendu: vous soutenez votre proposition de renvoi en commission.
M. Gabriel Barrillier (R). Pour nous, qui avons les idées tout à fait claires et une position...
Une voix. Intangible !
M. Gabriel Barrillier. Intangible, c'est vrai ! Renvoi en commission ou débat immédiat, c'est un peu bonnet blanc blanc bonnet... Mais je vais quand même vous étonner ! Si certains ont encore besoin d'un petit tour en commission pour s'éclaircir les idées - j'ai cru comprendre que dans vos groupes, chers collègues, vous étiez divisés - eh bien, renvoyons ce projet en commission, et je vous souhaite bonne chance !
Le président. Les partis se sont exprimés. Restent maintenant les rapporteurs. La parole est à Mme le rapporteur Von Arx-Vernon.
Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC), rapporteuse de troisième minorité. Je crois qu'on peut tous se mettre d'accord pour dire que la réflexion évolue en permanence et que nous pourrions même imaginer être à présent dans un processus d'harmonisation. Il est vrai que les commissaires qui ont travaillé précédemment sur le projet l'ont fait en leur âme et conscience, tout le monde a pu le constater. Et tout le monde a pu constater aussi que certains ont changé d'avis entre le début et la fin des travaux, non pas par esprit de versatilité, mais parce qu'à chaque fois il y avait des éléments nouveaux.
L'écoute et l'attention mutuelle, les témoignages, lors d'auditions, ont permis, malgré les différences, d'imaginer que nous pourrions travailler sur une véritable loi qui nous rassemblera au lieu de nous diviser. S'il faut encore remettre l'ouvrage sur le métier pour arriver à cette harmonisation, eh bien, pour toutes ces raisons, le renvoi en commission peut paraître la solution la plus logique et la plus respectueuse de l'intérêt général !
M. Christian Brunier (S), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, je vous rappelle que la commission a siégé déjà vingt-huit heures... Nous avons passé vingt-huit sur ce sujet dans un climat constructif et serein, Carole-Anne Kast l'a dit. Et le travail a été fait sérieusement ! On a vu qu'il y avait eu une majorité de circonstance seulement en commission, puisque cette majorité ne tient pas en plénière. Ici, il y toutefois une majorité évidente ou un compromis possible en faveur des carrés confessionnels, visiblement une majorité des partis est prête à retourner en commission. Vous verrez, le seul compromis possible pour trouver une majorité au terme des travaux en commission, ce sera avec les carrés confessionnels !
Ce soir, nous avons un amendement qui mentionne cette option. Pourquoi ne pas voter cet amendement en troisième débat ? Je suis prêt à faire le deuxième débat, au cours duquel chacun pourra voter ses propres amendements, mais aucun de ceux-ci n'obtiendra une majorité !
Votons ce qui peut nous rassembler ! C'est le seul projet qui pourra rassembler une majorité dans ce parlement aujourd'hui, ou demain, ou après-demain, ou dans six mois, après les municipales. Parce que le délai que Mme Künzler nous propose renvoie le vote après les élections municipales ! Je vous rappelle qu'on a déjà reporté une fois le projet pour ne pas avoir à débattre de ce sujet durant les cantonales. Maintenant, on veut le reporter pour ne pas avoir à en débattre pendant les municipales ! Je vous rappelle juste qu'après il y aura les nationales...
Une voix. Ouais ! (Remarques. Brouhaha.)
M. Christian Brunier. A un moment donné, il faudra bien avoir le courage politique de prendre des positions ! Donc, vous allez renvoyer ce projet en commission et je pense que c'est totalement inutile ! Je ne veux pas être démago, parce qu'il n'y a pas de grosses sommes en jeu, néanmoins en termes de valeur ajoutée, entre le vote de ce soir et des travaux en commission qui vont se multiplier, ce sera zéro ! On n'arrête pas de parler de valeur ajoutée, dans les débats budgétaires on parle chaque fois d'efficacité, de retour sur investissement... Aujourd'hui, Mesdames, Messieurs, vous êtes en train de prendre des décisions où le retour sur investissement sera équivalent à zéro ! C'est juste le manque de courage politique qui est au rendez-vous. (Applaudissements.)
M. Michel Ducret (R), rapporteur de première minorité. Je crois que la conviction des radicaux est bien assise. Il n'est guère besoin de retourner ce projet de loi en commission pour mieux accommoder une potion qui est empoisonnée... Vous pouvez ajouter sel, poivre, harissa ou je ne sais quoi d'autre, nous ne souhaitons de toute façon pas boire de cette soupe-là !
M. Pierre Weiss (L), rapporteur de majorité. Au début de mon intervention initiale, j'avais souhaité que l'esprit de Genève souffle sur nous. Avec Mme Künzler et avec d'autres, je constate qu'il a soufflé - il a soufflé, puisqu'il nous a permis de prendre une décision importante, c'est que le statu quo n'était plus supportable - mais il a soufflé comme une brise et non comme un vent fort: le vent fort du courage dont parlait avec raison M. Brunier.
La proposition de renvoi en commission est une issue, vers laquelle la majorité d'entre nous se dirige apparemment, qui nous permettra de voir encore mieux que ce dont on parlera rappellera ce dont on a déjà parlé ! Et peut-être qu'on en parlera mieux, peut-être que les nuances et les accents seront mieux présentés. Peut-être que précisément pour que l'esprit souffle, il faut lui donner du temps - «du temps au temps», si je peux me permettre, Monsieur le président !
Si je peux avoir quelque regret pour l'intensité des velléités d'amendements postpartum qui caractérisent notre débat de ce soir, puisque le rapport une fois déposé a suscité tellement de souhaits de modifications de la part de ceux qui y avaient participé, il faut aussi savoir en prendre acte avec sagesse. Et cette sagesse, c'est que, même si je peux être d'accord - ce sera d'ailleurs un des effets de cet esprit de Genève - avec le fond de ce que Mme Kast a dit ce soir, je crois que, pour la forme, il faut prendre en considération, par réalisme, ce souci de renvoi en commission. Je suis persuadé qu'avec un peu de temps supplémentaire nous arriverons à un accord, pour le bien de Genève et de ses habitants.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9346 à la commission des affaires communales, régionales et internationales est adopté par 55 oui contre 21 non et 11 abstentions.
Deuxième et troisième débats: Session 08 (mai 2007) - Séance 39 du 25.05.2007
Suite du premier débat
Le président. Nous sommes au point 21 de l'ordre du jour. Nous reprenons nos travaux là où nous les avions laissés. J'invite les rapporteurs de majorité et de minorité, Mme Fabienne Gauthier et Mme Emery-Torracinta, à regagner la table des rapporteurs, bien qu'elles n'aient plus la parole et je la donne à M. le député Christian Brunier.
M. Christian Brunier (S). Je voudrais quand même rappeler à propos de quoi on est en train de débattre. Parce que la dernière personne qui s'est exprimée sur le projet de loi avant la pause, c'est Mme Bartl de l'UDC, qui, visiblement, n'avait pas lu notre projet de loi puisqu'elle a fait toute une intervention en disant qu'elle était totalement opposée aux quotas et qu'elle ne voulait pas qu'on réserve dans ce parlement la moitié des sièges aux femmes et l'autre moitié aux hommes. Malheureusement, ce n'est pas du tout ce qu'indique notre projet de loi.
Une voix. Dommage !
M. Christian Brunier. Et pourtant nous sommes pour les quotas ! Pour permettre aux femmes d'entrer dans les parlements. Néanmoins, nous prenons en compte la volonté populaire - il y a eu un vote populaire, il y a quelques années, qui a montré que le peuple n'en voulait pas. Donc, nous avons fait un projet de loi qui tient compte de cela. (Brouhaha.) Nous avons fait un projet de loi...
Le président. Excusez-moi, Monsieur le député ! Messieurs, Mesdames, ceux que les quotas n'intéressent plus, parce que les dames ne sont plus de la partie, peuvent se taire ou se retirer dignement. La parole est aux messieurs pour un court moment, et à eux seuls. Monsieur Brunier, veuillez poursuivre.
M. Christian Brunier. Merci, Monsieur le président. Notre projet de loi demande une seule chose, c'est d'offrir un choix à la population et des listes proposant une parité entre les hommes et les femmes. Ensuite, la population a toute la liberté de choisir si elle a envie d'avoir un parlement composé en grande majorité de femmes ou en grande majorité d'hommes, c'est le choix de la population, exprimé à travers le vote. Nous voulons juste un équilibre sur les listes, ce qui n'est aujourd'hui pas le cas. (Brouhaha.)
Mme Gautier, rapporteure de majorité, nous dit qu'il ne faut pas légiférer, qu'il faut laisser le choix aux partis. Or, Madame Gautier, vous savez très bien qu'il y a déjà quelques années un tel projet avait été soumis au parlement et que déjà la droite avait dit que c'était un mauvais projet. Mais la droite disait qu'elle avait conscience qu'il fallait plus de femmes au parlement... On nous a dit qu'il fallait faire confiance aux partis... Alors, nous avons fait confiance, non par choix mais par obligation, vu que vous aviez shooté notre projet de loi à l'époque.
Alors, on se retrouve environ quatre ans plus tard et il y a eu une élection cantonale dans l'intervalle. Vous aviez le choix de faire progresser les femmes de vos partis. Quel est le résultat ? UDC: 1 femme sur 11 députés; MCG: 1 femme sur 9; parti libéral: 5 femmes sur 23; PDC: 3 femmes sur 12; parti radical: 3 femmes sur 12. Donc, on a laissé le choix aux partis et le résultat n'est pas fameux ! Il y a deux partis qui ont décidé de prévoir des contraintes: dans les statuts des Verts et ceux du parti socialiste, il y a aujourd'hui la notion de parité des listes. (Exclamations. Remarques.) Mesdames, Messieurs, le résultat il est là ! Sur 17 élus du parti socialiste, il y a 11 femmes. Et sur 16 élus Verts, il y a 10 femmes. (Remarques. Brouhaha.) On voit bien que lorsque le parti... (Manifestation dans la salle.)
Le président. Qu'est-ce qui vous arrive, Mesdames et Messieurs les députés ? Vous ne voulez pas laisser parler l'orateur ? (Rires.) Monsieur Brunier, vous avez toujours la parole.
M. Christian Brunier. Merci une nouvelle fois, Monsieur le président. On aimerait plus de femmes dans ce parlement, déjà rien que pour être écouté car, visiblement, certains hommes ont une moins bonne faculté d'écoute que les femmes !
Mme Gautier écrit dans son rapport que la Suisse était quand même un modèle pour promouvoir les femmes en politique... Certains ont fait allusion à l'histoire de la Suisse, alors que l'histoire de la Suisse en la matière, j'en suis désolé, n'est pas forcément une référence ! Moi, je vais faire référence à quelque chose qui va vous faire plaisir, Mesdames et Messieurs de la droite: c'est le Forum économique mondial de Davos ! Vous ne le savez peut-être pas, mais le Forum économique mondial a lancé, il y a quelques mois, une grande étude sur le développement économique des pays à travers les femmes. Et l'un des pays européens qui est en queue de liste, c'est - il n'y en a que deux après elle - la Suisse ! La condition des femmes en Suisse donne un des pires résultats au niveau européen ! Et ce ne sont pas les partis de gauche qui vous le disent, ce ne sont pas des mouvements ultraféministes: c'est le Forum économique de Davos ! Des gens que vous n'arrêtez pas de citer en référence quand il s'agit de parler d'économie ! Comme par hasard, lorsqu'il s'agit de citer la condition de la femme, ce n'est plus votre référence.
Finalement, on nous a dit aussi que les partis n'avaient pas besoin de contraintes, qu'ils faisaient un effort, mais que, si les partis de la droite y arrivaient moins bien que ceux de la gauche, c'est qu'il était très difficile pour les femmes de droite d'être candidates... J'en suis certain ! Mais c'est difficile aussi pour les femmes de gauche ! Premièrement, il y a un attrait du pouvoir, ce qui est plutôt masculin, et deuxièmement il y a une difficulté plus grande pour une femme que pour un homme à conjuguer vie de famille, vie professionnelle et vie politique. Néanmoins, et là je vais faire l'autocritique du parti socialiste, je peux vous dire qu'au parti socialiste où les mouvements féministes sont très bien représentés, et ce depuis des années, eh bien, lorsque nous n'avions pas encore instauré de quotas, nous n'arrivions pas à trouver suffisamment de femmes pour nos listes. On pensait en avoir la volonté, mais on n'y arrivait pas... On se disait que c'était impossible, que c'était trop dur, que les conditions étaient trop périlleuses pour que les femmes se présentent et on craignait ne jamais arriver à l'équilibre. Alors, on a introduit les quotas dans nos statuts, on a eu quasiment le même débat qu'ici, et, depuis, le parti socialiste fait cet effort - parce qu'il faut se battre plus pour pouvoir inscrire une femme sur une liste - et nous réussissons aujourd'hui à respecter ce quota et à faire élire des femmes !
Donc, on voit bien que les partis politiques, même les plus féministes, ont de la peine à se mettre en mouvement s'ils n'ont pas de contraintes. Et la liberté de choix que vous voulez, sans contrainte légale, ne marchera pas - ou cela mettra des décennies ! Nous voulons contraindre les partis politiques, y compris les partis de gauche, pour permettre aux femmes d'accéder aux responsabilités, comme les hommes ont pu le faire.
On sent qu'il y a quand même une problématique dans laquelle personne n'est à l'aise, même sur les rangs de droite; vous avez tous constaté que ce serait bien qu'il y ait plus de femmes. Moi, je vous lance le défi ! Honnêtement, le travail en commission n'a pas eu lieu: vous avez consacré à peine une heure sur ce thème, il n'y a eu aucune audition et vous avez shooté ce projet de loi un peu facilement - on voit que l'habitude de ce parlement, lorsqu'il ne travaille pas bien, c'est de renvoyer les dossiers en commission.
Puisque vous voulez qu'il y ait plus de femmes dans ce parlement et puisque vous voulez aussi travailler sur d'autres solutions, nous sommes prêts à cela et à les instaurer, si vous ne voulez pas passer tout de suite à la solution législative. Nous demandons le renvoi de ce projet en commission pour, justement, instaurer ensemble un minimum de conditions pour favoriser l'ascension des femmes en politique.
Le président. Il vous faut conclure !
M. Christian Brunier. Je suis en train de demander le renvoi en commission ! Si vous êtes honnêtes dans ce que vous avez dit, et je le crois, eh bien, renvoyons le projet en commission ! Et nous ferons le bilan ensuite pour savoir si les gens sont cohérents, entre ce qu'ils disent ici et ce qui se fait réellement en commission. (Applaudissements. Commentaires.)
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs du parti socialiste, je ne comprends pas ! Vous êtes pour les muselières ! Pour les quotas ! Ce n'est plus une démocratie que vous prônez, c'est une véritable dictature ! Où est la démocratie dans votre projet de loi, à vouloir imposer des quotas pour les femmes en politique ? (Protestations.) Où est le principe démocratique de la liberté de choix ? Imaginez-vous dans la situation où un parti n'aurait pas assez de femmes à présenter pour les élections... (Exclamations.) Nous, on les accueille les bras ouverts ! Mais ça ne se trouve pas aussi facilement. Qu'est-ce que ça donnerait comme situation, Monsieur le président ? Eh bien, la démocratie, c'est-à-dire le vote populaire, l'expression la plus forte de la démocratie dans les arcanes de la République genevoise, ne serait plus respectée ! Vous le dites vous-même: 45% de représentantes du sexe féminin sur la liste ! Mais alors, il faudrait prendre n'importe qui parce qu'on ne va pas trouver ! (Protestations.) Aucune expression démocratique !
Mesdames et Messieurs, j'aimerais quand même vous dire que je suis aussi un fervent défenseur de l'égalité hommes-femmes. J'en veux pour preuve, Monsieur le président, que je suis le seul homme à siéger dans la commission consultative de l'égalité, exception faite du conseiller d'Etat ici présent qui siège d'office. Vous m'avez bien compris: je suis le seul représentant du sexe masculin à vouloir défendre le statut des femmes ! (Exclamations.) Oui, mais pas en imposant des quotas ! C'est antidémocratique, il faut laisser la liberté ! Vous qui prônez cette liberté et cette ouverture, quand nous avons voulu mettre des quotas pour les frontaliers vous avez crié à la xénophobie ! Et aujourd'hui, vous voulez mettre des quotas sur les femmes ! Mais où allons-nous ?! Où est cette logique démocratique que vous prônez ?!
Monsieur le président, en l'occurrence nous refuserons de voter ce projet de loi et nous refuserons le renvoi en commission, parce qu'il n'y a juste rien à dire ! Votre projet de loi n'est pas bon !
Mme Véronique Pürro (S). Monsieur le président, avant d'intervenir sur le projet de loi, j'aurais souhaité savoir si vous comptiez encore donner la parole aux deux rapporteures ?
Le président. Madame, puisque vous me posez la question, je dois vous renvoyer à l'article 78A de la loi portant règlement du Grand Conseil, qui ne prévoit pas d'exceptions pour les rapporteurs lors de la clôture d'une liste, à la différence d'autres dispositions comme l'article 73 ou l'article 78. En conséquence de quoi et à grand regret je ne leur donnerai pas la parole. Mais je vous la donne à vous, parce que vous vous étiez inscrite avant la clôture de la liste.
Mme Véronique Pürro. Si je souhaitais intervenir, c'était pour faire part à la fois de mon étonnement et de ma déception. Mon étonnement, d'une part, à la lecture des deux rapports, lecture qui m'a appris que la commission n'avait consacré qu'une seule et unique séance de commission à ce sujet. Permettez-moi de vous dire que ça me choque ! Parce qu'on peut très bien ne pas être d'accord avec ce que le projet de loi propose, mais traiter en deux ou trois coups de cuiller à pot un sujet aussi important que la place des femmes en politique alors qu'on est capable de faire traîner d'autres projets sur des dizaines de séances, permettez-moi de vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que je trouve que c'est particulièrement choquant.
Deuxième déception, c'est le constat, triste, voire déprimant, fait tout à l'heure par nos collègues femmes de droite. Qu'avons-nous entendu de leurs bouches ? Les femmes ne seraient pas suffisamment nombreuses; les femmes ne seraient pas assez compétentes; les femmes auraient des obligations, notamment familiales, qui ne leur permettraient pas d'assumer les charges parlementaires. Mesdames les députées de droite, regardez le résultat de votre politique et de vos discours ! Parti radical genevois: 12 sièges, 3 femmes. (Protestations.) Parti libéral: 23 sièges, 5 femmes... (Remarque. Brouhaha.) Je crois que c'est important de le rappeler, Madame Hagmann ! Parti démocrate-chrétien: 12 sièges, 3 femmes. Je vais quand même parler de l'UDC et du MCG, même si c'est presque marginal dans le sujet qui nous préoccupe ce soir... UDC: 11 sièges, 1 femme....
M. Claude Marcet. Elle est mignonne !
Une voix féminine. C'est le seul attribut d'une femme ?
Mme Véronique Pürro. ... MCG: 9 sièges, 1 femme. Effectivement, Monsieur Marcet, si la seule préoccupation qui vous anime s'agissant des femmes, c'est de savoir jusqu'où va leur décolleté, c'est vrai que, là, les vôtres battent tous les records. (Huées et applaudissements.)
Une voix masculine. Jalouse !
Une autre voix masculine. C'est pas la quantité qui compte ! (Brouhaha.)
Mme Véronique Pürro. Mesdames les députées de droite, de quoi avez-vous peur, finalement ?
Une voix masculine. Des quotas !
Mme Véronique Pürro. Pensez-vous réellement, comme vous l'avez laissé entendre précédemment, que les femmes ne sont pas suffisamment compétentes ? Pensez-vous très honnêtement que tous les hommes qui siègent dans cette enceinte sont tous très compétents ?
Je ne vais pas vous faire le total des femmes élues au sein de la gauche par rapport au nombre de sièges dans ce parlement, mais je crois que vous le voyez, en face de vous, chaque fois que nous siégeons dans cette enceinte. Ne vous êtes-vous jamais demandées, Mesdames les femmes de droite, parce que c'est bien à vous que j'ai envie de m'adresser ce soir, pourquoi nous sommes à gauche beaucoup plus nombreuses que vous ne l'êtes à droite ? La raison en est toute simple, M. Brunier l'a très justement dit tout à l'heure, c'est parce que les partis de gauche - les Verts et le parti socialiste - ont cette préoccupation de constituer des listes paritaires où les femmes ont toute leur place ! Et je vous assure qu'il y en a suffisamment dans nos rangs. Il n'y a pas de raison que des femmes qui ont des opinions de droite, qui partagent vos points de vues, ne soient pas également nombreuses.
Je sais très bien quelle va être l'issue de ce vote, mais ce qui me déçoit énormément, c'est que vos partis vous envoient, vous, Mesdames les femmes de droite, vous prononcer sur ce genre de sujets alors que vous ne vous exprimez pas très souvent. (Sifflets.)
Le président. C'est inadmissible ! C'est totalement inadmissible ! Je ne sais pas qui s'est permis cette liberté...
Une voix féminine. Une femme libérale... qui ne s'exprime pas très souvent !
Le président. Je préviens que si je constate une nouvelle manifestation de mauvaise éducation de ce genre, d'une part la séance sera suspendue et, d'autre part, les impétrants feront l'objet de sanctions ! La parole est à M. le conseiller d'Etat Laurent Moutinot.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Dans un débat précédent, M. le député Aubert avait usé de l'image du verre à moitié plein et du verre à moitié vide. C'est la même image que j'utiliserai dans ce débat. Le verre à moitié plein, c'est qu'il y a une volonté de promouvoir les femmes en politique que je constate sur tous les bancs. Le verre à moitié vide, c'est qu'il n'y a pas grand monde pour mettre tout cela en pratique.
Par conséquent, ce qu'il appartiendra désormais de faire au Conseil d'Etat et au Service pour la promotion de l'égalité, ce sera de revenir devant votre Grand Conseil avec des propositions concrètes, de diverses natures, qui porteront aussi bien sur des mesures incitatives, des mesures d'information, des mesures facilitatrices, que sais-je encore, afin que, dans un temps qui soit le plus rapproché possible, les principes d'égalité, contenus dans la Constitution fédérale et dans la constitution genevoise, que nous avons la charge de mettre en oeuvre, puissent être respectés également en ce qui concerne la participation des femmes dans les organes politiques. (Applaudissements.)
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9801 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 45 non contre 23 oui.
Une voix. Je demande l'appel nominal !
Le président. Cette demande étant soutenue, nous procédons ainsi.
Mis aux voix à l'appel nominal, le projet de loi 9801 est rejeté par 48 non contre 23 oui et 1 abstention.
Le président. Mesdames et Messieurs, au vu de l'incident qui vient de se produire, je considère prudent de lever la séance. Je retiens le Bureau pour une brève réunion. Merci !
La séance est levée à 22h50.